Diversité, équité, inclusion : comment passer de la philosophie aux actions concrètes ?
Le sujet de la diversité en entreprise est désormais admis. La question n’est plus de savoir s’il faut agir, mais comment le faire de manière concrète et efficace. Comment infuser la diversité, l’équité et l’inclusion (DEI) au cœur des processus de l’entreprise, à commencer par le recrutement ? Animé par Stanley Maman, cet épisode du podcast Banouse donne la parole à trois femmes managers inspirantes : Océane Lentin, responsable recrutement chez Dentsu, Dorothée Mani, CEO d’Evermaps, et Laetitia Randrianasolo, VP Revenue France chez SaleCycle. Elles partagent leurs retours d’expérience, leurs stratégies et des exemples pratiques pour faire de la DEI une réalité quotidienne.
L’objectif est clair : « être concret, arrêter de philosopher », comme le souligne Stanley en introduction. De la formation des recruteurs à l’analyse des soft skills, en passant par l’écriture inclusive et le choix d’outils non-biaisés, découvrons ensemble les leviers activés par ces expertes pour un environnement de travail véritablement inclusif.
Former et outiller pour un recrutement non biaisé
La première porte d’entrée de la diversité en entreprise est sans conteste le processus de recrutement. Pour Océane Lentin, la sensibilisation est la première étape cruciale. « On a tout simplement mis en place des formations. C’est important déjà de former les recruteurs qu’ils soient conscients de quels sont les critères de discrimination et on a aussi formé les managers puisqu’ils sont parties prenantes du process de recrutement. » Cette formation est complétée par un travail sur la source même des candidatures : les offres d’emploi. L’objectif est d’adopter une « écriture extrêmement inclusive » pour ne pas biaiser le recrutement dès le départ.
Pour s’assurer que le focus reste sur les compétences, des outils spécifiques sont mis en place. Océane mentionne des tests comme Proovee, « très orientés connaissance de l’écosystème média », qui permettent aux managers de se focaliser sur le savoir-faire des candidats plutôt que sur d’autres critères. Laetitia Randrianasolo abonde dans ce sens chez SaleCycle : « on a systématiquement en fonction du métier qui est recruté un case study en fait à faire par les candidats pour vraiment se dire on se focus sur les compétences. » Cette standardisation du processus, avec une structure de questions identique pour tous les candidats, vise à éliminer les biais inconscients. Elle ajoute l’utilisation d’un outil comme Teamtailor, qui permet une « diffusion sur les job boards de manière massive sans avoir de biais sur quel job board on va aller diffuser ».
L’inclusion au quotidien : au-delà des manifestes, l’écoute active
Si le recrutement est fondamental, l’inclusion se joue véritablement au quotidien. Pour Dorothée Mani, dans une structure à taille humaine comme Evermaps, cela passe par une implication directe et une écoute fine. « Dans les entretiens de ceux qui vont ensuite être des managers et des recruteurs, je pose des questions très précises sur à quoi ressemblait leur équipe d’avant et comment ils managent certaines situations. » Ce sont les petits détails qui révèlent une culture inclusive. Elle partage une anecdote parlante : « Je suis très contente qu’il y ait la gourde LGBT d’une de nos collaboratrices qui soit toutes les couleurs et qui soit pas sur la culture homogène d’Evermaps. En fait par des petits détails comme ça en entretien, on s’assure que les managers de demain, ils vont être le relais de notre culture très inclusive. »
