Introduction : le grand écart entre ce que vos clients disent et ce qu’ils font vraiment
Vous est-il déjà arrivé de dire une chose et de faire son parfait contraire ? D’affirmer avec la plus grande sincérité que vous alliez vous inscrire à la salle de sport demain, pour finalement ne jamais y mettre les pieds ? Nous l’avons tous fait. Nous ne sommes pas parfaits. Le problème, c’est que nos clients, eux aussi, fonctionnent de cette manière. Ils vous assurent que votre produit est la solution parfaite, qu’ils sont convaincus, qu’ils vont passer à l’achat… et puis, rien. Le silence radio. Ce phénomène frustrant et souvent coûteux porte un nom : le ‘Say-Do Gap’, ou l’écart abyssal entre les paroles et les actes. C’est l’un des plus grands défis du marketing moderne. Nous déployons des efforts colossaux pour convaincre, pour éduquer, pour séduire. Mais si même un client convaincu n’agit pas, alors à quoi bon ?
Cette dissonance n’est pas une simple anomalie ; c’est une constante du comportement humain, étudiée très sérieusement par les spécialistes des sciences comportementales. Comprendre cet écart n’est pas juste une curiosité intellectuelle, c’est une nécessité stratégique. Pensez aux budgets marketing gaspillés, aux lancements de produits qui échouent malgré des études de marché prometteuses, aux heures passées à perfectionner un argumentaire qui, finalement, ne convertit pas l’intention en action. La cause de ces échecs se trouve souvent dans notre méconnaissance des forces invisibles qui régissent les décisions humaines.
‘Ils disent qu’ils vont acheter notre produit ou alors ils pensent sincèrement qu’on est le bon choix mais ils ne nous choisissent pas. Ça porte un nom, ça s’appelle le say versus do gap. C’est très sérieux et c’est étudié par les spécialistes des sciences comportementales parce que ça peut avoir des implications très importantes.’
Dans cet article, nous allons plonger au cœur de ce phénomène. Loin des théories marketing traditionnelles, nous allons explorer ce que les sciences comportementales nous apprennent sur la psychologie du consommateur. Je partagerai avec vous les mécanismes profonds qui expliquent pourquoi les intentions se heurtent si souvent au mur de la réalité. Nous analyserons un cas d’école spectaculaire – un échec à 300 millions de dollars – pour illustrer les dangers d’une confiance aveugle dans le déclaratif. Et surtout, je vous donnerai des clés concrètes pour commencer à combler ce fossé, pour transformer les ‘oui’ enthousiastes de vos prospects en véritables actes d’achat.
Plongée au cœur des sciences comportementales : décrypter la complexité humaine
Avant d’aller plus loin, il est essentiel de clarifier ce que nous entendons par ‘sciences comportementales’. Ce terme peut sembler intimidant, évoquant des laboratoires et des théories complexes. En réalité, il s’agit d’une approche incroyablement pragmatique et concrète, dont le but est de comprendre et d’agir non pas sur ce que les gens pensent, mais sur ce qu’ils font réellement. C’est un changement de paradigme fondamental pour tout marketeur.
‘On parle des sciences comportementales parce que ça va être un agrégat de plusieurs disciplines. On va retrouver notamment la psychologie cognitive, les neurosciences, l’économie comportementale. On intègre [tout ça] pour décrypter les comportements, et ensuite trouver des leviers d’action.’
Les sciences comportementales ne sont pas une discipline unique, mais un carrefour de connaissances. Elles empruntent à la psychologie cognitive pour comprendre nos biais de raisonnement, aux neurosciences pour observer le fonctionnement de notre cerveau face à une décision, et à l’économie comportementale pour analyser comment ces facteurs influencent nos choix économiques. L’objectif n’est pas académique ; il s’agit de créer des outils pour agir sur la réalité. En tant que dirigeant de Mutatio, mon métier consiste précisément à utiliser cette boîte à outils pour aider les organisations à initier des changements de comportement concrets, que ce soit pour leurs clients ou leurs collaborateurs.
