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#66 : Bannouze Live > Trop de Retail Media va-t-il tuer le Retail Media ?

Épisode diffusé le 20 juin 2022 par Bannouze : Le podcast du marketing digital !

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Le Retail Media à la croisée des chemins : innovation ou saturation imminente ?

Vous faites vos courses en ligne, cherchant un simple pot de yaourt. Avant même d’avoir tapé les trois premières lettres, une bannière colorée vous propose une nouvelle marque. Sur la page de résultats, les trois premières places sont occupées par des ‘produits sponsorisés’. Vous ajoutez votre article habituel au panier, et une pop-up vous suggère un produit complémentaire. Ce parcours, devenu banal, est la face visible d’une révolution silencieuse mais massive : le Retail Media. Pour les marques, c’est un eldorado, une occasion unique de toucher le consommateur au moment précis de l’acte d’achat. Pour les distributeurs, c’est une source de revenus à très forte marge, une bouffée d’oxygène dans un secteur ultra-concurrentiel. Mais derrière cette synergie parfaite se cache une question de plus en plus pressante, celle qui a animé notre débat avec Lawrence Taylor, créateur de Retail for Brands : ‘Est-ce que trop de retail media va tuer le retail media ?’

Cette interrogation n’est pas anodine. Elle soulève le spectre de la fatigue publicitaire, de l’inflation des coûts, et d’une expérience client dégradée. Sommes-nous en train de construire un géant aux pieds d’argile, une machine si efficace qu’elle finira par s’autodétruire sous le poids de son propre succès ? C’est une dynamique que le monde du digital a déjà connue, avec le search puis les réseaux sociaux. L’histoire est-elle vouée à se répéter ? Au-delà de la simple définition, nous allons plonger au cœur des mécanismes qui régissent cet écosystème. Nous explorerons comment la data transforme les distributeurs en régies publicitaires, comment des technologies comme les ‘data clean rooms’ redessinent les frontières de la confidentialité, et surtout, nous tenterons de déterminer où se situe le point de rupture. Cet article est une retranscription enrichie et approfondie de notre conversation, une analyse pour comprendre si le Retail Media est une vague de fond durable ou une bulle sur le point d’éclater.

Les fondamentaux du Retail Media : bien plus qu’une tête de gondole digitale

Pour aborder la complexité du sujet, il est essentiel de partir d’une base solide et de dépasser les idées reçues. Le Retail Media est souvent simplifié à l’extrême, réduit à sa manifestation la plus évidente. Or, sa véritable puissance et les défis qu’il engendre se trouvent dans sa profondeur et sa dimension omnicanale. C’est une transformation qui affecte non seulement les sites e-commerce, mais l’ensemble de la relation entre marques, distributeurs et consommateurs.

Définition : qu’est-ce que le Retail Media, vraiment ?

À première vue, la définition semble simple. Comme le résume parfaitement Lawrence Taylor, ‘pour schématiser le retail média, c’est la publicité d’une marque, d’un industriel sur un site de retailer’. L’exemple classique est celui d’une marque comme Danone qui paie pour que ses yaourts apparaissent en première position sur le site de Monoprix lors d’une recherche. C’est ce que l’on appelle la ‘tête de gondole du numérique’, une analogie parlante qui illustre bien le concept de base : acheter de la visibilité là où la décision d’achat se prend.

Cependant, cette vision est très réductrice. Le véritable changement de paradigme ne réside pas dans la transposition d’une technique marketing du monde physique au monde digital, mais dans l’intelligence qui la sous-tend. Ce qui rend le Retail Media si puissant, c’est qu’il s’appuie sur la ‘data shopper’, la donnée la plus intentionniste qui soit : l’historique d’achat réel des consommateurs. Le retailer ne vend pas seulement un espace ; il vend un accès privilégié à une audience qualifiée, au moment le plus opportun. Pour les marques, c’est une aubaine. Elles peuvent enfin mesurer plus précisément le retour sur investissement de leurs dépenses publicitaires en reliant directement une campagne à un acte de vente. Pour les retailers, dont le modèle économique repose sur des marges très faibles, c’est une manne financière inespérée. Comme le souligne Lawrence, ils ‘se rendent compte dans un business à très faible marge que ça pouvait leur permettre d’aller chercher de la marge en plus’.

