Logo de l'épisode #65 : Marketing > DISCUSSION AUTOUR DE LA MESURE & DE L'ATTRIBUTION AVEC MARGARITA ZLATKOVA Head of Programmatic Advertising at Weborama du podcast Bannouze : Le podcast du marketing digital !

#65 : Marketing > DISCUSSION AUTOUR DE LA MESURE & DE L’ATTRIBUTION AVEC MARGARITA ZLATKOVA Head of Programmatic Advertising at Weborama

Épisode diffusé le 20 mai 2022 par Bannouze : Le podcast du marketing digital !

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Mesurer ses campagnes marketing : comment naviguer dans le brouillard de l’ère post-cookie ?

Le marketing digital a longtemps reposé sur une promesse, presque un fantasme : celui de la connaissance absolue. La capacité de suivre un utilisateur à la trace, de comprendre chaque étape de son parcours, d’attribuer avec une précision chirurgicale chaque conversion à un levier spécifique. Ce sujet de la mesure, c’est un peu ce que mon hôte Laurent appelait ‘l’arlésienne’ du marketing digital : un sujet phare, éternellement débattu, mais dont on pensait maîtriser les contours. Pourtant, le socle sur lequel tout cet édifice a été bâti, le cookie tiers, est en train de s’effondrer. Cette disparition n’est pas une simple évolution technique, c’est une révolution qui nous force à réapprendre notre métier.

Pendant des années, nous, les marketeurs, avons vécu dans un monde de données en temps réel. Une campagne ne performait pas ? En 48 heures, nous pouvions ajuster les budgets, changer les créations, réorienter la stratégie. Cette réactivité était rendue possible par un système homogène, standardisé par le cookie tiers. Mais ce confort est terminé. Nous entrons dans une ère d’incertitude, où les données seront agrégées, différées, et où les règles du jeu seront dictées par de nouveaux acteurs : les navigateurs eux-mêmes. La question n’est plus de savoir comment optimiser le ‘last click’, mais bien de se demander comment nous allons pouvoir continuer à piloter nos investissements de manière éclairée.

En tant que Directrice Activation et Programmatique chez Weborama, je suis au cœur de cette transformation depuis plusieurs années. Mon parcours, d’abord juriste en droit des nouvelles technologies puis passionnée par la publicité digitale et le programmatique, m’a donné une perspective unique sur ces enjeux qui mêlent technique, droit et stratégie. Je vois la fin du cookie tiers non pas comme une fin en soi, mais comme une opportunité incroyable de faire du ‘vrai data driven’, basé sur une compréhension plus profonde et respectueuse des utilisateurs. Dans les lignes qui suivent, je vais partager avec vous ma vision du paysage actuel, des défis qui nous attendent et, surtout, des solutions concrètes qui se dessinent pour continuer à mesurer l’impact de nos campagnes marketing. Préparez-vous, le voyage est complexe, mais essentiel.

Le panorama actuel de la mesure : un système puissant sur le point de disparaître

Pour bien comprendre la magnitude du changement à venir, il est crucial de saisir la mécanique et la puissance du système actuel. Nous avons collectivement construit un écosystème de mesure extraordinairement sophistiqué, entièrement dépendant de cette petite brique technologique qu’est le cookie tiers. Il a été le langage commun de la publicité digitale, permettant à des milliers d’acteurs de communiquer et d’opérer de manière synchronisée.

La toute-puissance du cookie tiers : le pilier de la mesure en temps réel

Le cookie tiers a permis de créer ce que j’appelle un ‘système homogène’. C’était le passeport universel de l’internaute sur le web. Grâce à lui, nous pouvions relier des actions sur différents sites et à différents moments pour reconstituer un parcours cohérent. Comme je l’expliquais, nous étions ‘capables de suivre un internaute quasiment à la trace, d’avoir un parcours utilisateur, de savoir quels sont ses intérêts, de savoir quels sont ses besoins, ce qu’il a vu, ce qu’il a consulté, ce qu’il va consulter dans le futur’. Cette connaissance quasi omnisciente a alimenté trois grands types de mesure qui cohabitent aujourd’hui :

  • La mesure ad-centrique : Elle se concentre sur ce qui se passe après le clic, sur le site de l’annonceur. C’est l’analyse du temps passé, du nombre de pages vues, des interactions avec un formulaire… Elle répond à la question : ‘Que font les utilisateurs que j’ai payé pour amener chez moi ?’
  • La mesure média : C’est le cœur du réacteur pour les agences et les régies. On y trouve les impressions, les clics, les taux de visibilité, le taux de complétion des vidéos, et bien sûr, les conversions post-clic ou post-vue. Elle évalue la performance brute de la diffusion publicitaire.
  • La post-mesure statistique : Ici, on change d’échelle. On ne regarde plus l’individu, mais des masses de données pour en tirer des enseignements stratégiques. On parle de mesure de l’incrémentalité (quel est le vrai apport de ma campagne ?) ou de Marketing Mix Modeling (MMM), qui sont des études plus lourdes, pas en temps réel, mais qui donnent des indications précieuses pour l’allocation budgétaire à long terme.

