Logo de l'épisode #90 Marché > L'année 2023 les licenciements, les recrutements … le digital devient-il un secteur comme les autres ? du podcast Bannouze : Le podcast du marketing digital !

#90 Marché > L’année 2023 les licenciements, les recrutements … le digital devient-il un secteur comme les autres ?

Épisode diffusé le 8 novembre 2023 par Bannouze : Le podcast du marketing digital !

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L’année du grand réajustement : le secteur digital a-t-il perdu sa magie ?

L’année 2023 restera dans les annales de la tech comme une période de profonds paradoxes. D’un côté, des vagues de licenciements massifs chez les géants qui semblaient autrefois intouchables, de l’autre, une quête incessante de talents spécialisés. Nous avons assisté, presque en direct, à la fin d’une époque dorée, celle de l’hypercroissance financée à perte, où l’argent des investisseurs coulait à flots. Cette période a laissé place à un climat plus sobre, plus anxiogène pour certains, où les mots ‘rentabilité’, ‘efficacité’ et ‘P&L’ sont revenus au centre de toutes les stratégies. Le point de départ de cette introspection collective ? Un événement qui a secoué la planète tech : le rachat de Twitter. Comme Laurent le rappelait dans notre discussion, le 14 avril 2022 n’est pas une date anodine. C’est le jour où Elon Musk a pris les rênes, et ce qui a suivi a eu l’effet d’une déflagration.

Pour beaucoup, cette onde de choc a été le signal d’un retour brutal à la réalité. La question qui brûle désormais toutes les lèvres est la suivante : la fête est-elle vraiment finie ? Le digital, ce secteur qui a longtemps fait figure d’exception avec ses multiples délirants et sa culture du ‘growth at all costs’, est-il en train de devenir une industrie comme les autres, avec ses cycles, ses contraintes et sa normalité ? C’est une interrogation fondamentale qui redéfinit non seulement les stratégies d’entreprise, mais aussi nos carrières, nos compétences et notre rapport au travail. Nous ne sommes plus dans une croissance linéaire et prévisible. Nous naviguons à vue dans un environnement complexe, marqué par des inconnues majeures comme l’intégration de l’intelligence artificielle. Dans cet article, nous allons plonger au cœur de ces transformations, en nous appuyant sur notre conversation pour décrypter les forces qui façonnent le marché du travail digital d’aujourd’hui et de demain.

L’effet domino : comment le rachat de Twitter a validé une vague de licenciements dans la tech

Pour comprendre la tempête qui a balayé le secteur en 2023, il faut remonter à ce moment précis, ce fameux rachat de Twitter. Ce n’était pas seulement une transaction financière, c’était un acte managérial d’une violence inouïe qui a servi de test à grande échelle. En se séparant de près de 80% de ses effectifs, Elon Musk a envoyé un message radical au marché. Et le message a été reçu cinq sur cinq par tous les autres dirigeants de la Silicon Valley et au-delà.

Le 14 avril 2022, un tournant psychologique pour l’industrie digitale

La thèse de Laurent est percutante et, je pense, très juste : cet événement a été un véritable tournant. Il a souligné un point crucial :

‘Pour moi cette date, elle est c’est vraiment un tournant dans la tech parce que finalement après le rachat de Twitter, Elon Musk a viré 80 % des effectifs et en fait pour moi, il a montré à l’ensemble du marché du digital bah que tu pouvais virer 50 % de ta boîte, ta boîte elle tournait.’

Bien sûr, on peut nuancer en parlant des problèmes de modération ou de la fuite des annonceurs, mais le constat factuel est là : la plateforme fonctionne toujours. Ce geste a brisé un tabou. Il a offert une forme de permission psychologique aux autres géants comme Google, Meta ou Amazon. Soudainement, l’idée de réduire drastiquement la voilure n’était plus perçue comme un aveu d’échec, mais comme une décision de gestion audacieuse et nécessaire pour retrouver de l’efficacité. Ce qui était impensable en 2021 est devenu la norme en 2022 et 2023. Les plans sociaux se sont succédé, non pas parce que ces entreprises étaient en faillite, mais parce que le leader du marché venait de prouver qu’on pouvait opérer avec beaucoup moins de monde. C’était le point de départ d’une remise en question fondamentale sur la structure des coûts et la productivité réelle au sein de ces organisations pléthoriques.