Au-delà du online : l’omniprésence insoupçonnée du Retail Media

La deuxième erreur commune est de cantonner le Retail Media à l’environnement web. La réalité est bien plus vaste et s’inscrit dans une logique ‘phygitale’. Lawrence insiste sur ce point : ‘Le retail Media en fait, c’est tous les points de contact que tu vas avoir par un retailer grâce à un retailer entre une marque et son consommateur’. Cette définition ouvre des perspectives bien plus larges. Pensez à votre expérience en magasin. Le petit encart publicitaire sur votre caddie ? C’est du Retail Media. Le jingle pour une marque de soda diffusé sur la radio interne du supermarché ? C’est aussi du Retail Media. Aux États-Unis, des enseignes comme Target vont jusqu’à vendre de l’espace publicitaire sur les tapis roulants des caisses.

La différence fondamentale avec le ‘trade marketing’ traditionnel est, encore une fois, la data. Ces points de contact peuvent être activés de manière intelligente. Grâce aux données de la carte de fidélité, un retailer peut décider de n’afficher une promotion pour de la viande sur les écrans digitaux d’un rayon que lorsque des clients identifiés comme de gros acheteurs de ce produit passent à proximité. Le Retail Media ne se contente plus de ‘pousser’ un message à tout le monde ; il le ‘cible’ avec une précision redoutable, que ce soit en ligne, en magasin, ou même en dehors des propriétés du distributeur. C’est là qu’intervient le concept d’activation de la donnée sur l’open web : utiliser les segments d’acheteurs d’un retailer pour leur adresser des publicités sur des sites d’information ou des réseaux sociaux. Le Retail Media devient alors un écosystème complet qui couvre l’intégralité du parcours client, de la notoriété (upper funnel) à la conversion (lower funnel).

Cette expansion des points de contact, alimentée par une data propriétaire de grande valeur, est le véritable moteur de la croissance du Retail Media. Mais elle est aussi à l’origine d’une complexité nouvelle et d’une transformation profonde du métier même de distributeur, un changement culturel qui n’est pas sans friction.

La Data Shopper : le nouvel or noir des retailers

Après avoir défini le périmètre du Retail Media, il est crucial de comprendre ce qui alimente son moteur : la donnée client, ou ‘data shopper’. C’est le capital le plus précieux des distributeurs, une ressource qui transforme leur modèle économique et redéfinit leur relation avec les marques. Cette mutation n’est pas qu’technologique, elle est avant tout culturelle et stratégique, et elle apporte avec elle son lot de promesses et de défis.

Le virage stratégique : de l’achat à la vente de données

Lawrence Taylor met le doigt sur une vérité fondamentale et souvent sous-estimée : ‘le business historique des retailers, on va dire des grands magasins, c’est pas de vendre, c’est avant tout d’acheter’. Leurs équipes sont composées d’experts de la négociation, des acheteurs redoutables dont le métier est d’optimiser les marges en pressant les fournisseurs. Or, avec le Retail Media, ces mêmes entreprises doivent apprendre un tout nouveau métier : vendre. Vendre des solutions publicitaires, de la data, des insights. Elles doivent se transformer en régies publicitaires, voire en mini-agences digitales.

Ce changement culturel est un véritable séisme interne. Imaginez la situation, brillamment décrite par Lawrence : ‘quand la régie fait des ronds de jambe pour aller voir Danone pour le convaincre qu’il faut faire de la publicité dans retail média, bah 2 jours avant, il y a l’acheteur qui leur a brisé les reins pour essayer d’optimiser sa nego’. Ce paradoxe crée une tension unique. Le retailer se retrouve dans une position schizophrénique, étant à la fois le client le plus exigeant et le partenaire commercial le plus convoité de la même marque. Gérer cette double relation demande une agilité organisationnelle et une nouvelle culture d’entreprise que beaucoup sous-estiment. Les distributeurs doivent recruter des profils qu’ils n’avaient jamais eus : des spécialistes du marketing digital, des data scientists, des commerciaux B2B. C’est une réinvention complète de leur modèle de revenus et de leurs compétences internes.

