Patrick Béja, premier podcasteur à vivre de son podcast en France
« Patrick Béja, c’est la première personne en France à être podcasteur professionnel, c’est-à-dire une personne qui gagne sa vie directement avec son podcast. » C’est avec cette introduction que Stan Le Loup accueille son invité, Patrick Béja, une figure pionnière dans l’univers du podcasting francophone. Depuis 2006, Patrick navigue dans cet écosystème, mais c’est fin 2014 qu’il a franchi un cap décisif : celui de quitter son emploi pour vivre de son podcast à temps plein.
À cette époque, c’était une démarche quasi inédite. « Je pense que, en tout cas, en tant que vrai indépendant, j’étais le seul à en vivre à temps plein », confie Patrick. Alors que beaucoup de créateurs utilisent leur contenu comme un outil marketing pour vendre des formations ou du coaching, Patrick a choisi une voie différente : la monétisation directe de son contenu via le financement participatif sur Patreon. Une approche qui a fait de lui une référence et un cas d’étude pour tous ceux qui aspirent à transformer leur passion pour l’audio en une carrière viable.
Le saut dans le vide : quitter son CDI pour le podcasting
La décision de Patrick n’a pas été prise à la légère. En 2014, il occupait un poste confortable chez Blizzard Entertainment, l’éditeur du célèbre jeu World of Warcraft. Pourtant, l’appel du podcast était plus fort. « J’ai donné ma démission avant de lancer le financement participatif de l’émission », raconte-t-il, admettant avec humour que c’était peut-être un peu idiot. Il s’était donné un an pour voir si le projet était viable.
Heureusement, le pari a été gagné plus vite que prévu. Avec une audience d’environ 15 000 à 20 000 auditeurs, il a lancé sa campagne Patreon avec des objectifs clairs. « J’ai établi les paliers à 1500 dollars et 2000 dollars par épisode. Et très vite, au bout de quelques semaines, donc avant même la fin de mon préavis, j’ai atteint le palier de 2000 dollars par épisode. » Un succès fulgurant qui lui a permis de sécuriser son avenir et de se consacrer entièrement à sa passion.
Le secret du financement participatif : la communauté avant tout
Comment convaincre des gens de payer pour un contenu qu’ils peuvent obtenir gratuitement ? C’est la question centrale de la monétisation par financement participatif. Pour Patrick Béja, la réponse ne réside pas dans les bonus exclusifs, mais dans la relation tissée avec l’audience.
La patience, clé pour monétiser son podcast
Le succès de Patrick en 2014 n’est pas un coup de chance. Il est le fruit d’un travail de longue haleine commencé en 2006. « Le financement participatif arrive essentiellement huit ans après le début de mon premier podcast », souligne-t-il. Cette patience a été cruciale pour construire une communauté solide et engagée. Il met en garde ceux qui espèrent des résultats rapides : « On ne peut pas au bout de trois mois commencer à demander de l’argent aux gens parce que, à moins qu’on soit déjà connu par ailleurs, […] ça va pas fonctionner, je crois. »
Pourquoi les gens donnent-ils de l’argent pour un contenu gratuit ?
Selon Patrick, les contenus bonus, comme les épisodes sans publicité, ont finalement « assez peu d’importance pour les gens qui soutiennent ». La véritable motivation est ailleurs. « Le financement participatif, c’est vraiment demander à des gens de te donner de l’argent alors qu’ils sont pas obligés. Et pour ça, un élément essentiel, je crois, c’est qu’ils aient envie de te donner à toi de l’argent. C’est que les gens qui me soutiennent, ils ont envie de me soutenir moi. »
Cette relation privilégiée se construit grâce à la nature même du podcast. Patrick décrit son approche : « On en discute comme des amis qui sont assis à une table de café. […] C’est informel, convivial. Et donc les auditeurs, ils ont l’impression de venir s’asseoir à la table avec nous. » Semaine après semaine, les auditeurs apprennent à le connaître personnellement. « Je parle de ce que j’ai fait la veille, de ce qui s’est passé avec ma femme, de mon fils… » Cette régularité et cette intimité font du podcasteur une partie intégrante de la vie de son audience. Stan Le Loup le résume parfaitement : « Si je t’écoute toutes les semaines parler pendant une heure, il y a pas tant de gens que ça, en fait, avec qui je passe plus d’une heure par semaine. »
Podcast vs YouTube : deux mondes, deux stratégies
La discussion aborde ensuite une question fréquente chez les créateurs : faut-il se lancer sur YouTube ou en podcast ? Les deux plateformes offrent des opportunités très différentes, notamment en termes de découvrabilité et de croissance.