La fin de l’ère de l’hypercroissance à tout prix

Ce ‘cygne noir’ est arrivé dans un contexte économique déjà en pleine mutation. Les années précédentes ont été marquées par une véritable frénésie. Comme je l’expliquais, nous sortions d’une période d’anomalie totale :

‘On est obligé de revenir sur les années passées et sur l’inflation des valeurs tech sur un peu n’importe quoi qui a eu lieu pour des raisons assez compréhensible, afflux de capital taux zéro, valeur tech qui prennent vraiment de l’ampleur et grosse concurrence entre les VC qui sont blindés.’

Dans ce contexte, la seule métrique qui comptait était la croissance. La rentabilité était un concept lointain, presque accessoire. L’objectif était de capturer des parts de marché le plus vite possible, quitte à brûler des quantités astronomiques de cash. Cette course effrénée a conduit à une inflation des salaires et à des embauches massives, pas toujours justifiées par un besoin business immédiat. On recrutait pour nourrir la machine de la croissance, pour assécher le marché des talents et pour justifier des valorisations toujours plus élevées auprès des investisseurs. Le problème, c’est que ce modèle n’est viable que tant que l’argent est facile d’accès. Dès que les taux d’intérêt ont commencé à remonter et que les capitaux se sont faits plus rares, tout le château de cartes a commencé à vaciller.

Un retour brutal mais inévitable à la normalité

Les licenciements, aussi douloureux soient-ils sur le plan humain, ne sont donc que la conséquence logique de ce changement de paradigme. C’est l’expression d’un retour à une certaine forme de rationalité économique. On ne peut plus ignorer le compte de résultat.

‘Ce qui s’est passé, c’est qu’en fait on revient au sens à une certaine normalité après avoir fait n’importe quoi.’

C’est un peu polémique de le dire, mais pendant des années, on a embauché des personnes sans corréler directement leur rôle à un indice de rentabilité. Pourquoi ? Parce que le business model de nombreuses startups ne reposait pas sur la génération de profit, mais sur la capacité à lever le prochain tour de financement. Aujourd’hui, les investisseurs ont changé leur fusil d’épaule. Ils veulent voir un chemin clair vers la profitabilité. Et la manière la plus rapide de redresser un P&L, c’est de réduire la masse salariale. C’est mécanique et malheureusement inévitable pour beaucoup. Ce n’est pas la fin de la tech, c’est la fin de l’adolescence de la tech. L’industrie entre dans l’âge adulte, avec les responsabilités et les contraintes que cela implique.

Ce retour à la normale, bien que brutal, assainit le marché. Il force les entreprises à se concentrer sur la création de valeur réelle plutôt que sur la perception de la valeur. Il nous oblige tous, dirigeants comme employés, à nous poser les bonnes questions : quelle est ma contribution directe au business ? Mon rôle est-il essentiel à la rentabilité de l’entreprise ? Cette introspection collective est difficile, mais elle est le prélude à la construction d’un écosystème plus durable et plus résilient pour les années à venir.

La grande fracture du marché : qui survit et qui recrute en 2023 ?

Cette correction de marché n’affecte pas tout le monde de la même manière. Au contraire, elle a créé une véritable dichotomie, une fracture profonde au sein de l’écosystème. D’un côté, les entreprises qui ont joué le jeu de l’hypercroissance et des levées de fonds spectaculaires se retrouvent prises au piège. De l’autre, des acteurs plus discrets, plus raisonnables, voient s’ouvrir des opportunités inédites. Le paysage du recrutement en 2023 est donc à double visage : un champ de ruines pour certains, une terre de cocagne pour d’autres.

Les victimes des valorisations délirantes

Les entreprises qui licencient le plus massivement aujourd’hui sont souvent celles qui faisaient les gros titres hier avec leurs levées de fonds à neuf chiffres. Comme je le mentionnais, des boîtes comme Typeform à Barcelone en sont un bon exemple.

‘Elles ont levé sur des multiples qui étaient complètement dingues. C’était la course à la croissance. Le financement s’est asséché et on leur demande aujourd’hui d’être à la fois en croissance et à la fois de tendre à la rentabilité.’

