L’évolution du luxe vers le digital : un virage à petits pas, accéléré par la pandémie
L’univers du luxe, avec son aura d’exclusivité et son attachement à l’expérience physique, a longtemps observé le monde digital avec une certaine distance. Comment transposer le service sur-mesure d’une boutique prestigieuse sur un écran ? C’est le défi auquel le secteur est confronté depuis près de deux décennies. Nicolas Cano, responsable du développement international mode et luxe pour la plateforme Tmall, nous éclaire sur cette transition. L’état des lieux du luxe sur le digital révèle une histoire complexe, faite de prudence et d’accélérations soudaines.
« L’empreinte du digital, du numérique sur l’ensemble de nos vies a commencé en fait assez tôt, début des années 2000, où l’industrie du luxe a envisagé le digital comme un terrain de jeu assez important », explique Nicolas. Pourtant, cette prise de conscience précoce ne s’est pas immédiatement traduite par une révolution. « Pour la plupart des marques, le retail physique est longtemps resté la priorité. » L’évolution s’est faite « à petit pas », avec des pionniers comme Hermès et Gucci lançant leurs premiers sites marchands au début du millénaire, suivis par des géants comme Chanel et Louis Vuitton en 2005.
Durant cette période, l’essentiel des investissements se concentrait sur la création de « véritables temples du luxe », des boutiques physiques où les marques pouvaient exposer l’intégralité de leurs collections et de leur art de vivre. Le digital restait cantonné à « quelques sites marchands peu nombreux », et l’expérience client en ligne était loin d’être une priorité. Le transactionnel primait sur l’expérientiel.
Le catalyseur de la crise sanitaire
Puis, la pandémie est arrivée. « Avec la pandémie évidemment, tout a changé », souligne Nicolas Cano. La fermeture forcée des points de vente physiques a agi comme un électrochoc, transformant une tendance de fond en une nécessité vitale. « Cette fermeture de tous ces points de vente physiques a entraîné un changement de stratégie assez complet, nécessaire même vital pour que l’industrie puisse survivre. »
Ce contexte a forcé les maisons de luxe à reconsidérer le digital non plus comme un simple canal de vente, mais comme un véritable point de contact pour engager avec leurs clients. « Je pense que tout le monde s’est rendu compte ici comment on pouvait utiliser l’outil du digital aussi pour rentrer en contact avec les consommateurs, véritablement engager avec eux, mais en renforçant justement l’expérientiel. » Cette période a été un formidable accélérateur pour le luxe et e-commerce, mais a surtout mis en lumière l’importance cruciale de l’omnicanalité.
La Chine, épicentre de la digitalisation du luxe et berceau du « new retail »
Si la pandémie a accéléré la tendance en Europe et aux États-Unis, un marché était déjà bien en avance : la Chine. « J’ai l’impression que les marques de luxe sont plus en avance en Chine ou en Asie qu’en Europe. Est-ce que c’est un sentiment qui est réel ? », demande l’animateur. La réponse de Nicolas est sans équivoque : « Oui effectivement ».
Plusieurs facteurs expliquent cette avance. D’abord, le poids économique du consommateur chinois de luxe. « Le consommateur chinois, c’est déjà le premier consommateur de luxe au monde. Et en 2025, il représentera 50 % des achats globaux totaux de l’industrie du luxe. » La crise sanitaire a également provoqué un phénomène de « rapatriation » de la consommation. Les voyageurs chinois, qui achetaient massivement à l’étranger, consomment désormais sur leur marché domestique, faisant de la Chine non seulement le premier vivier de clients, mais aussi le premier marché du luxe au monde.
Du omnicanal au « new retail »
En Chine, la fusion entre le commerce en ligne et hors ligne est si aboutie qu’on ne parle plus d’omnicanalité, mais de « New Retail ». Comme l’explique Nicolas, « en Chine, on parle de New Retail où l’intégration entre le online et l’offline est beaucoup plus puissante et réelle parce que le marché est un marché mobile ». Le consommateur chinois est habitué à une fluidité totale, passant d’une découverte sur une application à un essayage en boutique, puis à un achat via son mobile, sans la moindre friction.
