Lancer une marque dans le luxe : un pari fou ? Le cas de Champagne EPC
Le secteur du luxe, et plus particulièrement celui du champagne, semble être une forteresse imprenable, gardée par des maisons centenaires à la notoriété solidement établie. Dans ce contexte, vouloir lancer une marque de luxe à partir de zéro peut apparaître comme un pari insensé. C’est pourtant le défi relevé par Camille Jullien et ses cofondateurs avec Champagne EPC. Comment se faire une place au soleil quand on est un David face à des Goliaths ? Quelle stratégie adopter quand on part avec des moyens limités ?
Dans cet entretien, Camille Jullien, cofondatrice de Champagne EPC, nous ouvre les portes de sa stratégie. Loin des grands discours, elle partage une approche pragmatique, fondée sur l’écoute obsessionnelle du consommateur et une succession d’étapes réfléchies. Comme elle le dit elle-même, l’aventure a commencé il y a un peu plus de trois ans, en juin 2019, avec un trio aux profils très complémentaires. Édouard, fils et petit-fils de vigneron champenois ; Jérôme, fort de 25 ans d’expérience dans de grandes maisons ; et Camille, issue de la grande consommation chez Procter & Gamble. Cette alliance a permis de créer une marque qui bouscule les codes, tout en respectant l’essence d’un produit d’exception.
L’audace de défier les géants : le positionnement unique de Champagne EPC
La question se pose d’emblée : comment se positionner face aux mastodontes du champagne ? Pour Camille, cette situation est à double tranchant. « C’est à la fois un avantage et un inconvénient », confie-t-elle. L’inconvénient est évident : le manque de notoriété. « On ne nous connaît pas et on est face à des marques qui ont eu des dizaines pour pas dire des centaines d’années pour établir leur notoriété. Donc on se bat pas à armes égales. »
Mais c’est précisément là que réside l’avantage. Ne pas avoir d’héritage à entretenir signifie une liberté totale. « On a pas de passif non plus et donc en fait, on part un peu d’une feuille blanche pour créer une marque de zéro et donc on peut se permettre peut-être plus de liberté qu’un autre acteur. » Cette liberté a permis de construire une identité de marque forte, basée sur trois piliers différenciants qui répondent directement aux attentes d’une nouvelle génération de consommateurs.
Les trois piliers de la différenciation d’EPC
Le nom EPC signifie « Épicurien », un choix qui reflète l’ADN de la marque. Cette identité s’articule autour de trois axes fondamentaux. Premièrement, un partenariat équitable avec les vignerons. « Avec nous, ce sont les vignerons qui élaborent de A à Z le champagne », explique Camille. Contrairement au modèle de négoce où les grandes maisons achètent le raisin, EPC valorise le savoir-faire des artisans en leur permettant de maîtriser tout le processus, assurant ainsi une rémunération plus juste.
Le deuxième pilier est la traçabilité. À l’heure où les consommateurs veulent savoir ce qu’ils consomment, EPC joue la carte de la transparence totale. « Sur chacune de nos cuvées, on indique la carte d’identité du champagne : le lieu d’élaboration, le terroir, avec qui on a collaboré, le taux de sucre et on va minimiser aussi tout ce qui est additif, faut vraiment laisser toute la place au vin. »
Enfin, le troisième pilier est une image de marque qui apporte « un vent de liberté sur le champagne ». Il s’agit de dépoussiérer l’image parfois rigide du champagne pour la rendre plus accessible et en phase avec son époque, sans jamais sacrifier la qualité.
Par où commencer ? La stratégie pour lancer une marque de luxe avec peu de moyens
Lancer un produit, surtout dans le luxe, exige une stratégie mûrement réfléchie. Pour Camille et son équipe, le point de départ n’est ni le produit, ni le marketing, mais le consommateur. Leur mantra est sans appel : « Notre avis ne vaut rien, seul celui des consommateurs compte. » Cette conviction a dicté chaque étape du lancement.
L’étape zéro : écouter le consommateur avant tout
Avant même de créer la marque, la première action a été de mener une étude de marché luxe rigoureuse, mais avec les moyens du bord. « On a commencé par des études quantitatives et qualitatives qu’on a fait avec nos moyens, parce qu’à l’époque on avait des moyens très limités. » Leur ingéniosité prouve qu’il est possible de recueillir des données précieuses sans un budget colossal.
Pour le quantitatif, ils ont créé un questionnaire en ligne diffusé à leurs réseaux, récoltant plus de 250 réponses, un échantillon déjà représentatif. Pour le qualitatif, l’approche a été tout aussi créative : « On a recruté des gens en fait en allant les chercher sur les réseaux sociaux par exemple et on leur a dit ‘bah voilà, on organise une table ronde pour discuter champagne et vous repartirez avec une bouteille de champagne à la fin’. » Une méthode simple et efficace pour obtenir des insights profonds et affronter directement le regard des futurs clients.
