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#99 > CookieLess > La fin des cookies ? Vraiment ? Parce que cela fait des années qu’on en parle

Épisode diffusé le 15 juillet 2024 par Bannouze : Le podcast du marketing digital !

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Introduction : L’année du cookieless, encore une fois… mais cette fois, c’est la bonne

Dans le monde du marketing digital, nous avons nos marronniers, ces blagues récurrentes qui finissent par devenir des vérités. Pendant des années, la phrase consacrée était : ‘cette année, c’est l’année du mobile’. Une prophétie auto-réalisatrice qui a fini par s’effacer devant l’évidence. Aujourd’hui, un nouveau refrain a pris le relais, plus technique, plus anxiogène aussi : ‘cette année, c’est l’année de la fin du cookie’. Et si, pour la première fois, cette affirmation n’était plus une prédiction lointaine mais une réalité tangible et immédiate ? L’échéance, sans cesse repoussée par Google, est désormais fixée à début 2025. Mais se focaliser sur cette date serait une grave erreur stratégique. Car le monde ‘cookieless’ n’est pas à nos portes ; nous avons déjà un pied, voire les deux, dedans.

La disparition programmée du cookie tiers, ce petit fichier texte qui a été la colonne vertébrale de la publicité digitale pendant deux décennies, n’est pas un simple changement technique. C’est un séisme qui redessine l’ensemble de notre écosystème. Il remet en question la manière dont nous ciblons, dont nous mesurons, dont nous attribuons la valeur, et finalement, dont nous justifions nos investissements. Face à ce vide, une solution portée par le géant Google a émergé : la Privacy Sandbox. Présentée comme un havre de confidentialité pour l’utilisateur, elle suscite pourtant une vague de critiques et d’inquiétudes sans précédent chez les acteurs indépendants du marché. Entre promesses technologiques et craintes de monopole, où se situe la vérité ?

Pour naviguer dans ces eaux troubles, j’ai le plaisir de recevoir Margarita Zlatkova, Directrice Data et Programmatique chez Weborama. Son expertise nous est précieuse pour faire le point sur l’actualité brûlante de ce début d’été 2024, une période charnière marquée par la publication de rapports critiques qui jettent une lumière crue sur les failles de la Privacy Sandbox. Ensemble, nous allons décortiquer l’état réel du marché, analyser les alternatives viables qui se dessinent, et nous poser la question fondamentale : la fin du cookie signe-t-elle la fin de l’Open Web tel que nous le connaissons ? Préparez-vous, car la révolution a déjà commencé.

L’ère Cookieless est déjà là : un état des lieux chiffré en 2024

L’une des plus grandes idées reçues concernant la transition vers le cookieless est de la percevoir comme un événement futur, un ‘big bang’ qui aura lieu début 2025 avec la décision finale de Chrome. La réalité, comme le démontre Margarita Zlatkova avec des chiffres sans appel, est tout autre. Nous ne nous préparons pas à l’ère cookieless, nous y sommes déjà profondément immergés. Il est crucial de comprendre l’ampleur du phénomène aujourd’hui pour mesurer l’urgence d’agir.

Historiquement, l’industrie publicitaire s’est construite sur ce fameux cookie tiers. Mais cette fondation s’érode depuis des années. Apple, avec Safari et son système ITP (Intelligent Tracking Prevention), puis Mozilla avec Firefox, ont été les pionniers en bloquant par défaut ces traceurs. Ces décisions, prises au nom de la protection de la vie privée des utilisateurs, ont déjà retiré une part significative du gâteau. Comme le précise Margarita : ‘Aujourd’hui, nous avons entre Safari et Firefox pour des raisons techniques à peu près 40 % des inventaires publicitaires qui n’ont plus de cookies sur ces deux navigateurs là’. C’est une base colossale, près de la moitié du web, qui fonctionne déjà sans l’outil de suivi qui a longtemps été la norme.