C’est une équation quasi impossible à résoudre sans une restructuration profonde. Imaginez : vous avez été valorisé 40 ou 50 fois votre revenu annuel récurrent (ARR). Pour justifier une telle valorisation, vous devez maintenir une croissance explosive. Mais en même temps, vos investisseurs vous demandent de devenir rentable. Or, pour être rentable, vous devez couper dans les dépenses, et la principale dépense, c’est la masse salariale. En licenciant, vous risquez de freiner votre croissance, ce qui met en péril votre valorisation. C’est un cercle vicieux. Ces entreprises sont victimes de leur propre succès passé, prisonnières d’une ‘paper value’ qui ne correspond plus à la réalité économique actuelle.

L’opportunité inattendue pour les PME et les entreprises ‘raisonnables’

À l’inverse, cette situation est une aubaine pour un autre type d’acteurs : les entreprises qui ont bootstrapé, qui ont levé des fonds de manière raisonnable ou qui ont toujours eu une culture de la rentabilité. Pendant des années, ces sociétés peinaient à recruter face à la surenchère des licornes qui offraient des salaires et des avantages déconnectés de la réalité. Aujourd’hui, le rapport de force s’est inversé. Le marché est inondé de talents de très haut niveau, issus des GAFAM et des meilleures startups, qui sont soudainement disponibles. Pour une PME du digital ou une startup saine, c’est l’occasion en or de recruter des profils seniors qu’elle n’aurait jamais pu s’offrir auparavant.

‘Ça a plutôt permis aux boîtes qui elles continuent à être dans des situations plus raisonnables de recruter des bons profils.’

On assiste donc à une redistribution des cartes et des talents. L’attractivité d’une entreprise ne se mesure plus seulement à la taille de sa dernière levée de fonds, mais aussi à la solidité de son business model et à sa capacité à offrir un projet stable et durable.

Le piège du ‘secondaire’ et la divergence d’intérêts des fondateurs

Il y a un autre aspect, plus insidieux, qui explique la situation de certaines de ces ‘grosses’ startups. C’est le phénomène du ‘secondaire’. C’est-à-dire la possibilité pour les fondateurs et les premiers employés de vendre une partie de leurs actions lors d’un tour de financement intermédiaire, avant même une introduction en bourse ou un rachat.

‘Il y a une divergence d’intérêt entre la boîte à long terme et son intérêt à cash out dans une levée intermédiaire.’

Ce mécanisme, qui s’est généralisé pendant les années fastes, a pu créer un désalignement d’intérêts. Un fondateur qui a déjà empoché plusieurs millions d’euros en vendant une partie de ses parts n’a plus tout à fait le même rapport au risque et à la vision à long terme que celui qui a tout son patrimoine investi dans l’entreprise. Sans jeter la pierre, cela peut expliquer pourquoi certaines décisions de croissance à tout prix ont été prises, en sachant que le risque personnel était déjà couvert. C’est un facteur complexe mais essentiel pour comprendre la psychologie derrière certaines stratégies qui nous paraissent aujourd’hui irrationnelles.

Cette fracture du marché redéfinit en profondeur les règles du jeu. Elle nous rappelle que la solidité des fondamentaux finit toujours par l’emporter sur l’euphorie spéculative. Pour les candidats, cela signifie qu’il faut regarder au-delà du prestige et des levées de fonds pour évaluer la viabilité réelle d’un employeur. Pour les entreprises, c’est un appel à construire des modèles économiques sains, capables de résister aux cycles du marché.

Le futur du travail se dessine sous nos yeux : entre retour au bureau et éclatement des carrières

La crise que traverse la tech ne se limite pas à des questions de financement et de rentabilité. Elle accélère une réflexion beaucoup plus profonde sur la nature même du travail. La période post-Covid a ouvert une boîte de Pandore, et les entreprises tentent aujourd’hui de la refermer, non sans mal. Nous sommes dans une phase d’entre-deux, un moment de tension où les anciens modèles s’affrontent aux nouvelles aspirations, redessinant les contours de nos vies professionnelles.

La fin de la partie pour le télétravail ? Le grand bras de fer employeurs-employés

L’un des fronts les plus visibles de cette bataille est celui du télétravail. Après l’avoir adopté en urgence pendant la pandémie, de nombreuses grandes entreprises, notamment les GAFAM, sifflent la fin de la récréation et exigent un retour au bureau. Pourquoi ce revirement ? Laurent a mis le doigt sur un point essentiel : la mentalité managériale.