La magie de l’écosystème actuel, c’est que la mesure média et la mesure ad-centrique fournissaient des données quasi instantanées, permettant aux marketeurs de prendre des décisions tactiques rapides. Cette capacité à optimiser ‘à la volée’ est une des plus grandes forces du digital par rapport aux médias traditionnels, et c’est précisément cela qui est remis en cause.

Attribution et parcours unifié : le rêve du marketeur devenu réalité

Cette vision unifiée a logiquement alimenté le grand débat sur l’attribution. Comment rémunérer équitablement chaque point de contact dans un parcours de conversion ? Le fameux débat du ‘last click’ qui a tant occupé les esprits n’a pu exister que parce que nous avions la capacité technique de voir tous les points de contact. Que l’on choisisse un modèle en U, linéaire, ou basé sur la data, tous reposaient sur cette capacité à reconstituer une chaîne d’événements unique pour un utilisateur donné. Nous avions cette vision de ‘parcours unifié 100 % user-centrique’. C’était le Graal : une vision centrée sur le consommateur, permettant une personnalisation et une optimisation sans précédent. Mais ce rêve, aussi puissant soit-il, reposait sur une technologie fragile et de plus en plus contestée, nous forçant aujourd’hui à nous réveiller.

Ce monde que nous tenons pour acquis est en train de s’effondrer. La disparition programmée du cookie tiers n’est pas une simple mise à jour technique ; c’est un changement de paradigme qui redéfinit les règles du jeu pour tous les acteurs du digital. Nous passons d’un monde de certitudes individuelles à un univers de probabilités et de modélisation agrégée.

La fin du cookie tiers : pourquoi le marketing digital doit réinventer sa boussole

La disparition du cookie tiers n’est pas un événement soudain, mais l’aboutissement de deux lames de fond qui transforment notre industrie depuis plusieurs années : une pression réglementaire croissante et une volonté technique des géants de la tech de reprendre le contrôle sur la donnée et la vie privée des utilisateurs.

Les deux forces du changement : le juridique et le technique

D’un côté, nous avons le cadre légal. Le RGPD en Europe, suivi par d’autres réglementations comme ePrivacy, a posé un principe fondamental : pas de suivi sans consentement éclairé. Cela a profondément changé la donne. Il faut se souvenir que la pose de n’importe quel identifiant, ‘que ce soit un cookie tiers ou un cookie first, […] est rattaché à un individu ou à un navigateur et donc à un consentement’. La collecte de données n’est plus un dû, mais une permission que l’utilisateur accorde, ou non. De l’autre côté, il y a la guerre des navigateurs. Ce n’est pas un mouvement concerté, mais une tendance de fond. Comme je le rappelais, ‘Safari a ouvert quand même le bal en 2019 en complètement interdisant les tiers de party cookie. Firefox l’a suivi début 2020’. Google, avec son navigateur Chrome qui représente plus de 60% du marché en Europe, était le dernier bastion. Sa décision de supprimer les cookies tiers, bien que repoussée, signe la fin d’une époque et force tout le marché à s’adapter.

L’ère des données agrégées : dire adieu au suivi individuel

Le changement le plus fondamental à intégrer est celui-ci : ‘on aura plus cette capacité là de suivre les internautes comme on le fait aujourd’hui. Donc le 100 % user-centrique n’existera plus’. Nous entrons dans un monde où la donnée sera majoritairement agrégée. Concrètement, cela signifie que nous ne raisonnerons plus au niveau de l’individu ‘Jean Dupont’, mais au niveau de cohortes ou de groupes d’utilisateurs aux comportements similaires. Par exemple, ‘les utilisateurs ayant visité la section chaussures de sport trois fois cette semaine’. La conséquence directe est une perte de granularité. L’optimisation en temps réel et la personnalisation publicitaire un-à-un deviennent extrêmement complexes, voire impossibles en dehors des environnements logués.