L’homo economicus est mort : pourquoi nos décisions ne sont pas si rationnelles
Le plus grand apport des sciences comportementales a été de déconstruire un mythe tenace : celui de l’homo economicus, cet individu parfaitement rationnel qui pèse le pour et le contre de chaque décision de manière logique et optimisée. Le marketing classique a longtemps été bâti sur cette vision. On pensait qu’il suffisait de présenter les bons arguments, les bonnes caractéristiques, le bon prix, pour que le client, tel un ordinateur, fasse le calcul et prenne la ‘bonne’ décision. La réalité est bien plus fascinante et chaotique.
‘pendant longtemps, on a considéré l’individu comme très rationnel, très logique dans ses décisions. Et dans les années 70, 80, 90 sont arrivés des économistes et des psychologues qui ont commencé à dire que en fait non, les individus sont pas si rationnels que ça.’
Les sciences comportementales nous révèlent que nous sommes gouvernés par trois grandes forces irrationnelles :
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Nous sommes des êtres sociaux : Nos choix sont massivement influencés par ce que font, pensent et disent les autres. Le besoin d’appartenance et de conformité est un moteur bien plus puissant qu’une fiche technique détaillée. Nous choisissons un restaurant parce qu’il est plein, nous achetons un produit parce que nos amis nous l’ont recommandé. Ignorer cette dimension sociale, c’est passer à côté de l’essentiel.
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Nous sommes des êtres de contexte : La même personne prendra des décisions radicalement différentes selon l’environnement dans lequel elle se trouve. Votre comportement d’achat n’est pas le même lorsque vous êtes pressé dans un supermarché bondé, ou lorsque vous naviguez tranquillement sur un site e-commerce depuis votre canapé. Le contexte (physique, émotionnel, temporel) n’est pas un simple décor, il est un acteur majeur de la décision.
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Nous sommes des êtres émotionnels et habituels : La majorité de nos décisions quotidiennes ne sont pas le fruit d’une délibération consciente. Elles sont dictées par nos émotions du moment et, surtout, par nos habitudes. Le cerveau est une machine à économiser de l’énergie ; il préfère de loin suivre un chemin neuronal bien établi plutôt que d’en créer un nouveau. C’est pourquoi changer une habitude est si difficile, même lorsque nous sommes intellectuellement convaincus de le faire.
Comprendre ces trois piliers est la première étape pour cesser de s’adresser à un client imaginaire et commencer à dialoguer avec l’être humain complexe et faillible qu’il est vraiment. C’est là que réside la clé pour enfin aligner le dire et le faire.
Nous venons de voir que nos décisions sont loin d’être aussi logiques qu’on le croit, façonnées par notre environnement social, notre contexte et nos émotions. Cette nature profondément irrationnelle est la source même du ‘Say-Do Gap’. Maintenant, explorons plus en détail les mécanismes psychologiques spécifiques qui créent ce fossé entre une intention positive et une absence d’action, et comment ces forces invisibles bloquent vos clients juste avant la ligne d’arrivée.
Le ‘Say-Do Gap’ disséqué : les forces invisibles qui bloquent vos clients
Le ‘Say-Do Gap’ n’est pas le résultat d’une malhonnêteté de la part de vos clients. Lorsqu’ils vous disent qu’ils sont intéressés, ils le pensent souvent sincèrement à l’instant T. Le problème est que l’intention est un état mental fragile, alors que l’action est un événement physique qui doit surmonter de multiples obstacles dans le monde réel. Comme le disait le publicitaire David Ogilvy de manière provocatrice :
‘Les consommateurs ne pensent pas ce qu’ils ressentent. Ils ne disent pas ce qu’ils pensent et bien souvent, ils font pas ce qu’ils disent.’
Cette phrase, bien que caricaturale, résume parfaitement la complexité du problème. Entre le moment où un client est convaincu et le moment où il agit, un champ de mines psychologique se déploie. Les deux mines les plus puissantes sont sans doute le poids écrasant des habitudes et l’influence omniprésente du groupe.
Le poids des habitudes : la friction silencieuse qui paralyse l’action
La force la plus sous-estimée en marketing est probablement l’inertie. Notre cerveau est programmé pour l’efficacité énergétique, ce qui signifie qu’il privilégiera toujours le chemin le plus facile, le plus connu, le plus automatique. Chaque nouvelle action, chaque changement de comportement, représente un coût cognitif. Adopter votre produit, même s’il est objectivement meilleur, demande un effort pour sortir d’une routine bien installée.
