Logo de l'épisode #90 Marché > L'année 2023 les licenciements, les recrutements … le digital devient-il un secteur comme les autres ? du podcast Bannouze : Le podcast du marketing digital !

#90 Marché > L’année 2023 les licenciements, les recrutements … le digital devient-il un secteur comme les autres ?

Épisode diffusé le 8 novembre 2023 par Bannouze : Le podcast du marketing digital !

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2023 : L’année où la tech a perdu son innocence et a regardé la réalité en face

L’année 2023 restera dans les annales de la tech comme une année de rupture, une sorte de gueule de bois collective après une fête qui semblait ne jamais devoir finir. Nous sortions à peine de la ‘Grande Démission’, où les talents dictaient leurs conditions, pour plonger tête la première dans l’ère des ‘Grands Licenciements’. Les notifications LinkedIn se sont transformées, passant des annonces de nouvelles prises de poste à des messages poignants de recherche d’emploi. Une atmosphère d’incertitude s’est installée, un coup de flip généralisé où chacun, même dans les forteresses que l’on croyait imprenables comme Google ou Facebook, a commencé à se demander : ‘Suis-je le prochain ?’. Cette onde de choc n’est pas arrivée de nulle part. Pour la comprendre, il faut remonter à un événement précis, une date qui, pour moi, a tout changé : le 14 avril 2022. Cette date ne vous dit peut-être rien, mais elle marque le début du rachat de Twitter par Elon Musk. Un acte qui a servi de détonateur à une bombe qui couvait depuis des mois.

Dans cet échange passionnant avec Laurent pour le podcast Bannouze, nous avons tenté de prendre du recul sur cette année tumultueuse. Loin de se limiter à un simple constat, notre discussion a exploré les racines profondes de cette crise : l’argent facile, les valorisations délirantes, la course effrénée à la croissance au détriment de la rentabilité. C’est l’histoire d’un écosystème qui a peut-être cru un peu trop longtemps à sa propre mythologie. Mais au-delà du diagnostic, nous avons surtout cherché à esquisser les contours du monde d’après. Car cette crise, aussi douloureuse soit-elle, est peut-être salutaire. Elle nous force à nous poser la question fondamentale : le digital est-il en train de devenir un secteur comme les autres ? Un secteur mature, avec ses cycles, ses contraintes et ses réalités économiques. Un secteur où l’on ne peut plus embaucher à l’infini sans se soucier du P&L (le compte de profits et pertes). Un secteur, enfin, où l’intelligence artificielle vient rebattre toutes les cartes, nous forçant à réinventer la nature même de nos métiers. Cet article n’est pas une simple retranscription, c’est une plongée dans les coulisses de cette transformation, un décryptage pour comprendre non seulement ce qui s’est passé, mais surtout ce qui nous attend demain.

L’effet Musk : comment le rachat de Twitter a brisé un tabou et ouvert la boîte de Pandore

Pour comprendre la vague de licenciements qui a déferlé sur la tech en 2023, il faut revenir à ce moment charnière. Lorsque Laurent m’a interrogé sur la date du 14 avril 2022, j’avoue ne pas m’en être souvenu sur le coup. Pourtant, son analyse est percutante. Le rachat de Twitter par Elon Musk a été bien plus qu’une simple transaction financière ; ce fut un séisme psychologique pour tout notre écosystème.

Pour moi cette date, elle est c’est vraiment un tournant dans la tech parce que finalement après le rachat de Twitter, Elon Musk a viré 80 % des effectifs et en fait pour moi, il a montré à l’ensemble du marché du digital bah que tu pouvais virer 50 % de ta boîte, ta boîte elle tourne.

Cette action, d’une brutalité inouïe, a brisé un tabou. Avant Musk, licencier 10% de ses effectifs était considéré comme un échec cuisant, une crise majeure. Après lui, l’idée de réduire drastiquement la voilure est devenue, sinon acceptable, du moins envisageable pour les conseils d’administration. Bien sûr, comme le souligne Laurent, on ne peut ignorer les conséquences désastreuses sur la modération ou la fuite des annonceurs. Mais le signal envoyé au marché a été d’une puissance redoutable : la plateforme, techniquement, fonctionne toujours. Ce geste a servi de validation, de permission officieuse pour tous les autres géants de la tech qui subissaient déjà une pression intense de leurs investisseurs pour couper dans les coûts. Musk a été le catalyseur, mais le terrain était déjà prêt pour l’incendie. Depuis des années, le secteur vivait dans une forme d’irréalité économique.