Les Data Clean Rooms : la promesse d’un marketing plus intelligent ?

Au cœur de cette nouvelle économie de la donnée se trouve un enjeu majeur : comment permettre aux marques d’exploiter la précieuse data shopper sans que le retailer ne perde le contrôle de son actif le plus stratégique ? La réponse se trouve dans une technologie de plus en plus populaire : la data clean room. C’est un environnement numérique sécurisé, une sorte de ‘coffre-fort’ où deux parties (ici, une marque et un retailer) peuvent croiser leurs données de manière anonymisée pour en tirer des enseignements communs, sans qu’aucune des deux ne puisse accéder aux données brutes de l’autre.

Le potentiel est immense. Une marque comme Charal, par exemple, peut croiser sa propre base de données clients avec celle des porteurs de la carte Carrefour. L’objectif ? Comprendre les comportements d’achat, identifier des segments précis (par exemple, les acheteurs de viande rouge dans le nord de la France qui achètent aussi des produits bio) et activer des campagnes publicitaires ultra-ciblées. C’est une promesse de finesse et d’efficacité sans précédent. Cependant, comme le tempère Lawrence, nous en sommes encore aux balbutiements : ‘c’est assez naissant’. Les cas d’usage restent souvent basiques, proches des logiques traditionnelles (‘dès qu’il fait plus de 30 degrés, tu balances beaucoup de flotte et beaucoup de coca’). L’industrialisation de stratégies véritablement sophistiquées reste un défi. De plus, comme le souligne Laurent, ‘le taux de de de réconciliation bah il il est quand même assez faible finalement’. La promesse technologique se heurte encore à la réalité opérationnelle, mais la tendance de fond est indéniable.

Cette course à la donnée, orchestrée par les retailers, est largement dictée par un acteur qui a des années d’avance et qui a défini les standards du marché. Un acteur qui n’est pas un retailer traditionnel, mais un géant de la tech : Amazon.

Amazon, le géant qui dicte les règles du jeu

Dans l’écosystème du Retail Media, il y a Amazon et les autres. Le géant de Seattle n’est pas simplement un acteur parmi d’autres ; il est la force gravitationnelle qui définit les orbites, les standards et le rythme de l’innovation. Comprendre son rôle est essentiel pour saisir les dynamiques actuelles et futures du marché, car son approche a provoqué un véritable choc des cultures, forçant l’ensemble du secteur à se réinventer.

La domination écrasante d’Amazon sur le marché

Les chiffres parlent d’eux-mêmes et sont rappelés par Lawrence durant l’échange : ‘Amazon représentant quand même 77 % des investissements en retail Media’. Cette domination quasi-monopolistique n’est pas le fruit du hasard. Amazon n’est pas un distributeur qui s’est mis à la tech ; c’est une entreprise de technologie qui a investi le commerce. Sa culture est fondamentalement axée sur la donnée, l’automatisation et la mesure de la performance, des principes qui sont l’essence même du marketing digital. Alors que les distributeurs traditionnels ont dû ‘apprendre’ à devenir des régies publicitaires, Amazon l’a été dès le départ. Il disposait déjà de l’infrastructure technologique, des talents et, surtout, d’une montagne de données sur les intentions d’achat des consommateurs du monde entier.

Cette avance structurelle lui confère un pouvoir immense. En contrôlant une part aussi importante du marché, Amazon définit de facto les attentes des annonceurs. Les marques qui s’habituent au niveau de précision, de reporting et d’efficacité de la plateforme Amazon Ads attendent logiquement la même chose de la part de Carrefour, Leclerc ou Walmart. Cela crée une pression énorme sur les acteurs traditionnels qui doivent investir massivement dans la technologie pour simplement rester dans la course. La domination d’Amazon n’est pas seulement une question de part de marché ; c’est une domination culturelle et technologique qui tire tout le secteur vers le haut, ou du moins, le force à suivre son sillage.