Mais ce n’est que la partie visible de l’iceberg. À ces 40 % s’ajoute une autre part, plus subtile mais tout aussi importante, qui provient du navigateur dominant, Chrome lui-même. Il s’agit des inventaires ‘contentless’, c’est-à-dire les situations où l’utilisateur n’a pas donné son consentement au suivi via les bannières CMP (Consent Management Platform). Sans ce consentement, même si le navigateur supporte techniquement le cookie, il ne peut légalement être utilisé. Margarita estime cette part additionnelle entre 20 et 30 %. Le calcul est rapide et le résultat, saisissant. ‘Si on fait bien le compte, il nous reste entre 30 et maximum 40 % d’inventaire publicitaire qu’on peut encore toucher avec un cookitier.’ Nous sommes passés d’un monde où le cookie était omniprésent à un monde où il est devenu minoritaire. Il y a quelques années à peine, nous pouvions encore compter sur 50 à 60% d’inventaire ‘cookisé’, ce qui permettait de maintenir les anciennes méthodes. Aujourd’hui, cette base est trop faible pour soutenir une stratégie publicitaire viable. L’ère de la transition est terminée ; l’obligation d’utiliser des alternatives n’est plus une option, c’est une nécessité opérationnelle immédiate.

Les 3 piliers de l’alternative au cookie tiers : Panorama des solutions

Face à cet effondrement de l’inventaire adressable via les cookies tiers, l’écosystème a dû innover à marche forcée. Trois grandes familles de solutions ont émergé, chacune avec sa propre philosophie, ses avantages et ses inconvénients. Il ne s’agit pas de trouver une solution unique qui remplacerait le cookie, mais plutôt de construire un ‘mix’ intelligent, une combinaison de ces approches pour couvrir l’ensemble des cas d’usage. Margarita Zlatkova nous en dresse un panorama clair, montrant que si les concepts de base n’ont pas changé, les technologies, elles, ont considérablement mûri.

Le ciblage contextuel nouvelle génération : quand l’IA générative change la donne

Le ciblage contextuel est la plus ancienne des méthodes publicitaires. À son niveau le plus simple, il s’agit de placer une publicité pour des voitures sur une page qui parle d’automobiles. Simple, logique, et parfaitement respectueux de la vie privée puisqu’il s’intéresse au contenu de la page et non à l’identité de l’utilisateur. Longtemps considéré comme basique, il a connu une véritable renaissance grâce aux avancées de l’intelligence artificielle. La première vague fut celle de l’analyse sémantique, qui permettait de comprendre non seulement les mots-clés, mais aussi le sens, le ton et le sentiment d’un article. On pouvait ainsi éviter de placer une publicité pour une compagnie aérienne à côté d’un article sur un crash d’avion.

Aujourd’hui, nous entrons dans une nouvelle ère, celle de l’IA générative. Cette technologie décuple la puissance et la granularité du ciblage contextuel. Comme l’explique brillamment Margarita, le changement de paradigme est total.

‘Maintenant au lieu d’indiquer aux algorithmes des des expressions ou des mots clés, on leur indique carrément des phrases entières en leur disant : ‘Je recherche les personnes qui ou les familles avec deux enfants qui ont tendance à acheter plus d’autant de fois tel produit. »

À partir de cette instruction en langage naturel, l’algorithme ne cherche plus de simples mots, mais des contextes de lecture, des schémas de pensée, des intentions probables qui correspondent à ce profil. C’est une avancée spectaculaire. Le gros avantage de cette approche reste son reach potentiel de 100%, car elle fonctionne sur tous les navigateurs, avec ou sans consentement. Elle allie désormais la puissance de la couverture à une précision qui commence à rivaliser avec les méthodes basées sur l’utilisateur.

Les identifiants universels : une mosaïque de solutions pour réconcilier les données

À l’opposé du contextuel, les identifiants universels (ou ID uniques) cherchent à recréer un suivi déterministe de l’utilisateur, mais sans passer par le cookie tiers. L’idée est de s’appuyer sur une information stable et consentie, fournie par l’internaute, pour le reconnaître d’un site à l’autre. Les premières solutions historiques se basaient sur l’adresse e-mail (hachée et anonymisée) que l’utilisateur renseigne en se connectant à différents sites.

Mais l’écosystème des ID s’est considérablement enrichi. Margarita souligne l’arrivée de nouveaux acteurs qui élargissent le champ des possibles. On voit par exemple émerger des solutions comme ‘Ttic avec les données Telco’, qui s’appuient sur les identifiants fournis par les opérateurs de télécommunication, offrant une base de données potentiellement massive et fiable. Une autre innovation marquante est ‘l’arrivée très très fulgurante de First ID basé sur les first party cookie’. Ici, la technologie utilise les cookies que le site que vous visitez dépose lui-même (les ‘bons’ cookies) pour créer un identifiant qui peut ensuite être partagé de manière sécurisée et anonyme avec d’autres partenaires de l’écosystème. Le grand avantage des ID est leur précision, car ils reposent sur une identification réelle. Leur principal défi reste la couverture : pour qu’ils fonctionnent, il faut que l’utilisateur soit connecté et que les sites et les technologies publicitaires aient adopté la même solution d’ID. On est donc face à une fragmentation, une mosaïque d’identifiants qui, ensemble, peuvent représenter ‘une partie importante du marché’.