La fin de l’argent magique : retour sur les causes profondes de la crise

L’acte de Musk n’aurait pas eu un tel écho si l’écosystème n’était pas déjà au bord de la rupture. Nous devons nous souvenir de la période 2020-2021, une époque d’euphorie totale. Comme je l’expliquais, plusieurs facteurs se sont conjugués pour créer une bulle spéculative gigantesque : un afflux massif de capitaux, des taux d’intérêt proches de zéro qui rendaient l’argent quasi gratuit, et une concurrence féroce entre les fonds de capital-risque (VC) qui étaient ‘blindés’ de liquidités et devaient les déployer à tout prix. Cette dynamique a conduit à une inflation spectaculaire des valorisations des entreprises de la tech. On a vu des startups lever des centaines de millions sur des multiples de revenus annuels récurrents (ARR) complètement délirants, parfois 40 ou 50 fois l’ARR. Dans ce contexte, la rentabilité n’était plus le sujet. L’unique obsession était la croissance. Il fallait grandir, et vite, pour justifier la valorisation actuelle et préparer la prochaine levée de fonds, encore plus grosse.

On s’est rendu compte tout le long de l’année 2021 que la bulle commençait à exploser ou à dégonfler […] Et 2022, c’était un peu la mise en pratique des effets de ce dégonflement.

Cette course à l’hyper-croissance a eu une conséquence directe sur le marché du travail : on a embauché massivement, parfois sans discernement. L’objectif n’était pas toujours de répondre à un besoin business immédiat, mais de ‘nourrir la bête’ de la croissance, de montrer aux investisseurs que l’on ‘scalait’. On a vu se créer des strates de management, des équipes dédiées à des projets exploratoires sans business model clair. Je le dis de manière un peu provocatrice, mais c’était inévitable :

On a peut-être un peu trop utiliser l’argent des fonds de pensions, des VC, de ce que tu veux pour embaucher des gens qui n’avaient pas une utilité directe sur le business pour une raison simple, c’est que le business dans beaucoup de cas n’avait pas à être rentable.

Quand les taux d’intérêt ont commencé à remonter et que le robinet du capital-risque s’est asséché, le réveil a été brutal. Les entreprises qui avaient vécu de levées de fonds successives se sont retrouvées face à un mur. Le mantra a changé du jour au lendemain : il fallait devenir rentable. Et la variable d’ajustement la plus rapide et la plus évidente, ce sont les effectifs. Les licenciements n’ont donc pas été une surprise, mais l’expression logique et douloureuse d’un retour à la normale, à des fondamentaux économiques que l’on avait peut-être un peu trop vite oubliés.

Un marché à deux vitesses : la grande fracture du recrutement digital

L’une des observations les plus frappantes de cette période de transition est que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. La crise a révélé une profonde dichotomie au sein de l’écosystème tech, créant un marché du travail à deux, voire plusieurs vitesses. D’un côté, nous avons les entreprises qui ont été les plus emblématiques de l’ère de l’hyper-croissance et qui sont aujourd’hui contraintes de dégraisser massivement. De l’autre, des entreprises plus discrètes, peut-être plus raisonnables dans leur gestion, qui profitent de la situation pour attirer des talents jusqu’alors inaccessibles.

Les licornes face au mur de la rentabilité

Les entreprises qui souffrent le plus sont celles dont on parlait le plus hier. Celles qui enchaînaient les levées de fonds spectaculaires, atteignant des valorisations de plusieurs milliards. Ces ‘licornes’ sont aujourd’hui victimes de leur propre ‘Equity Story’. Elles ont levé des fonds sur des multiples de valorisation qui supposaient une croissance exponentielle continue. Or, le financement s’est tari. Leurs investisseurs ne leur demandent plus seulement de la croissance, mais aussi et surtout un chemin clair vers la rentabilité. C’est une équation presque impossible à résoudre sans une restructuration profonde.

Aujourd’hui, c’est ces boîtes-là qui sont obligées de licencier pour un truc très simple, elles ont levé sur des multiples qui étaient complètement dingues. […] si elles veulent pas dégrader leur valorisation, ben il faut qu’elles arrivent à montrer leur modèle économique à dégager plus de rentabilité et donc elles virent des gens. Ça c’est ultra mécanique.

