Cookieless 2025 : Révélations sur un écosystème au bord du gouffre
Chaque année, le monde du marketing digital a son marronnier, sa blague récurrente. Pendant longtemps, c’était ‘l’année du mobile’. Aujourd’hui, cette rengaine a été remplacée par une autre, bien plus anxiogène : ‘c’est l’année de la fin du cookie tiers’. Mais en 2024, ce n’est plus une blague. Ce n’est plus une projection lointaine. C’est une réalité brutale qui s’impose à tous les acteurs de la publicité digitale. Nous sommes entrés, que nous le voulions ou non, dans l’ère du ‘cookieless’. Pour en décrypter les enjeux, les menaces et les rares opportunités, je reçois Margarita Zlatkova, Directrice Data et Programmatique chez Weborama. Loin des discours marketing lissés, Margarita nous livre une analyse sans concession d’un écosystème en pleine mutation, où la solution miracle promise par Google, la Privacy Sandbox, semble se transformer en un piège pour l’indépendance de l’Open Web.
Le cookie tiers, ce petit fichier texte autrefois omniprésent, a été le pilier technologique de la publicité en ligne pendant plus de deux décennies. Il a permis un ciblage précis, un suivi des conversions et une mesure de la performance qui ont fait la richesse de l’écosystème. Mais il a aussi été le symbole des dérives en matière de suivi de la vie privée, entraînant une défiance des utilisateurs et une réaction des régulateurs et des géants de la tech. Apple avec Safari et Mozilla avec Firefox ont tiré les premiers, rendant une part significative du web opaque au suivi par cookie tiers. Google, avec sa position dominante via Chrome, a longtemps joué la montre avant d’annoncer sa propre solution. Mais aujourd’hui, le couperet est sur le point de tomber. Cet article n’est pas un simple état des lieux. C’est une plongée dans les coulisses techniques et stratégiques de cette révolution. Nous allons voir pourquoi l’ère cookieless est déjà là, pourquoi la Privacy Sandbox suscite une levée de boucliers et, surtout, quelles sont les véritables cartes à jouer pour les annonceurs et les éditeurs qui refusent de voir l’Open Web se faire absorber par les ‘Walled Gardens’.
L’ère Cookieless est déjà là : un état des lieux chiffré et sans appel
L’erreur la plus commune aujourd’hui est de penser que la fin du cookie tiers est un événement futur, lié à une date butoir fixée par Google pour début 2025. La réalité est bien différente et beaucoup plus pressante. Comme je l’explique, nous sommes déjà profondément ancrés dans un environnement majoritairement cookieless. Il est crucial de comprendre les chiffres pour saisir l’urgence de la situation. Trop d’acteurs raisonnent encore comme si la majorité du marché était accessible, ce qui fausse complètement leur stratégie et leur allocation de budget. L’attentisme n’est plus une option viable.
‘Si on fait bien le compte, il ne reste entre 30 et maximum 40 % d’inventaires publicitaires qu’on peut encore toucher avec un cookietier.’ – Margarita Zlatkova
Ce chiffre choc de 30 à 40% n’est pas une projection, c’est une photographie de l’instant présent, à l’été 2024. Il est le résultat de plusieurs facteurs qui se cumulent et qui réduisent drastiquement la portée des anciennes méthodes. Il est donc impératif de déconstruire cette idée reçue d’un ‘monde d’après’ pour comprendre que nous sommes en plein dans la transition, et que ceux qui n’ont pas encore commencé à tester les alternatives ont déjà pris un retard considérable.
Au-delà de Chrome : la réalité du marché multi-navigateurs
La première composante de cette réalité est l’écosystème des navigateurs. Le débat se focalise souvent sur Chrome, car il représente la majorité du trafic. Cependant, Safari et Firefox ont bloqué les cookies tiers par défaut depuis des années. À eux deux, ils représentent une part non négligeable du marché. Comme je le précise dans l’épisode, ‘nous avons entre Safari et Firefox pour des raisons techniques à peu près 40 % des inventaires publicitaires qui n’ont plus de cookies sur ces deux navigateurs là’. Cela signifie que près de la moitié de l’inventaire web est, depuis longtemps, inaccessible aux stratégies publicitaires qui dépendent exclusivement du cookie tiers. Ignorer cette part de marché, c’est se priver volontairement d’une audience significative, souvent qualifiée, notamment sur les environnements Apple. Penser ‘cookieless’ uniquement à travers le prisme de Google est une erreur stratégique fondamentale. La problématique est bien plus large et plus ancienne.