Le rôle crucial des données first-party : votre îlot de certitude

Dans ce brouillard, une lumière subsiste : les données first-party. Ce sont les informations que vous collectez directement sur vos propres environnements (votre site web, votre application, votre CRM). La bonne nouvelle, c’est que ‘les first party cookies, c’est-à-dire les cookies déposés par un annonceur ou par un éditeur dans ses propres environnements ne sont pas remis en question’. Pourquoi ? Parce que les navigateurs et les régulateurs estiment qu’il existe une ‘relation directe entre le visiteur ou le consommateur et l’annonceur ou l’éditeur’. C’est un contrat de confiance clair. Cependant, il ne faut pas voir ces données comme une solution magique. Leur utilisation reste conditionnée au consentement de l’utilisateur. Si un visiteur refuse les cookies sur votre site, vous ne pourrez pas l’analyser, même avec une technologie first-party. Ces données sont donc votre actif le plus précieux, mais leur collecte et leur activation exigent une stratégie de consentement robuste et une proposition de valeur claire pour l’utilisateur.

Si nous comprenons maintenant les contraintes, quelles sont les solutions concrètes qui émergent de ce nouveau paysage ? Loin d’un désert technologique, nous voyons se dessiner un écosystème de mesure multi-facettes, où les navigateurs prennent une place centrale, pour le meilleur et pour le pire.

Les nouvelles solutions de mesure : naviguer dans l’écosystème cookieless

Le vide laissé par le cookie tiers ne restera pas vacant. Plusieurs alternatives, non exclusives les unes des autres, sont en train d’émerger. La première bonne nouvelle, c’est qu’on ‘va avoir des solutions’. La complexité vient du fait qu’il n’y aura pas une seule réponse, mais une mosaïque d’outils qu’il faudra apprendre à orchestrer.

Google Privacy Sandbox et ses Measurement APIs : le navigateur devient juge et partie

La solution de Google, la Privacy Sandbox, est sans doute la plus structurante car elle émane de l’acteur dominant du marché. C’est une suite d’APIs intégrées directement dans le navigateur Chrome, conçues pour répondre aux principaux cas d’usage du marketing (ciblage, retargeting, mesure) sans exposer les données individuelles. Pour la mesure, deux APIs sont centrales :

  • L’Event-Level API : Elle donne des informations sur les impressions et les clics, mais de manière très limitée. On saura qu’une publicité a été vue ou cliquée, mais avec très peu de détails contextuels. C’est une information brute, décorrélée de la conversion.
  • L’Aggregate API : Elle, au contraire, est beaucoup plus riche sur la conversion. On pourra savoir qu’une vente a eu lieu, son montant, sur quel site, etc. Mais ces informations seront agrégées et anonymisées.

Le point de rupture est ici : ‘on ne pourra plus lier et créer cette chaîne impression clic conversion de manière individualisée’. D’un côté, on aura un tas d’impressions, de l’autre, un tas de conversions, sans pouvoir relier nativement l’un à l’autre au niveau individuel. L’autre révolution est la fin du temps réel. Ces rapports ne seront pas instantanés. Les données seront ‘fournies entre 24 heures et 7 jours après l’événement’. Ma propre réaction lors du podcast en dit long sur le choc que cela représente : ‘on n’a plus de données en temps réel’. Cela signifie que le pilotage quotidien des campagnes, l’arbitrage budgétaire agile, tout cela devra être entièrement repensé.

L’attribution déléguée au navigateur : vers une perte de contrôle ?

La conséquence logique de ce système est que l’on ‘va déporter la mesure et l’attribution au sein du navigateur’. Ce ne sera plus l’annonceur ou ses partenaires qui appliqueront leurs propres règles d’attribution dans leurs outils. L’annonceur pourra définir ses règles (last click, linéaire, etc.), les ‘donner au navigateur, à Chrome en l’occurrence, qui va les appliquer’, et récupérer ensuite un résultat déjà ‘fini’. Cela soulève une question fondamentale, celle du contrôle et de la confiance. Comment vérifier ce que fait la ‘boîte noire’ du navigateur ? Pour l’instant, la réponse est simple : ‘on n’aura pas cette capacité qu’on a aujourd’hui d’aller contrôler, d’aller vérifier les données, on va devoir s’appuyer sur les données qui sont fournies par les navigateurs’. C’est un transfert de pouvoir majeur de l’écosystème publicitaire ouvert vers les géants qui contrôlent les points d’accès à internet. De plus, cela crée une fragmentation : un système d’attribution pour Chrome, un autre pour Safari (avec SKAdNetwork pour les applications), et potentiellement d’autres pour les navigateurs restants.

