De blogueur solo à chef d’orchestre : les 10 ans qui ont forgé WP Marmite
Le parcours entrepreneurial est souvent idéalisé. On voit des succès fulgurants, des génies sortis de nulle part. Mais la réalité est bien différente. Comme l’explique Stan, l’hôte du podcast Marketing Mania, l’idée en invitant pour la troisième fois Alexandre Bortolotti, fondateur de WP Marmite, est de \ »combattre ce côté un peu cliché du milieu de l’entrepreneuriat\ ». Suivre un entrepreneur tous les deux ans, de 2016 à 2020, permet de voir le véritable chemin : un chemin qui prend du temps, jalonné de difficultés, mais aussi de progrès constants.
Alexandre confirme cette vision après presque 10 ans passés sur son projet. Il se souvient avec humilité de ses débuts : \ »Que de chemin parcouru depuis quand j’étais un tout petit blogueur qui qui faisait des articles pourris\ ». Aujourd’hui, cette décennie de travail s’est transformée en une expertise solide et une sensibilité accrue à la qualité du contenu. Il raconte : \ »J’ai vraiment acquis une sensibilité en terme de contenu et d’exigence à avoir, que ce soit du contenu texte ou du contenu vidéo, ou de la formation.\ »
Cette constance a payé. Chaque année a été meilleure que la précédente, avec une croissance parfois stable, mais jamais de baisse. Le symbole de cette progression est frappant : \ »En juillet 2020, tu avais fait plus que toute l’année 2016\ ». Ces revenus ne sont pas une fin en soi, mais un moyen de continuer à grandir : \ »Tous ces revenus-là, ça me permet de réinvestir pour continuer à développer le blog.\ » Et le plus grand investissement récent a été humain.
Le grand saut : pourquoi recruter son premier salarié en CDI ?
Alors que WP Marmite fonctionnait déjà avec une équipe d’une dizaine de freelances, un changement majeur a eu lieu : le recrutement du premier salarié en CDI. Pour beaucoup, c’est une barrière psychologique et financière. Alexandre explique ce qui a motivé cette décision cruciale.
La limite du modèle freelance pour un projet ambitieux
Le déclencheur a été le projet d’internationalisation de WP Marmite. L’ambition était claire : \ »Je voulais créer un monstre, je voulais développer le site vraiment.\ » Lancer une version anglaise du site est un \ »boulot de fou\ ». Les premières tentatives avec des prestataires freelances pour la traduction se sont avérées décevantes. Alexandre le dit sans détour :
\ »Ces prestataires-là n’ont pas forcément la sensibilité WordPress, n’ont pas forcément la ligne éditoriale, la voix du site. Donc c’était pas terrible, pour le dire franchement.\ »
Le bricolage a ses limites. Pour être à la hauteur de ses ambitions, il fallait un engagement total. \ »Si on veut vraiment créer une bête de site en anglais, bah il faut mettre les moyens, il faut qu’il y ait des gens qui soient à plein temps dessus.\ » C’est là que le CDI prend tout son sens : avoir une personne 100% dédiée, immergée dans la culture de l’entreprise et focalisée sur un objectif stratégique.
Un investissement à long terme
Ce choix représente un risque financier certain. Le site anglais rapporte actuellement zéro, et c’est la partie francophone qui finance entièrement cet investissement. Combien de temps pour le rentabiliser ? Alexandre estime : \ »Je pense qu’il faudra bien un an\ ». Mais il n’y a pas de plan B. C’est un pari sur l’avenir, basé sur la confiance dans la qualité du contenu produit.
Stan souligne la pertinence de cette décision : \ »Paradoxalement, tu as fait le bon choix de faire un engagement financier fort parce que le cas de gueule de ce type de projet, c’est vraiment risqué de le faire à moitié.\ » Payer une personne à plein temps augmente drastiquement les chances de succès par rapport à des dépenses mensuelles plus faibles pour un travail partiel qui ne décolle jamais vraiment.
