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#99 > CookieLess > La fin des cookies ? Vraiment ? Parce que cela fait des années qu’on en parle

Épisode diffusé le 15 juillet 2024 par Bannouze : Le podcast du marketing digital !

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L’année du cookieless, c’est maintenant : pourquoi il est urgent d’agir

Dans le monde du marketing digital, nous avons nos petites blagues rituelles. Pendant des années, la phrase consacrée était : ‘cette année, c’est l’année du mobile’. Aujourd’hui, cette rengaine a été mise à jour. Comme le soulignait Laurent lors de notre discussion, la nouvelle blague, c’est de dire que ‘c’est l’année de la fin du cookie’. Mais ce n’est plus une blague, ni même une prédiction. C’est une réalité tangible, immédiate, qui redéfinit les règles du jeu pour les annonceurs, les agences, les éditeurs et toute la chaîne de valeur technologique. En tant que Directrice Data et Programmatique chez Weborama, je suis aux premières loges de cette transformation profonde. Et le constat est sans appel : l’attentisme n’est plus une option.

L’erreur fondamentale que beaucoup commettent est de penser que la fin des cookies tiers est un événement futur, suspendu à la décision finale de Google de débrancher la prise sur Chrome. La vérité est bien plus brutale. L’ère cookieless a déjà commencé, et elle grignote chaque jour un peu plus le terrain sur lequel nous avions bâti nos stratégies depuis vingt ans. Comme je l’expliquais, nous ne parlons pas d’un interrupteur qui sera actionné en 2025. Nous parlons d’un écosystème où la majorité de l’audience est déjà devenue invisible aux yeux des méthodes de ciblage traditionnelles.

‘Aujourd’hui, nous avons entre Safari et Firefox pour des raisons techniques à peu près 40 % des inventaires publicitaires qui n’ont plus de cookies […] et à cela, on ajoute entre 20 et 30 % d’inventaire supplémentaire sans consentement […] sur Chrome. Donc si on fait bien le compte, il nous reste entre 30 et maximum 40 % d’inventaire publicitaire qu’on peut encore toucher avec un cookietière.’

Ce chiffre doit résonner comme un signal d’alarme. Continuer à baser l’essentiel de ses campagnes sur une technologie qui ne touche plus qu’un tiers du marché, c’est comme naviguer avec une carte obsolète dans une mer déchaînée. Dans cet article, nous allons plonger au cœur de cette nouvelle réalité. Nous ferons un état des lieux précis de ce monde cookieless, nous analyserons sans concession la solution proposée par Google, la fameuse Privacy Sandbox, et nous explorerons surtout les alternatives concrètes et déjà opérationnelles qui se dessinent. Car oui, des solutions existent, mais elles exigent de nous tous un changement de paradigme, une curiosité renouvelée et une volonté de tester, d’apprendre et de s’adapter. La survie de l’Open Web, cet espace diversifié et accessible à tous, en dépend.

L’ère cookieless est déjà là : un état des lieux chiffré et sans concession

Pour bien comprendre l’urgence de la situation, il faut sortir de l’abstraction et regarder les chiffres en face. Quand je dis qu’il ne reste qu’entre 30 et 40 % de l’inventaire publicitaire accessible via les cookies tiers, cela signifie que pour chaque campagne lancée, entre 60 et 70 % des opportunités de contact avec votre audience vous échappent si vous vous en tenez aux anciennes méthodes. Cette érosion n’est pas soudaine ; elle est le fruit d’une évolution entamée il y a plusieurs années, mais qui a atteint aujourd’hui une masse critique. D’un côté, nous avons les navigateurs comme Safari (avec sa technologie ITP, Intelligent Tracking Prevention) et Firefox qui bloquent les cookies tiers par défaut depuis longtemps. Ils représentent à eux deux près de 40 % des inventaires. De l’autre, nous avons un phénomène majeur, souvent sous-estimé : l’inventaire ‘consentless’ sur Chrome.

