Logo de l'épisode #90 Marché > L'année 2023 les licenciements, les recrutements … le digital devient-il un secteur comme les autres ? du podcast Bannouze : Le podcast du marketing digital !

#90 Marché > L’année 2023 les licenciements, les recrutements … le digital devient-il un secteur comme les autres ?

Épisode diffusé le 8 novembre 2023 par Bannouze : Le podcast du marketing digital !

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2023, l’année de la grande secousse : le digital est-il en train de devenir un secteur comme les autres ?

L’année 2023 restera dans les mémoires de l’écosystème digital comme une année charnière, une période de turbulence et de remise en question profonde. Après une décennie d’hyper-croissance, de levées de fonds record et d’une course effrénée aux talents, le réveil a été brutal. Des vagues de licenciements massifs chez les géants de la tech, une prudence généralisée dans le recrutement, un discours ambiant passé de ‘l’avenir est radieux’ à ‘il faut sécuriser le cash’. Pour beaucoup, ce fut un choc. Pour d’autres, une correction inévitable. Mais au-delà du tumulte, une question de fond émerge : assistons-nous à la fin de l’exception digitale ? Le monde de la tech, autrefois perçu comme un eldorado à part, est-il simplement en train de rentrer dans le rang, de devenir une industrie mature, avec ses cycles, ses crises et ses réalités économiques ?

Cette interrogation était au cœur de ma discussion avec Guillaume Rostand, CMO de liligo.fr et Président de la French Tech à Barcelone. Ensemble, nous avons tenté de prendre du recul sur cette année si particulière, non pas sous l’angle d’un channel marketing, mais sous le prisme très humain du recrutement et des licenciements. Car derrière les chiffres et les annonces fracassantes, ce sont des carrières, des modèles d’organisation et des visions du futur qui sont redéfinis. Comment en est-on arrivé là ? Quel a été le véritable déclencheur de cette vague de dégraissage ? Et surtout, quelles sont les dynamiques qui se dessinent pour 2024 et au-delà ? Dans cet article, nous allons plonger au cœur de ces questions, en décryptant les mécanismes qui ont conduit à cette situation et en explorant les pistes pour naviguer dans ce nouveau paysage. Préparez-vous à une analyse sans concession, car nous allons voir que derrière la crise se cache peut-être l’album de la maturité pour notre secteur.

Le tournant du 14 avril 2022 : comment le rachat de Twitter a ouvert la boîte de Pandore

Pour comprendre la cascade de licenciements qui a frappé la tech en 2023, il faut parfois remonter à un événement singulier, un symbole qui a cristallisé les tensions et libéré les énergies. Pour moi, ce moment clé a une date précise. Comme je le demandais à Guillaume : ‘Est-ce que cette date te parle ? Pas du tout. Alors en fait, […] c’est la date de rachat de Twitter’. A priori, un simple changement de propriétaire pour un réseau social. Mais en réalité, ce fut bien plus que ça. Ce fut une déflagration dont l’onde de choc s’est propagée à toute l’industrie.

La brutalité de la méthode d’Elon Musk, virant près de 80 % des effectifs en quelques semaines, a été un véritable électrochoc. Au-delà des considérations sur la modération ou la fuite des annonceurs, un message a été envoyé à l’ensemble du marché : une plateforme technologique majeure pouvait continuer à fonctionner avec une fraction de ses effectifs. Comme je le résumais, ‘pour moi, il a montré à l’ensemble du marché du digital bah que tu pouvais virer 50 % de ta boîte, ta boîte elle tournait.’ Bien sûr, la réalité est plus nuancée, mais la barrière psychologique était tombée. Les dirigeants de Google, Meta, Amazon et d’autres, qui subissaient déjà la pression de leurs actionnaires pour réduire les coûts, ont vu en Musk un pionnier involontaire. Il leur a donné, en quelque sorte, la permission sociale de faire ce qu’ils envisageaient sans oser le mettre en œuvre : des plans de licenciements d’une ampleur inédite.