Le facteur ‘Consentless’ : quand le consentement redéfinit l’audience
Au blocage technique des navigateurs s’ajoute une couche juridique et comportementale : le consentement. Le RGPD et les évolutions des bannières de consentement (CMP) ont donné aux utilisateurs un pouvoir accru sur leurs données. Une part croissante d’entre eux refuse le dépôt de cookies publicitaires. Cet inventaire, bien que techniquement accessible via Chrome, devient ‘consentless’ et donc inexploitable par les cookies tiers. Je chiffre cet impact supplémentaire de manière très claire : ‘à cela, on ajoute entre 20 et 30 % d’inventaire supplémentaire sans consentement, donc consentless qui sont sur Chrome’. Ce phénomène est majeur. Il signifie que même sur le navigateur de Google, le terrain de jeu du cookie tiers s’est considérablement réduit avant même l’activation de la Privacy Sandbox. La dépendance au consentement crée une nouvelle fragmentation de l’audience, qui oblige les annonceurs à trouver des solutions de ciblage respectueuses de la vie privée et indépendantes du consentement au tracking, comme le contextuel.
La conséquence directe : les alternatives ne sont plus une option
L’arithmétique est simple et brutale. En additionnant l’inventaire de Safari/Firefox (environ 40%) et l’inventaire ‘consentless’ sur Chrome (20-30%), on arrive à une situation où 60 à 70% du web est déjà hors de portée du cookie tiers. Ma conclusion est donc sans appel : ‘Aujourd’hui, on est obligé de se dire que il faut utiliser les alternatives’. Ce n’est plus un choix, ni une préparation pour le futur. C’est une nécessité opérationnelle pour maintenir des campagnes performantes et atteindre une couverture d’audience décente. Continuer à baser sa stratégie média sur une ‘base’ de 30% du marché est non seulement inefficace, mais dangereux pour la pérennité de l’activité. Les alternatives comme la Privacy Sandbox, le ciblage contextuel et les identifiants universels doivent être intégrées dès maintenant dans le mix média, non pas en complément, mais comme des piliers centraux de la stratégie d’acquisition.
Cette prise de conscience est la première étape. Mais si le diagnostic est posé, le remède, lui, est loin de faire l’unanimité. La solution poussée par l’acteur le plus puissant du marché, Google, soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses, et pourrait bien être un cadeau empoisonné pour tout l’écosystème indépendant.
Privacy Sandbox : la fausse bonne idée ? Analyse critique de la solution de Google
Face à la fin programmée du cookie tiers sur son navigateur Chrome, Google ne pouvait rester inactif. L’entreprise a donc développé un ensemble d’API regroupées sous le nom de ‘Privacy Sandbox’, présentées comme la solution d’avenir pour concilier publicité ciblée et respect de la vie privée. Sur le papier, la promesse est séduisante. Mais depuis son lancement en test sur 1% des utilisateurs, les retours du terrain sont pour le moins alarmants. Des acteurs majeurs de l’adtech comme Criteo ou Index Exchange, ainsi que l’autorité de la concurrence britannique (la CMA), ont publié des rapports qui jettent une lumière crue sur les failles du système. Loin d’être la solution équilibrée attendue, la Privacy Sandbox semble être un système immature, complexe et potentiellement dangereux pour la pluralité de l’écosystème publicitaire. Nos propres tests internes chez Weborama confirment cette tendance. Comme je le dis sans détour : ‘la Privacy Sandbox en l’état n’est pas prête à être lancée sur 100 % du marché avec zéro cookieertiaire’.