La découvrabilité : le talon d’Achille du podcast
Le principal défi du podcasting est sa faible découvrabilité. Comme l’explique Patrick, « c’est le gros problème de podcast, c’est la découvrabilité. » Contrairement à YouTube, qui est le deuxième moteur de recherche au monde et qui pousse constamment du contenu aux utilisateurs, trouver un nouveau podcast demande une démarche active de la part de l’auditeur. « Sur YouTube, bien sûr, […] YouTube va présenter énormément de propositions. » Le podcast, lui, repose encore beaucoup sur le bouche-à-oreille.
La croissance virale de YouTube face à la constance du podcast
Cette différence fondamentale se traduit par des courbes de croissance radicalement opposées. Stan partage son expérience : « Sur YouTube, j’ai eu un truc où […] d’un coup, il y a une vidéo qui devient virale, et tu montes à 30 ou 40 000 [abonnés]. […] Ça, c’est un truc qui est très caractéristique de YouTube, et très peu caractéristique, du coup, du podcast. »
Patrick confirme cette vision. Sa propre croissance a été une « pente très légère, mais très très longue sur 10 ans ». Il n’a jamais connu d’explosion soudaine de popularité. Cependant, il a récemment lancé une chaîne YouTube et a pu constater ce potentiel viral : « J’ai eu deux vidéos à quelques semaines d’intervalle qui ont beaucoup plu. Et qui ont fait […] 80, 100 000 vues. […] Ce qui m’a amené beaucoup d’abonnés. »
Le stress des analytics YouTube contre la sérénité du podcasting
Cette dynamique de viralité a un coût : le stress. Sur YouTube, un créateur est « complètement suspendu à tous les chiffres ». Patrick avoue : « On vit ou on meurt avec le petit onglet Analytics. […] Quand tu lances ta vidéo et que tu vois qu’elle est 7ème ou 10ème par rapport aux précédentes, tu déprimes. » Le podcast, en revanche, offre une relation plus sereine aux statistiques. La publication est moins anxiogène, et les chiffres sont plus stables, car les auditeurs sont majoritairement des abonnés fidèles.
Monétiser son podcast : publicité ou financement participatif ?
Pour un créateur cherchant à vivre de son podcast, le choix du modèle économique est crucial. Patrick Béja combine aujourd’hui le financement participatif et la publicité, ce qui lui donne une perspective unique sur les avantages de chaque approche.
Le CPM, un avantage net pour la publicité sur podcast
Un point souvent méconnu est que la publicité sur podcast est bien mieux rémunérée que sur YouTube. Patrick est très clair à ce sujet : « Traditionnellement, le CPM […] sur YouTube, on est à une poignée d’euros. En podcast, on est à quelques dizaines d’euros. […] On est très certainement à des multiples de YouTube en podcast pour la pub. » Pour un même nombre d’écoutes ou de vues, la publicité audio rapporte donc beaucoup plus.
Le financement participatif, un modèle encore plus rentable
Malgré ce CPM attractif, le financement participatif reste la principale source de revenus de Patrick. « Le financement participatif, de loin. La pub reste un financement minoritaire dans mon activité », affirme-t-il. Pourquoi ? Parce que même si seulement 2 à 3 % de son audience contribue, le revenu par auditeur est bien plus élevé. Le financement participatif a un plafond plus bas que la publicité à très grande échelle, mais pour un créateur indépendant, il est souvent plus direct et plus lucratif.