Cette maturité digitale se reflète dans les chiffres : alors que la part du digital dans le chiffre d’affaires mondial du luxe passait de 12% à 23% pendant la pandémie, « en Chine, ça s’est même beaucoup plus accéléré qu’ailleurs et des marques réalisent presque déjà 50 % de leur chiffre d’affaires sur le digital. » Le marché du luxe chinois dicte le rythme et impose de nouvelles normes d’interaction.
Au-delà de la vente : comment le luxe digital crée une expérience client immersive
Face à des consommateurs de plus en plus exigeants, la digitalisation du luxe ne peut plus se contenter d’être un catalogue de produits en ligne. L’enjeu est de recréer l’émotion, l’exclusivité et le service de l’expérience physique à travers un écran. « C’est depuis quelques années que les maisons de luxe véritablement commencent à s’intéresser au digital d’un point de vue consommateur, c’est pour ça qu’on parle souvent de consumer-centric et pas seulement du transactionnel », précise Nicolas Cano.
Pour y parvenir, les marques déploient un arsenal de nouvelles technologies dans le luxe, transformant le parcours d’achat en une véritable expérience 360°.
Le live shopping, un outil d’engagement puissant
Le live shopping luxe est l’un des outils les plus emblématiques de cette nouvelle ère. Bien plus qu’une simple session de télé-achat, il devient un canal de communication et de branding. « On a plusieurs stratégies aujourd’hui avec le live shopping. En Chine, on ne vend pas que des produits, on peut aussi vendre, si je peux me permettre, des expériences. » Des acteurs comme les Galeries Lafayette en France l’ont utilisé pendant le confinement pour maintenir le lien, en permettant aux clients de découvrir les collections et d’acheter en direct avec les conseils des vendeurs.
Réalité augmentée et technologies immersives
Pour enrichir davantage l’expérience client luxe en ligne, d’autres technologies sont mises à contribution. « On a aussi des technologies qu’on utilise de plus en plus, la réalité augmentée, la réalité virtuelle, les technologies holographiques qui placent le consommateur vraiment au cœur de la stratégie de digitalisation des marques. » Ces outils permettent par exemple d’essayer virtuellement une montre, de visualiser un sac à main en 3D dans son salon ou de participer à un défilé de mode virtuel. L’objectif est toujours le même : créer de l’engagement et offrir une personnalisation toujours plus poussée.
Le défi de l’exclusivité : comment protéger sa brand equity en ligne ?
Une question fondamentale taraude toutes les maisons de luxe : « Est-ce qu’il n’y a pas un risque pour elles de devenir, alors le terme va être un peu fort, mais banales ? » Comment concilier la nature accessible et mainstream du digital avec l’exclusivité inhérente au luxe ? C’est le principal enjeu pour protéger sa brand equity en ligne.
Selon Nicolas Cano, la réponse repose sur deux piliers fondamentaux : le contrôle et la qualité du contenu.
Le choix stratégique des plateformes
Le premier point est de ne pas se disperser sur n’importe quel canal de vente. « Ce qui est important, c’est le choix des plateformes. […] Je pense que les marques se doivent de choisir des plateformes qui leur permettent d’entièrement contrôler leur environnement que ce soit d’ailleurs leur contenu, leur distribution, leur prix, leur logistique, leur communication. » C’est la raison d’être de plateformes comme Tmall Luxury Pavilion, qui permettent aux marques d’ouvrir leur propre « flagship digital » en maîtrisant chaque aspect de leur présence, protégeant ainsi leur image de marque.