La latence, ennemi silencieux de la monétisation
Le premier problème, et peut-être le plus concret pour les éditeurs, est celui de la latence. Dans le monde de la publicité programmatique, chaque milliseconde compte. Une enchère doit se dérouler en moins de 50 millisecondes. Or, les tests révèlent des lenteurs catastrophiques. Je cite les chiffres : ‘pour Criteo plus de 100 %, pour Index Exchange plus de 30 % mais néanmoins les latences sont là et on les constate’. Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Une latence élevée, c’est ‘la lenteur d’affichage d’une publicité qui pourrait entraîner des lenteurs d’affichage de la page elle-même’. Pour l’internaute, l’expérience est dégradée. Pour l’éditeur, c’est une double peine. Non seulement le site ralentit, mais surtout, il y a un risque majeur de ‘ne pas pouvoir recevoir la publicité pour l’afficher quand l’internaute est là’. Le résultat est une perte sèche de revenus, avec des espaces publicitaires qui restent vides. Ces pertes, qui peuvent atteindre 30 à 60% selon les études, s’ajoutent à la pression économique déjà immense que subissent les éditeurs. La latence n’est pas un détail technique, c’est un défaut de conception majeur qui menace directement la viabilité économique des créateurs de contenu.
Une gouvernance opaque et un risque de favoritisme
Le second point de friction est encore plus stratégique : la gouvernance. Qui contrôle les règles du jeu ? Pour l’instant, c’est Google, et Google seul. ‘On est en présence d’un acteur qui crée des règles de marché’, et cela pose un conflit d’intérêts évident. Google est à la fois l’opérateur du navigateur dominant (Chrome), le plus grand acteur publicitaire (Google Ads, GAM), et maintenant le créateur de l’infrastructure technique qui régit les enchères. Les chiffres de l’étude Criteo sont éloquents et devraient alarmer tout l’écosystème : ‘avant […] il y a 23 % des impressions publicitaires qui proviennent de Game. Si on intègre la Privacy Sandbox, on passe à 83 % des impressions qui proviennent de Game’. Même si l’on conteste la précision de ces chiffres, le sens de la variation est indéniable. La Privacy Sandbox, en l’état, favorise massivement l’écosystème de Google au détriment de l’Open Web. La question que je pose est fondamentale : ‘Qu’est-ce qui se passe par contre une fois que la CMA a dit oui, que la prévice Sandbox est lancé et qu’il y a plus d’organisme de contrôle ?’. Sans un organisme de gouvernance indépendant, comme le W3C, nous risquons de passer d’un standard ouvert (le cookie) à un système propriétaire contrôlé par un seul acteur hégémonique.
La survie de l’Open Web en jeu
En cumulant ces problèmes de latence, de perte de revenus et de gouvernance, on arrive à une conclusion inéluctable, que je formule avec gravité : ‘On joue aujourd’hui, je pense la survie de l’Open Web’. Ce n’est pas une hyperbole. L’Open Web, c’est cet écosystème diversifié de millions de sites, d’éditeurs, de technologies publicitaires indépendantes qui ont pu se développer grâce à des standards ouverts. La Privacy Sandbox, en centralisant les enchères et les décisions au sein du navigateur, ‘prend la place quasiment d’un SSP’. Elle risque de court-circuiter toute la chaîne de valeur (éditeurs, SSPs) qui s’était optimisée au fil des ans, notamment avec le header bidding. Si les éditeurs perdent massivement en revenus et que les technologies indépendantes ne peuvent plus opérer de manière équitable, la seule issue sera une concentration encore plus forte du marché et un appauvrissement de la diversité des contenus. La question n’est plus seulement technique, elle est politique : quel internet voulons-nous pour demain ? Un internet ouvert et pluriel, ou un internet dominé par quelques plateformes fermées ?
Heureusement, si la solution de Google s’avère être une impasse, l’écosystème n’est pas resté les bras croisés. Des alternatives matures et prometteuses ont émergé, offrant des voies différentes pour naviguer dans ce nouveau monde sans cookies tiers.
Les alternatives concrètes au cookie tiers : un duo prometteur
Face à un constat aussi sombre concernant la Privacy Sandbox, il est légitime de se demander : mais alors, que faire ? La bonne nouvelle est que l’industrie publicitaire n’a pas attendu Google pour innover. Depuis des années, deux grandes familles d’alternatives se développent en parallèle, chacune avec ses forces et ses faiblesses. Il s’agit du ciblage contextuel et des identifiants universels. Ces technologies, qui n’ont pas beaucoup changé dans leurs fondements depuis notre dernière discussion, ont néanmoins ‘un petit peu avancé quand même’. Leur maturation est une excellente nouvelle pour les annonceurs et les éditeurs en quête de solutions pour maintenir leurs performances dans un monde cookieless. L’enjeu aujourd’hui est de comprendre comment les combiner intelligemment pour construire un mix de ciblage résilient et efficace, capable de couvrir l’ensemble des cas d’usage.