Océane Lentin souligne l’importance des outils d’écoute post-intégration, comme le rapport d’étonnement proposé aux nouveaux arrivants pour recueillir leurs impressions « versus ce qui est réellement vécu ». Les sondages annuels sont également un baromètre essentiel. « La meilleure preuve de notre politique de diversité et d’inclusion, c’est quand on voit les réponses de nos collaborateurs aux sondages. » Un taux d’engagement de plus de 87% chez Dentsu témoigne de l’implication des équipes. Dorothée insiste sur ce point : il faut « donner des preuves au quotidien » et « incarner tout ça ». Cela se traduit par une vigilance de tous les instants : s’assurer que les menus d’un kickoff sont adaptés à toutes les contraintes alimentaires, qu’une personne mal à l’aise avec une activité sportive est discrètement orientée vers une autre, ou qu’un papa solo bénéficie d’horaires aménagés. « Ça doit vraiment ensuite s’incarner, se prouver dans le quotidien par une écoute hyper active. »
Devenir une ‘société à mission’ : un accélérateur de diversité
L’engagement de Dentsu, devenu société à mission en mars 2023, illustre comment un changement statutaire peut catalyser les efforts en matière de DEI. Océane Lentin précise que cette transformation n’a pas été une décision verticale (« top down »), mais est née d’une initiative collaborative. « C’est plutôt parti d’un groupe de travail collaboratif. Il y a un collab qui a dit ‘mais en fait avec tout ce qu’on fait déjà, pourquoi on serait pas société à mission ?' » Cette démarche a inscrit dans les statuts de l’entreprise une raison d’être claire : « concevoir la communication comme un vecteur d’harmonie sociale et environnementale. »
Concrètement, cela a eu un impact direct sur les pratiques de recrutement. « J’ai multiplié les actions pour recruter des profils en situation de handicap par exemple. J’ai travaillé aussi beaucoup au recrutement des seniors […] et des profils en reconversion professionnelle également. » Elle met en lumière la valeur des profils en reconversion, qui sont « des juniors dans le métier mais des seniors dans l’expérience ». Cet engagement formel a permis un véritable changement de paradigme, en valorisant des profils plus atypiques. L’objectif ultime, tel que formulé par le responsable RSE de Dentsu, est de « faire de Dentsu le reflet de la société ».
La conduite du changement en entreprise : entre vision et réalité humaine
Toute transformation, qu’elle soit culturelle ou structurelle, se heurte à un défi majeur : la conduite du changement. Dorothée Mani partage son expérience de la transition d’Evermaps d’une agence tech à une pure société SaaS, « un des challenges les plus difficiles à opérer ». Elle insiste sur la dimension culturelle, souvent sous-estimée. « Il faut avoir un effort assez colossal sur la prise de conscience que c’est un vrai sujet culturel plus que tech et process. » Cela passe par beaucoup de management, de la formation, une vision claire et l’alignement des intérêts.
Cependant, elle met en garde contre une vision idéaliste. « Ce qui est difficile, c’est que potentiellement, ça ne suffit pas. » Malgré l’engagement des collaborateurs, leur ADN et leurs réflexes peuvent rendre le changement « quasiment impossible ». C’est là qu’intervient une leçon managériale forte : savoir poser des limites pour ne pas mettre les équipes en souffrance. « Si je demande à un poisson de monter à un arbre, déjà ça va pas être super performant et rapide mais surtout il va être en souffrance. Il faut s’autoriser aussi à se dire potentiellement dans ce changement, on va pas pouvoir embarquer tout le monde. » La clé est de se fixer des jalons et d’accompagner humainement ceux pour qui l’adéquation n’est plus possible.
Impliquer pour convaincre : co-design et champions internes
Laetitia Randrianasolo renchérit en soulignant la dimension humaine et la peur du changement. « Le tout c’est de leur donner les perspectives, les avantages qu’il va y avoir sur ce changement, de répéter, d’expliquer le why. » Elle compare cette nécessité de répétition au marketing : un message doit être entendu plusieurs fois pour être intégré. Une stratégie efficace est de s’appuyer sur des « champions en interne », des collaborateurs qui adoptent rapidement le changement et peuvent ensuite « diffuser la bonne parole ».