J’ai cité l’exemple de Typeform à Barcelone, une entreprise formidable qui a levé 200 millions et a dû se séparer de 30% de ses effectifs. C’est le cas typique. Quand vous valorisez une boîte 50 fois son revenu annuel, la pression pour maintenir une croissance explosive est immense. Et comme la croissance marginale par employé diminue à mesure que l’entreprise grandit, le modèle finit par s’essouffler. Ces entreprises sont donc prises au piège : elles ne peuvent pas faire une nouvelle levée de fonds sans risquer un ‘down round’ (une valorisation inférieure à la précédente), ce qui serait catastrophique pour le moral et pour les actionnaires existants. La seule solution est de couper drastiquement dans les coûts. C’est ce qui explique les plans sociaux chez des entreprises comme Ledger, qui a annoncé 12% de réduction d’effectifs malgré une levée de 100 millions.

L’opportunité pour les entreprises ‘raisonnables’ et les PME

Pendant que les projecteurs étaient braqués sur ces géants en difficulté, un autre pan du marché vit une toute autre réalité. Les entreprises qui ont eu une croissance plus organique, qui ont levé des fonds de manière raisonnable ou qui se sont même ‘bootstrappées’ (autofinancées), se retrouvent aujourd’hui dans une position de force. Elles n’ont pas la même pression sur la rentabilité, car elle a toujours été au cœur de leur modèle. Pour elles, la situation actuelle est une aubaine. Le marché est soudainement inondé de profils très qualifiés, de talents expérimentés qui ont travaillé dans des environnements très exigeants et qui sont désormais disponibles.

Ça a plutôt permis aux boîtes qui elles continuent à être dans une situation plus raisonnable de recruter des bons profils.

Dans mon écosystème à Barcelone, je vois de nombreuses entreprises de ce type qui continuent d’embaucher. Elles profitent de ce rééquilibrage pour renforcer leurs équipes avec des experts qu’elles n’auraient jamais pu s’offrir il y a deux ans, car ils étaient captés par les salaires mirobolants et les promesses de stock-options des licornes. On assiste donc à une redistribution des cartes. C’est peut-être la fin du mythe de la licorne comme seul modèle de réussite, et le retour en grâce de la ‘belle PME digitale’, rentable et durable. C’est un mouvement de fond qui redéfinit ce qu’est le succès dans la tech et qui pourrait, à terme, rendre l’écosystème beaucoup plus sain et résilient.

L’avenir du travail en question : entre retour au bureau et révolution du freelancing

Cette grande remise à plat économique s’accompagne d’une profonde interrogation sur nos manières de travailler. La pandémie de Covid avait agi comme un accélérateur, nous projetant dans un ‘monde d’après’ fait de télétravail généralisé et de flexibilité. Mais aujourd’hui, le balancier semble repartir dans l’autre sens, créant de nouvelles tensions et redéfinissant le contrat entre l’employeur et l’employé. Nous sommes au milieu du gué, dans un entre-deux où plusieurs modèles s’affrontent et où les certitudes d’hier ne sont plus celles de demain.

La bataille du télétravail : un retour en arrière est-il possible ?

On observe une tendance de fond où les grandes entreprises, notamment les GAFAM, sifflent la fin de la récréation et exigent un retour au bureau, au moins partiel. L’argument principal est celui de la culture d’entreprise, de la collaboration spontanée, de l’innovation qui naîtrait des discussions à la machine à café. Pour Laurent, ce retour est inéluctable car nous sommes des ‘animaux sociaux’ qui avons besoin de ce lien physique. Je partage en partie ce constat, mais je suis plus nuancé sur la faisabilité d’un retour en arrière complet. Forcer les gens à revenir dans un environnement qui a perdu son âme peut être contre-productif. Je le vois dans ma propre entreprise :

Quand je retourne dans notre bureau qui est un gros siège social, il y a plus d’ambiance et tu arrives, tu t’installes à un endroit, tu entends des gens hurler devant leur ordinateur parce qu’ils hurlent par internet sur des gens qui devraient être assis à côté d’eux.

Cette situation ubuesque montre bien le défi : recréer du lien et un sentiment de vie ne se décrète pas. Je pense que le marché va se segmenter. Les petites startups en phase de croissance intense, qui ont besoin de ‘chiper des features’ rapidement, maintiendront une forte culture du présentiel. Pour les grands groupes, c’est plus complexe. Ils ne peuvent pas se permettre de perdre leurs meilleurs talents, qui ont goûté à la flexibilité et ne voudront pas y renoncer. Le talent reste le juge de paix. La question est de savoir qui a le plus de ‘leverage’ : l’employeur ou l’employé ? Le rapport de force s’est rééquilibré, mais je doute qu’on puisse effacer les acquis de ces dernières années d’un trait de plume.