Qu’est-ce que cet inventaire ‘consentless’ ? C’est tout simplement l’ensemble des pages vues par des utilisateurs qui, lorsqu’ils sont confrontés à une bannière de consentement (CMP), choisissent de refuser le dépôt de cookies. Avec le RGPD et la pression des régulateurs, ces bannières sont devenues plus claires, et le bouton ‘Tout refuser’ est désormais aussi accessible que le bouton ‘Tout accepter’. Résultat : une part croissante des internautes sur Chrome, le navigateur dominant, navigue sans cookies tiers activés. Cette part représente entre 20 et 30 % d’inventaires supplémentaires. L’addition est simple et le résultat est saisissant. Nous sommes passés d’un monde où le cookie était la norme à un monde où il est l’exception.

‘Ça ça a changé par rapport à la dernière fois on s’est parlé où à l’époque, on était sur 50 60 % de cookietière sur le marché et on arrivait quand même à faire des campagnes média sur cette base-là. Aujourd’hui, on est obligé de se dire que il faut utiliser les alternatives.’

Cette bascule a des conséquences très concrètes. Pour un annonceur, cela veut dire une perte drastique de portée (reach) sur ses cibles traditionnelles. Cela signifie l’impossibilité de gérer la répétition publicitaire (frequency capping) sur la majorité de l’audience, avec le risque de lasser, voire d’irriter, les consommateurs. Cela signifie surtout que les modèles de mesure et d’attribution qui reposaient sur le suivi de l’utilisateur à travers les sites via ce fameux cookie sont aujourd’hui largement inopérants. Tenter de piloter la performance de ses investissements média en ne regardant que 30 % du tableau est non seulement imprécis, mais dangereux. Cette nouvelle donne nous oblige à abandonner nos vieux réflexes et à nous tourner vers un nouvel arsenal de solutions. C’est dans ce contexte que trois grands piliers émergent : la Privacy Sandbox de Google, le ciblage contextuel nouvelle génération et les identifiants universels.

Les trois piliers de l’alternative aux cookies tiers

Face à ce paysage publicitaire fragmenté, l’industrie ne reste pas les bras croisés. Trois grandes familles de solutions se sont structurées pour répondre aux différents cas d’usage autrefois couverts par le cookie tiers. Elles ne sont pas mutuellement exclusives ; au contraire, l’avenir réside très probablement dans leur combinaison intelligente. Il est essentiel pour chaque annonceur de comprendre leur fonctionnement, leurs avantages et leurs limites pour construire son propre ‘mix’ de ciblage et de mesure post-cookie. Décortiquons ensemble ces trois approches.

La Privacy Sandbox de Google : promesse ou mirage ?

La Privacy Sandbox est l’initiative de Google pour remplacer les fonctionnalités du cookie tiers directement au sein du navigateur Chrome. L’idée est de permettre des cas d’usage publicitaires comme le ciblage par centres d’intérêt ou le retargeting, mais d’une manière qui, en théorie, protège mieux la vie privée de l’utilisateur en ne partageant pas son identité individuelle à travers le web. Pour cela, Google a développé un ensemble d’APIs complexes, comme ‘Topics’ qui classe les utilisateurs dans des cohortes d’intérêt, ou ‘Protected Audience’ (anciennement FLEDGE) pour gérer les audiences de retargeting. Le déploiement a commencé, mais de manière très limitée.

‘La Privacy Sandbox a été officiellement lancée et donc maintenant on n’est plus dans des tests en pré-prod sur des serveurs Google, on est sur de la vraie vie sur 1 % des utilisateurs uniquement, mais ils ont réellement implémenté la Privacy Sandbox.’

Si la promesse est séduisante sur le papier – continuer à faire de la publicité ciblée tout en respectant la vie privée – sa mise en œuvre suscite d’énormes inquiétudes dans l’écosystème. Comme nous le verrons plus en détail, les premiers tests à grande échelle ont révélé des problèmes de performance, de latence et, surtout, ont soulevé des questions fondamentales sur la gouvernance et le risque de renforcer encore la position dominante de Google. C’est une solution à suivre de très près, mais il serait extrêmement risqué de tout miser sur elle.

Le ciblage contextuel nouvelle génération : l’IA à la rescousse

Le ciblage contextuel n’est pas nouveau. L’idée de diffuser une publicité en lien avec le contenu de la page qu’un internaute consulte est aussi vieille que la publicité en ligne. Cependant, ce qui a radicalement changé, c’est la technologie qui le sous-tend. Nous sommes passés d’une approche basique de correspondance de mots-clés à une analyse sémantique profonde, et maintenant, à l’ère de l’intelligence artificielle générative. Cette évolution technologique a transformé une méthode considérée comme basique en une solution de ciblage d’une finesse redoutable.