Le grand retour du ciblage contextuel, version IA
Le ciblage contextuel n’est pas nouveau, mais la version 2024 n’a plus grand-chose à voir avec ses ancêtres. Historiquement, il s’agissait de cibler des pages contenant certains mots-clés. Aujourd’hui, grâce à l’intelligence artificielle, nous sommes passés à un niveau de sophistication bien supérieur. ‘La sémantique qui était très très en avance en 2020, 2021 a continué à se développer et aujourd’hui arrive aussi l’IA générative’. L’apport de l’IA générative est une véritable révolution. Au lieu de fournir des listes de mots-clés, nous pouvons maintenant décrire des audiences complexes en langage naturel. Je donne un exemple concret : ‘on leur indique carrément des phrases entières en leur disant ‘Je recherche les personnes qui ou les familles avec deux enfants qui ont tendance à acheter plus d’autant de fois tel produit ». À partir de cette instruction, les algorithmes vont identifier les pages web dont le contenu sémantique correspond à cette intention ou à ce profil, avec une finesse inégalée. Le principal avantage du contextuel reste son reach : ‘100 % de la population puisqu’il est sur Safari et sur Firefox et sur Chrome’, et il est par nature respectueux de la vie privée puisqu’il ne cible pas l’utilisateur mais le contenu de la page.
Les identifiants universels : une mosaïque de solutions
La deuxième grande alternative, ce sont les identifiants universels (ou ID uniques). Leur but est de recréer une vision ‘personne’ à travers différents sites et appareils, mais en se basant sur des données déterministes et consenties, comme une adresse e-mail cryptée. Si les acteurs historiques basés sur l’e-mail sont toujours présents, la nouveauté vient de l’émergence de nouvelles sources de données. Je mentionne notamment ‘l’arrivée d’Utique avec les données Telco’ et ‘l’arrivée très très fulgurante de First ID basé sur les First Party cookies’. Cette diversification est une excellente chose. Elle permet de créer un maillage plus complet et de ne pas dépendre d’une seule technologie ou d’un seul type de donnée. Chaque ID a sa propre couverture et ses spécificités, et la stratégie gagnante consistera à travailler avec plusieurs d’entre eux pour maximiser la reconnaissance de l’audience. Les ID continuent de ‘s’étoffer pour représenter une partie importante du marché’, mais leur limite reste leur dépendance au login et au consentement de l’utilisateur.
L’angle mort : qu’en est-il du monde applicatif ?
Cependant, il y a un grand oublié dans tous ces débats : ‘Le monde applicatif dans tout ça il a été un peu laissé de côté’. Alors que toute l’attention se porte sur le web desktop et mobile, l’écosystème des applications natives est dans un flou total. La ‘Privacy Sandbox pour Android qui malheureusement a été mise en stand by, n’a pas été lancée’. On parle maintenant d’un horizon 2026, sans certitude. C’est extrêmement préoccupant quand on sait que pour de nombreux éditeurs, les applications représentent ‘jusqu’à 50-60 % de leurs inventaires’. Ce décalage crée une situation complexe où les stratégies devront être différenciées entre le web et le in-app, ajoutant une couche de complexité pour les annonceurs. C’est un point de vigilance majeur pour les mois et années à venir, car les répercussions sur la monétisation des applications n’ont pas encore été mesurées.
Disposer de solutions de ciblage est une chose, mais la publicité digitale ne se résume pas à toucher une audience. Son véritable pouvoir réside dans sa capacité à mesurer l’impact de chaque action. Et c’est sur ce terrain, celui de la mesure, que la fin du cookie tiers représente le défi le plus immense et le plus complexe à relever.