‘le premier obstacle, c’est le poids de la récurrence des comportements. […] si aujourd’hui on vient me voir en me disant il faut faire du compost pour mes déchets, sachant que ça fait 30 ans que je trie mes déchets autrement […], bien évidemment le fait d’avoir pendant 30 ans fait d’une certaine façon va être un obstacle au fait d’adopter un nouveau geste.’
Cet exemple du compost est parlant. Intellectuellement, tout le monde est pour. Mais dans la réalité, cela implique de changer de poubelle, de trouver un nouvel emplacement, de penser à vider le compost… Ce sont de micro-frictions, des petits cailloux dans la chaussure du changement. Pris isolément, ils semblent insignifiants. Mais leur accumulation crée une barrière souvent infranchissable. Dans mon expérience, j’ai vu des produits nutritionnels excellents échouer parce qu’ils demandaient une étape de préparation de plus que le produit habituel. L’effort demandé, même minime, l’emportait sur le bénéfice promis. Votre rôle en tant que marketeur n’est donc pas seulement de convaincre, mais d’identifier et d’éliminer méthodiquement toutes ces frictions sur le chemin de l’action.
L’influence sociale : pourquoi le regard des autres est plus puissant qu’on ne le pense
L’être humain est un animal social. L’une de nos peurs les plus profondes est celle de l’exclusion du groupe. Par conséquent, nous cherchons en permanence des signaux sociaux pour valider nos propres choix. Si personne dans notre entourage n’utilise votre service, l’adopter représente un risque social. On parle de ‘biais de conformité’ : la tendance à aligner nos comportements sur ceux du groupe, même si cela va à l’encontre de notre propre jugement.
‘si autour de moi les autres ne le font pas, n’en parlent pas ou font le contraire, évidemment, c’est plus difficile pour moi, il y a ce qu’on appelle un billet de conformité. C’est plus difficile pour moi d’agir.’
Ce biais est un obstacle majeur pour toute innovation. Quand vous lancez un nouveau produit, vous demandez à vos premiers clients de nager à contre-courant. Ils n’ont pas de preuve sociale, pas de témoignages de leurs pairs pour les rassurer. C’est un effort considérable qui explique pourquoi l’adoption initiale est si lente. Un client peut être personnellement convaincu par vos arguments, mais au moment de sortir sa carte de crédit, la pensée ‘Mais est-ce que je suis le seul à faire ça ?’ peut être paralysante. C’est pourquoi les témoignages, les études de cas et la mise en avant des ‘early adopters’ ne sont pas de simples outils de réassurance ; ils sont des éléments vitaux pour contrer le biais de conformité et rendre le changement socialement acceptable.
La théorie est une chose, mais rien ne vaut un exemple concret pour saisir l’ampleur des dégâts que peut causer le ‘Say-Do Gap’. L’histoire que je vais vous raconter est celle d’un géant mondial, d’un budget colossal et d’un échec retentissant. Elle démontre de manière spectaculaire ce qui arrive quand on écoute ce que les gens disent, au lieu d’observer ce qu’ils font. Préparez-vous à découvrir la leçon à 300 millions de dollars de McDonald’s.
L’échec à 300 millions de dollars : la leçon du Arch Deluxe de McDonald’s
Dans les années 1990, McDonald’s, alors au sommet de sa puissance, a décidé de lancer un produit révolutionnaire pour conquérir une nouvelle cible : les adultes. L’idée était de proposer un burger plus sophistiqué, avec des ingrédients de meilleure qualité, un goût ‘adulte’. Ce projet, baptisé le ‘Arch Deluxe’, a bénéficié du plus grand budget de lancement de l’histoire de la marque : près de 300 millions de dollars investis en R&D, études de marché et publicité. Le résultat ? L’un des plus grands fiascos de l’histoire du marketing. Alors, comment une entreprise aussi puissante, armée d’autant de données, a-t-elle pu se tromper à ce point ? La réponse se trouve entièrement dans le ‘Say-Do Gap’.
‘dans les années 90, McDonald’s a lancé aux États-Unis un burger qui s’est appelé, puisqu’il n’existe plus, le Arch de Luxe. […] si tu fais l’exercice de taper ça sur Google, tu vas voir tout de suite les premiers résultats qui vont te dire le plus gros bide, le plus gros fiasco de McDonald’s. Et c’est le cas, mais c’est extrêmement instructif.’