La Privacy Sandbox de Google : la promesse controversée d’un web plus privé

Le troisième pilier est le plus important et le plus polémique : la Privacy Sandbox. C’est la solution officielle proposée par Google pour remplacer le cookie tiers au sein de son navigateur Chrome. L’idée fondamentale est de déplacer le traitement des données utilisateur du cloud vers le navigateur lui-même (‘on-device’). Plutôt que de suivre un individu, le navigateur l’assigne à des cohortes ou groupes d’intérêt (‘Topics API’) et gère les enchères publicitaires dans un environnement protégé (‘Protected Audience API’). Sur le papier, la promesse est séduisante : de la publicité ciblée sans que les données personnelles de l’utilisateur ne quittent jamais son appareil.

La grande nouveauté, comme le rappelle Margarita, c’est que nous ne sommes plus dans la théorie.

‘La Privacy Sandbox a été officiellement lancée et donc maintenant on n’est plus dans des tests en préprod sur des serveurs Google, on est sur de la vraie vie sur 1 % des utilisateurs uniquement mais ils ont réellement implémenté la Privacy Sandbox.’

Ce passage à la réalité a permis à tout l’écosystème de tester la solution en conditions réelles. Et c’est là que les problèmes ont commencé à apparaître, transformant la promesse d’un web plus privé en un véritable casse-tête pour les acteurs de l’Open Web.

Privacy Sandbox : Fausse bonne idée ? Les critiques qui ébranlent l’écosystème

Le passage de la théorie à la pratique pour la Privacy Sandbox a été un véritable électrochoc. Loin d’être accueillie comme la solution miracle, elle fait l’objet de critiques virulentes de la part d’acteurs majeurs du marché, de régulateurs et d’experts. Plusieurs rapports publiés mi-2024, notamment par Criteo et Index Exchange, ainsi que le suivi attentif de la CMA (l’autorité de la concurrence britannique), dressent un portrait très inquiétant de la situation. Margarita Zlatkova, dont les tests internes chez Weborama corroborent ces conclusions, est formelle : ‘la Privacy Sandbox en l’état n’est pas prête à être lancé sur 100 % du marché avec zéro cookitier’. Trois griefs majeurs se détachent : la latence, la gouvernance et l’impact financier.

La latence, le tueur silencieux de la performance et des revenus des éditeurs

Le point le plus technique est aussi le plus dévastateur : la latence. Dans le monde de la publicité programmatique, chaque milliseconde compte. Une enchère publicitaire complète doit se dérouler en moins de 50 millisecondes. Or, les tests sur la Privacy Sandbox révèlent des lenteurs catastrophiques. Margarita résume les chiffres qui font froid dans le dos : ‘pour Criteo plus de 100 %, pour Index Exchange plus de 30 % mais néanmoins les latences sont là et on les constate’. Une augmentation de 100% du temps de réponse est tout simplement inacceptable dans cet univers.

Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Comme l’explique Margarita de façon très pédagogique, la latence, c’est ‘la lenteur d’affichage d’une publicité qui pourrait entraîner des lenteurs d’affichage de la page elle-même’. Pour l’internaute, l’expérience est désastreuse : une page qui met du temps à charger, qui saccade. Pour l’éditeur du site, la conséquence est une perte de revenus directe. Si la publicité met trop de temps à arriver, l’espace publicitaire n’est pas rempli, l’internaute a déjà scrollé plus bas ou a quitté la page. C’est une impression publicitaire perdue, et donc de l’argent qui ne rentre pas. Pour un écosystème d’éditeurs déjà fragilisé, ces ‘trous dans la raquette’ peuvent être fatals.

Gouvernance et favoritisme : quand Google devient juge et partie

Le second problème est structurel et peut-être encore plus grave. Il concerne la gouvernance de ce nouvel écosystème. Qui fixe les règles ? Qui contrôle ? Pour l’instant, la réponse est simple : Google. La CMA britannique supervise le projet de près, mais que se passera-t-il une fois le déploiement validé ? Margarita pose la question qui hante tout le marché :

‘On est en présence d’un acteur qui crée des règles de marché. Donc à quel point effectivement le favoritisme ici peut être géré et surtout sur le long terme ?’