Repenser la mesure : le défi ultime du marketing post-cookie
Si la question du ciblage mobilise beaucoup d’énergie, elle n’est que la partie émergée de l’iceberg. Le véritable séisme provoqué par la fin du cookie tiers se situe au niveau de la mesure de la performance. C’est un sujet dont on parle moins, mais qui est ‘encore plus importante et encore plus impactée que le ciblage’. Pourquoi ? Parce que le cookie tiers était la clé de voûte de tous nos modèles d’attribution, nous habituant à un suivi unifié et quasi-instantané du parcours utilisateur, de l’exposition publicitaire à la conversion finale. Cet univers de certitudes, bien qu’imparfait, est en train de voler en éclats. Les solutions de mesure alternatives existent, mais elles sont moins évidentes, moins directes, et surtout, elles nous obligent à repenser fondamentalement nos attentes et nos indicateurs de performance. Nous entrons dans une ère de mesure plus probabiliste, plus agrégée, et cela demande un changement culturel profond chez les annonceurs.
L’adieu à l’illusion du suivi en temps réel
Le cookie tiers nous a mal habitués. Il a créé l’illusion que l’on pouvait tout traquer, tout le temps, et prendre des décisions à la micro-seconde. Je suis convaincue que cette époque est révolue. ‘Il ne sera plus possible d’aller chercher le coût d’acquisition à la seconde, à la minute, le coup par lead, le coup par vente’. Cette granularité extrême et ce temps réel que nous tenions pour acquis ne seront plus possibles dans un monde fragmenté entre des données agrégées (Privacy Sandbox), des données partielles (ID uniques) et une absence de données utilisateur (contextuel). Tenter de répliquer à l’identique les anciens tableaux de bord est une voie sans issue. Il faut accepter de perdre cette vision au niveau de l’utilisateur individuel pour adopter une approche plus macroscopique et stratégique. ‘Je suis persuadé qu’on aura plus ce temps réel qu’on a aujourd’hui avec les cookies tiers’.
Vers de nouveaux KPI et des modèles de pilotage revisités
La question qui en découle est donc : comment piloter nos campagnes demain ? La réponse se trouve probablement dans une combinaison d’approches. D’une part, le grand retour de modèles statistiques comme le Marketing Mix Modeling (MMM), qui analyse les corrélations entre les investissements médias et les résultats business. Mais un MMM nouvelle génération, plus agile, permettant ‘de prendre des décisions non plus une fois ou deux fois par an mais tous les mois’. D’autre part, il faut inventer ce que j’appelle ‘les KPI du futur’. Nous devons apprendre à travailler avec des signaux de performance différents, à corréler des données hétérogènes et à accepter une part d’incertitude. Cela implique de travailler main dans la main avec les clients, comme nous le faisons chez Weborama, pour ‘entrevoir aussi qu’on peut faire sans cookieertiaire même pour la mesure’. Ce travail de co-construction est essentiel pour adapter les objectifs et les méthodes de pilotage à cette nouvelle réalité technique.
L’attrait grandissant du Retail Media et des Walled Gardens
Cette complexité et cette incertitude sur l’Open Web ont un effet mécanique : elles renforcent l’attrait des écosystèmes fermés. Le ‘Retail Media’ et les ‘Walled Gardens’ comme Amazon ou Google Search deviennent des refuges pour les annonceurs. Pourquoi ? Parce que ‘ce sont des univers sans cookies’ qui reposent sur leurs propres données first-party. Ils offrent une promesse de ciblage précis et, surtout, de mesure en boucle fermée (‘closed-loop measurement’) où l’on peut directement relier l’exposition publicitaire à l’acte d’achat. ‘L’avantage de ces univers là, c’est qu’on a de la donnée qui n’a jamais dépendu du cookie’. Je pense que ce ‘shift’ des investissements vers ces plateformes, déjà bien entamé, ‘risque d’être encore plus prononcé, je pense en 2025’. C’est une menace directe pour l’Open Web, qui risque de se voir privé d’une part croissante des budgets publicitaires si l’écosystème ne parvient pas à proposer une solution de mesure crédible et standardisée.
Conclusion : Agir maintenant pour un avenir ouvert
Le tableau peut sembler sombre, et à bien des égards, il l’est. Nous sommes à un point d’inflexion critique pour l’avenir de la publicité digitale. La fin du cookie tiers n’est pas une simple mise à jour technique ; c’est une refonte complète des règles du jeu qui met en péril l’équilibre fragile de l’Open Web. La solution proposée par Google, la Privacy Sandbox, semble pour l’instant être une impasse technique et une menace stratégique, favorisant la centralisation au détriment de la diversité.