Internationaliser son business : la stratégie pour conquérir le marché anglophone
Lancer son site en anglais quand on est leader sur le marché francophone est une étape logique mais complexe. Le processus de WP Marmite est une véritable leçon de stratégie de contenu.
Le processus de traduction optimisé
Traduire des articles de 3000 à 4000 mots n’est pas une mince affaire. Le processus a été affiné pour allier efficacité et qualité :
- Traduction machine : Une première passe est effectuée avec l’outil DeepL, qui fournit une base de travail solide.
- Relecture et optimisation humaines : Cynthia, la nouvelle recrue, relit et optimise le texte. Son rôle est crucial pour corriger les traductions littérales et adapter les expressions culturelles. Par exemple, une référence au film \ »Le Dîner de Cons\ » ne peut pas être conservée. Il faut trouver un équivalent culturel qui résonne avec un public américain.
- Adaptation visuelle : Toutes les captures d’écran sont refaites en anglais. \ »On ne fait pas les choses à moitié\ », insiste Alexandre.
Cet souci du détail est ce qui, selon lui, fera la différence sur un marché concurrentiel. L’objectif n’est pas juste de traduire, mais de créer une ressource authentique et utile pour le lecteur anglophone.
La vision au-delà de la traduction
La traduction des articles existants n’est que le \ »premier étage de la fusée\ ». Une fois cette base établie, la stratégie s’étendra à d’autres formats pour construire une véritable présence et communauté :
- Podcast : \ »Peut-être que cette personne-là pourra s’occuper d’un podcast, donc il y interviewera les acteurs du milieu pour se faire connaître.\ »
- Community management : Nouer des relations avec les acteurs anglophones pour obtenir des liens et de la visibilité.
- Monétisation : L’affiliation est la première étape, mais des formations en anglais pourraient suivre.
L’idée est de répliquer le modèle qui a fait le succès de WP Marmite en France : créer une vraie relation avec l’audience, au-delà du simple référencement pour des liens d’affiliation.
L’art de déléguer la création de contenu sans sacrifier l’âme du projet
Le cœur de WP Marmite, c’est son contenu. Comment le produire en grande quantité avec une équipe sans que le fondateur écrive tout lui-même ? C’est le défi majeur de la croissance pour tout créateur.
Structurer une équipe de contenu performante
Alexandre a mis en place un processus rigoureux pour déléguer la rédaction d’articles de blog. Le secret réside dans une structure claire et des outils adaptés.
Le guide du rédacteur : la bible de la qualité
Le défi est de trouver des experts WordPress qui savent aussi bien écrire. Pour pallier ce problème et garantir une qualité homogène, un \ »guide du rédacteur\ » a été créé. Ce document évolutif reprend toutes les bonnes pratiques et la \ »marque de fabrique\ » de WP Marmite, notamment l’aspect storytelling. \ »Ce n’est pas genre, vas-y, rédige un article sur truc, débrouille-toi\ », explique Alexandre. Chaque rédacteur suit un fil conducteur précis.
Un processus de production en 4 étapes
- Recherche : L’équipe analyse tout ce qui existe sur un sujet, en français et en anglais, pour \ »pondre la meilleure ressource\ ».
- Plan : Un plan détaillé est proposé et doit être validé avant toute rédaction.
- Rédaction : La phase d’écriture se fait sur Google Docs pour faciliter la collaboration.
- Relecture : Plusieurs membres de l’équipe, et parfois Alexandre lui-même, relisent et commentent pour peaufiner l’article.
Ce système a permis à Alexandre de ne plus être le goulot d’étranglement, lui qui relisait personnellement chaque article auparavant. Il intervient encore, mais plus en tant que superviseur qualité qu’en tant qu’opérateur.
Le défi de la délégation pour les formations
Si la délégation est bien rodée pour les articles, elle reste un défi pour les formations. \ »C’est plus compliqué parce qu’il y a aussi toute une pédagogie à avoir.\ » Actuellement, c’est encore lui qui conçoit la proposition de valeur, le plan et les scripts des formations, comme celle sur Elementor qui totalise 155 vidéos pour 16 heures de contenu.