L’histoire du Arch Deluxe est une étude de cas parfaite car elle met en lumière deux erreurs fondamentales que commettent encore aujourd’hui de nombreuses entreprises, quelle que soit leur taille : se fier à des études de marché décontextualisées et ignorer l’ADN profond de sa propre marque.
L’illusion des études de marché traditionnelles
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, McDonald’s n’a pas lancé le Arch Deluxe à l’aveugle. Ils ont mené des centaines de tests et de sondages. Le problème réside dans la manière dont ces études ont été menées. On présentait le concept, une belle photo du burger, et on posait la question fatidique : ‘A ce prix, auriez-vous l’intention de l’acheter ?’. Et massivement, les gens répondaient ‘oui’. Pourquoi ? Parce que répondre ‘oui’ ne leur coûtait absolument rien.
‘quand un individu se prononce sur une intention d’achat, il achète pas. […] C’est ce que les Anglo-Saxons appellent une free option. Donc c’est une option gratuite. Elle n’a pas de coût réel. Je peux très bien dire que oui, j’achèterai.’
Une intention d’achat déclarée dans le cadre d’une enquête est une ‘option gratuite’. Il n’y a pas d’effort, pas de sacrifice financier. Le répondant se projette dans une version idéalisée de lui-même : ‘Oui, bien sûr que j’ai envie d’un goût plus sophistiqué’. Mais cette projection ne dit rien sur ce qu’il fera réellement un mardi soir, fatigué, en sortant du travail, lorsqu’il devra choisir son menu. Le déclaratif mesure une aspiration, pas un comportement futur. McDonald’s a pris pour argent comptant ces options gratuites, sans comprendre que l’acte d’achat réel, lui, implique un coût, un effort, un renoncement. Ils ont confondu un ‘j’aime bien l’idée’ avec un ‘je vais dépenser mon argent pour ça’.
L’erreur fatale : ignorer le contexte et l’ADN de la marque
La deuxième erreur, encore plus profonde, a été d’ignorer complètement le contexte dans lequel les gens consomment du McDonald’s. On ne va pas chez McDo pour une expérience gastronomique sophistiquée. On y va pour la rapidité, la constance, le réconfort, la nostalgie de l’enfance. C’est un plaisir simple, presque régressif. La marque est associée à des odeurs, des goûts et des souvenirs profondément ancrés.
‘le vrai goût du McDo, le goût que j’ai, l’odeur, la stimulation que j’ai chez McDonald’s, elle vient énormément de l’enfance. […] Et ça, je suis pas forcément prêt à la changer pour quelque chose qui a un nouveau goût pour adulte, plus sophistiqué.’
Le Arch Deluxe était un bon produit dans l’absolu, mais il était dans le mauvais restaurant. Il créait une dissonance cognitive. Les clients, en poussant la porte d’un McDonald’s, n’étaient pas dans l’état d’esprit requis pour apprécier un ‘burger pour adultes’. Ils cherchaient le goût familier du Big Mac ou des frites salées. L’étude de marché, en isolant le produit de son contexte de consommation réel, a complètement manqué cet aspect fondamental. Elle a posé une question rationnelle (‘Aimez-vous ce produit ?’) alors que la décision d’achat chez McDonald’s est largement émotionnelle et contextuelle. L’échec du Arch Deluxe est une leçon brutale mais essentielle : un produit ne vit jamais dans le vide. Il doit s’insérer de manière cohérente dans le contexte de la marque et dans la réalité du comportement de ses clients.
L’échec monumental du Arch Deluxe nous a montré les conséquences désastreuses d’une mauvaise lecture du comportement client. Mais il ne faut pas rester sur ce constat pessimiste. La bonne nouvelle, c’est qu’il existe des méthodes et des réflexes pour éviter de tomber dans les mêmes pièges. Il est temps de passer de la théorie à la pratique et de découvrir comment vous pouvez, à votre échelle, transformer les intentions de vos clients en actions concrètes et mesurables.