‘Un manager d’une boîte classique a besoin de fliquer ses petits Padawan en dessous… s’il les voit pas, il est en stress.’

C’est une question de contrôle, de culture d’entreprise, mais aussi de lien social. Comme il le disait si bien, ‘on est des animaux sociaux’. Nous avons besoin d’échanges informels, de ‘bitcher à la cafete’, de sentir le pouls de l’organisation. Pour moi, le problème est que le retour forcé peut casser quelque chose. Quand je retourne au bureau, je vois des gens qui hurlent dans leur casque lors de réunions en ligne avec des collègues qui devraient être assis à côté d’eux. Il n’y a plus la même ambiance, la même harmonie. Forcer le retour ne recrée pas magiquement le lien. Le véritable enjeu est de savoir qui a le pouvoir de négociation, le ‘leverage’. Quand le marché est tendu, l’employeur reprend la main. Mais peut-il se permettre de perdre ses meilleurs talents qui, eux, chérissent cette flexibilité acquise ? Le débat est loin d’être clos.

L’essor inarrêtable du freelancing et des ‘side hustles’

En parallèle de ce débat sur le lieu de travail, une autre tendance de fond s’affirme : la décentralisation des carrières. Le modèle du salarié unique et fidèle à son entreprise à vie est révolu. Aujourd’hui, le ‘slashing’ ou le ‘side hustle’ est devenu une aspiration majeure, notamment pour les nouvelles générations.

‘Tout le monde doit avoir un side hustle, un truc… nous c’est un side hustle pour toi.’

Les entreprises ne peuvent plus ignorer cette réalité. Elles doivent composer avec des collaborateurs qui sont aussi créateurs de contenu, consultants, entrepreneurs à leurs heures. Plutôt que de le voir comme une menace, cela peut être une opportunité. Un employé qui développe des compétences sur un projet personnel peut en faire bénéficier son employeur principal. Cela oblige les entreprises à repenser le contrat de travail, peut-être en intégrant des temps dédiés à ces projets annexes, créant ainsi un lien de confiance et d’enrichissement mutuel. De plus, cela pousse à recourir davantage à des experts externes, des freelances, pour des besoins spécifiques. Pourquoi recruter un SEO à temps plein si on peut faire appel à un expert de haut vol pour des missions ponctuelles ? Cette atomisation du travail est une évolution structurelle.

Recréer du lien et du sens : le nouveau défi du management

Dans ce contexte de travail éclaté, que ce soit géographiquement ou contractuellement, le plus grand défi pour les entreprises est de maintenir un sentiment d’appartenance. Comment créer une culture forte quand les gens ne se voient plus tous les jours ? Comment s’assurer que tout le monde rame dans la même direction ? La réponse se trouve, je pense, dans l’investissement sur l’humain. Laurent a pointé une grande différence culturelle :

‘Là où les Américains nous éclatent c’est dans cette volonté de former en permanence leurs salariés, de pas avoir peur de dépenser de l’argent.’

C’est exactement ça. En France, on a souvent une vision statique du salarié : on le recrute pour une tâche et on attend qu’il la fasse. On doit passer à une vision dynamique : on recrute un potentiel et on l’aide à évoluer. La formation, le mentorat, la définition de plans de carrière clairs, la reconnaissance de la performance de manière bienveillante sont les nouveaux ciments de l’entreprise. C’est en montrant à un collaborateur qu’on investit en lui, qu’on se soucie de son développement, qu’on recrée de l’engagement et de la loyauté, bien plus qu’en imposant trois jours de présence au bureau.

Le futur du travail n’est donc ni tout noir ni tout blanc. Il sera probablement un savant mélange de ces différentes tendances, un équilibre à trouver pour chaque organisation en fonction de sa taille, de sa culture et de son secteur. Mais une chose est sûre : le modèle d’avant-Covid ne reviendra pas. Le génie est sorti de la bouteille, et il nous appartient de construire un monde du travail qui soit à la fois plus flexible, plus humain et plus performant.