‘Aujourd’hui arrive aussi l’ia générative et les deux couplé ensemble continue à à faire croître et le reach et la précision du ciblage contextuel. […] Maintenant au lieu d’indiquer aux algorithmes des des expressions ou des mots clés, on leur indique carrément des phrases entières en leur disant je recherche les personnes qui ou les familles avec deux enfants qui ont tendance à acheter plus d’autant de fois tel produit.’

Concrètement, un algorithme d’IA peut désormais comprendre le sens, le sentiment, les nuances d’un article et pas seulement les mots qui le composent. Il peut faire la différence entre un article sur les accidents de voiture et un article sur les tests de nouveaux modèles de voitures, un contexte bien plus pertinent pour un constructeur automobile. L’avantage majeur du contextuel est double : il est respectueux de la vie privée par nature (il cible le contenu, pas la personne) et il offre une portée de 100 %, car il fonctionne sur tous les navigateurs, avec ou sans consentement. C’est une valeur sûre, de plus en plus performante.

Les identifiants universels : la quête de l’ID unique continue

La troisième voie consiste à recréer un identifiant partagé entre les acteurs de l’écosystème, mais sans utiliser le cookie tiers. Ces ‘ID universels’ reposent généralement sur des informations déterministes fournies par l’utilisateur, comme une adresse e-mail ou un numéro de téléphone, qui sont ensuite ‘hachées’ (transformées en une suite de caractères anonymes) pour créer un identifiant pseudonyme. Historiquement, ces solutions étaient très dépendantes des adresses e-mail, ce qui limitait leur portée aux environnements où les utilisateurs se connectent. Mais le paysage des ID s’est considérablement enrichi.

‘Aujourd’hui on a bah l’arrivée d’U avec les données Telco, l’arrivée très très fulgurante de First ID basé sur les first party cookies et donc en fait les ID continuent de s’étoffer pour pour représenter une partie importante du marché.’

L’arrivée d’acteurs s’appuyant sur les données des opérateurs télécoms ou sur des technologies intelligentes basées sur les cookies first-party (ceux que les sites déposent pour leur propre fonctionnement) a élargi le potentiel de ces solutions. Les ID universels permettent de retrouver certaines fonctionnalités clés du cookie tiers, comme le retargeting cross-site ou la mesure d’attribution, sur la portion de l’audience où un identifiant peut être réconcilié. Leur défi reste la fragmentation (il existe de nombreuses solutions d’ID concurrentes) et la taille de leur réseau. C’est une pièce essentielle du puzzle, mais qui ne couvrira jamais 100 % du marché.

Privacy Sandbox : pourquoi l’écosystème tire la sonnette d’alarme

Alors que Google présente la Privacy Sandbox comme la solution d’avenir pour l’Open Web, les retours du terrain sont, pour le dire poliment, très préoccupants. Des acteurs majeurs de l’adtech, des régulateurs et nous-mêmes, chez Weborama, à travers nos propres tests, arrivons tous à la même conclusion : en l’état actuel, cette technologie n’est pas prête. Les récentes publications, notamment de Criteo et d’Index Exchange, ainsi que le rapport de l’autorité de la concurrence britannique (la CMA), mettent en lumière des problèmes structurels qui menacent non seulement la performance des campagnes, mais aussi l’équilibre économique de tout l’écosystème publicitaire indépendant.

‘Tout corrobore une chose dont moi je suis aussi intimement persuadé parce que nos tests internes chez Weborama ont prouvé la même chose, c’est que la Privacy Sandbox en l’état n’est pas prête à être lancée sur 100 % du marché avec zéro cookies tiers.’

Trois griefs principaux émergent de ces analyses : la latence technique qui pénalise tout le monde, la perte de revenus dramatique pour les éditeurs, et une question de fond sur la gouvernance et le favoritisme potentiel de l’écosystème Google. Ces points ne sont pas des détails techniques ; ils touchent au cœur du fonctionnement de la publicité programmatique et à la survie même de l’Open Web.