Pourtant, le défaitisme n’est pas de mise. Des alternatives solides existent et continuent de se perfectionner. Le ciblage contextuel, boosté à l’IA, offre une solution universelle et respectueuse de la vie privée. Les identifiants universels, dans leur diversité, permettent de reconstruire une partie de la vision ‘utilisateur’ de manière consentie. Le plus grand chantier reste celui de la mesure, qui nous oblige à abandonner nos vieilles habitudes pour inventer de nouveaux indicateurs et de nouvelles méthodes de pilotage.
L’heure n’est plus aux tests timides, mais à l’action audacieuse. J’encourage vivement chaque annonceur, chaque agence, à ‘mettre les mains un petit peu dans le cambouis’. Il est impératif de construire dès aujourd’hui votre propre ‘mix’ cookieless, en combinant ces différentes approches pour répondre à vos objectifs. Pour cela, des ressources existent, comme les excellents panoramas sur le ciblage et la mesure publiés par l’Alliance Digitale, qui sont conçus comme des guides pratiques pour passer de la théorie à l’action. L’écosystème publicitaire a déjà prouvé sa résilience par le passé. Rappelons-nous de l’email, que l’on annonçait mort chaque année et qui a su se réinventer pour devenir plus respectueux et toujours aussi performant. L’enjeu est de taille, mais en agissant collectivement et en faisant les bons choix technologiques et stratégiques, nous pouvons construire un monde post-cookie qui soit non seulement viable, mais peut-être même meilleur : plus transparent, plus respectueux et tout aussi efficace.
FAQ : Vos questions sur l’ère Cookieless
Pourquoi dit-on que l’ère cookieless a déjà commencé en 2024 ?
Parler de la fin des cookies comme d’un événement futur est une erreur. La réalité est que la majorité de l’inventaire publicitaire est déjà inaccessible via les cookies tiers. Cela est dû à deux facteurs principaux. D’abord, des navigateurs comme Safari et Firefox bloquent ces cookies depuis des années. Ensuite, sur Chrome, une part importante des utilisateurs ne donne pas son consentement pour le suivi publicitaire. En combinant ces deux phénomènes, on arrive à une situation où seule une minorité du web est encore adressable de manière traditionnelle.
‘Si on fait bien le compte, il ne reste entre 30 et maximum 40 % d’inventaires publicitaires qu’on peut encore toucher avec un cookietier. […] Aujourd’hui, on est obligé de se dire que il faut utiliser les alternatives.’
Quels sont les principaux reproches faits à la Privacy Sandbox de Google ?
Les critiques sont nombreuses et proviennent d’acteurs variés, de la CMA britannique à des entreprises comme Criteo. Le premier problème est technique : la latence. Le système ralentit l’affichage des publicités, ce qui dégrade l’expérience utilisateur et cause des pertes de revenus directes pour les éditeurs, estimées entre 30% et 60%. Le second problème est la gouvernance : Google est juge et partie, créant les règles d’un marché sur lequel il est l’acteur dominant, ce qui engendre un risque de favoritisme pour ses propres solutions publicitaires.
‘La Privacy Sandbox en l’état n’est pas prête à être lancée sur 100 % du marché avec zéro cookieertiaire. […] Les plus gros reproches […] c’est les latences.’
Concrètement, comment le ciblage contextuel a-t-il évolué avec l’IA ?
Le ciblage contextuel a dépassé le simple appariement de mots-clés. L’intégration de l’analyse sémantique et, plus récemment, de l’IA générative, a radicalement augmenté sa précision. Au lieu de cibler des mots, les algorithmes comprennent le sens, le sentiment et les concepts d’une page. On peut désormais leur donner des instructions complexes en langage naturel, comme ‘trouver des pages consultées par des familles avec deux enfants qui prévoient des vacances au ski’. Cela permet un ciblage d’audience beaucoup plus fin, sans jamais utiliser de données personnelles.
‘Maintenant au lieu d’indiquer aux algorithmes des des expressions ou des mots clés, on leur indique carrément des phrases entières en leur disant ‘Je recherche les personnes qui ou les familles avec deux enfants qui ont tendance à acheter plus d’autant de fois tel produit. »
Qu’est-ce qu’un identifiant universel et quels sont les nouveaux acteurs ?