L’IA, le joker qui rebat les cartes du recrutement et des compétences

Alors que nous tentons de naviguer dans ce nouvel environnement de travail, une vague encore plus grande et plus disruptive se profile à l’horizon : l’intelligence artificielle. C’est l’inconnue majeure de notre équation, celle qui a le potentiel de tout changer, du recrutement aux compétences requises, en passant par la définition même de la productivité. L’IA n’est plus un concept de science-fiction ; elle est là, et elle force déjà le secteur à se réinventer.

Panique à bord ou simple outil ? Démystifier l’impact de l’IA sur nos métiers

Face à l’arrivée de l’IA générative, on observe deux réactions extrêmes et, à mon sens, tout aussi erronées. D’un côté, il y a la panique, la peur du ‘grand remplacement’ des cols blancs, ceux qui pensent que leur travail sera obsolète demain.

‘Mon Dieu, c’est foutu, on a plus de boulot.’

De l’autre, il y a ceux qui minimisent son impact, qui la voient comme un simple gadget, un générateur de texte un peu amélioré. La vérité se situe probablement entre les deux. L’IA n’est pas une mode passagère comme ont pu l’être les NFT ou le Web3. C’est une révolution technologique fondamentale, comparable à l’imprimerie ou à l’internet. Cependant, elle ne va pas nous remplacer, elle va nous augmenter. Je suis d’accord avec l’idée que l’IA va devenir une super béquille, ou mieux, un ‘exosquelette du cerveau’. Elle va nous permettre d’automatiser les tâches répétitives et à faible valeur ajoutée pour nous concentrer sur ce qui fait notre force : la stratégie, la créativité, l’empathie, le jugement critique. L’enjeu n’est pas de résister à l’IA, mais d’apprendre à collaborer avec elle.

L’humain augmenté : vers une redéfinition de l’expertise

La conséquence directe, c’est que la notion même d’expertise est en train de changer. Demain, l’expert ne sera plus celui qui détient l’information, car l’IA y aura accès de manière quasi instantanée. L’expert sera celui qui sait poser les bonnes questions à l’IA, qui sait analyser et critiquer ses réponses, qui sait contextualiser ses résultats et les transformer en une stratégie actionnable.

‘On va devoir tous être des humains augmentés un petit peu grâce à l’IA et fondamentalement je trouve ça pas mal.’

Cela signifie que nous devons tous nous former en continu. Les compétences techniques d’aujourd’hui seront peut-être obsolètes demain, mais les compétences transversales (soft skills) deviendront primordiales. La capacité à apprendre à apprendre sera la compétence la plus précieuse de toutes. Pour les entreprises, cela implique de repenser complètement la formation et la gestion des carrières. Il ne s’agit plus de faire une formation ponctuelle, mais d’instaurer une culture d’apprentissage permanent, où l’expérimentation avec ces nouveaux outils est encouragée et valorisée.

Une transformation rapide mais pas instantanée

Si la révolution est profonde, il faut aussi garder la tête froide sur son calendrier. Comme le soulignait Laurent, nous avons un peu de temps devant nous.

‘Je pense qu’on a une dizaine d’années devant nous sur alors ça a déjà commencé, mais ce que je veux dire c’est que ces transformations vont se faire sur un temps peut-être un petit peu plus long.’

L’adoption à grande échelle dans les entreprises, surtout les plus grandes et les plus traditionnelles, prendra du temps. Il y a des barrières culturelles, organisationnelles et techniques à surmonter. Cependant, ce qui différencie l’IA des vagues technologiques précédentes, c’est la vitesse de son évolution.

‘La seule chose qui change par rapport à l’apparition de l’automobile, de la radio ou même de la machine à vapeur, c’est la rapidité avec laquelle quand même ça va changer. Si ça change des trucs en 10 ans, c’est énorme.’

Dix ans, à l’échelle d’une carrière, c’est demain. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous cacher derrière notre petit doigt. Ceux qui commenceront à intégrer l’IA dans leur quotidien dès aujourd’hui auront une avance considérable sur les autres. C’est une course de fond qui commence maintenant.