La fin d’un tabou et l’effet domino

Ce qui s’est produit n’est pas seulement une question d’imitation. C’est la rupture d’un tabou. Pendant des années, la tech a fonctionné sur le mythe de la croissance infinie et de la guerre des talents, où licencier était un signe de faiblesse ultime. Musk a pulvérisé ce mythe. Il a transformé le licenciement d’un aveu d’échec en une démonstration de force managériale axée sur ‘l’efficacité radicale’. Soudainement, les PDG n’étaient plus frileux à l’idée d’annoncer des coupes drastiques ; au contraire, les marchés financiers applaudissaient ces décisions, y voyant un retour à la raison. Cet événement n’est pas la cause unique, mais il a été le catalyseur parfait dans un contexte déjà tendu. Il a servi de justification, d’exemple, et a accéléré un mouvement qui était de toute façon latent. Le point de départ des licenciements chez Facebook, Google et les autres n’est donc pas une coïncidence ; c’est une conséquence directe de ce nouveau paradigme où la taille des effectifs n’est plus un indicateur de succès, mais un poids à optimiser.

La fin de l’argent facile : le retour brutal à la réalité de la rentabilité

L’épisode Twitter a peut-être été l’étincelle, mais le baril de poudre était rempli depuis longtemps. Pour comprendre l’ampleur des licenciements dans le recrutement tech en 2023, il faut analyser la mécanique économique qui a régi le secteur pendant près d’une décennie. Comme le souligne Guillaume Rostand avec une grande lucidité, nous assistons à un retour à la normale après une période d’anomalie complète. ‘On revient au sens une certaine normalité après avoir fait n’importe quoi’, affirme-t-il. Ce ‘n’importe quoi’ a un nom : l’argent facile. Des années de taux d’intérêt proches de zéro ont inondé le marché de capitaux, créant une concurrence féroce entre les fonds d’investissement (VCs) pour financer la prochaine licorne. L’adage était simple : la croissance avant tout, la rentabilité attendra.

Dans ce contexte, la logique de recrutement était complètement décorrélée de la performance économique réelle de l’entreprise. L’objectif n’était pas de lier une nouvelle embauche à un gain de rentabilité, mais de ‘nourrir la croissance’ pour justifier la prochaine levée de fonds à une valorisation encore plus élevée. Guillaume l’explique parfaitement : ‘Le business dans beaucoup de cas n’avait pas à être rentable. Et donc forcément, si tu relies pas une ressource à un indice de rentabilité, tu peux virtuellement embaucher n’importe qui tant que l’argent…’. C’est ce modèle qui s’est effondré. Avec la hausse des taux d’intérêt, le financement s’est raréfié et les investisseurs ont changé leur fusil d’épaule. Du jour au lendemain, on a demandé à ces entreprises d’être non seulement en croissance, mais aussi rentables. Une équation impossible à résoudre sans une coupe drastique dans la principale source de dépenses : la masse salariale.

Le piège des valorisations et l’effet ciseaux

Le drame pour beaucoup de startups et de scale-ups s’est joué sur un effet ciseaux mortel. D’un côté, elles avaient levé des fonds sur des multiples de valorisation délirants, parfois 40 ou 50 fois leurs revenus annuels récurrents (ARR). De l’autre, le robinet du financement s’est fermé. Pour ne pas dégrader leur valorisation lors d’un prochain tour de table (ce qui serait catastrophique pour les fondateurs et les premiers investisseurs), elles n’ont eu d’autre choix que de prouver la viabilité de leur modèle économique. Et le moyen le plus rapide de dégager de la rentabilité, c’est de réduire les coûts. Les licenciements ne sont donc pas un choix, mais une conséquence mécanique de cette nouvelle donne. Guillaume a vécu cela de près, citant l’anecdote d’une boîte dans laquelle il a investi : ‘Fin 2021, une très belle valorisation, très belle boîte […] et je pense que c’était l’année dernière, c’était le champ du cygne’. Cette bulle qui a commencé à se dégonfler en 2022 a pleinement manifesté ses effets en 2023, forçant tout un écosystème à réapprendre les bases de la gestion financière.

Le marché à deux vitesses : qui recrute vraiment dans la tech aujourd’hui ?