De la théorie à la pratique : comment transformer les intentions en actions concrètes
Après avoir disséqué les causes du ‘Say-Do Gap’ et vu ses conséquences dramatiques, la question qui se pose est : comment faire mieux ? Comment éviter de construire notre stratégie sur les sables mouvants du déclaratif ? Heureusement, les sciences comportementales ne se contentent pas de poser un diagnostic ; elles offrent aussi une pharmacie remplie de solutions. Il ne s’agit pas de formules magiques, mais de principes et d’outils concrets pour concevoir des expériences qui facilitent le passage à l’action. Tout commence par un changement de posture : cesser de vouloir à tout prix ‘convaincre’ et commencer à ‘permettre’.
L’arme anti-échec : la conscience et le réalisme contextuel
Le tout premier pas, et sans doute le plus important, est un exercice d’humilité. En tant qu’entrepreneurs ou marketeurs, nous sommes passionnés par nos produits. Nous sommes convaincus de leur valeur. Cette conviction est nécessaire, mais elle nous expose à un biais cognitif extrêmement dangereux : le ‘biais d’optimisme’. C’est la tendance naturelle à surestimer nos chances de succès et à sous-estimer les obstacles que nos clients rencontreront.
‘Le biais d’optimisme, c’est d’être dans sa réalité, convaincu du bien fondé de ce qu’on fait, et de sous-estimer tout ce qui va arriver après de l’autre côté. Donc déjà si on est conscient et qu’on se dit ‘je risque d’avoir ce billet d’optimisme’, je dirais que le premier niveau, c’est […] de se poser […] et de se dire : comment le contexte peut me desservir ?’
Prendre conscience de ce biais est libérateur. Cela vous oblige à sortir de votre propre tête pour vous mettre véritablement à la place de votre client. Concrètement, prenez une feuille et listez toutes les frictions potentielles : les habitudes existantes que votre produit vient bousculer, le manque de preuve sociale, l’effort cognitif nécessaire pour comprendre votre offre, les étapes du processus d’achat… Cet exercice de ‘pré-mortem’ vous force à anticiper les points de blocage. Ensuite, la règle d’or est de toujours tester vos idées en contexte. Au lieu d’un sondage sur une intention d’achat, créez une landing page avec un vrai prix et un bouton ‘Acheter’. Observez combien de personnes cliquent. C’est un test beaucoup plus fiable, car il demande un début d’engagement, un micro-coût pour le prospect.
Le pouvoir du ‘Nudge’ : guider sans contraindre
Une fois que vous avez identifié les frictions, comment les réduire ? L’un des outils les plus puissants des sciences comportementales est le ‘nudge’, ou ‘coup de pouce’ en français. Un nudge n’est pas une manipulation ou une obligation ; c’est une modification subtile de l’environnement de choix qui incite les gens à adopter un comportement bénéfique sans les y forcer. L’objectif est de rendre le ‘bon’ choix le plus simple, le plus évident, le plus naturel.
‘Ces mécanismes, ils jouent beaucoup sur cette dimension de simplification, sur le côté un peu ludique pour rendre l’effort le moins coûteux possible. C’est à ça que servent ce qu’on appelle les nudge.’
Un exemple que j’adore illustre parfaitement ce principe. Un magasin de bricolage au Royaume-Uni faisait face à un dilemme : comment savoir si un client souhaite être aidé ou laissé tranquille ? Ils ont mis en place un nudge génial. À l’entrée, deux couleurs de paniers sont proposées :
- Un panier noir, qui signifie : ‘Je fais mes courses tranquillement, ne me dérangez pas’.
- Un panier blanc, qui signale aux vendeurs : ‘Je suis ouvert à recevoir de l’aide ou des conseils’.
C’est simple, non-contraignant, et cela résout un problème de friction majeur dans l’expérience client. Vous pouvez appliquer ce principe partout : pré-remplir des champs dans un formulaire, définir l’option la plus populaire comme choix par défaut, afficher une barre de progression pour motiver la complétion d’un profil… Le nudge est l’art de devenir un ‘architecte de choix’, en dessinant des parcours clients si fluides que l’action désirée devient la suite logique et sans effort.
Conclusion : devenez un architecte du comportement, pas un simple vendeur
Au terme de cette exploration, une vérité fondamentale émerge : le marketing ne peut plus se contenter de créer des messages persuasifs. Il doit devenir une science appliquée du comportement humain. Nous avons vu que nos clients ne sont pas des êtres rationnels attendant d’être convaincus par des arguments logiques. Ce sont des créatures complexes, guidées par leurs émotions, leurs habitudes, le contexte qui les entoure et l’influence de leurs pairs. Ignorer cette réalité, c’est se condamner à subir le ‘Say-Do Gap’, cet écart frustrant entre les intentions affichées et les actions réelles.