Un contenu qualitatif et engageant
Le second pilier est le contenu. Il ne suffit pas d’être présent, il faut raconter une histoire. « Pour protéger cette brand equity, il faut vraiment avoir un niveau de contenu, proposer un contenu qualitatif et engageant. » L’expérience en ligne doit devenir immersive et non plus seulement informative. C’est en mettant l’accent sur « la création, le savoir-faire », tout en le mélangeant « à l’innovation et au digital », que les marques peuvent réussir. « On met également en avant les valeurs de la marque qui sont extrêmement importantes, son savoir-faire et son héritage. Ça permet justement à la marque de toujours rester connectée avec son consommateur, en protégeant sa brand equity. »
Les 5 piliers d’une stratégie digitale luxe réussie
Pour les marques qui souhaitent se lancer ou accélérer leur présence digitale, Nicolas Cano distille plusieurs conseils pratiques. Maximiser sa présence digitale ne s’improvise pas ; cela requiert une approche structurée. Voici les points essentiels d’une stratégie digitale luxe performante.
- Définir une stratégie claire et une équipe forte : Avant toute chose, il faut une vision. Cela passe par une stratégie bien définie et une équipe interne compétente et dédiée au sujet du digital.
- Choisir les bons partenaires : « Sur certains marchés, on parlait de la Chine par exemple, avoir le bon partenaire est essentiel. » Qu’il s’agisse de la plateforme de vente ou du partenaire opérationnel local, ce choix est « décisif dans la réussite du projet ». Il faut connaître les écosystèmes pour savoir comment engager efficacement avec le consommateur.
- Connaître ses consommateurs : « Votre stratégie, elle dépend clairement de la connaissance que vous allez avoir de vos consommateurs. » Le digital offre un accès sans précédent à la data, permettant d’affiner la connaissance client. « Il faut savoir à quelles audiences vous allez justement communiquer et engager. »
- Produire un contenu qualitatif et varié : Le contenu est roi. Il doit être « qualitatif mais varié ». Nicolas insiste sur l’importance de la vidéo pour parler aux jeunes générations : « Beaucoup de contenu vidéo parce qu’il faut parler aux plus jeunes. »
- Rester fidèle à l’ADN de la marque : Au milieu de toutes ces innovations, il ne faut jamais se perdre. « Ne jamais oublier ce que vous êtes, ce que vous représentez. […] Le savoir-faire, l’héritage, c’est quelque chose qu’il ne faut jamais oublier pour ne pas se perdre dans la masse sur des marchés qui sont ultra compétitifs. »
En conclusion, la question n’est plus de savoir si le luxe doit être digital, mais comment il doit l’être. L’adaptation passe par une compréhension fine des nouveaux codes de consommation, une maîtrise technologique au service de l’expérience, et un respect scrupuleux de l’ADN qui fait la valeur unique de chaque maison. Le futur du retail de luxe sera inévitablement un hybride sophistiqué, où le digital n’est pas l’opposé du physique, mais son prolongement le plus intelligent.
FAQ : Tout savoir sur le luxe digital
Pourquoi les marques de luxe ont-elles tardé à se lancer dans le digital ?
Les marques de luxe ont longtemps privilégié l’expérience en boutique physique, considérant le digital comme un canal moins à même de retranscrire leur exclusivité et leur niveau de service. Elles se sont d’abord concentrées sur la création de « temples du luxe » physiques avant d’adopter plus largement le e-commerce.
« Pour la plupart des marques, le retail physique est longtemps resté la priorité. Donc en fait l’évolution digitale, elle a été finalement, elle s’est faite à petit pas. » – Nicolas Cano
Quel a été l’impact de la pandémie sur la digitalisation du luxe ?
La pandémie a été un puissant accélérateur. La fermeture des magasins physiques a contraint les marques à adopter rapidement une stratégie digitale complète, non seulement pour vendre, mais aussi pour maintenir le contact et engager avec leurs clients, la rendant vitale pour leur survie.
« Cette fermeture de tous ces points de vente physiques évidemment, a entraîné un changement de stratégie assez complet, nécessaire même vital pour que l’industrie puisse survivre dans cette période. » – Nicolas Cano
Pourquoi le marché chinois est-il si important pour le luxe digital ?