Océane Lentin va plus loin en prônant l’implication directe, voire le « co-design ». Face aux réticences des managers à adopter un nouvel outil de test de compétences, perçu comme une étape chronophage supplémentaire, son équipe a changé d’approche. « Pour les convaincre, on leur a fait passer le test eux-mêmes. » Cette mise en situation leur a permis de comprendre la valeur de l’outil, non seulement pour eux, mais aussi pour l’expérience candidat. En leur demandant leur avis, l’équipe les a transformés de réfractaires en contributeurs actifs. « C’est là qu’on les a vraiment embarqués. »
Le management au féminin : comment briser les plafonds de verre et l’autocensure ?
Le dernier volet de la discussion aborde un sujet crucial : l’attractivité du management pour les femmes et le manque de parité dans ces rôles. Laetitia Randrianasolo observe que les femmes ont tendance à attendre que leur excellence soit reconnue naturellement. « Elles veulent d’abord cocher toutes les cases et elles vont se dire ‘ça va se voir et on va me donner la promotion’. Alors que dans la réalité, c’est pas du tout ça. » Elle constate que lors des entretiens annuels, « on a les hommes qui lèvent la main et qui disent ‘Moi je veux être manager’ et on a très peu de femmes qui font cette démarche. » Son conseil est donc direct : « Si en tant que femme vous sentez que vous pouvez être un bon manager, bah il faut pas hésiter à le faire savoir. »
Dorothée Mani identifie ce phénomène comme le « syndrome de la bonne élève ». « À l’école quand on bosse bien, on a des bonnes notes et tout va bien. Dans la vie des boîtes, c’est pas du tout ça. » Elle encourage à s’écouter et à ne pas se mettre de barrières, partageant sa propre expérience de levée de fonds dans la tech. L’échange avec d’autres femmes dirigeantes est pour elle un levier essentiel pour déconstruire ses propres biais et réaliser que c’est possible. « On doit discuter entre nous et se méfier du coup de nos propres biais. »
L’importance des rôles modèles et de la parité au sommet
Océane Lentin rappelle que manager est un métier à part entière, qui ne découle pas forcément de l’excellence technique. « Ce n’est pas parce que tu excelles dans ton métier que tu seras un excellent manager. » L’envie de transmettre, de fédérer et de prendre des responsabilités doit être le moteur. Mais si cette envie est là, il faut l’exprimer. « Il faut le demander, parce que ça fait partie aussi des soft skills d’un manager que de savoir s’exprimer, de savoir porter sa responsabilité. »
Pour faciliter cette prise de parole, la structure même de la direction est déterminante. Dorothée Mani veille à ce que son comité exécutif soit mixte. « Mine de rien, tu auras peut-être moins de difficultés en tant que femme à aller demander une augmentation ou à dire ‘quel est mon next step ?’ si le directeur de service est une femme ou qu’il y a en tout cas des femmes au comex. » Laetitia confirme que chez SaleCycle, la parité est un indicateur suivi et que sur cinq managers pays, trois sont des femmes sur des rôles business. Chez Dentsu, la parité est parfaite au sein du codir, avec un index homme-femme de 94/100. Ces exemples montrent qu’une représentation équilibrée au sommet n’est pas qu’un symbole, mais un véritable catalyseur pour l’ambition et l’évolution de carrière des femmes à tous les échelons.
FAQ sur la diversité et le management au féminin
Quelles sont les actions concrètes pour un recrutement plus inclusif ?
Un recrutement inclusif passe par la formation des recruteurs et managers aux biais discriminatoires, la rédaction d’offres d’emploi inclusives, et l’utilisation d’outils (tests, études de cas) centrés sur l’évaluation des compétences pour garantir un processus équitable pour tous les candidats.
« On a également essayé de travailler la rédaction de nos offres puisque le but c’est d’avoir une écriture extrêmement inclusive et de ne pas biaiser en fait le recrutement dès le départ par l’annonce. » – Océane Lentin
Comment s’assurer de l’inclusion au quotidien au-delà des chartes ?
L’inclusion quotidienne se prouve par une écoute active et une vigilance constante de la part du management. Cela implique de s’adapter aux situations personnelles des collaborateurs (horaires, contraintes alimentaires, etc.) et de créer un environnement où chacun se sent respecté dans son individualité.