De l’étude à l’action : la création de la marque
Ces études ont fourni une matière première inestimable pour rédiger un brief de création de marque précis. Elles ont permis de définir la cible : les Millenials (25-35 ans), d’identifier leurs barrières à la consommation et de cerner leurs attentes. La première étape concrète fut de trouver un nom. Après avoir reçu une cinquantaine de propositions et en avoir présélectionné cinq, l’équipe a appliqué une méthode de test redoutable d’efficacité.
Camille raconte : « On leur montrait les cinq noms, on leur disait ‘bah qu’est-ce que tu préfères ?’ Et deux heures plus tard, on les recontactait en disant ‘bah parmi les cinq noms que je t’ai présenté il y a 2 heures, tu te souviens de quel nom ?' » Le résultat fut éclairant. EPC n’était pas le nom le plus consensuel, il était même « assez polarisant ». Mais c’était celui dont tout le monde se souvenait. La mémorisation a primé sur la popularité, un choix stratégique audacieux pour marquer les esprits.
Les fondations marketing : produit, design et présence digitale
Une fois le nom validé, la réflexion s’est portée sur les autres éléments clés. Camille insiste sur un prérequis fondamental : le produit. « La base effectivement pour moi quand on lance un produit une marque, c’est d’avoir un bon produit. Parce qu’on peut lancer le meilleur marketing du monde si le produit à la base n’est pas bon, ça marchera pas. » Ce n’est qu’après s’être assuré de la qualité du vin que les efforts marketing ont été déployés.
La deuxième étape a été le design de la bouteille, un facteur de choix crucial dans l’univers du champagne. Puis, la construction de la présence digitale a suivi, avec la création du site internet et du compte Instagram, devenus les premières vitrines de la marque.
Mesurer le succès : les métriques clés au-delà du chiffre d’affaires
Une fois la marque lancée, il est vital de suivre les bons indicateurs pour piloter la croissance. Si le chiffre d’affaires et la marge restent des fondamentaux, l’équipe d’EPC porte une attention particulière à d’autres métriques, bien plus révélatrices de la santé de la marque à long terme.
La fidélisation comme boussole
« Nous ce qu’on va beaucoup regarder, c’est le taux de réachat et le taux de satisfaction client », souligne Camille. Pourquoi ? « Parce que je pense que quand on lance une marque, c’est la fidélisation qui est aussi très importante, car ça permet d’évaluer à quel point notre produit a plu. » Avec plus de 90% de taux de satisfaction et un excellent taux de réachat, la marque a la preuve que son produit et son positionnement résonnent juste. Le suivi du chiffre d’affaires entre nouveaux et anciens clients permet également de s’assurer que la machine à acquérir de nouveaux consommateurs continue de tourner.
Le CRM, outil capital pour la connaissance client
Pour atteindre ce niveau de suivi, un outil s’est révélé indispensable : le CRM. L’investissement a été fait très tôt, seulement deux mois après le lancement. « C’est capital pour notre quotidien », affirme Camille. « Ça nous permet d’avoir une excellente connaissance de nos clients et ça, c’est quelque chose qui nous différencie vraiment des concurrents. »
L’utilisation du CRM est poussée à son maximum. L’équipe analyse des métriques très fines sur ses clients : secteur d’activité (BTP, tech, conseil), poste occupé, ou encore des personas qu’ils ont identifiés. Cette connaissance client chirurgicale permet une agilité et une personnalisation qui font la différence.
Naviguer entre impertinence et tradition : trouver le juste équilibre dans le luxe
L’un des plus grands défis pour une marque comme EPC est de savoir où placer le curseur entre la disruption et le respect des codes du luxe. Un positionnement de marque de luxe qui se veut impertinent et fun pour séduire les jeunes générations peut facilement être perçu comme manquant de sérieux ou de qualité.
Le test comme garde-fou : l’anecdote des quais du métro
Comment trouver ce juste milieu ? Encore une fois, par le test. Au début, l’équipe voulait « vraiment casser la baraque » avec un design très disruptif. Mais les tests consommateurs ont vite tempéré leurs ardeurs. Camille raconte une anecdote savoureuse : « Ce que je faisais, c’est quand on avait des pistes de design de bouteilles, je faisais des tests consommateurs sur les quais du métro où en fait j’allais montrer mes différentes alternatives à des gens qui attendaient. »
Ces tests de terrain ont révélé un risque majeur : « On s’est vite rendu compte que si on allait trop loin, on risquait de casser entre guillemets le fil et d’être pris pour quelque chose comme du prosecco… moins qualitatif que le champagne. » Il fallait donc innover, surprendre, mais en restant dans l’univers attendu par le consommateur pour un produit de luxe. La leçon est claire : l’audace doit être guidée par l’écoute du marché. Cette démarche itérative, qui consiste à tester en permanence ses idées, est la clé pour trouver le parfait équilibre.
L’aventure de Champagne EPC est une véritable leçon de marketing pragmatique. Elle démontre que même dans un secteur aussi traditionnel que le luxe, la créativité, l’écoute et la « débrouillardise » peuvent permettre de se frayer un chemin. L’une des pratiques les plus marquantes est sans doute la plus simple : « Tous les gens qui commandaient sur notre site internet, on les appelait suite à leur commande… pour vraiment tout de suite avoir des infos très importantes sans avoir à dépenser d’argent. » Une preuve que la meilleure stratégie marketing commence souvent par une simple conversation.