Les craintes ne sont pas théoriques. Une statistique, révélée par Criteo et citée dans l’épisode, illustre parfaitement le risque. Dans un processus d’enchère classique, GAM (Google Ad Manager), l’outil de Google, représente environ 23% des impressions. Lorsque la Privacy Sandbox est activée, ce chiffre bondit à 83%. Même si Google conteste la précision de ces chiffres, l’ampleur du décalage suggère un favoritisme systémique. Google, via Chrome, prendrait une place centrale dans la décision d’enchère, empiétant sur le rôle des SSP (les plateformes qui aident les éditeurs à vendre leurs espaces). C’est toute la chaîne de valeur, qui commençait à être ‘bien rodée’, qui est remise en cause. Le risque est de voir Google renforcer sa position dominante, au détriment de la concurrence et de la diversité de l’écosystème.

L’impact financier direct : une chute de revenus de 30 à 60% pour les éditeurs

La conséquence directe de ces problèmes techniques et de gouvernance est une perte de revenus massive pour les éditeurs, ceux qui créent le contenu que nous consommons tous les jours. Les études sont formelles : ‘entre 30 et 60 %’ selon les sources citées par Margarita. 30% chez Index Exchange, jusqu’à 60% chez Criteo. C’est énorme. Cette chute s’explique par la combinaison de plusieurs facteurs : la moindre précision du ciblage dans la Sandbox fait baisser la valeur des enchères, et la latence fait perdre des opportunités d’affichage. Les éditeurs se retrouvent doublement pénalisés.

Cette situation met en péril l’équilibre économique de milliers de sites d’information, de blogs, de forums, de médias indépendants qui constituent la richesse de l’Open Web. Face à un système qui semble les appauvrir, le risque est de voir ces acteurs disparaître ou être contraints de rejoindre les ‘Walled Gardens’ (les écosystèmes fermés comme Facebook ou Amazon). C’est pourquoi la conclusion de Margarita est si forte et si juste :

‘On joue aujourd’hui je pense la survie de l’Open Web tel qu’on le connaît aujourd’hui et la question c’est est-ce qu’il va continuer à exister demain.’

Au-delà du web desktop : les oubliés de la révolution cookieless

La discussion autour de la fin des cookies se concentre très souvent sur le web ‘classique’, celui que l’on consulte depuis un ordinateur. Pourtant, une part massive et croissante des usages se fait ailleurs, notamment sur mobile et au sein des applications. Or, ces environnements sont les grands oubliés des débats actuels, ce qui crée des angles morts stratégiques majeurs pour les annonceurs et les éditeurs.

Le monde applicatif en suspens : un angle mort stratégique

Le monde applicatif possède son propre système de suivi, distinct du cookie web. Sur Android, il s’agit du GAID (Google Advertising ID). Google avait bien prévu une déclinaison de sa Privacy Sandbox pour cet univers, la ‘Privacy Sandbox pour Android’. Mais comme le souligne Margarita, le projet a été ‘mise en standby, n’a pas été lancé, n’a pas été développé jusqu’au bout’. La nouvelle échéance est désormais fixée à 2026, au plus tôt. Cela crée une situation paradoxale et périlleuse. Alors que le marché se démène pour trouver des solutions pour le web, tout un pan de l’écosystème, qui représente pour certains éditeurs ‘jusqu’à 50, 60 % de leurs inventaires’, reste dans un flou total. Les annonceurs qui investissent massivement dans la publicité ‘in-app’ naviguent à vue, sans connaître les règles qui s’appliqueront dans un futur proche. Cette incertitude ralentit l’innovation et la capacité à construire des stratégies cross-canal cohérentes pour l’ère post-identifiants.

Le grand exode vers les Walled Gardens et le Retail Media

Face à la complexité, à l’incertitude et aux performances décevantes des solutions proposées sur l’Open Web, les annonceurs se tournent logiquement vers des environnements qui leur offrent plus de sécurité et de simplicité. C’est ce qui explique l’essor fulgurant des ‘Walled Gardens’ et du Retail Media. Des plateformes comme Amazon, ou des services de CTV (Connected TV), possèdent un avantage considérable : ils sont des univers ‘first-party’ par nature. Ils n’ont jamais dépendu du cookie tiers pour fonctionner. Ils collectent directement les données de leurs utilisateurs (historique d’achat, de visionnage, etc.) dans un environnement fermé et contrôlé. Margarita le confirme : les annonceurs ‘vont dans des endroits first party. (…) Ils se prennent pas la tête’.