L’ère du ‘slashing’ et de l’expertise à la demande

Parallèlement à ce débat sur le lieu de travail, une autre tendance de fond s’affirme : l’éclatement du travail lui-même. La nouvelle génération n’aspire plus forcément au modèle unique du CDI à plein temps. Le ‘side hustle’, le fait d’avoir une ou plusieurs activités à côté de son emploi principal, est devenu une norme, une aspiration. C’est ce que l’on appelle le ‘slashing’.

L’attrait du slashing ou du side hustle est quand même hyper fort chez les nouvelles générations. […] Tout le monde veut avoir un side hustle, un truc de fait. Nous, c’est un side hustle pour toi. Ça veut pas dire que c’est un side revenu, c’est un side hustle.

Les entreprises doivent composer avec cette réalité. Elles ne peuvent plus exiger 200% de l’investissement d’une personne sans contrepartie. Cela se combine avec un autre phénomène : l’hyper-spécialisation. Pour de nombreux besoins pointus, les entreprises ont tout intérêt à faire appel à des freelances experts plutôt qu’à recruter en interne. Un spécialiste SEO, par exemple, peut apporter une valeur immense en intervenant quelques jours par mois. Ce modèle est gagnant-gagnant : l’entreprise accède à une expertise de haut niveau sans supporter le coût d’un temps plein, et le freelance gagne en autonomie et peut travailler pour plusieurs clients. Cette décentralisation du travail est une lame de fond qui recompose le paysage. Le défi pour les entreprises sera de savoir orchestrer cet écosystème hybride, mêlant salariés, freelances et collectifs, tout en maintenant une cohésion et un sentiment d’appartenance. C’est là que la culture d’entreprise, et notamment la formation, devient un levier stratégique absolument essentiel.

L’IA, le cygne noir : comment l’intelligence artificielle va redéfinir tous nos métiers

Alors que nous tentons de naviguer dans les complexités de ce nouveau marché du travail, une vague encore plus puissante se profile à l’horizon : l’intelligence artificielle. On a l’habitude, dans la tech, des cycles de hype. On a eu le Web3, les NFTs, le métavers… Des concepts qui devaient tout changer et qui sont, pour beaucoup, retombés comme des soufflés. Mais l’IA, et en particulier l’IA générative, c’est différent. Ce n’est pas une simple tendance, c’est une révolution technologique fondamentale, comparable à l’imprimerie ou à l’électricité. Et elle arrive à une vitesse vertigineuse.

Le principal facteur qui distingue l’IA des révolutions technologiques précédentes, c’est sa rapidité d’adoption et de progression. Entre l’invention de la machine à vapeur et son impact sur l’ensemble de la société, il s’est écoulé des décennies. Aujourd’hui, les changements se comptent en mois. Cette accélération est à la fois fascinante et angoissante. Elle nous place tous face à une inconnue radicale. Face à cela, il y a deux réactions extrêmes, et probablement erronées : le déni (‘ce n’est qu’un outil qui génère du texte automatiquement, ça ne changera pas grand-chose’) et la panique (‘mon Dieu, c’est foutu, nos boulots vont tous disparaître’).

La seule chose qui change par rapport à l’apparition de l’automobile, de la radio ou même de la machine à vapeur, c’est la rapidité avec laquelle quand même ça va changer. Si ça change des trucs en 10 ans, c’est énorme.

La vérité se situe probablement entre les deux. Non, l’IA ne va pas remplacer tous les humains. Mais oui, elle va transformer en profondeur la quasi-totalité de nos métiers. Les tâches répétitives, l’analyse de données à grande échelle, la création de contenu de premier niveau… tout cela sera de plus en plus automatisé. La valeur ne résidera plus dans l’exécution de ces tâches, mais dans la capacité à piloter ces outils, à poser les bonnes questions, à faire preuve de créativité, de sens critique et d’intelligence émotionnelle. Le défi n’est donc pas de lutter contre l’IA, mais d’apprendre à travailler avec elle. Nous devons tous nous préparer à devenir des ‘humains augmentés’.

On va devoir tous être des humains augmentés un petit peu grâce à l’IA et fondamentalement je trouve ça pas mal. […] Ça va être une super béquille, même peut-être plus qu’une béquille, ça va être un exosquelette du cerveau finalement. Ça nous permettra d’aller plus loin, peut-être plus rapidement, plus fort.