L’image d’un secteur de la tech à l’arrêt, paralysé par les licenciements, est à la fois vraie et trompeuse. En réalité, le marché du travail digital s’est fracturé en deux mondes parallèles qui coexistent. D’un côté, nous avons les entreprises les plus visibles, celles qui ont sur-capitalisé sur la croissance et qui sont aujourd’hui contraintes de ‘dégraisser’. De l’autre, un tissu d’entreprises plus discrètes, plus raisonnables, qui voient dans la situation actuelle une opportunité inespérée de recruter des talents de haut niveau.

Les victimes de l’hyper-croissance et leur ‘Equity Story’

Les entreprises qui font les gros titres sont celles qui ont suivi le schéma classique : levées de fonds spectaculaires, valorisations stratosphériques, et une pression immense pour maintenir des taux de croissance explosifs. Guillaume cite l’exemple de Typeform à Barcelone, une entreprise emblématique qui a levé des centaines de millions avant de devoir licencier 30% de ses effectifs. Ces entreprises sont devenues ‘victimes de leur succès d’Equity Story’. Elles sont prisonnières de la narration qu’elles ont vendue à leurs investisseurs. Le problème, comme l’analyse Guillaume, c’est que ‘quand tu valorises une boîte 40 ou 50 fois l’ARR, […] il faut que la croissance continue à être aussi explosive’. Or, cette croissance s’érode mécaniquement avec la taille. Ces entreprises sont donc les premières à devoir procéder à des ajustements douloureux. C’est une division claire du marché que Guillaume observe : ‘C’est les plus vocales, celles dont on entend le plus parler. Ça a fait des Ankorstore, ça a fait des PayFit, ça a fait des histoires et il va y en avoir d’autres.’

L’aubaine pour les pragmatiques et les PME du digital

Pendant que les géants pansent leurs plaies, un autre marché du recrutement tech 2023 prospère. Les PME, les entreprises qui ont ‘bootstrappé’ (autofinancé leur croissance) ou qui ont levé des fonds de manière raisonnable, se retrouvent soudainement dans une position de force. Elles ont accès à un vivier de talents – développeurs, chefs de produit, marketeurs – qui étaient auparavant inaccessibles, captés par les salaires et les promesses des licornes. Guillaume le constate directement dans son écosystème barcelonais : la restructuration de Typeform ‘a plutôt permis aux boîtes qui elles continuent à être dans une situation plus raisonnable, de recruter des bons profils’. C’est un rééquilibrage salutaire du marché. On redécouvre que la performance ne se mesure pas seulement en millions levés, mais en viabilité et en durabilité. Cette période de crise est en fait une formidable opportunité pour les entreprises saines de se renforcer en attirant des compétences clés qui leur permettront de construire une croissance plus organique et pérenne.

Ce clivage redessine la carte de l’attractivité dans la tech. Un bon profil ne regarde peut-être plus seulement la valorisation ou la dernière levée de fonds, mais aussi la stabilité, la culture d’entreprise et la rationalité du projet économique. Le marché du travail digital est loin d’être mort ; il se recompose autour de nouvelles priorités et de nouveaux acteurs.

Le futur du travail en question : entre retour au bureau et éclatement des modèles

La crise économique et les licenciements ne sont pas les seuls facteurs qui transforment le marché du travail digital. En toile de fond, une autre bataille, plus culturelle et organisationnelle, se joue : celle du futur du travail. La période post-Covid a ouvert un débat intense qui est loin d’être tranché, créant une tension palpable entre les aspirations des salariés et les stratégies des entreprises.

Le grand rappel des troupes : la fin de la parenthèse enchantée du télétravail ?

D’un côté, on observe un mouvement de balancier puissant. De nombreux GAFAM et grandes entreprises sifflent la fin de la récréation du ‘full remote’. Ils exigent un retour au bureau, au moins plusieurs jours par semaine. Pourquoi ce revirement ? Comme je le suggérais, les vieilles habitudes ont la vie dure : ‘un manager d’une boîte classique a besoin de fliquer ses petits padawans en dessous […] s’il les voit pas, il est en stress’. Au-delà de la caricature, il y a une vraie crainte de la perte de culture d’entreprise, de la dilution du lien social et de la difficulté à innover sans les interactions informelles. Nous sommes, comme je le rappelais, des ‘animaux sociaux’. Le ‘small talk’ à la machine à café, les discussions impromptues, les ‘bêtises’ qu’on peut dire et qui font germer des idées, tout cela est difficilement réplicable via Zoom. Ce besoin de connexion physique est puissant et pourrait bien ramener une grande partie des équipes dans les locaux, même si ce n’est pas sous la forme du 9h-18h d’avant.