Cet exode des budgets publicitaires de l’Open Web vers ces jardins fermés est une tendance de fond qui risque de s’accélérer en 2025. Pour un annonceur, l’avantage est clair : un accès à des données déterministes et de haute qualité. Le risque, pour l’écosystème, est un appauvrissement de l’Open Web, qui perdrait les investissements nécessaires à sa survie et à sa diversité. Même si, comme le note Margarita, le problème de la mesure globale et cross-canal reste entier même dans ces univers, l’attrait de la simplicité est puissant.

Réinventer la mesure : vers de nouveaux KPI pour une performance durable

Si le ciblage est la face la plus visible de la révolution cookieless, la mesure de la performance en est la face cachée, encore plus complexe et impactante. Le cookie tiers nous a habitués à une illusion de précision absolue : un suivi de l’utilisateur de l’impression publicitaire jusqu’à la conversion, permettant de calculer des coûts d’acquisition et des ROAS (Return On Ad Spend) à la seconde près. Ce monde est en train de disparaître. L’avenir de la mesure sera un composite de données agrégées, d’identifiants partiels et de contextes sans information sur l’utilisateur. Il faut donc repenser en profondeur non seulement les outils, mais aussi les indicateurs de performance (KPI) eux-mêmes.

Margarita est catégorique sur ce point : nous devons faire le deuil du temps réel.

‘Je suis persuadée qu’on n’aura plus ce temps réel qu’on a aujourd’hui avec les cookitier et qu’il va falloir réfléchir à comment adopter nos KPI à cette situation là.’

Concrètement, cela signifie qu’il ‘ne sera plus possible d’aller chercher le coût d’acquisition à la seconde à la minute, le coût par lead, le coût par vente’. Ce changement est une véritable révolution copernicienne pour des équipes marketing optimisées depuis des années sur ces métriques granulaires.

Alors, vers quoi se tourner ? La première piste est le retour en grâce de modèles statistiques comme le MMM (Marketing Mix Modeling). Ces approches, qui existaient bien avant le digital, analysent les corrélations entre les investissements sur différents canaux et les ventes globales, sans suivi individuel. L’enjeu sera de les moderniser pour les rendre plus agiles, afin de ‘prendre les décisions non plus une fois ou deux fois par an mais tous les mois’. La seconde piste est l’invention de nouveaux KPI. Il faudra peut-être se concentrer davantage sur des mesures de ‘brand lift’, d’incrémentalité (quelles ventes ont été réellement générées par la publicité ?), ou d’analyse de cohortes. La mesure deviendra moins chirurgicale mais potentiellement plus stratégique, en forçant les annonceurs à réfléchir à l’impact global de leurs actions plutôt qu’à l’optimisation micro d’une conversion isolée.

Conclusion : Agir maintenant pour construire le web de demain

Au terme de cette discussion éclairante, une certitude émerge : l’attentisme n’est plus une option. La fin du cookie tiers n’est pas un lointain problème technique, c’est une transformation structurelle de notre industrie qui se déroule sous nos yeux. Nous avons vu que plus de la moitié du web fonctionne déjà sans, et que la solution proposée par Google, la Privacy Sandbox, est loin d’être la panacée. Entre latences handicapantes, gouvernance opaque et menaces sur les revenus des créateurs de contenu, elle soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses, mettant en péril la survie même d’un Open Web diversifié et compétitif.

Pourtant, le tableau n’est pas entièrement noir. Des alternatives crédibles et innovantes existent et continuent de mûrir. Le ciblage contextuel, dopé à l’intelligence artificielle, offre une combinaison inédite de portée et de précision, tout en étant vertueux par nature sur le plan de la vie privée. La galaxie des identifiants universels, bien que fragmentée, permet de recréer des liens déterministes sur une portion significative du marché. La clé du succès ne résidera pas dans une seule de ces technologies, mais dans la capacité des annonceurs et de leurs agences à construire leur propre ‘mix’ stratégique, un cocktail sur-mesure combinant ces différentes approches pour répondre à leurs objectifs.