Le souvenir de l’échec cuisant du Arch Deluxe de McDonald’s doit nous servir de piqûre de rappel permanente : même avec des moyens colossaux, une stratégie qui ignore le contexte et la psychologie profonde du consommateur est vouée à l’échec. La solution n’est pas dans plus d’études déclaratives, mais dans plus d’empathie, plus d’observation et plus d’expérimentation en conditions réelles. Il nous faut chausser les lunettes des sciences comportementales pour voir le monde à travers les yeux de nos clients.
La voie à suivre est claire. Premièrement, reconnaître et combattre notre propre ‘biais d’optimisme’. Deuxièmement, traquer et éliminer sans pitié chaque friction, chaque effort inutile sur le parcours client. Troisièmement, utiliser l’intelligence des ‘nudges’ pour faire du choix que vous proposez le chemin le plus simple et le plus naturel. Votre mission n’est plus de ‘vendre’, mais de devenir un ‘architecte de choix’. En comprenant les forces invisibles qui animent vos clients, vous cesserez de lutter contre leur nature et commencerez à concevoir des expériences qui s’alignent harmonieusement avec elle. C’est là que se trouve la clé pour enfin transformer les promesses en actions, et les prospects en clients fidèles.
FAQ : vos questions sur les sciences comportementales et le ‘Say-Do Gap’
1. Qu’est-ce que le ‘Say-Do Gap’ concrètement en marketing ?
Le ‘Say-Do Gap’ désigne l’écart souvent important entre ce que les consommateurs déclarent vouloir faire (leurs intentions) et ce qu’ils font réellement (leurs actions). En marketing, cela se manifeste lorsqu’un client exprime un fort intérêt pour un produit lors d’une étude, affirme qu’il va l’acheter, mais ne passe finalement jamais à l’acte. C’est un phénomène crucial car de nombreuses stratégies marketing et prévisions de ventes sont basées sur des données déclaratives qui peuvent s’avérer très peu fiables, menant à des lancements de produits ratés et des budgets gaspillés.
‘Ils disent qu’ils vont acheter notre produit ou alors ils pensent sincèrement qu’on est le bon choix mais ils ne nous choisissent pas. Ça porte un nom, ça s’appelle le say versus do gap.’
2. En quoi les sciences comportementales sont-elles différentes du marketing traditionnel ?
Le marketing traditionnel s’est longtemps basé sur un modèle de consommateur rationnel, en se concentrant sur les caractéristiques du produit et les arguments logiques. Les sciences comportementales, elles, partent du principe que l’humain est irrationnel, influencé par ses émotions, son contexte, ses habitudes et ses biais cognitifs. Plutôt que de se focaliser sur ce que les gens pensent ou disent, cette approche s’attache à comprendre et à modifier ce qu’ils font. C’est un passage d’une logique de persuasion à une logique d’action et de facilitation du comportement souhaité.
‘notre métier […] c’est de trouver des leviers d’action sur non pas ce que les gens pensent, mais sur ce que les gens font et d’aider à changer cette réalité là.’
3. Pourquoi les études de marché basées sur l’intention d’achat sont-elles souvent trompeuses ?
Ces études sont trompeuses car elles placent le répondant dans une situation artificielle, sans coût ni enjeu réel. Exprimer une intention d’achat dans un sondage est une ‘option gratuite’ (‘free option’) : cela n’engage à rien et ne coûte pas d’argent. Le répondant peut projeter une version idéalisée de lui-même sans faire face aux frictions réelles de l’acte d’achat (effort, sacrifice financier, changement d’habitude). Ces études mesurent une aspiration à un instant T, et non un comportement futur dans un contexte réel, ce qui explique leur faible pouvoir prédictif.
‘quand je réponds à une enquête […] et que je dis que je vais acheter, c’est ce qu’on appelle, ce que les anglo-saxons appellent une free option. […] Elle n’a pas de coût réel.’