Conclusion : naviguer dans la nouvelle normalité du digital

Au terme de cette analyse, une conviction s’impose : le secteur digital a bel et bien perdu son innocence. L’année 2023 a marqué la fin de l’exception culturelle et économique qui le caractérisait. Nous sommes entrés dans une ère de maturité, une ‘nouvelle normalité’ où les lois de la gravité économique s’appliquent désormais à tous, y compris aux géants de la tech. Les licenciements massifs ne sont que le symptôme le plus visible d’une correction profonde et nécessaire, un retour à des fondamentaux business plus sains après des années d’euphorie. Cette transition est douloureuse, mais elle est aussi porteuse d’opportunités pour ceux qui sauront s’adapter.

Le marché du travail se restructure, favorisant les entreprises au modèle économique solide et les talents capables de démontrer une valeur ajoutée concrète. Parallèlement, notre rapport au travail lui-même est en pleine mutation, tiraillé entre le besoin de flexibilité et le désir de lien social. Et par-dessus tout, l’ombre et la promesse de l’intelligence artificielle nous obligent à repenser radicalement nos métiers et nos compétences. Le maître-mot pour survivre et prospérer dans ce nouvel environnement est l’adaptabilité. La capacité à désapprendre, à réapprendre et à rester curieux sera bien plus précieuse que n’importe quelle expertise technique figée. C’est un appel à l’action pour chacun d’entre nous : embrasser le changement, se former en continu et cultiver notre agilité. L’âge d’or de la croissance facile est peut-être derrière nous, mais l’âge de la construction de valeur durable ne fait que commencer.


Questions fréquentes sur l’évolution du marché du travail tech

1. Pourquoi 2023 est-elle une année charnière pour le recrutement dans la tech ?

L’année 2023 est une année charnière car elle marque la fin d’un cycle de dix ans d’hypercroissance alimenté par l’argent facile. C’est l’année du grand réajustement, où le marché est passé d’une logique de croissance à tout prix à une exigence de rentabilité. Ce changement de paradigme, déclenché par la hausse des taux d’intérêt et symbolisé par les licenciements massifs, a totalement rebattu les cartes du recrutement. Il a créé une tension entre les entreprises surfinancées qui dégraissent et les entreprises plus saines qui en profitent pour attirer des talents de haut niveau, redéfinissant ainsi ce qui rend un employeur attractif.

‘On s’est rendu compte tout le long de l’année 2021 que la bulle commençait à exploser ou à dégonfler… et 2022 c’était un peu la mise en pratique des effets de ce dégonflement qui qui qui est manifeste depuis 2022.’

2. Quel a été le véritable impact d’Elon Musk sur les licenciements dans la tech ?

Le véritable impact du rachat de Twitter par Elon Musk et des licenciements qui ont suivi a été avant tout psychologique. En coupant 80% des effectifs sans que la plateforme ne s’effondre immédiatement, il a brisé un tabou et a montré aux autres dirigeants de la tech qu’il était possible d’opérer avec des équipes beaucoup plus réduites. Cet acte a servi de ‘permission slip’ ou de justificatif pour que d’autres géants comme Meta, Google ou Amazon lancent leurs propres plans de restructuration, transformant une action radicale et isolée en une tendance de fond dans l’industrie.

‘Il a montré à l’ensemble du marché du digital bah que tu pouvais virer 50 % de ta boîte, ta boîte elle tournait… Et pour moi, ça a été le point de départ de l’ensemble des licenciements Facebook, Google et cetera.’

3. Les startups qui ont beaucoup levé d’argent sont-elles les plus en danger ?

Oui, paradoxalement, les startups qui ont levé des sommes colossales sur la base de valorisations très élevées sont souvent les plus fragiles aujourd’hui. Elles sont prises dans un étau : le financement s’est raréfié et leurs investisseurs exigent désormais un chemin vers la rentabilité. Pour y parvenir, elles doivent licencier, mais cela risque de freiner leur croissance, ce qui est indispensable pour justifier leur valorisation passée. Elles sont donc contraintes à des ajustements douloureux pour ne pas voir leur valeur s’effondrer lors d’un prochain tour de financement, ce qui en fait des environnements plus instables que des entreprises plus modestes mais rentables.

‘C’est ces boîtes-là qui sont obligées de licencier pour un truc très simple. Elles ont levé sur des sur des multiples qui étaient complètement dingues. C’était la course à la croissance. Le financement s’est asséché et on leur demande aujourd’hui d’être à la fois en croissance et à la fois de tendre à la rentabilité.’