L’appel à l’action est donc clair. Il est impératif, comme le suggère Margarita, de ‘mettre les mains un petit peu dans le cambouis’. Cela signifie tester activement ces nouvelles solutions, se former, lire les études publiées par les organisations professionnelles comme l’Alliance Digitale, et surtout, poser les bonnes questions à ses partenaires technologiques. C’est en devenant des acteurs éclairés et exigeants que les annonceurs pourront non seulement assurer la performance de leurs propres campagnes, mais aussi contribuer à façonner un écosystème publicitaire plus équilibré, plus respectueux et, finalement, plus durable pour tous. L’avenir du web se joue maintenant.


Questions fréquentes sur l’ère Cookieless

Qu’est-ce que la fin des cookies tiers concrètement pour l’internaute ?

Pour l’internaute, la fin des cookies tiers signifie principalement moins de suivi publicitaire entre les différents sites web. Concrètement, vous devriez voir moins de publicités pour un produit que vous venez de consulter sur un site A vous ‘suivre’ sur un site B, C ou D. Cela vise à renforcer la confidentialité en limitant la capacité des entreprises tierces à construire un profil détaillé de vos habitudes de navigation sur l’ensemble du web. Cependant, cela ne signifie pas la fin de la publicité. Vous continuerez à voir des annonces, mais elles seront potentiellement basées sur le contexte de la page que vous visitez (publicité contextuelle) ou sur les données que vous avez directement fournies au site en question (publicité ‘first-party’).

‘Il était entre guillemets gratuit disponible pour tout le monde. C’était pas son rôle mais il faisait le job. Il faisait le job et surtout en fait il était accessible technologiquement parlant à tout le marché.’

La Privacy Sandbox de Google est-elle la seule solution pour remplacer les cookies ?

Non, absolument pas. La Privacy Sandbox est la solution que Google pousse pour son navigateur Chrome, mais c’est l’une des trois grandes familles d’alternatives. Les deux autres sont le ciblage contextuel, qui analyse le contenu des pages web sans suivre les utilisateurs, et les identifiants universels, qui cherchent à reconnaître un utilisateur via une information consentie comme une adresse e-mail. Le marché s’oriente vers une combinaison de ces solutions plutôt que vers un remplacement unique du cookie. Chaque approche a ses forces, et les annonceurs devront apprendre à les utiliser ensemble pour atteindre leurs objectifs.

‘Aujourd’hui, on est obligé de se dire que il faut utiliser les alternatives. elles, elles n’ont pas beaucoup changé. On est toujours sur la Privacy Sandbox, le contextuel et et les identifiant universels. Les technologies ont un petit peu avancé quand même.’

Pourquoi les éditeurs de sites web risquent-ils de perdre de l’argent avec la Privacy Sandbox ?

Les éditeurs risquent de perdre des revenus pour deux raisons principales liées aux faiblesses actuelles de la Privacy Sandbox. Premièrement, la latence : la technologie de la Sandbox ralentit le processus d’enchères publicitaires. Une publicité qui arrive trop lentement est une publicité qui n’est pas affichée, et donc une perte sèche de revenu pour l’éditeur. Deuxièmement, une potentielle baisse de la valeur des inventaires : si le ciblage via la Sandbox est perçu comme moins précis que celui via les cookies, les annonceurs enchériront moins cher, ce qui diminue la rémunération de l’éditeur pour chaque espace publicitaire. Des études de Criteo et Index Exchange ont chiffré ces pertes potentielles entre 30% et 60%.

‘La perte de revenus engendrée par les latences pour les éditeurs, c’est tout simplement de ne pas pouvoir recevoir la publicité pour l’afficher quand l’internaute est là. Et à partir de là bah d’avoir des espaces publicitaires qui ne sont pas remplis et donc des pertes importantes de revenus.’

Le ciblage contextuel est-il aussi efficace que le ciblage par cookies ?

Historiquement, le ciblage contextuel était considéré comme moins précis. Cependant, grâce aux avancées de l’intelligence artificielle, notamment sémantique et générative, l’écart se réduit considérablement. Le nouveau ciblage contextuel peut comprendre des intentions et des profils d’audience très fins en se basant uniquement sur le contenu. Son grand avantage est d’offrir une couverture de 100% de l’audience, là où le ciblage par cookies ou ID est limité. S’il n’offre pas le même suivi individuel, sa capacité à toucher la bonne personne au bon moment grâce à la compréhension du contexte de lecture en fait une alternative de plus en plus performante et totalement respectueuse de la vie privée.