Une culture de la transparence qui bouscule le marché

L’un des aspects les plus disruptifs de l’approche d’Amazon est sa philosophie en matière de données. Comme le note Laurent, il y a un ‘choc des cultures de dingue’. Là où un acteur traditionnel français aurait ‘plus tendance à essayer de rien lâcher et de cacher au maximum’, Amazon, fort de sa position, joue une carte radicalement différente : l’ouverture. Lawrence le confirme : ‘Amazon te permet de savoir exactement quel mots clés tu as touché, comment tu les as touché, quand est-ce qu’il y a eu le nombre de points de contact’.

Cette granularité des données était jusqu’alors inédite dans le monde de la grande distribution. Historiquement, les marques recevaient des informations très limitées, souvent agrégées, sur leurs ventes. Soudain, elles peuvent analyser le ‘pass to conversion’, comprendre quel mot-clé a déclenché une vente, et optimiser leurs campagnes en quasi temps réel, comme elles le feraient sur Google Ads. C’est une révolution. En agissant ainsi, Amazon ne fait pas que vendre de la publicité ; il éduque le marché et impose ses propres métriques comme standard. Pour les marques, c’est une opportunité fantastique. Pour les autres retailers, c’est un défi colossal qui les oblige à sortir d’une culture de l’opacité pour entrer dans une ère de la transparence et de la performance mesurable.

Cette situation unique offre, comme le dit Lawrence, ‘une boule de cristal de savoir tangentiellement vers ce vers quoi l’industrie va aller’. Le chemin a été tracé il y a vingt ans par Google dans le search et il y a dix ans par Facebook dans le social. Le Retail Media est en train de vivre sa propre adolescence accélérée, portée par un géant qui a déjà tout compris. Mais c’est précisément cette accélération qui nous amène à la question centrale : le système peut-il supporter une telle croissance sans imploser ?

Trop de Retail Media va-t-il tuer le Retail Media ? L’heure de vérité

Nous arrivons maintenant au cœur du problème. L’euphorie est palpable, les investissements explosent, et les opportunités semblent infinies. Mais comme dans tout cycle d’innovation rapide, les signaux d’une possible surchauffe commencent à apparaître. La question n’est plus de savoir si le Retail Media est une révolution, mais si cette révolution ne risque pas de dévorer ses propres enfants. Plusieurs facteurs de risque, de la rentabilité économique à l’expérience utilisateur, convergent pour dessiner un avenir plus nuancé.

Le risque de la ‘surchauffe’ : inflation et perte de rentabilité

Le premier danger, et le plus immédiat, est d’ordre économique. Lawrence utilise un terme très juste : ‘on va rentrer dans une phase un peu d’overburn’. La mécanique est simple et bien connue dans le monde de la publicité digitale. De plus en plus de marques veulent leur part du gâteau et investissent massivement. Cette concurrence accrue sur un inventaire qui n’est pas infini (le nombre de premières places sur une page de résultats est limité) entraîne une inflation mécanique des coûts. ‘Une vraie inflation, c’est-à-dire des des fois 2 fois 3 en terme de CPM ou de CPC’, prévient Lawrence. Pour une marque, cela signifie que pour obtenir la même visibilité, il faut payer beaucoup plus cher.

Cette inflation publicitaire arrive au pire moment. Elle se superpose à une autre inflation, bien réelle celle-là : celle des matières premières et des coûts de production. Les marques sont donc prises en étau. Leurs coûts de fabrication augmentent, et en même temps, le coût pour vendre leurs produits via le Retail Media explose. La rentabilité de ce canal, autrefois perçu comme un eldorado, est aujourd’tui sérieusement remise en question. ‘Il y a une remise en cause dernièrement de la rentabilité du Retail Media’, confirme Lawrence. Les entreprises sont contraintes de revoir ‘plus prosaïquement leur stratégie’ et de mesurer plus finement l’impact incrémental réel de leurs dépenses. L’ère de la croissance à tout prix est peut-être terminée, laissant place à une approche plus raisonnée et axée sur le retour sur investissement.

L’expérience utilisateur : le grand oublié de l’équation ?