La latence : le tueur silencieux de la performance programmatique

Le premier problème, souligné par tous, est celui de la latence. En publicité programmatique, chaque milliseconde compte. Le processus d’enchère pour afficher une publicité doit se dérouler en moins de 50 millisecondes, le temps qu’une page se charge. Or, les tests ont révélé que l’intégration de la Privacy Sandbox ralentit considérablement ce processus. Les chiffres sont éloquents : Criteo a enregistré des latences de plus de 100 %, et Index Exchange de plus de 30 %.

‘Ce qu’on appelle une latence, c’est la lenteur d’affichage d’une publicité qui pourrait entraîner des lenteurs d’affichage de la page elle-même publicitaire. […] La perte de revenus engendrée par les latences pour les éditeurs, c’est tout simplement de ne pas pouvoir recevoir la publicité pour l’afficher quand l’internaute est là.’

Pour l’utilisateur, c’est une mauvaise expérience, avec des sites qui rament. Pour l’éditeur, c’est une perte sèche de revenus : si la publicité n’arrive pas à temps, l’espace publicitaire reste vide, et donc non monétisé. Pour l’annonceur, c’est une occasion manquée de toucher sa cible. Ce problème de latence est un frein fondamental qui remet en cause la viabilité même du modèle en temps réel sur lequel repose la programmatique.

La perte de revenus pour les éditeurs : une menace directe pour l’Open Web

Au-delà de la latence, l’impact financier direct pour les éditeurs est peut-être le point le plus alarmant. Les études de Criteo et d’Index Exchange convergent : la mise en place de la Privacy Sandbox entraîne une chute spectaculaire des revenus publicitaires des éditeurs, estimée entre 30 % et 60 %. C’est colossal. Cette perte de valeur s’explique par une mécanique d’enchères moins efficace et des signaux de ciblage moins riches qui poussent les annonceurs à moins valoriser les inventaires.

‘On a également cette cette perte de revenus pour les éditeurs qui entre 30 et 60 % mais 30 % déjà côté Index et 60 côté Criteo, c’est énorme. […] Ce qui ajouté à toute la partie cookieless qui a donné un un un coup important à à la monétisation des éditeurs commence déjà à créer d’importants trous dans la raquette.’

Cette situation est intenable pour des milliers de sites de presse, de blogs, de forums, qui dépendent de la publicité pour financer la création de contenu et le journalisme de qualité. Si l’Open Web ne peut plus se monétiser correctement, il risque de s’appauvrir, de disparaître au profit des ‘Walled Gardens’ (les écosystèmes fermés comme ceux de Meta, Amazon, etc.). La question qui se pose est donc cruciale : joue-t-on aujourd’hui la survie de l’Open Web tel qu’on le connaît ? Je pense que oui.

Gouvernance et favoritisme : Google, juge et partie ?

Le troisième point est une bombe à retardement. Avec la Privacy Sandbox, Google, via son navigateur Chrome, ne se contente pas de fixer les règles du jeu ; il devient un acteur central dans l’exécution des enchères, un rôle traditionnellement dévolu aux SSP (Supply-Side Platforms) qui travaillent pour les éditeurs. Une statistique révélée par Criteo est particulièrement frappante : lorsque la Privacy Sandbox est activée, la part des impressions publicitaires provenant de GAM (Google Ad Manager, l’ad server/SSP de Google) passe de 23 % à 83 %.

‘On est en présence d’un acteur qui crée des règles de marché. […] La CMA regarde de très près puisqu’elle ne se prononce pas sur la technicité de la prébox […] elle se prononce sur le fait est-ce que réellement elle crée un avantage concurrentiel et un favoritisme de de Chrome de Google versus l’Open Web.’

Même si Google conteste ces chiffres, la tendance est indéniable. Le système semble intrinsèquement favoriser son propre écosystème. C’est précisément ce que la CMA surveille : le risque d’abus de position dominante. Qui garantit que les règles ne changeront pas à l’avenir pour avantager encore plus Google, une fois que toute l’industrie sera dépendante de cette technologie ? L’absence d’un organisme de gouvernance indépendant est un point de friction majeur qui rend l’écosystème extrêmement méfiant.

Au-delà du desktop : le mobile et la mesure, les grands oubliés ?