‘L’IA générative et les deux couplés ensemble continuent à à faire croître et le rich et la précision du ciblage contextuel. (…) son gros avantage reste le rich 100 % de la population.’

Qu’est-ce qu’un identifiant universel et comment ça fonctionne ?

Un identifiant universel est une alternative au cookie tiers qui vise à identifier un utilisateur de manière unique et pérenne sur différents sites web. Au lieu de s’appuyer sur un cookie déposé par un tiers, il se base sur une information stable et consentie, le plus souvent une adresse e-mail que l’utilisateur a fournie pour se connecter. Cette adresse est ‘hachée’ (transformée en une chaîne de caractères anonyme) pour créer un identifiant. Lorsque cet utilisateur se connecte sur un autre site partenaire avec la même adresse e-mail, le système peut le reconnaître. D’autres types d’ID émergent, basés sur des données télécom ou des cookies first-party, mais le principe reste le même : créer un standard d’identification respectueux de la vie privée.

‘Aujourd’hui, on a bah l’arrivée du Ttic avec les données Telco, l’arrivée très très fulgurante de First ID basé sur les first party cookie et donc en fait les ID continuent de s’étoffer pour pour représenter une partie importante du marché.’

Comment la mesure de la performance publicitaire va-t-elle changer sans les cookies ?

Le changement est radical. Nous passons d’un modèle basé sur le suivi individuel en temps réel à un modèle basé sur des données agrégées, des modélisations statistiques et des analyses de cohorte. Il ne sera plus possible de suivre précisément le parcours d’un utilisateur d’une publicité à un achat pour calculer un coût par acquisition instantané. Les annonceurs devront se tourner vers des techniques comme le Marketing Mix Modeling (MMM) pour évaluer l’impact global de leurs canaux, mener des études d’incrémentalité pour mesurer le ‘lift’ généré par leurs campagnes, et redéfinir leurs indicateurs de succès (KPI) pour s’adapter à cette nouvelle réalité moins granulaire mais potentiellement plus stratégique.

‘Il va falloir réfléchir à comment adopter nos KPI à cette situation là. Il ne sera plus possible d’aller chercher le coût d’acquisition à la seconde à la minute, le coût par lead, le coût par vente… Il va falloir réfléchir tout ça différemment.’

L’écosystème mobile et les applications sont-ils aussi concernés par la fin des cookies ?

Oui, et c’est un point crucial souvent négligé. Le monde des applications mobiles n’utilise pas de cookies tiers mais un identifiant publicitaire propre à chaque système d’exploitation (le GAID sur Android, l’IDFA sur iOS qui est déjà très restreint). Google prévoit de remplacer le GAID par sa ‘Privacy Sandbox pour Android’, mais ce projet a été repoussé à 2026 au plus tôt. Cela signifie que l’immense écosystème applicatif, qui représente une part majeure du temps passé et des investissements publicitaires, est dans une situation d’incertitude totale. La problématique est donc la même que sur le web, mais avec un calendrier et des solutions techniques encore plus flous.

‘On a Privacy Sandbox pour Android qui malheureusement a été mise en standby, n’a pas été lancé. (…) on parle plutôt de Android en 2026 et ça va arriver et on ne connaît pas encore toutes les répercussions parce que les tests n’ont pas été faits.’

Que peuvent faire les annonceurs dès aujourd’hui pour se préparer au monde cookieless ?

L’urgence est à l’action et à l’expérimentation. Les annonceurs ne doivent plus attendre. La première étape est de se former pour comprendre les enjeux et les différentes solutions disponibles. Ensuite, il est essentiel de tester activement les alternatives : lancer des campagnes en ciblage contextuel avancé, travailler avec des partenaires qui proposent des solutions d’identifiants universels, et suivre de près les évolutions de la Privacy Sandbox. Il faut commencer à construire son propre ‘mix’ de solutions de ciblage et de mesure. Enfin, il est crucial de dialoguer avec ses agences et partenaires technologiques pour comprendre leur feuille de route et s’assurer qu’ils sont prêts pour ce nouveau paradigme.

‘Je vous recommande de consulter si vous ne l’avez pas encore fait les deux panoramas publiés par l’Alliance digitale. (…) on a conçu ça vraiment comme des des guides du quotidien très pratiques. On a essayé de passer de la théorie à la pratique.’


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