Le marché chinois est crucial car il représente le premier vivier de consommateurs de luxe au monde (50% des achats mondiaux d’ici 2025) et c’est aussi le marché le plus mature digitalement. Les consommateurs y sont habitués à une expérience « New Retail » totalement intégrée entre online et offline, poussant les marques à innover constamment.
« Le consommateur chinois, c’est déjà le premier consommateur de luxe au monde. Et en 2025 qui représentera 50 % des achats globaux totaux de l’industrie du luxe. […] C’est le premier marché digital y compris au sein de l’industrie du luxe. » – Nicolas Cano
Comment une marque de luxe peut-elle vendre en ligne sans devenir « banale » ?
Pour éviter la banalisation, une marque de luxe doit se concentrer sur deux aspects : choisir des plateformes qui lui offrent un contrôle total sur son environnement (prix, contenu, communication) et produire un contenu très qualitatif qui met en avant son savoir-faire, son héritage et son innovation pour créer une expérience immersive.
« Pour protéger cette brand equity, il faut vraiment avoir un niveau de contenu, proposer en tout cas un contenu qualitatif et engageant. C’est ce qui va faire en sorte aussi que l’expérience en ligne va devenir immersive et pas seulement informative. » – Nicolas Cano
Quelles sont les nouvelles technologies utilisées par le luxe en ligne ?
Le secteur du luxe intègre de plus en plus de technologies pour enrichir l’expérience client. On retrouve notamment le live shopping pour l’engagement en direct, mais aussi la réalité augmentée (essayage virtuel), la réalité virtuelle et les technologies holographiques pour créer des expériences immersives et personnalisées.
« On a aussi des technologies qu’on utilise de plus en plus, la réalité augmentée, la réalité virtuelle, les technologies holographiques qui placent le consommateur vraiment au cœur de la stratégie de digitalisation des marques. » – Nicolas Cano
Qu’est-ce que le « New Retail » mentionné dans le podcast ?
Le « New Retail » est un concept principalement développé en Chine qui décrit l’intégration transparente et complète entre le commerce en ligne (online) et le commerce physique (offline). Contrairement à l’omnicanalité, le New Retail implique une fusion totale où le mobile est au centre de l’expérience, rendant la frontière entre les deux mondes quasi inexistante.
« En Chine, on parle de New Retail où l’intégration entre le online et l’offline est beaucoup plus puissante et réelle parce que le marché est un marché mobile. » – Nicolas Cano
Quels sont les points clés pour réussir sa stratégie digitale dans le luxe ?
Une stratégie digitale réussie pour une marque de luxe repose sur plusieurs piliers : une vision claire, le choix de bons partenaires (plateformes, opérateurs), une connaissance approfondie des consommateurs cibles, la création de contenu qualitatif et varié (notamment vidéo), et le respect constant de l’ADN et des valeurs de la marque.
« Maximiser sa présence digitale, c’est d’abord avoir une stratégie très claire, avoir une équipe évidemment forte sur le sujet et enfin avoir des partenaires qui sur certains marchés […] avoir le bon partenaire. » – Nicolas Cano
Qu’est-ce que le Tmall Luxury Pavilion ?
Tmall Luxury Pavilion est la plateforme luxe de Tmall (groupe Alibaba), dédiée aux marques premium et luxe. Elle permet à ces marques d’ouvrir leur propre « flagship digital » en Chine, en contrôlant entièrement leur environnement, leur image, leur distribution et leur communication, afin de protéger leur « brand equity » sur ce marché stratégique.
« J’ai rejoint le groupe Alibaba […] afin de déployer la plateforme Luxe de Tmall, Luxury Pavilion, dédié aux marques Premium et luxe. Les marques peuvent y ouvrir leur propre flagship digital tout en contrôlant entièrement leur environnement et ainsi protéger leur brand equity. » – Nicolas Cano