L’erreur qui peut coûter 10 % de vos revenus
Cependant, le financement participatif n’est pas un revenu passif. Il nécessite une communication constante. Patrick partage une expérience révélatrice : « Il m’est arrivé de perdre en Patreon […] 10 % sur quelques mois. […] J’ai dû identifier la raison. Et c’était tout bête, c’est que j’ai arrêté d’en parler au milieu de l’émission. » Il a compris que le renouvellement des contributeurs n’est pas automatique. « Le churn est permanent, […] et donc il faut les remplacer. » Dès qu’il a recommencé à mentionner son Patreon, ses revenus sont remontés.
Un voyage dans le temps : l’écosystème du podcast en 2006
Pour comprendre la mentalité actuelle du podcasting, il faut revenir à ses origines. En 2006, lorsque Patrick a débuté, l’écosystème était radicalement différent.
L’âge de pierre du podcasting : un hobby de technophiles
À l’époque, écouter et créer un podcast était une affaire de spécialistes. « Pour écouter un podcast, c’était pas facile », se souvient Patrick. Il fallait télécharger manuellement le fichier MP3, le transférer via un câble sur son lecteur. La création était encore plus complexe, nécessitant de manipuler des fichiers RSS à la main et de payer pour un hébergement coûteux. Par conséquent, les créateurs et les auditeurs étaient principalement « des gens qui étaient technophiles ».
De la passion à la profession : un tabou brisé
Dans cet univers de passionnés, l’argent était un sujet tabou. « Le podcast, c’était même pas un métier », explique Patrick. L’idée de gagner sa vie avec était aussi absurde que de vouloir vivre de la peinture de figurines. Cette culture « un petit peu baba cool, associative où on est là pour le plaisir » a longtemps freiné les initiatives de monétisation. Quand Patrick s’est lancé, il a volontairement cassé cette image en affirmant clairement son intention : « Je leur ai dit je veux gagner ma vie avec, et je veux faire de l’argent. […] Je vais pas avoir honte de ça. »
La philosophie de l’artisan du podcast
Pour décrire son métier, Patrick Béja n’utilise pas le terme \ »indépendant\ » ou \ »créateur de contenu\ », mais celui d’\ »artisan du podcast\ ».
Qu’est-ce qu’un artisan du podcast ?
« C’est vraiment le terme que je préfère pour décrire mon activité », explique-t-il. Un artisan, comme un boulanger, est animé par la passion, mais il gère aussi une entreprise pour gagner sa vie. « Je reste quand même essentiellement seul dans mon arrière-boutique à ciseler mes émissions, à les construire avec amour, et ensuite à les vendre. » Cette métaphore illustre parfaitement sa démarche : un travail méticuleux, personnel, et une relation directe avec ceux qui apprécient son produit. Il fait tout avec passion, mais c’est un métier qui doit le faire vivre décemment.
Rester seul maître à bord ou développer une entreprise ?
L’avenir de son activité reste ouvert. S’il aime avoir « les mains dans le pétrin », il n’exclut pas de faire grandir sa structure pour se concentrer sur la création. « Si à terme, je peux engager une personne ou deux à temps plein, je pense que je voudrais le faire, mais pour me permettre de moi créer plus. » Pour l’instant, son projet reste à taille humaine, loin des logiques de start-up et de croissance exponentielle.
En conclusion, le parcours de Patrick Béja est une leçon d’authenticité, de patience et de stratégie. Il démontre qu’il est possible de vivre de son podcast en France, à condition de placer la relation humaine au cœur de son projet et de comprendre les dynamiques propres à chaque plateforme. Un modèle inspirant pour tous les artisans du contenu de demain.
Questions fréquentes sur la monétisation de podcast
Comment peut-on vivre de son podcast en France ?
On peut vivre de son podcast en France principalement via deux leviers : le financement participatif (comme Patreon) et la publicité. Le succès de ces modèles repose avant tout sur la capacité à construire une communauté fidèle et engagée sur le long terme.