4. Quel est le rôle du ‘contexte’ dans la décision d’un client ?
Le contexte est un facteur absolument fondamental, souvent plus important que la personnalité même de l’individu. Il englobe l’environnement physique (magasin, site web), l’état émotionnel du client, la pression temporelle et l’environnement social. Une même personne prendra des décisions radicalement différentes selon le contexte. Ignorer ce dernier, comme l’a fait McDonald’s avec son Arch Deluxe, c’est évaluer un produit dans le vide et passer à côté des véritables déclencheurs ou freins à l’achat qui n’apparaissent que dans une situation de consommation réelle.
‘un individu dans un contexte donné peut agir de façon radicalement différente au contexte […] c’est le même individu, le contexte va le mener à avoir des comportements totalement différents.’
5. Comment puis-je identifier les ‘frictions’ dans mon parcours client ?
Pour identifier les frictions, il faut adopter une posture d’extrême empathie et observer le parcours client dans les moindres détails, comme si vous étiez un novice. Demandez-vous à chaque étape : ‘Qu’est-ce qui pourrait demander un effort ici ?’. Cela peut être un effort cognitif (un texte trop long, un choix trop complexe), un effort physique (trop de clics, un formulaire fastidieux) ou un effort émotionnel (peur de faire le mauvais choix, manque de confiance). L’idéal est d’observer de vrais utilisateurs interagir avec votre produit ou site, car ils révéleront des frictions que vous, avec votre connaissance du produit, ne voyez plus.
‘tous ces petits ce qu’on appelle des frictions, ces petits moments où […] toutes ces petites frictions elles vont élargir cet écart entre ce que à l’instant T je pense, je projette de faire et ce que je vais réellement accomplir.’
6. Qu’est-ce qu’un ‘nudge’ et comment puis-je l’utiliser pour mon entreprise ?
Un ‘nudge’ est une incitation douce qui modifie l’environnement de choix pour encourager un comportement sans contraindre ni interdire d’autres options. C’est un ‘coup de pouce’ qui rend le choix souhaité plus facile, plus visible ou plus attractif. Vous pouvez l’utiliser en rendant l’option la plus populaire ou recommandée comme choix par défaut, en utilisant des barres de progression pour encourager la finalisation d’un processus, ou en affichant des messages de preuve sociale (‘X personnes ont déjà acheté ce produit’). Le but est de simplifier la décision et de réduire l’effort pour le client.
‘on a des des mécanismes d’incitation qu’on appelle les nudge qui vont être là pour faciliter le passage à l’action. Ces mécanismes ils jouent beaucoup sur cette dimension de simplification […] pour rendre l’effort le moins coûteux possible.’
7. L’échec du Arch Deluxe de McDonald’s aurait-il pu être évité ?
Oui, très probablement. L’échec aurait pu être évité si McDonald’s avait adopté une approche basée sur les sciences comportementales plutôt que sur le déclaratif. Au lieu de demander aux gens s’ils ‘aimeraient’ un burger pour adulte, ils auraient pu faire des tests en conditions réelles dans quelques restaurants. En observant les comportements d’achat réels, ils auraient rapidement constaté que, malgré leurs déclarations, les clients continuaient de commander leurs produits habituels. Une analyse du contexte d’achat aurait aussi révélé que l’ADN de la marque (rapidité, famille, réconfort) était incompatible avec un produit ‘sophistiqué’.
‘on a décontextualisé, on s’est mis dans une réalité de recherche d’étude qui est une réalité mais qui n’est pas la réalité du consommateur […] qui pousse la porte du McDo.’
8. Quel est le biais cognitif le plus dangereux pour un entrepreneur qui lance un produit ?
Le biais le plus dangereux est sans doute le ‘biais d’optimisme’. C’est la tendance naturelle à être excessivement confiant dans son propre projet, à surestimer la qualité de son idée et à sous-estimer drastiquement les obstacles et les frictions que les clients rencontreront. Ce biais rend aveugle aux défauts de son offre et sourd aux signaux faibles du marché. Il pousse à interpréter les données de manière favorable et à ignorer les critiques. En être conscient est la première étape pour le contrer en cherchant activement des preuves de ce qui pourrait ne pas fonctionner.
‘le biais d’optimisme c’est de se dire qu’on a une super idée, qu’on a une super proposition de valeur […] c’est de sous-estimer toutes ces petites frictions et tous ces efforts qu’on va demander à la personne.’

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