Cette vision de ‘l’exosquelette cérébral’ est, je pense, la plus juste. L’IA ne nous rendra pas obsolètes, elle augmentera nos capacités. Un marketeur pourra analyser des tendances avec une précision inédite, un développeur pourra coder plus vite et avec moins d’erreurs, un créateur de contenu pourra explorer de nouvelles pistes créatives. Mais cela exige un changement de mentalité radical. La compétence clé de demain ne sera plus une expertise statique, mais la capacité à apprendre, à désapprendre et à réapprendre en permanence. Pour les entreprises, cela signifie investir massivement dans la formation continue. Pour les individus, cela implique une curiosité insatiable et une humilité face à l’ampleur du changement. Nous sommes au début d’une nouvelle ère, et ceux qui réussiront seront ceux qui embrasseront cette transformation avec audace et intelligence.

Conclusion : La maturité ou la mort, le nouveau paradigme de la tech

Au terme de cette analyse, une conclusion s’impose : le secteur de la tech est entré dans son âge de raison. L’adolescence insouciante, faite de croissance infinie et d’argent qui coule à flots, est terminée. Nous entrons dans l’âge adulte, avec ses responsabilités, ses réalités économiques et ses cycles. C’est peut-être moins glamour, mais c’est sans doute beaucoup plus sain. L’année 2023 n’était pas une anomalie, mais le symptôme d’une normalisation inévitable. Le digital est en train de devenir une industrie comme les autres, et c’est une excellente nouvelle pour sa pérennité.

Cette transition nous oblige à revoir nos certitudes. Le succès ne se mesurera plus seulement au montant de la dernière levée de fonds, mais à la solidité du modèle économique et à la capacité à générer de la rentabilité. Le rapport au travail se réinvente, exigeant des entreprises plus de flexibilité, de sens et d’investissement dans le développement de leurs collaborateurs. Enfin, l’intelligence artificielle nous force à une remise en question fondamentale de nos compétences, nous poussant vers un avenir où notre valeur ajoutée résidera dans notre humanité augmentée.

Loin d’être un tableau pessimiste, c’est un appel à l’action. Pour les entreprises, il s’agit de construire des modèles plus résilients, plus durables, centrés sur la valeur réelle plutôt que sur la spéculation. Pour chacun d’entre nous, professionnels du digital, le défi est d’embrasser le changement, de cultiver notre adaptabilité et de ne jamais cesser d’apprendre. La marée est descendue, et comme le dit l’adage, c’est maintenant que l’on voit qui nageait sans maillot. L’avenir appartient à ceux qui sauront naviguer dans ces nouvelles eaux, avec lucidité, agilité et une vision claire de la valeur qu’ils apportent. Le jeu a changé, mais il n’a jamais été aussi passionnant.

Foire Aux Questions

Quel a été le véritable impact du rachat de Twitter par Elon Musk sur les licenciements dans la tech ?

Le rachat de Twitter a eu un effet psychologique détonateur. En licenciant 80% de ses effectifs sans que la plateforme ne s’effondre techniquement, Elon Musk a brisé un tabou majeur dans le secteur. Il a montré qu’il était possible de fonctionner avec des équipes radicalement plus petites, décomplexant ainsi les autres géants de la tech qui subissaient déjà une forte pression de leurs investisseurs pour réduire les coûts. Cet événement a servi de permission officieuse, ouvrant la voie à une vague de licenciements sans précédent car il a prouvé qu’une action aussi drastique était, du moins à court terme, survivable pour une entreprise.

‘Pour moi cette date, elle est c’est vraiment un tournant dans la tech parce que finalement après le rachat de Twitter, Elon Musk a viré 80 % des effectifs et en fait pour moi, il a montré à l’ensemble du marché du digital bah que tu pouvais virer 50 % de ta boîte, ta boîte elle tourne.’

Pourquoi tant d’entreprises de la tech ont-elles licencié en 2023 alors qu’elles semblaient en pleine croissance ?