Cette charge de travail l’amène à envisager une nouvelle étape : recruter un \ »alter ego\ », une personne en CDI qui pourrait l’aider sur l’opérationnel des formations, de la rédaction des scripts au tournage. \ »Je m’essouffle un peu\ », confie-t-il, illustrant parfaitement la danse du fondateur entre création et gestion.
Manager une équipe à distance et trouver son équilibre
Diriger une équipe de 10 personnes en télétravail demande une organisation spécifique pour maintenir la cohésion et la productivité, tout en préservant son propre temps.
Les rituels de communication
La communication chez WP Marmite est asynchrone mais structurée, principalement via Slack :
- Lundi matin : Chaque membre partage sa liste de tâches prévues pour la semaine.
- Vendredi 14h : Un débrief de la semaine est partagé, mentionnant ce qui a été fait, les blocages et ce qui est reporté.
Les appels sont rares. Un point trimestriel est fait avec chaque membre de l’équipe, et un séminaire annuel, le \ »Sommet Marmite\ », permet à tout le monde de se rencontrer en personne.
L’importance de la confiance et de l’autonomie
Le management d’Alexandre repose sur la confiance. Il l’a démontré avec sa nouvelle recrue : \ »Je lui ai filé les clés et je lui dis, voilà, maintenant, tu as totalement confiance.\ » Il ne s’agit pas d’abandonner la personne, mais de lui donner la liberté de prendre des décisions sans micro-management. Pour le prouver, il lui a fait envoyer la première newsletter en anglais dès le début, pour lui montrer qu’elle avait \ »vraiment les rênes\ ».
La suite : personal branding et vision à deux ans
En parallèle de WP Marmite, Alexandre développe sa propre chaîne YouTube, Alex Borto. La raison ? \ »Pour vraiment me créer une enfin, faire en sorte que mon nom devienne une marque et me développer, me gagner en influence.\ » C’est une façon de construire un actif qui lui est propre, indépendant de WP Marmite, et de documenter son parcours entrepreneurial.
Et dans deux ans ? L’objectif est clair : que la version anglophone de WP Marmite ait décollé et soit devenue \ »une marque établie dans le top 10 des acteurs\ » sur le marché anglophone. Atteindre l’équivalent du trafic français (environ 100 000 visites par mois) serait déjà une belle victoire, sachant que le potentiel de croissance est bien plus grand sur ce marché.
Le parcours d’Alexandre Bortolotti est une masterclass sur la croissance durable. Il montre que pour construire un \ »monstre\ », il faut de la patience, des processus solides, et surtout, la capacité de faire confiance et de déléguer pour passer de créateur solo à véritable chef d’orchestre.
FAQ : Déléguer, recruter et s’internationaliser
Comment déléguer efficacement la création de contenu sans perdre en qualité ?
La clé est de mettre en place un processus de production très structuré et de créer un guide du rédacteur détaillé. Ce guide doit contenir toutes les bonnes pratiques, le ton, la voix et les éléments de storytelling qui constituent l’identité de votre marque.
\ »On a constitué un guide du rédacteur, qui reprend toutes les bonnes pratiques qu’on met dans nos articles. Et puis à chaque fois, on l’enrichit pour améliorer les process. Chaque rédacteur a vraiment un fil conducteur sur le process de rédaction.\ »
Quand faut-il recruter son premier salarié en CDI plutôt que de continuer avec des freelances ?
Le recrutement d’un salarié devient nécessaire lorsque vous lancez un projet stratégique majeur, comme une internationalisation, qui demande une implication totale et une immersion profonde dans la culture de l’entreprise. Un freelance, même excellent, ne peut généralement pas offrir ce niveau de dévouement.