Alors que l’industrie se focalise sur la transition cookieless sur le web desktop, deux angles morts majeurs persistent et pourraient bien représenter les défis de demain : le monde applicatif mobile et, de manière encore plus critique, la question de la mesure de la performance. Résoudre le ciblage est une chose, mais si nous ne pouvons plus mesurer l’efficacité de nos actions, tout l’édifice s’écroule. Ces deux sujets sont pour l’instant les parents pauvres de la conversation, et pourtant, ils sont absolument fondamentaux.

Le monde applicatif, un chantier en suspens

La conversation sur la fin des cookies concerne le web. Mais une part immense et croissante de la consommation de contenu se fait au sein des applications mobiles. Or, sur ce terrain, le flou est encore plus total. Google avait bien annoncé une ‘Privacy Sandbox pour Android’, mais le projet semble au point mort, repoussé aux calendes grecques.

‘Le monde applicatif dans tout ça, il a été un peu laissé de côté. […] On a Privacy Sandbox pour Android qui malheureusement a été mise en standby, n’a pas été lancée […] et aujourd’hui on parle encore beaucoup beaucoup du desktop. On parle plutôt de Android en 2026.’

Cette inertie est problématique. Certains éditeurs réalisent déjà plus de la moitié de leur audience et de leurs revenus via leurs applications. Pour eux, l’incertitude est double. Comment gérer un écosystème où les règles du jeu sont totalement différentes entre le web mobile et l’environnement in-app ? Cette dichotomie crée une complexité opérationnelle immense pour les annonceurs qui cherchent à avoir une vision unifiée de leur client. C’est un chantier colossal qui n’a même pas encore réellement commencé.

La mesure : le défi le plus complexe de l’ère cookieless

Si je devais identifier le défi numéro un, celui qui conditionne tous les autres, ce serait sans hésiter celui de la mesure. Le cookie tiers, malgré tous ses défauts, nous avait habitués à un luxe : la capacité de suivre un parcours utilisateur de manière unifiée, de corréler une exposition publicitaire à une conversion, et de le faire presque en temps réel. Cette capacité nous a permis de développer des KPI très précis comme le coût par acquisition (CPA) ou le retour sur investissement publicitaire (ROAS), pilotables à la minute. Ce monde est en train de disparaître.

‘La mesure, on n’en a pas parlé mais elle est encore plus importante et encore plus impactée que le ciblage. Parce que sur la mesure déjà, on a très peu de tests et les solutions ne sont pas aussi évidentes que sur le ciblage.’

Demain, nos sources de données seront hétérogènes. Nous aurons des données agrégées et anonymisées de la Privacy Sandbox, des données au niveau utilisateur mais sur une fraction de l’audience via les ID universels, et des données contextuelles sans aucune information sur l’utilisateur. Comment réconcilier tout cela ? Il va falloir repenser nos indicateurs. Il est probable que nous devions nous tourner à nouveau vers des approches plus macro, comme les modèles de contribution (Marketing Mix Modeling ou MMM), qui permettent d’évaluer l’impact des différents canaux marketing sur les ventes. Mais ces modèles sont moins réactifs. Le grand enjeu sera de trouver un nouvel équilibre entre la vision stratégique long terme et l’optimisation tactique court terme.

‘Il va falloir réfléchir à comment adapter nos KPI à cette situation là. Il ne sera plus possible d’aller chercher le coût d’acquisition à la seconde, à la minute, le coup par lid, le coup par vente, la corrélation une impression et le ROAS qu’on a derrière.’

Conclusion : Construire l’avenir, un test à la fois

Nous voilà au cœur du cyclone. La fin programmée du cookie tiers n’est pas une simple mise à jour technique, c’est un véritable changement de paradigme qui nous force à tout réinventer : nos méthodes de ciblage, nos outils de mesure, et même nos indicateurs de performance. Le tableau peut sembler sombre, entre une Privacy Sandbox décevante et des défis complexes sur la mesure et le mobile. Pourtant, je reste convaincue que cette crise est aussi une formidable opportunité de construire un écosystème publicitaire plus respectueux, plus intelligent et peut-être, au final, plus efficace.