Ces licenciements sont la conséquence directe de la fin d’un cycle économique. Pendant des années, l’argent était quasi gratuit (taux d’intérêt à zéro) et les investisseurs ont massivement financé les startups, non pas sur leur rentabilité mais sur leur potentiel de croissance exponentielle. Cela a mené à des embauches massives pour ‘nourrir la croissance’, parfois sans lien direct avec un besoin économique réel. Avec la hausse des taux d’intérêt et le tarissement des financements, le paradigme a changé. Les investisseurs exigent désormais un retour à la rentabilité. Les entreprises, surtout celles ayant levé des fonds sur des valorisations très élevées, ont été contraintes de réduire drastiquement leurs coûts pour survivre, et la masse salariale en est la principale variable d’ajustement.

‘Le business dans beaucoup de cas n’avait pas à être rentable. Et donc forcément si tu relies pas une ressource à un indice de rentabilité, tu peux virtuellement embaucher n’importe qui.’

Le marché du travail tech est-il le même pour toutes les entreprises ?

Non, absolument pas. Il y a une véritable fracture. D’un côté, les ‘licornes’ et les entreprises surfinancées qui ont levé des sommes colossales à des valorisations très hautes sont aujourd’hui obligées de licencier pour tendre vers la rentabilité et ne pas dégrader leur valorisation. De l’autre côté, les entreprises qui se sont développées de manière plus organique, les PME du digital ou les startups ‘bootstrappées’ (autofinancées) se retrouvent en position de force. Elles profitent de l’afflux de talents très qualifiés sur le marché pour recruter des profils qui leur étaient inaccessibles auparavant. Pour ces entreprises plus saines, la crise actuelle est une véritable opportunité.

‘Il y a une dichotomie entre les boîtes qui en fait ont trop levé et les boîtes qu’ont raisonnablement levé ou voir les boîtes qu’on bootstrapper […] ça a plutôt permis aux boîtes qui elles continuent à être dans une situation plus raisonnable de recruter des bons profils.’

Le télétravail est-il amené à disparaître dans la tech ?

Il est peu probable qu’il disparaisse, mais son modèle est en pleine redéfinition. On assiste à une tension entre les entreprises, notamment les grands groupes, qui souhaitent un retour au bureau pour recréer du lien et une culture d’entreprise, et les employés qui ne veulent pas renoncer à la flexibilité acquise. Un retour en arrière complet semble difficile car le talent reste un critère clé, et les meilleurs profils pourraient refuser des postes sans flexibilité. Le futur s’oriente probablement vers des modèles hybrides et une segmentation du marché : les jeunes startups en phase de forte croissance privilégieront le présentiel, tandis que les grands groupes devront trouver un équilibre pour ne pas perdre leurs talents.

‘Les groupes comme celui pour lequel je travaille, Dream, je pense qu’ils ne peuvent pas se permettre encore aujourd’hui de de forcer tout le monde à revenir.’

Comment la tendance du ‘side hustle’ ou ‘slashing’ affecte-t-elle les entreprises ?

Cette tendance, très forte chez les nouvelles générations, change la nature du contrat de travail. Les employés n’aspirent plus uniquement à une carrière linéaire dans une seule entreprise. Ils cherchent à diversifier leurs activités, à développer des projets personnels (‘side hustles’) pour apprendre, gagner en autonomie ou simplement par passion. Pour les entreprises, cela signifie qu’elles ne peuvent plus exiger un dévouement exclusif et total sans une forte contrepartie. Elles doivent apprendre à composer avec cette aspiration, voire à l’encourager si elle peut aussi bénéficier à l’entreprise. Cela renforce également le modèle du freelancing, où les experts interviennent sur des missions précises pour plusieurs clients.

‘L’attrait du du du slashing ou on va ou du side seul euh est quand même hyper fort chez les nouvelles enfin les nouvelles générations. […] Tout le monde veut avoir un side seul.’

Comment l’intelligence artificielle va-t-elle concrètement changer les métiers du digital ?

L’IA ne va pas tant faire disparaître les métiers que les transformer en profondeur. Elle agira comme un ‘exosquelette pour le cerveau’, augmentant nos capacités. Les tâches répétitives, l’analyse de données, et la production de contenu de base seront largement automatisées. La valeur humaine se déplacera vers la stratégie, la créativité, le sens critique, la supervision de l’IA et l’intelligence émotionnelle. Concrètement, un professionnel du marketing passera moins de temps à créer des rapports et plus à interpréter les insights complexes de l’IA. Un développeur passera moins de temps sur du code de routine et plus sur l’architecture logicielle complexe. La compétence clé deviendra l’agilité et la capacité à apprendre à piloter ces nouveaux outils.

‘On va devoir tous être des humains augmenter un petit peu grâce à IA et fondamentalement je trouve ça pas mal.’


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