« Je venais de me lancer en tant que professionnel. Je fais du podcast depuis bien plus longtemps que ça, mais j’en vis depuis, on va dire, fin 2014. […] Tu monétisais en 2014 avec le financement participatif, donc le Patreon. » – Patrick Béja
Quel est le modèle de monétisation le plus rentable pour un podcast ?
Pour un podcasteur indépendant avec une audience engagée, le financement participatif est souvent plus rentable que la publicité. Cependant, à une échelle beaucoup plus grande, les revenus publicitaires peuvent potentiellement dépasser ceux du financement participatif.
« Le financement participatif, de loin. […] La pub reste un financement minoritaire dans mon activité. » – Patrick Béja
Pourquoi le financement participatif fonctionne-t-il pour les podcasts ?
Ce modèle fonctionne car il s’appuie sur une relation très personnelle et privilégiée entre le créateur et son public. Les auditeurs ne paient pas pour du contenu supplémentaire, mais pour soutenir directement la personne qu’ils apprécient et dont ils suivent le travail de manière régulière.
« Le financement participatif, c’est vraiment demander à des gens de te donner de l’argent alors qu’ils sont pas obligés. Et pour ça, un élément essentiel, je crois, c’est qu’ils aient envie de te donner à toi de l’argent. C’est que les gens qui me soutiennent, ils ont envie de me soutenir moi. » – Patrick Béja
Podcast ou YouTube : que choisir pour se lancer ?
YouTube offre une découvrabilité bien supérieure grâce à son algorithme, ce qui peut mener à une croissance plus rapide. Le podcast, lui, favorise une croissance plus lente mais une relation plus profonde et intime avec l’audience. Le choix dépend de vos objectifs et de votre affinité avec le format.
« Aujourd’hui, finalement, je conseille plutôt aux gens de commencer par YouTube, en se disant, c’est plus facile de trouver ton audience, quand même, ça prend moins longtemps. » – Stan Le Loup
Comment faire connaître son podcast et trouver des auditeurs ?
En raison de la faible découvrabilité, les meilleures stratégies sont le bouche-à-oreille, le fait d’être invité dans d’autres podcasts pour une ‘pollinisation croisée’ et l’utilisation de plateformes comme YouTube pour promouvoir des extraits et attirer un nouveau public.
« Le meilleur moyen c’est d’aller dans d’autres podcasts parce que de cette manière, il y a une sorte de cross-pollinisation qui s’opère. […] Potentiellement d’avoir des invités sur le tien qui vont ensuite le partager. » – Patrick Béja
Combien de temps faut-il pour monétiser un podcast ?
La monétisation d’un podcast demande beaucoup de patience. Patrick Béja a lancé son premier podcast en 2006 et n’a commencé à en vivre qu’à la fin de 2014, soit huit ans plus tard. Ce temps est indispensable pour bâtir la confiance et la communauté nécessaires au financement.
« Le financement participatif arrive essentiellement huit ans après le début de ton premier podcast qui était en 2006. » – Patrick Béja
Le CPM de la publicité est-il plus élevé sur podcast ou sur YouTube ?
Oui, le CPM (Coût Pour Mille impressions) de la publicité est nettement plus élevé sur les podcasts que sur YouTube. On parle de quelques dizaines d’euros pour mille écoutes en podcast, contre seulement une poignée d’euros sur YouTube.
« En podcast, on est à quelques dizaines d’euros. Tu vois, sur du CPM. […] On est très certainement à des multiples de YouTube en podcast pour la pub. » – Patrick Béja
Qu’est-ce qu’un ‘artisan du podcast’ ?
Un ‘artisan du podcast’ est un créateur indépendant qui maîtrise l’ensemble du processus de création avec passion et un grand souci du détail. Il construit une relation directe avec son public et transforme sa passion en un métier à part entière pour en vivre.
« Je reste quand même essentiellement seul dans mon arrière-boutique à ciseler mes émissions, à les construire avec amour, et ensuite à les vendre […] aux auditeurs. » – Patrick Béja