Pour y parvenir, il n’y a pas de solution miracle ni de bouton magique. La clé réside dans une démarche proactive et pragmatique. Il est impératif que chaque acteur – annonceur, agence, éditeur – se saisisse du sujet. Cela passe par l’éducation, en s’appropriant ces concepts complexes. Je ne peux que vous recommander, par exemple, la lecture des panoramas sur le ciblage et la mesure publiés par l’Alliance Digitale, qui sont de formidables guides pratiques. Ensuite, et c’est le plus important, il faut tester. Tester le contextuel sémantique, expérimenter avec différentes solutions d’ID, se familiariser avec les nouvelles approches de mesure. C’est en ‘mettant les mains dans le cambouis’, comme je le disais, que nous construirons collectivement notre expertise et notre résilience.

L’histoire de notre industrie nous l’a montré. Rappelez-vous, il y a quelques années, on annonçait chaque année la mort de l’e-mail.

‘Si l’mail est un exemple, c’est que ça a tellement évolué et on prédisait sa mort effectivement tous les ans et finalement il s’est bien adapté […] il existe toujours sous une forme beaucoup plus respectueuse de la vie privée, mais il fait toujours le travail.’

Je suis persuadée qu’il en ira de même pour la publicité digitale post-cookie. En collaborant, en innovant et en faisant preuve de curiosité, nous trouverons les chemins vers un monde meilleur, un monde sans cookies tiers, mais pas sans performance ni pertinence. L’année prochaine, lorsque nous ferons le point, j’espère que nous parlerons moins des problèmes et plus des solutions que nous aurons bâties ensemble.

FAQ : Vos questions sur l’ère cookieless

Qu’est-ce que l’ère ‘cookieless’ et pourquoi est-elle déjà une réalité en 2024 ?

L’ère ‘cookieless’ désigne la période où le ciblage et la mesure publicitaire ne peuvent plus s’appuyer sur les cookies tiers, ces petits fichiers textes qui suivaient les utilisateurs de site en site. Ce n’est plus un futur lointain, mais une réalité actuelle. En effet, les navigateurs Safari et Firefox bloquent déjà ces cookies par défaut. En ajoutant à cela les utilisateurs de Chrome qui refusent le consentement, on estime que seuls 30 à 40 % de l’inventaire publicitaire total sont encore accessibles via les cookies tiers. Nous sommes donc déjà majoritairement dans un monde cookieless.

‘Aujourd’hui, nous avons entre Safari et Firefox […] à peu près 40 % des inventaires publicitaires qui n’ont plus de cookies […] et à cela, on ajoute entre 20 et 30 % d’inventaire supplémentaire sans consentement […] sur Chrome. Donc si on fait bien le compte, il nous reste entre 30 et maximum 40 % d’inventaire publicitaire qu’on peut encore toucher avec un cookietière.’

La Privacy Sandbox de Google est-elle la solution miracle à la fin des cookies tiers ?

Non, loin de là. En l’état actuel, la Privacy Sandbox est très critiquée par l’écosystème. Les premiers tests à grande échelle, menés par des acteurs comme Criteo ou Index Exchange, ont révélé des problèmes majeurs. Parmi eux, une forte latence (lenteur) qui nuit à l’expérience utilisateur et aux revenus des éditeurs, ainsi qu’une perte de revenus pour ces derniers pouvant aller de 30 à 60 %. De plus, des questions de gouvernance se posent, car Google se retrouve juge et partie, ce qui inquiète les régulateurs.

‘La Privacy Sandbox en l’état n’est pas prête à être lancée sur 100 % du marché avec zéro cookies tiers. À la limite en parallèle pendant encore quelques temps, le temps de tout cadrer et de tout bien bien positionner oui.’

Quelles sont les principales alternatives concrètes au ciblage par cookies tiers ?

Il existe trois grandes familles de solutions. D’abord, le ciblage contextuel nouvelle génération, qui utilise l’analyse sémantique et l’IA pour cibler le contenu des pages plutôt que les utilisateurs, avec une grande précision. Ensuite, les identifiants universels, qui cherchent à recréer un identifiant pseudonyme basé sur des données déterministes (e-mail haché, ID Telco…). Enfin, il y a les ‘Walled Gardens’ (Google, Meta, Amazon) qui utilisent leurs propres données first-party dans leurs écosystèmes fermés. L’avenir réside dans la combinaison intelligente de ces approches.

‘On est toujours sur la Privacy Sandbox, le contextuel et les identifiants universels. Les technologies ont un petit peu avancé quand même.’

Pourquoi les éditeurs de sites web s’inquiètent-ils autant de la Privacy Sandbox ?