Le deuxième risque est peut-être encore plus fondamental, car il touche directement le consommateur. Dans cette course aux revenus publicitaires, le client final pourrait bien devenir la principale victime. Lawrence dresse un constat alarmant : ‘Tu regardes certaines pages de résultats maintenant, tu as allez 70 % de l’inventaire, c’est de la publicité’. Cette saturation a une conséquence directe : la perte de pertinence. ‘Faut pas oublier que le consommateur, il est là pour trouver le produit qu’il recherche’. Si la page de résultats est inondée de produits sponsorisés qui ne correspondent pas exactement à sa recherche, l’expérience d’achat se dégrade. La confiance dans le distributeur, qui est censé proposer la meilleure offre, s’érode.

Mathieu soulève un point crucial en s’interrogeant sur ‘le comportement de l’utilisateur’. Face à une pression publicitaire perçue comme excessive, intrusive et parfois peu pertinente, le consommateur pourrait se lasser. Cette ‘fatigue publicitaire’ n’est pas un concept nouveau. Elle a conduit à l’essor des ad-blockers sur le web. Le Retail Media n’est pas à l’abri. Si l’expérience d’achat sur un site devient un parcours du combattant publicitaire, les clients pourraient se tourner vers des alternatives. L’enjeu pour les retailers est donc de trouver un équilibre délicat : maximiser leurs revenus publicitaires sans sacrifier la qualité de leur service principal, qui est de vendre des produits de manière simple et efficace.

Le retailer comme garde-fou ultime

Face à ces menaces, existe-t-il un mécanisme de régulation ? La réponse de Lawrence est contre-intuitive mais pleine de bon sens : le garde-fou, c’est le retailer lui-même. Il explique ce paradoxe avec les chiffres d’Amazon : ‘Amazon, c’est 600 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Le retail Media chez Amazon, c’est 30 milliards’. Bien que 30 milliards soit une somme colossale et extrêmement rentable, elle ne représente qu’une fraction de l’activité globale. Le cœur du réacteur d’Amazon, comme de Carrefour ou de tout autre distributeur, reste la vente de marchandises.

Cette réalité économique impose une limite naturelle aux excès. ‘Le retailer son corps business, c’est pas la pub’, rappelle Lawrence. Contrairement à un média traditionnel dont 100% du modèle repose sur la publicité, un distributeur ne peut pas se permettre de dégrader son expérience d’achat au point de perdre ses clients. Perdre un client qui dépense des centaines d’euros par an pour gagner quelques centimes de plus sur un clic publicitaire serait un très mauvais calcul à long terme. Cette dépendance au commerce de détail force les retailers à maintenir un certain niveau de pertinence et de qualité, agissant comme un frein naturel à la saturation publicitaire totale. C’est peut-être là que réside la clé de la durabilité du modèle : dans la capacité des distributeurs à ne jamais oublier quel est leur véritable métier.

Conclusion : vers un Retail Media plus intelligent et raisonné

Au terme de cette analyse approfondie, il est clair que le Retail Media n’est pas un simple effet de mode, mais bien une transformation structurelle du commerce et de la publicité. Nous sommes passés d’une simple ‘tête de gondole numérique’ à un écosystème complexe, omnicanal et entièrement piloté par la donnée. La promesse est immense : une publicité plus pertinente pour le consommateur, plus efficace pour la marque, et plus rentable pour le distributeur. Cependant, notre discussion a mis en lumière les lignes de faille qui parcourent ce nouvel eldorado. Le risque de ‘surchauffe’, marqué par une inflation des coûts et une saturation des espaces, est bien réel. Il menace la rentabilité des marques et, plus grave encore, l’expérience d’un consommateur qui pourrait finir par se lasser.

Alors, trop de Retail Media va-t-il tuer le Retail Media ? La réponse n’est pas binaire. Ce n’est probablement pas la quantité qui posera problème, mais la qualité. Un excès de publicité non pertinente, intrusive et mal intégrée pourrait très certainement nuire gravement à l’écosystème. En revanche, un Retail Media plus intelligent, qui utilise la data pour servir des messages utiles et personnalisés au bon moment, a toutes les chances de prospérer. Le véritable garde-fou, comme nous l’avons vu, reste le retailer lui-même, dont la survie dépend avant tout de la satisfaction de ses clients.