4. Le télétravail est-il vraiment terminé dans le secteur digital ?

Non, le télétravail n’est pas terminé, mais sa généralisation sans condition l’est probablement. Nous sommes dans une phase de négociation et de tension entre les employeurs qui souhaitent un retour au bureau pour des raisons de contrôle et de culture, et les employés qui ont pris goût à la flexibilité. La tendance semble s’orienter vers des modèles hybrides. Les entreprises qui imposeront un retour complet risquent de perdre des talents au profit de concurrents plus souples. Le télétravail restera un avantage compétitif majeur pour attirer et retenir les meilleurs profils, mais il sera sans doute plus encadré qu’en 2021.

‘Les groupes comme celui pour lequel je travaille… je pense qu’ils ne peuvent pas se permettre encore aujourd’hui de de forcer tout le monde à revenir… Moi moi quand je retourne dans notre bureau… il y a plus d’ambiance.’

5. Comment l’intelligence artificielle va-t-elle transformer les métiers du marketing digital ?

L’intelligence artificielle ne va pas faire disparaître les métiers du marketing digital, mais elle va profondément les transformer. Elle agira comme un ‘exosquelette pour le cerveau’, automatisant de nombreuses tâches (rédaction de contenu, analyse de données, création de campagnes) et augmentant la productivité. La valeur des marketeurs se déplacera de l’exécution technique vers la stratégie, la créativité, la compréhension fine du client et la capacité à piloter intelligemment les outils d’IA. Les compétences en ‘prompt engineering’ et en analyse critique des résultats de l’IA deviendront essentielles.

‘On va devoir tous être des humains augmentés un petit peu grâce à l’IA et fondamentalement je trouve ça pas mal… l’expertise va devoir changer.’

6. Le freelancing est-il l’avenir du travail dans la tech ?

Le freelancing représente une tendance de fond et une part croissante du travail dans la tech, mais il ne remplacera pas totalement le salariat. Il est l’expression d’un besoin de flexibilité et d’autonomie des talents, et d’un besoin d’expertise ponctuelle pour les entreprises. L’avenir est probablement un écosystème hybride où les entreprises auront un noyau dur de salariés permanents pour la culture et la stratégie, complété par un réseau flexible de freelances et d’experts pour des projets spécifiques. Cette décentralisation du travail est une évolution structurelle et inévitable.

‘Il y a tout ce sujet de l’éclatement du travail du freelancing, je je me dis que les boîtes… il y a un intérêt pour les boîtes à ne pas recruter certains postes assez experts et à faire appel à des vrais experts.’

7. Comment les entreprises peuvent-elles attirer et retenir les talents aujourd’hui ?

Aujourd’hui, attirer et retenir les talents ne repose plus uniquement sur un salaire élevé ou des stock-options. Les entreprises doivent offrir un projet global. Cela inclut un business model solide et une vision à long terme rassurante, mais aussi un investissement sincère dans le développement des collaborateurs. La formation continue, la création d’un sentiment d’appartenance et la flexibilité dans l’organisation du travail sont devenues des critères décisifs. Il faut passer d’une vision transactionnelle du travail à une approche relationnelle, en montrant aux employés qu’on les considère comme des potentiels à faire grandir.

‘Pour avoir fait des boîtes françaises et américaines, là où les Américains nous éclatent c’est dans cette volonté de former en permanence leur leurs salariés, de pas avoir peur de dépenser de l’argent.’

8. Le secteur digital est-il devenu une industrie comme les autres ?

Oui, de nombreux signes montrent que le secteur digital est en train de perdre son statut d’exception pour devenir une industrie plus ‘normale’. Cela signifie qu’il est désormais soumis aux mêmes cycles économiques que les autres secteurs. L’époque de la croissance infinie sans contrainte de rentabilité est révolue. Désormais, les entreprises de la tech sont jugées sur leurs fondamentaux : leur P&L, leur capacité à générer du cash et leur modèle économique durable. C’est l’album de la maturité pour un secteur qui sort de l’adolescence.

‘Pourquoi pas la tech dans laquelle on on travaille depuis des années, n’est-elle pas en train de la tech n’est-elle pas en train de devenir un marché comme les autres… Est-ce qu’on n’a pas été un peu anormaux ?’


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