« Ça doit vraiment ensuite s’incarner, se prouver dans le quotidien par une une écoute hyper active. Je pense que c’est le bon mot. » – Dorothée Mani
En quoi consiste le syndrome de la bonne élève au travail et comment le surmonter ?
Le syndrome de la bonne élève est la tendance, souvent observée chez les femmes, à croire que l’excellence dans son travail suffira pour obtenir une promotion, sans avoir à la demander. Pour le surmonter, il est essentiel d’exprimer activement ses ambitions managériales auprès de sa hiérarchie.
« Ce dont tu parles, ça me fait penser au syndrome de la bonne élève en fait parce qu’à l’école quand on bosse bien bah on a des bonnes notes et tout va bien et dans la vie des boîtes, c’est pas du tout ça. » – Dorothée Mani
Pourquoi est-il crucial d’impliquer les collaborateurs dans la conduite du changement ?
Impliquer les collaborateurs, voire les faire participer à la conception (co-design) des nouvelles solutions, est essentiel pour obtenir leur adhésion. Lorsqu’ils comprennent la valeur du changement et y contribuent, la résistance diminue et ils deviennent des moteurs de la transformation.
« Je trouve que le co-design est hyper important dans la conduite du changement. […] C’est là qu’on les a vraiment embarqués, c’est une fois qu’ils étaient impliqués, qu’ils avaient donné leur point de vue. » – Océane Lentin
Quel est l’impact de devenir une ‘société à mission’ sur la culture d’entreprise ?
Devenir une société à mission ancre des engagements sociaux et environnementaux dans les statuts de l’entreprise. Cela agit comme un puissant levier de mobilisation interne et peut concrètement orienter les politiques de l’entreprise, notamment en favorisant un recrutement plus diversifié (seniors, handicap, reconversion).
« Le fait d’être devenu société à mission […] c’est vraiment une volonté commune qui est initiée par les collaborateurs et qui nous a amené effectivement à réfléchir à la façon dont on peut changer la façon dont on accompagne les clients. » – Océane Lentin
Pourquoi les femmes hésitent-elles à demander des postes de manager ?
Les femmes hésitent souvent car elles attendent une reconnaissance ‘naturelle’ de leurs compétences et veulent cocher toutes les cases avant de se sentir légitimes. Elles sont moins nombreuses que les hommes à exprimer proactivement leur désir d’évoluer vers des postes de management.
« On a les hommes qui lèvent la main et qui disent ‘Moi je veux être manager’ et on a très peu de femmes qui font cette démarche là de dire ‘moi je veux être manager’. » – Laetitia Randrianasolo
Comment la parité au sein du comité de direction influence-t-elle l’entreprise ?
Une parité au sein du comité de direction envoie un signal fort à toute l’entreprise. Elle peut faciliter la prise de parole et l’expression des ambitions des femmes à tous les niveaux, car elles se sentent plus à l’aise et légitimes pour discuter de leur carrière avec des femmes dirigeantes.
« C’est peut-être plus facile si le directeur de service est une femme ou qu’il y a en tout cas des femmes au comex. Donc voilà, soyons aussi vigilants sur l’équipe dirigeante. » – Dorothée Mani
Comment accompagner les collaborateurs qui ne peuvent pas suivre une transformation ?
Il faut reconnaître que tout le monde ne peut pas s’adapter à un changement majeur. L’enjeu est de se fixer des objectifs clairs et, pour ceux qui ne peuvent pas suivre, de les accompagner avec bienveillance pour éviter la frustration et la souffrance, en les aidant à valoriser leurs compétences pour un autre projet.
« Il faut s’autoriser aussi à se dire potentiellement dans ce changement, on va pas pouvoir embarquer tout le monde et comment en réalité, on leur donne suffisamment les moyens […] pour ne pas tomber dans le travers de la frustration et de la souffrance du collaborateur. » – Dorothée Mani