FAQ : Lancer sa marque dans le luxe
Comment lancer une marque de luxe avec peu de moyens ?
La première étape cruciale est de réaliser des études de marché approfondies en utilisant des méthodes créatives et peu coûteuses, comme des questionnaires en ligne et des tables rondes recrutées via les réseaux sociaux, pour comprendre les attentes des consommateurs avant d’investir.
« Pour moi la première étape, c’est de faire des études et c’est ce qu’on a fait nous… on a commencé par des études quantitatives et qualitative qu’on a fait avec nos moyens parce que à l’époque voilà, on avait des moyens très limités. » – Camille Jullien
Quelle étude de marché faire pour lancer un produit de luxe ?
Il est recommandé de combiner une étude quantitative, via un questionnaire en ligne diffusé à un large réseau pour obtenir des données statistiques, et une étude qualitative, via des tables rondes pour approfondir les motivations et les barrières des consommateurs cibles.
« On a fait deux choses, c’est que pour les études quantitatives, on a fait un questionnaire en ligne… ça nous a permis de récolter à l’époque 250 réponses… et ensuite, on a fait des un questionnaire qualitatif… on a recruté des gens en fait en allant les chercher sur les réseaux sociaux. » – Camille Jullien
Comment se différencier sur le marché très concurrentiel du champagne ?
La différenciation peut se faire sur trois piliers : un modèle de production éthique (partenariat juste avec les vignerons), une transparence totale sur le produit (traçabilité), et une identité de marque audacieuse qui casse les codes traditionnels pour parler à une nouvelle génération.
« On a fondé la marque sur trois piliers qui nous différencient des autres. Le premier en fait, c’est notre partenariat avec les Vignerons… Le deuxième pilier de différenciation, c’est la traçabilité… et le troisième pilier, c’est d’avoir voilà une marque qui se distingue un peu un peu des autres. » – Camille Jullien
Comment choisir et tester un nom de marque efficace ?
Un nom de marque efficace n’est pas forcément celui qui plaît le plus, mais celui dont on se souvient. Une méthode de test simple consiste à présenter plusieurs noms à un panel, puis à les recontacter quelques heures plus tard pour voir duquel ils se souviennent.
« On les recontactait en disant bah parmi les cinq noms que je t’ai présenté il y a 2 heures, tu te souviens de quel nom ? Et en fait, c’est comme ça que très vite on a choisi PC parce que PC c’était pas forcément le nom qui plaisait le plus… mais très souvent les gens s’en souvenaient 2 heures plus tard. » – Camille Jullien
Quels sont les KPI les plus importants pour une nouvelle marque ?
Au-delà du chiffre d’affaires, les indicateurs les plus importants sont le taux de réachat et le taux de satisfaction client. Ils mesurent la fidélisation et prouvent que le produit plaît réellement, ce qui est essentiel pour la pérennité de la marque.
« Après nous ce qu’on va beaucoup regarder, c’est le taux de réachat et le taux de satisfaction client parce que je pense que quand on lance une marque, c’est la fidélisation qui est aussi très importante parce que en fait, ça permet d’évaluer en fait le voilà, à quel point notre produit a plu. » – Camille Jullien
Pourquoi un CRM est-il essentiel dès le début pour une petite entreprise ?
Investir tôt dans un CRM permet de centraliser la connaissance client et d’automatiser des actions. C’est un outil capital pour comprendre finement qui sont ses clients (secteur, poste, persona) et être très agile dans sa stratégie marketing.
« Très tôt, on a fait choix de faire cet investissement là et c’est capital pour notre quotidien… ça nous permet d’avoir une excellente connaissance de nos clients et ça c’est quelque chose qui nous différencie vraiment des concurrents. » – Camille Jullien
Comment trouver le bon équilibre entre modernité et codes du luxe ?
L’équilibre se trouve par des tests consommateurs itératifs. Il faut oser des designs disruptifs, mais les confronter au public pour s’assurer de ne pas « casser le fil » et de rester perçu comme un produit qualitatif et appartenant à l’univers du luxe.
« On s’est vite rendu compte que si on allait trop loin en fait, on on risquait de casser entre guillemets le fil et d’être pris pour quelque chose… de moins qualitatif que le champagne… Donc il fallait quand même qu’on arrive à rester dans l’univers. » – Camille Jullien
Comment obtenir des retours clients précieux sans dépenser d’argent ?
Une méthode simple et très efficace est d’appeler directement les premiers clients après leur achat. Cela permet de leur demander comment ils vous ont connu, ce qu’ils ont pensé de l’expérience et du produit, et d’identifier des axes d’amélioration sans aucun coût.
« Tous les gens qui commandaient sur notre site internet, on les appelait suite à leur commande… pour leur demander comment ils nous ont connu… qu’est-ce qu’on pourrait améliorer pour vraiment en fait tout de suite tu as des tu as des infos très importantes sans avoir à dépenser d’argent. » – Camille Jullien