L’avènement de l’entreprise éclatée et la montée du ‘slashing’

À l’opposé, une autre tendance de fond, irréversible, gagne du terrain : la décentralisation et l’expertise. Guillaume le formule très bien : ‘Tout se décentralise vachement et s’expertise et ça recompose un monde du travail’. Ce phénomène se manifeste de plusieurs manières. D’abord, l’essor du freelancing et des collectifs d’experts. Les entreprises réalisent qu’elles n’ont pas toujours besoin d’un salarié à temps plein pour une compétence pointue. Elles peuvent faire appel à des experts externes pour des missions spécifiques, gagnant en agilité et en qualité. Ensuite, la montée en puissance du ‘slashing’, cette pratique qui consiste à cumuler plusieurs activités. Guillaume insiste sur ce point : ‘L’attrait du slashing ou du side c’est quand même hyper fort chez les nouvelles générations […] Tout le monde doit avoir un side’. C’est un changement de mentalité profond. Le travail n’est plus une allégeance unique à un employeur, mais un portefeuille d’activités qui peuvent inclure un emploi principal, un projet personnel, une mission de conseil… Les entreprises intelligentes devront apprendre à composer avec cette réalité, peut-être même en encourageant les side projects de leurs salariés s’ils peuvent aussi bénéficier à l’entreprise. Nous sommes donc dans un entre-deux, une phase de transition où ces deux mondes – le centralisé et l’éclaté – vont devoir trouver un équilibre.

L’inconnue majeure : comment l’intelligence artificielle va redéfinir tous les métiers

Alors que le marché du travail digital tente de trouver son nouvel équilibre, une vague encore plus puissante se profile à l’horizon : l’intelligence artificielle. Si les licenciements de 2023 sont une secousse conjoncturelle et structurelle, l’IA est une révolution tectonique qui va redessiner l’ensemble du paysage. On peut être tenté de la mettre dans le même sac que d’autres hypes technologiques passagères, comme les NFT ou le Web3, mais comme le souligne Guillaume, ‘l’IA est un probablement un changement plus profond’.

La véritable rupture ne réside pas seulement dans la nature de la technologie, mais dans sa vitesse d’adoption et de transformation. Contrairement à l’imprimerie, à la machine à vapeur ou même à Internet, les changements induits par l’IA ne se compteront pas en générations, mais en années. ‘La seule chose qui change par rapport à l’apparition de l’automobile, […] c’est la rapidité avec laquelle quand même ça va changer. Si ça change des trucs en 10 ans, c’est énorme’, prévient Guillaume. Cette accélération nous place face à un défi d’adaptation sans précédent. Les réactions oscillent entre deux extrêmes : le déni ( ‘ça ne changera que quelques tâches, c’est juste du texte automatique’) et la panique (‘nos boulots vont tous disparaître’). La vérité, comme souvent, se situe entre les deux. Les métiers ne vont pas forcément disparaître, mais ils vont se transformer radicalement.

Vers des ‘humains augmentés’ : l’IA comme partenaire et non comme remplaçant

La clé pour naviguer cette transition n’est pas de résister à la vague, mais d’apprendre à surfer dessus. L’enjeu est de passer d’une vision de l’IA comme remplaçante à une vision de l’IA comme co-pilote. Chaque professionnel, qu’il soit marketeur, développeur, recruteur ou créateur de contenu, devra devenir un ‘humain augmenté’. Cela signifie intégrer l’IA dans ses processus de travail pour automatiser les tâches à faible valeur ajoutée, pour analyser des données à une échelle impossible pour un cerveau humain, et pour décupler sa créativité. ‘On va devoir tous être des humains augmentés un petit peu grâce à [l’IA] et fondamentalement je trouve ça pas mal’, conclut Guillaume. Cette perspective est à la fois exigeante et excitante. Elle demande une capacité d’apprentissage et de désapprentissage permanente. Mon propre parcours, où mes jobs n’avaient ‘pas plus de 2 ans d’existence’ quand je les ai commencés, m’a habitué à ne pas avoir d’aversion au changement. C’est cette mentalité qui deviendra la norme. La compétence la plus précieuse dans le monde de demain ne sera pas une expertise figée, mais la capacité à évoluer en tandem avec la technologie.