\ »Il fallait vraiment trouver quelqu’un qui puisse intégrer l’équipe, qui soit là 35 heures par semaine et qui aide à développer le truc vraiment sérieusement. Parce que bon, c’est bien beau de bidouiller, mais il faut être à la hauteur de ses ambitions.\ »
Quelle est la meilleure stratégie pour internationaliser son blog et le lancer en anglais ?
La meilleure stratégie est de s’engager pleinement plutôt que de le faire \ »à moitié\ ». Cela implique d’investir dans une personne dédiée, et de ne pas se contenter d’une traduction automatique. Le processus doit inclure une adaptation culturelle des contenus, la recréation des visuels (captures d’écran) et une stratégie de long terme pour bâtir une communauté.
\ »Si on veut vraiment créer une bête de site en anglais, bah il faut mettre les moyens, il faut qu’il y ait des gens qui soient à plein temps dessus.\ »
Comment manager une équipe entièrement à distance ?
Une gestion d’équipe à distance efficace repose sur la confiance, l’autonomie et des rituels de communication clairs mais légers. Utilisez des outils comme Slack pour des points hebdomadaires asynchrones (objectifs le lundi, débrief le vendredi) et un outil de gestion de projet comme Asana pour la visibilité sur les tâches. Les appels ne doivent pas être systématiques.
\ »Tous les lundis, on se fait un petit point sur les tâches qu’on prévoit de faire. Et tous les vendredis à 14h, débrief, et on dit, voilà, moi, j’ai avancé sur ça. (…) Et à côté de ça, on utilise un outil de gestion de projet qui s’appelle Asana, dans lequel on consigne tout.\ »
Quel est le processus pour traduire des articles de blog à grande échelle ?
Un processus efficace combine automatisation et intervention humaine. Commencez par une traduction machine avec un outil performant comme DeepL pour obtenir une première version, puis faites relire, optimiser et adapter culturellement le texte par une personne native ou bilingue qui comprend votre ligne éditoriale.
\ »Nous, on passe à un service qui s’appelle DeepL qui fait de la trad machine, donc ça nous fait une première passe. Et ensuite, Cynthia de notre équipe, bah relit ça et optimise parce que des fois, ça fait des traductions littérales.\ »
Combien de temps faut-il pour rentabiliser le lancement d’un site sur le marché anglophone ?
Il faut prévoir un horizon de temps long, au minimum un an, avant de commencer à voir un retour sur investissement significatif. Le trafic SEO met du temps à se construire, et l’investissement initial (notamment un salaire) est conséquent alors que les revenus sont à zéro au départ.
\ »Je pense que il faudra bien 1 an, tu vois. Après, j’ai pas vraiment calculé, mais dans tous les cas, je me dis, il n’y a pas de plan B. (…) C’est des graines qu’on plante.\ »
Comment un fondateur peut-il équilibrer la gestion d’équipe et la création de contenu ?
C’est l’un des plus grands défis. Il faut accepter que le rôle évolue. Le management et les imprévus prennent de plus en plus de place. La solution passe souvent par la délégation accrue, y compris des tâches créatives, ou le recrutement d’un bras droit ou d’un ‘alter ego’ pour se libérer du temps pour la stratégie et la création à haute valeur ajoutée.
\ »Il y a l’opérationnel et puis il y a le management, et le management prend beaucoup de place, et puis tu te retrouves au milieu de l’après-midi et puis tu as toujours pas avancé sur ce que tu devais faire. C’est vraiment ma problématique du moment.\ »
Pourquoi un entrepreneur devrait-il développer son personal branding en plus de sa marque principale ?
Développer sa marque personnelle permet de construire un actif qui est directement lié à soi et non à l’entreprise. C’est une sécurité pour l’avenir (en cas de vente de l’entreprise, par exemple), une façon de gagner en influence dans son domaine et une plateforme pour partager son parcours et ses apprentissages au-delà du sujet de son entreprise.
\ »J’ai envie de me construire quelque chose qui soit vraiment lié à moi, et du coup, bah, partager un petit peu mon aventure entrepreneuriale.\ »