Les identifiants uniques (ID Graphs) : la promesse d’un suivi cross-device limité

En parallèle de l’approche des navigateurs, une autre famille de solutions se développe : les identifiants uniques. Basés sur des données personnelles déterministes (une adresse email ou un numéro de téléphone chiffrés), ils permettent de réconcilier un utilisateur à travers différents appareils et environnements. Leur grand avantage est de suivre une personne et non un navigateur, ce qui est très puissant. Cependant, ils font face à deux défis majeurs. Premièrement, leur portée est très faible. Il faut que l’utilisateur se soit authentifié sur les sites des éditeurs et chez l’annonceur pour que le lien puisse se faire. Deuxièmement, le marché est extrêmement fragmenté : ‘en France, il y en a au moins 20 qui sont très bien installés en Europe, il doit y avoir probablement plus d’une centaine qui pour l’instant ne se parlent pas ensemble’. Des alliances, comme celle entre The Trade Desk (Unified ID 2.0) et LiveRamp, tentent de créer des standards pour augmenter la masse critique, mais le chemin est encore long pour atteindre une couverture comparable à celle du cookie tiers.

Face à cette complexité technique, le plus grand défi n’est peut-être pas technologique, mais humain et organisationnel. Il ne s’agit plus seulement de choisir les bons outils, mais de transformer en profondeur la manière dont les équipes marketing pensent et opèrent.

L’impératif de la réorganisation : comment les annonceurs doivent se préparer dès aujourd’hui

Le tableau peut sembler sombre ou complexe, mais il n’est pas fataliste. Des solutions existent et continueront de se développer. Le véritable enjeu pour les annonceurs n’est pas d’attendre la solution miracle, mais d’initier dès maintenant une transformation interne profonde pour s’adapter à cette nouvelle réalité. Le ‘wait and see’ n’est plus une option. L’inaction aujourd’hui coûtera très cher demain.

Bâtir des équipes internes expertes en mesure

Jusqu’à présent, de nombreux annonceurs déléguaient une grande partie de la mesure à leurs agences ou à des technologies tierces. Demain, cette approche ne sera plus suffisante. La recommandation la plus importante que je puisse faire est de ‘créer des équipes en interne qui vont être capables de jongler avec plusieurs plateformes’. Ces nouvelles équipes devront être hybrides, à la croisée de la data science, du marketing et de la technique. Leur rôle sera d’aller chercher l’information à différentes sources (l’API de la Privacy Sandbox, les rapports des plateformes d’ID uniques, les données first-party issues des data warehouses) et surtout, de leur ‘donner du sens’. Il s’agira de réconcilier des données hétérogènes, de comprendre les biais de chaque source et de construire une vision consolidée de la performance. C’est un changement majeur qui nécessite des investissements en recrutement et en formation, mais c’est la condition sine qua non pour ne pas naviguer à l’aveugle.

Repenser les KPIs : de la performance individuelle à la connaissance de masse

Notre obsession pour les KPIs de performance individualisés (le coût par acquisition d’un utilisateur, sa lifetime value précise) va devoir évoluer. Avec des données majoritairement agrégées, nous devons apprendre à piloter différemment. Le défi est de ‘sortir de la connaissance à partir de la masse agrégée’. Cela signifie développer de nouvelles compétences en analyse de cohortes, en détection de tendances et en modélisation statistique. Par exemple, plutôt que de suivre un individu, nous analyserons la performance de segments comme ‘les nouveaux visiteurs exposés à la campagne vidéo sur la période X’. C’est là que des approches innovantes, comme l’analyse sémantique que nous développons chez Weborama, prennent tout leur sens. En analysant les thèmes et sujets consultés par de larges groupes d’utilisateurs, nous pouvons déduire des intentions et des intérêts sans jamais avoir besoin de suivre un individu. Cela permet de conserver une connaissance client riche, actionnable pour le ciblage et la mesure, tout en étant totalement ‘cookieless’ et respectueux de la vie privée.

Conclusion : Un nouvel horizon pour la mesure marketing

Le chemin qui s’ouvre devant nous est sans aucun doute complexe. La fin du cookie tiers nous arrache à nos certitudes et à un confort que nous pensions acquis. Nous devons faire le deuil de la mesure individuelle, en temps réel et exhaustive. Cependant, il ne faut pas voir ce changement comme un ‘tableau noir’. C’est avant tout une formidable opportunité de réinventer nos pratiques pour construire un marketing digital plus intelligent, plus résilient et plus respectueux.