Conclusion : la maturité ou la mort, le choix de la tech pour l’avenir

En refermant cette discussion sur l’année 2023, une image s’impose : celle de l’album de la maturité. Après l’énergie brute et parfois chaotique des débuts, après les excès et l’ivresse du succès, le secteur digital est contraint de produire une œuvre plus réfléchie, plus durable. Les licenciements massifs, le retour à la rentabilité, les débats sur le futur du travail et l’ombre de l’intelligence artificielle ne sont pas des crises isolées, mais les symptômes d’une industrie qui quitte l’adolescence pour entrer dans l’âge adulte. Elle devient, pour le meilleur et pour le pire, un secteur ‘normal’.

Les points clés à retenir sont clairs. Premièrement, la correction était inévitable après des années d’une bulle alimentée par l’argent facile. Deuxièmement, le marché se restructure, offrant des opportunités aux entreprises saines et pragmatiques. Troisièmement, le modèle de travail est en pleine mutation, et aucune organisation ne pourra ignorer la quête de flexibilité et de sens des talents. Enfin, l’IA n’est pas une option, c’est la prochaine révolution industrielle, et elle exigera de chacun d’entre nous une adaptation radicale.

L’appel à l’action est donc limpide. Pour les entreprises, il s’agit de construire des modèles économiques viables, de réinventer le management et la culture pour créer un sentiment d’appartenance dans un monde éclaté, et d’intégrer l’IA de manière stratégique. Pour les professionnels, l’heure est à la formation continue, à la curiosité et à l’agilité. Il faut cesser de voir sa carrière comme un chemin linéaire, mais plutôt comme un portefeuille de compétences à faire évoluer en permanence. Le digital n’est plus une terre promise où il suffit de planter un drapeau pour réussir. C’est désormais un territoire exigeant, concurrentiel et mature. Ceux qui l’accepteront et s’adapteront y construiront des carrières solides et passionnantes. Les autres risquent de rester sur le bord de la route, nostalgiques d’un âge d’or qui est définitivement révolu.


FAQ : Vos questions sur le marché du travail tech en 2023

1. Pourquoi y a-t-il eu autant de licenciements dans la tech en 2023 ?

Les licenciements massifs de 2023 sont la conséquence directe de la fin d’une période d’euphorie économique. Pendant des années, les entreprises de la tech, dopées par des taux d’intérêt très bas et un afflux de capitaux, ont privilégié une croissance effrénée au détriment de la rentabilité. Elles ont massivement recruté sans toujours lier ces embauches à des revenus directs. Le retournement de la conjoncture économique, avec la hausse des taux, a brutalement changé les règles : les investisseurs exigent désormais un chemin clair vers la rentabilité, forçant ces entreprises à réduire drastiquement leur principale source de coûts, la masse salariale.

‘On revient au sens une certaine normalité après avoir fait n’importe quoi. Donc ces licenciements […] sont juste l’expression du retour d’une certaine normale et que c’était un peu complètement inévitable.’

2. Le rachat de Twitter par Elon Musk a-t-il vraiment causé la vague de licenciements ?

Le rachat de Twitter n’est pas la cause fondamentale, mais il a été un puissant catalyseur psychologique. En licenciant 80% de ses effectifs et en maintenant la plateforme opérationnelle, Elon Musk a brisé un tabou dans la Silicon Valley. Il a démontré publiquement qu’une réduction drastique des effectifs était possible, même pour un acteur majeur. Cela a servi de justification et a ‘donné la permission’ à d’autres dirigeants, déjà sous la pression de leurs actionnaires, de lancer leurs propres plans de licenciement à grande échelle, ce qu’ils hésitaient peut-être à faire auparavant.

‘Pour moi, il a montré à l’ensemble du marché du digital bah que tu pouvais virer 50 % de ta boîte, ta boîte elle tournait. […] Et pour moi ça a été le point de départ de l’ensemble des licenciements Facebook, Google et cetera.’