L’avenir du Retail Media ne se jouera donc pas sur une course effrénée aux volumes et aux revenus publicitaires, mais sur la capacité des acteurs à faire preuve de retenue et d’intelligence. Pour les marques, le défi sera de passer d’une logique de dépense à une logique d’investissement stratégique, en mesurant l’impact réel et incrémental de leurs actions. Pour les retailers, il s’agira de ne jamais sacrifier l’expérience d’achat sur l’autel de la monétisation. La véritable opportunité est de créer un cercle vertueux où la donnée permet de proposer une meilleure expérience client, qui elle-même génère plus de ventes et de fidélité. C’est à cette seule condition que le Retail Media pourra tenir ses promesses sur le long terme.

Foire aux Questions (FAQ) sur le Retail Media

Qu’est-ce que le Retail Media, en termes simples ?

Le Retail Media désigne l’ensemble des espaces publicitaires qu’un distributeur (comme Amazon, Carrefour, ou Leclerc) met à la disposition des marques pour promouvoir leurs produits. L’exemple le plus simple est un ‘produit sponsorisé’ qui apparaît en haut des résultats de recherche sur un site e-commerce. Cependant, cela va bien au-delà du simple placement de produit en ligne. Il s’agit d’utiliser les données d’achat des consommateurs (la ‘data shopper’) pour cibler les publicités de manière très précise, que ce soit sur le site du distributeur, en magasin, ou même sur d’autres sites web.

‘Pour schématiser le retail média, c’est la publicité d’une marque, d’un industriel sur un site de retailer. Ça veut dire quoi un site de retailer ? Ben c’est Amazon, c’est Leclerc, c’est Carrefour pour faire la promotion de son produit.’

Le Retail Media se limite-t-il à la publicité sur les sites e-commerce ?

Non, et c’est une idée reçue très fréquente. Le Retail Media est un concept omnicanal. Il englobe tous les points de contact entre une marque et un consommateur qui sont médiatisés par un distributeur. Cela inclut les publicités sur les écrans en magasin, les annonces sur la radio interne du supermarché, les encarts sur les chariots, et même la publicité sur les tapis roulants des caisses. La clé est que tous ces canaux sont potentiellement enrichis par la donnée client du distributeur, ce qui permet un ciblage beaucoup plus fin que les méthodes traditionnelles.

‘Le retail Media en fait, c’est tous les points de contact que tu vas avoir par un retailer grâce à un retailer entre une marque et son consommateur que ce soit sur un site […] mais c’est aussi en t’appuyant sur la donnée en dehors du site du retailer […] mais c’est aussi en magasin traditionnel.’

Pourquoi les retailers comme Carrefour ou Leclerc se lancent-ils dans la publicité ?

La raison principale est économique. Le secteur de la grande distribution opère avec des marges bénéficiaires très faibles. La vente d’espaces publicitaires, ou Retail Media, représente une source de revenus additionnels à très forte marge. C’est une manière pour eux de diversifier leurs revenus et d’améliorer leur rentabilité globale. De plus, en devenant des acteurs médias, ils valorisent leur principal actif immatériel : la connaissance fine de leurs clients et de leurs habitudes d’achat, une donnée extrêmement précieuse pour les marques.

‘C’est Amazon et c’est vrai qu’ils ont entraîné avec eux ben l’ensemble des retailers qui se rendent compte dans un business à très faible marge que ça pouvait leur permettre d’aller chercher de la marge en plus.’

Qu’est-ce qu’une data clean room et à quoi ça sert dans le Retail Media ?

Une data clean room est un environnement technologique sécurisé qui permet à une marque et à un retailer de croiser leurs données clients de manière anonyme. L’objectif est de générer des insights (par exemple, ‘les clients qui achètent ma marque de café achètent aussi telle marque de biscuits’) sans que le retailer ne transmette directement ses données brutes à la marque. Cela permet aux marques de mieux comprendre leur audience et d’affiner leur ciblage publicitaire, tout en respectant la confidentialité des données et en permettant au retailer de garder le contrôle de son actif le plus précieux.