Un identifiant universel est une alternative au cookie tiers qui permet de reconnaître un utilisateur sur différents sites web, généralement à partir d’une information consentie comme une adresse e-mail cryptée. Aux côtés des acteurs historiques basés sur l’e-mail, de nouvelles solutions émergent pour enrichir l’écosystème. On voit par exemple l’arrivée d’identifiants basés sur les données des opérateurs télécom (Utique) ou sur les cookies first-party (First ID), qui sont déposés par le site que l’utilisateur visite directement. Cette diversification permet d’augmenter la couverture globale de l’audience identifiable.
‘Aujourd’hui on a l’arrivée d’Utique avec les données Telco, l’arrivée très très fulgurante de First ID basé sur les First Party cookies et donc en fait, les ID continuent de s’étoffer pour représenter une partie importante du marché.’
Quel est le plus grand impact de la fin des cookies : le ciblage ou la mesure ?
Bien que le ciblage soit très affecté, l’impact sur la mesure de la performance est encore plus profond et complexe. Le cookie tiers était le fondement de la plupart des modèles d’attribution, permettant de suivre un utilisateur de l’impression publicitaire à la conversion. Sans lui, cette vision unifiée et granulaire disparaît. Les solutions pour la mesure sont moins évidentes que pour le ciblage, car elles exigent de passer d’un modèle de suivi individuel en temps réel à des modèles statistiques et agrégés, ce qui représente un changement de paradigme majeur pour les annonceurs.
‘La mesure on n’en a pas parlé mais elle est encore plus importante et encore plus impactée que le ciblage. Parce que sur la mesure déjà on a très peu de tests et les solutions sont pas aussi évidentes que sur le ciblage.’
Comment les annonceurs doivent-ils adapter leurs indicateurs de performance (KPI) ?
Les annonceurs doivent faire le deuil de certains KPI ultra-granulaires et en temps réel, comme le coût d’acquisition à la minute. L’avenir de la mesure réside dans une approche hybride. Il faudra probablement s’appuyer davantage sur des modèles macro comme le Marketing Mix Modeling (MMM) pour des analyses stratégiques, mais en les rendant plus agiles (analyses mensuelles plutôt qu’annuelles). Il s’agira aussi de définir de nouveaux KPI adaptés à cette réalité fragmentée, en apprenant à corréler des données de sources différentes (agrégées, probabilistes, contextuelles) pour prendre des décisions éclairées.
‘Il va falloir réfléchir à comment adapter nos KPI à cette situation là. Il ne sera plus possible d’aller chercher le coût d’acquisition à la seconde, à la minute, le coup par lead, le coup par vente.’
La fin des cookies tiers menace-t-elle l’existence de l’Open Web ?
Oui, la menace est réelle et sérieuse. L’Open Web est l’écosystème diversifié de millions d’éditeurs et de technologies indépendantes qui dépendent de standards ouverts pour opérer. Si la solution qui remplace le cookie est un système propriétaire, centralisé et opaque comme la Privacy Sandbox, qui favorise massivement l’écosystème de son créateur (Google), cela pourrait entraîner une chute drastique des revenus des éditeurs indépendants et rendre les technologies concurrentes obsolètes. Cela accélérerait la concentration du marché publicitaire entre quelques acteurs dominants, appauvrissant la diversité du web.
‘On joue aujourd’hui, je pense la survie de l’Open Web. Il faut qu’on en soit conscient. On vit, on joue la survie de l’Open Web tel qu’on le connaît aujourd’hui et la question c’est est-ce qu’il va continuer à exister demain ?’
Que se passe-t-il pour le monde des applications mobiles dans ce contexte cookieless ?
Le monde des applications mobiles est le grand oublié de cette transition. Alors que l’attention est focalisée sur le web, la solution équivalente pour Android, ‘Privacy Sandbox for Android’, a été mise en pause par Google et ne devrait pas voir le jour avant 2026, au plus tôt. Cela crée une incertitude majeure pour les nombreux éditeurs dont une part importante de l’inventaire et des revenus provient de leurs applications. Ils se retrouvent dans un flou stratégique, sans visibilité sur les futures règles techniques et de monétisation pour cet environnement crucial.
‘Le monde applicatif dans tout ça il a été un peu laissé de côté. […] On a Privacy Sandbox pour Android qui malheureusement a été mise en stand by, n’a pas été lancée […] on parle plutôt de Android en 2026.’