3. Le télétravail est-il terminé dans le secteur digital ?

Le télétravail n’est pas terminé, mais nous sommes dans une phase de réajustement. On observe une tension entre deux modèles. D’une part, de grandes entreprises poussent pour un retour au bureau afin de renforcer la culture d’entreprise et la collaboration spontanée. D’autre part, la flexibilité reste un acquis majeur pour de nombreux salariés et une nouvelle organisation du travail, plus éclatée (freelancing, collectifs), se développe. L’avenir se situe probablement dans un modèle hybride, dont les contours varient selon la taille, la culture et le secteur de l’entreprise.

‘J’ai l’impression que on est dans une phase un peu d’entre deux en fait, c’est on a vu le monde d’après avec le Covid et cetera. […] Est-ce qu’on est prêt à l’accepter en fait ? Et bah je suis pas sûr parce que les mentalités bah elles sont ce qu’elles sont.’

4. Le secteur digital est-il en train de devenir une industrie comme les autres ?

Oui, tout porte à croire que le secteur digital est en train de perdre son statut ‘d’exception’ pour devenir une industrie mature. Cela signifie qu’il est désormais soumis aux mêmes cycles économiques que les autres secteurs : des phases de croissance, suivies de périodes de correction et de réajustement. L’idée d’une croissance infinie et décorrélée du reste de l’économie a vécu. C’est ‘l’album de la maturité’ pour la tech, qui doit maintenant prouver sa résilience et sa capacité à générer une croissance durable et rentable.

‘Pourquoi pas la tech […] n’est-elle pas en train de devenir un marché comme les autres ? […] Est-ce qu’en fait, on devient pas un marché […] un peu normal ? Est-ce qu’on a pas été un peu anormaux ?’

5. Comment l’intelligence artificielle va-t-elle impacter les métiers du marketing digital ?

L’intelligence artificielle va provoquer une transformation profonde et rapide des métiers. Plutôt que de remplacer les humains, elle va augmenter leurs capacités. L’IA deviendra un outil indispensable pour analyser les données, automatiser les tâches répétitives, personnaliser les campagnes à grande échelle et générer des idées créatives. Les professionnels du marketing devront développer de nouvelles compétences pour piloter ces outils et se concentrer sur la stratégie, la créativité de haut niveau et l’intelligence émotionnelle, des domaines où l’humain conserve un avantage.

‘On va devoir tous être des humains augmentés un petit peu grâce à [l’IA] et fondamentalement je trouve ça pas mal. […] L’expertise va devoir changer.’

6. Est-ce que toutes les entreprises tech licencient en 2023 ?

Non, le marché est très divisé. Les entreprises qui licencient le plus sont celles qui ont massivement levé des fonds à des valorisations très élevées et qui sont maintenant forcées de réduire leurs coûts pour viser la rentabilité. Cependant, de nombreuses autres entreprises, comme des PME, des sociétés qui se sont autofinancées (‘bootstrapped’) ou celles qui ont eu une croissance plus raisonnable, ne licencient pas. Au contraire, elles profitent de la situation pour recruter les excellents profils qui sont désormais disponibles sur le marché.

‘Il y a une dichotomie entre les boîtes qui en fait ont trop levé et les boîtes qu’ont raisonnablement levé ou voir les boîtes qu’ont bootstrappé. […] ça a plutôt permis aux boîtes qui elles continuent à être dans une situation plus raisonnable, de recruter des bons profils.’

7. Quelle est l’importance des ‘side projects’ pour une carrière dans la tech aujourd’hui ?

Les ‘side projects’ (projets annexes) sont devenus un élément central de la culture tech et de la gestion de carrière, un phénomène appelé ‘slashing’. Ils ne sont plus vus comme une distraction mais comme un moyen de développer de nouvelles compétences, d’explorer sa créativité et parfois de générer des revenus complémentaires. Pour les nouvelles générations, c’est une aspiration forte à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier professionnel. Les entreprises doivent apprendre à composer avec cette tendance, qui traduit une évolution de la relation au travail, moins exclusive et plus transactionnelle.

‘L’attrait du slashing ou on va ou du side c’est quand même hyper fort chez les nouvelles générations […] Tout le monde doit avoir un side, un truc, de fait ben nous c’est un side pour toi.’


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