‘Cette donnée, elle va pas te la, ils vont pas te la transférer, ils vont te permettre de l’activer via leur mécanisme d’activation. […] avec des phénomènes de forme de data clean room qui te permettront d’exploiter leur données mais évidemment sans avoir la granularité de la donnée.’

Quel est le principal risque d’un excès de Retail Media pour les marques ?

Le risque majeur pour les marques est une forte inflation des coûts publicitaires. Plus il y a de marques qui investissent dans le Retail Media pour une visibilité limitée, plus les prix (au clic ou à l’affichage) augmentent. Cela peut conduire à une situation où le retour sur investissement diminue drastiquement, rendant le canal beaucoup moins rentable. Cette ‘surchauffe’ est aggravée par le fait que les marques font déjà face à l’inflation de leurs propres coûts de production, ce qui met leurs marges sous une double pression.

‘Tu vas avoir une inflation très très forte. Une vraie inflation, c’est-à-dire des des fois 2 fois 3 en terme de CPM ou de CPC. Il faut pas oublier qu’en plus la plupart de ces marques, elles sont aussi contraintes à une autre inflation qui est leur matière première. Donc il y a une remise en cause dernièrement de la rentabilité du retail Media.’

Comment le consommateur perçoit-il la montée en puissance du Retail Media ?

Pour le consommateur, l’expérience peut être à double tranchant. Idéalement, le Retail Media devrait lui proposer des offres et des produits pertinents qui facilitent son parcours d’achat. Cependant, un excès de publicité peut rapidement mener à une ‘fatigue publicitaire’. Si les pages de résultats sont saturées de produits sponsorisés au détriment de la pertinence, ou si le client est constamment interrompu par des offres, l’expérience d’achat se dégrade. Le risque est que le consommateur perde confiance dans le distributeur et se sente harcelé plutôt qu’aidé.

‘Tu regardes certaines pages de résultats maintenant, tu as allez 70 % de l’inventaire, c’est de la publicité. Faut pas oublier que le consommateur, il est là pour trouver le produit qu’il recherche. Donc faut il y a vraiment un enjeu pour les retailers de muscler en fait la dimension pertinence de leur algorithme.’

Pourquoi Amazon est-il si dominant dans le secteur du Retail Media ?

Amazon domine le secteur car il est fondamentalement une entreprise de technologie avant d’être un distributeur. Il a construit son modèle sur la data depuis le premier jour. Contrairement aux retailers traditionnels qui ont dû s’adapter, Amazon possédait déjà l’infrastructure, la culture et l’expertise pour développer une offre publicitaire très sophistiquée. De plus, en offrant aux marques un niveau de transparence et de granularité de données inédit (suivi des mots-clés, analyse du parcours de conversion), il a établi un standard de marché très élevé que les autres acteurs peinent à égaler.

‘Maintenant une fois qu’Amazon a fait ça et Amazon représentant quand même 77 % des investissements en retail Media, bah ça définit un petit peu les règles du jeu pour les autres acteurs qui doivent suivre derrière.’

Les retailers ne risquent-ils pas de délaisser leur métier de base en devenant des régies publicitaires ?

C’est un risque, mais il est limité par leur modèle économique. Le cœur de métier d’un retailer reste la vente de produits, qui représente l’écrasante majorité de son chiffre d’affaires. La publicité est une activité très rentable, mais secondaire. Un distributeur ne peut donc pas se permettre de trop dégrader l’expérience d’achat pour maximiser ses revenus publicitaires, au risque de perdre ses clients et donc son activité principale. Ce lien de dépendance avec le commerce de détail agit comme un ‘garde-fou’ naturel qui empêche les dérives les plus extrêmes.

‘Le retailer son corps business, c’est pas la pub. Donc tu vas pas te tromper dans l’espèce d’excès de la presse, hein je pense à certains trucs de presse dont le seul objectif est de te faire venir et de te faire cliquer.’


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