L’inquiétude des éditeurs est double. Premièrement, à cause de la perte de revenus directe et massive constatée lors des tests, allant jusqu’à 60 %. Cette chute s’explique par une mécanique d’enchères moins efficace et des signaux de ciblage appauvris. Deuxièmement, la Privacy Sandbox semble favoriser l’écosystème publicitaire de Google (GAM), ce qui pourrait réduire la compétition et donc la valeur de leurs espaces publicitaires. C’est une menace directe pour leur modèle économique et pour la survie d’un web indépendant.

‘Cette perte de revenus pour les éditeurs qui entre 30 et 60 % […] c’est énorme. C’est vrai que l’éditeur il peut se sentir un peu bah presque lésé finalement de de de de distribuer la valeur qu’il crée à plein de technos différentes.’

Comment l’intelligence artificielle révolutionne-t-elle le ciblage contextuel ?

L’IA, et plus particulièrement l’IA générative, a fait passer le ciblage contextuel d’une simple correspondance de mots-clés à une compréhension fine du contenu. Les algorithmes peuvent désormais analyser le sens, la nuance et le sentiment d’une page. Au lieu de cibler le mot ‘voiture’, on peut demander à l’IA de trouver des pages pertinentes pour des ‘familles avec deux enfants qui cherchent un véhicule sûr pour les vacances’. Cela augmente considérablement la précision et la pertinence du ciblage, tout en étant 100% respectueux de la vie privée.

‘Maintenant au lieu d’indiquer aux algorithmes des des expressions ou des mots clés, on leur indique carrément des phrases entières en leur disant je recherche les personnes qui ou les familles avec deux enfants qui ont tendance à acheter plus d’autant de fois tel produit.’

Quel sera l’impact de la fin des cookies sur la mesure de la performance publicitaire ?

L’impact sur la mesure est sans doute le plus important et le plus complexe à gérer. Nous perdons la capacité de suivre un utilisateur de manière unifiée, ce qui rend les KPI traditionnels comme le coût par acquisition (CPA) ou le ROAS, calculés en temps réel, très difficiles à obtenir. L’avenir de la mesure passera par la combinaison de différentes sources de données (agrégées, individuelles partielles, contextuelles) et probablement par un retour à des modèles statistiques plus globaux comme le Marketing Mix Modeling (MMM) pour évaluer l’impact des campagnes.

‘Il va falloir réfléchir à comment adapter nos KPI à cette situation là. Il ne sera plus possible d’aller chercher le coût d’acquisition à la seconde, à la minute, le coup par lid, le coup par vente…’

Le monde de la publicité sur mobile et applications est-il aussi affecté ?

Oui, et c’est un point crucial souvent oublié. L’écosystème applicatif mobile est également en pleine mutation, mais le projet de Google, la ‘Privacy Sandbox pour Android’, est actuellement en suspens et ne devrait pas voir le jour avant 2026 au plus tôt. Cela crée une grande incertitude pour les éditeurs et annonceurs dont une part significative de l’activité se déroule in-app. La gestion de cette fragmentation entre le web et les applications sera un défi majeur dans les années à venir.

‘Le monde applicatif dans tout ça, il a été un peu laissé de côté. […] On parle plutôt de Android en 2026 et ça va arriver et on ne connaît pas encore toutes les répercussions parce que les tests n’ont pas été faits.’

Que doivent faire concrètement les annonceurs pour se préparer à ce nouvel écosystème ?

L’attentisme n’est plus une option. Les annonceurs doivent agir sur plusieurs fronts. D’abord, s’éduquer et former leurs équipes sur ces sujets complexes. Ensuite, auditer leur dépendance actuelle aux cookies tiers pour le ciblage et la mesure. Enfin, et surtout, lancer des phases de test avec les différentes alternatives : allouer une partie du budget pour tester le ciblage contextuel sémantique, une autre pour expérimenter avec des solutions d’ID universels. C’est en diversifiant leur approche et en mesurant les résultats qu’ils pourront construire un mix média résilient pour l’avenir.

‘Au bout d’un moment, c’est aussi à eux de mettre les mains un petit peu dans le cambouis. Ouais, bah c’est un petit effort mais c’est pour le bien de l’écosystème primordial parce que bah parce que en fait, il faut qu’ils arrivent à comprendre ce qui se cache et à poser des questions.’


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