Les clés du succès de demain reposeront sur trois piliers. Le premier est technologique : accepter qu’il n’y aura pas de solution unique et apprendre à orchestrer une palette d’outils (Privacy Sandbox, ID uniques, données contextuelles, etc.). Le deuxième est stratégique : faire de vos données first-party le cœur de votre réacteur, en bâtissant une relation de confiance directe avec vos clients. Le troisième, et le plus important, est humain et organisationnel : investir dans des équipes capables de donner du sens à des données imparfaites et agrégées, et faire évoluer votre culture d’entreprise vers de nouveaux KPIs et de nouvelles manières de penser la performance.

Le marketing de demain sera moins une science de la certitude absolue qu’un art de l’interprétation intelligente des signaux faibles. C’est un défi immense, mais c’est aussi ce qui le rend passionnant. Le moment d’agir, de tester et de préparer cette transition, c’est maintenant.

FAQ : Vos questions sur l’avenir de la mesure marketing

Quelle est la plus grande différence entre la mesure marketing d’hier et celle de demain ?

La différence fondamentale réside dans le passage d’une mesure individuelle et en temps réel à une mesure collective et différée. Auparavant, grâce aux cookies tiers, nous pouvions suivre un utilisateur unique tout au long de son parcours et prendre des décisions d’optimisation presque instantanément. Demain, nous travaillerons principalement avec des données agrégées sur des groupes d’utilisateurs (cohortes) et les informations de performance nous parviendront avec un délai de 24 heures à plusieurs jours. Ce changement nous oblige à passer d’une logique de micro-optimisation individuelle à une analyse macroscopique des tendances et des comportements de masse.

‘Ce qui est très important pour moi, c’est que la la mesure et la l’attribution aujourd’hui sont possibles en grande partie en temps réel grâce au cookie tiers qui a permis de créer un système homogène. […] Ce qui malheureusement n’existera probablement plus demain.’

La fin des cookies tiers signifie-t-elle la fin du suivi des conversions ?

Non, absolument pas. Le suivi des conversions continuera d’exister, mais ses mécanismes seront très différents. Des solutions comme la Privacy Sandbox de Google, via son ‘Aggregate API’, fourniront des rapports détaillés sur les conversions (montant, type, etc.). Cependant, la grande nouveauté est que ces données de conversion ne pourront plus être directement et individuellement reliées aux impressions publicitaires ou aux clics qui les ont précédées. Nous aurons d’un côté des données sur l’exposition média et de l’autre des données sur les conversions, et le lien entre les deux devra se faire par modélisation statistique plutôt que par un suivi direct.

‘On va avoir un aggregate API qui lui va être beaucoup plus détaillé mais et qui va donner des informations exclusivement sur la conversion, sur la performance. Et donc on pourra plus lier et créer cette chaîne impression clic conversion de manière individualisée.’

Mon site pourra-t-il encore utiliser des cookies pour analyser ses propres visiteurs ?

Oui, c’est un point capital. Les cookies que vous déposez sur votre propre domaine, les ‘cookies first-party’, ne sont pas remis en cause par les navigateurs. Ils considèrent qu’il existe une relation directe et transparente entre vous et vos visiteurs. Vous pourrez donc continuer à analyser le comportement des utilisateurs sur votre site. Toutefois, il est crucial de rappeler que même l’utilisation de ces cookies est soumise à la réglementation (RGPD, ePrivacy) et nécessite d’obtenir le consentement préalable de l’utilisateur. La donnée first-party devient un actif stratégique, mais sa collecte n’est ni automatique ni garantie.

‘Si les first party cookies, c’est-à-dire les cookies déposés par un annonceur ou par un éditeur dans ses propres environnements ne sont pas remis en question et heureusement. […] ce qui est plus gênant pour eux et les raisons qu’ils évoquent, c’est des raisons de privacy, c’est quand un inconnu […] pose des cookies chez les internautes qui ne le connaissent pas.’

Qu’est-ce que la Privacy Sandbox de Google et comment impacte-t-elle la mesure ?

La Privacy Sandbox est la réponse de Google à la fin des cookies tiers. C’est un ensemble d’outils (APIs) intégrés directement dans le navigateur Chrome pour permettre les principaux cas d’usage publicitaires (ciblage, mesure) tout en protégeant la vie privée des utilisateurs. Pour la mesure, elle déporte la logique d’attribution au sein du navigateur lui-même. L’annonceur définit des règles, Chrome les applique et restitue des rapports agrégés et anonymisés. Son impact est majeur : elle entraîne une perte de contrôle direct pour les annonceurs, met fin à la mesure en temps réel et fragmente l’écosystème, car chaque navigateur proposera ses propres solutions.

‘La précy Sandbox, c’est vraiment la réponse de Google sur la disparition des tiers de party cookie et ce qui est prévu dedans, c’est un API répondant à chacun des cas d’usage globalement du marché.’

Les identifiants uniques sont-ils la solution miracle pour remplacer les cookies ?

Non, ce ne sont pas une solution miracle, mais une pièce importante du puzzle. Leur force est de pouvoir suivre un individu (via son email ou téléphone chiffré) à travers différents appareils, ce que le cookie ne faisait pas bien. Cependant, ils ont deux faiblesses majeures : une portée très limitée (l’utilisateur doit être connecté sur de nombreux sites) et une grande fragmentation du marché avec des dizaines de fournisseurs qui ne communiquent pas entre eux. Ils seront donc très utiles pour analyser une petite partie de votre base d’utilisateurs la plus engagée, mais ne pourront pas, à eux seuls, remplacer la couverture quasi universelle qu’offrait le cookie tiers.

‘On pourra suivre un individu cross device cross canal, cross domaine mais ça représentera qu’une petite partie parce qu’elle a une portée est très faible, exactement.’

Comment une entreprise doit-elle s’organiser concrètement pour ce changement ?

La priorité est de développer l’expertise en interne. Il ne sera plus possible de tout déléguer. Les entreprises doivent créer des équipes capables de comprendre et de manipuler ces nouvelles sources de données hétérogènes : les APIs des navigateurs, les plateformes d’ID, les données first-party. Ces équipes devront savoir réconcilier ces informations pour construire une vision globale de la performance. Cela implique de recruter de nouveaux profils (data analysts, data scientists) ou de former les équipes actuelles. Il faut aussi repenser les processus et les KPIs pour s’adapter à une information moins granulaire et différée.

‘La première chose qu’ils doivent faire, c’est créer des équipes en interne qui vont être capables de jongler avec plusieurs plateformes, qui vont aller regarder ce qui se passe dans la Privacy Sandbox, qui vont regarder ce qui se passe avec les identifiants uniques […] et pouvoir ben trouver des moyens en interne de faire du sens de tout ça.’

L’attribution ‘last click’ va-t-elle survivre dans le monde cookieless ?

Oui, le modèle ‘last click’ en tant que tel va probablement survivre, car il reste le plus simple à mesurer. Google a d’ailleurs indiqué que sa Measurement API le prendrait en charge. Cependant, son interprétation et son importance vont changer. Dans un monde où reconstituer l’ensemble du parcours client sera très difficile, le ‘last click’ pourrait rester une des rares mesures déterministes. Le défi sera de ne pas retomber dans le piège de lui donner trop de poids et de le compléter avec des approches plus statistiques comme le Marketing Mix Modeling pour évaluer l’impact des leviers d’influence en amont du parcours.

‘Pour le moment, Google a développé la partie mesure last click, mais il y a effectivement du travail qui est fait en ce moment sur notamment […] des mesures custom. L’annonceur pourra apporter ses règles dans Chrome et Chrome appliquera ces règles de base.’

Quelles sont les ressources fiables pour suivre l’évolution de la mesure marketing ?

Pour rester à jour sur ce sujet qui évolue très vite, je recommande de suivre les publications des organisations interprofessionnelles. En France, l’IAB (Interactive Advertising Bureau) France est une excellente ressource. Nous y avons une task force dédiée au ‘cookieless’ qui publie des livres blancs, des fiches et organise des webinaires. L’Union des Marques est également très active. Pour une lecture de fond, je conseille la nouvelle édition du livre de Laurent Florès, ‘Mesurer l’efficacité du marketing digital’, qui intègre ces nouveaux enjeux. Enfin, des podcasts spécialisés comme Banouze ou Mediarama permettent de suivre l’actualité et les réflexions des experts du marché.

‘Un site web, je vous recommanderai l’IAB France. […] On essaie de publier des livres blancs, des fiches explicatives, des webinars. Donc c’est vraiment des ressources intéressantes.’


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