L’impact du covid-19 sur la tech aux USA : le témoignage de Romain Bourgois
Dans cette nouvelle chronique mensuelle, nous partons de l’autre côté de l’Atlantique pour prendre le pouls du marché de la tech aux États-Unis. Grâce à notre correspondant en Californie, Romain Bourgois, Product Manager chez Criteo, nous allons décrypter les tendances et les soubresauts de l’écosystème digital américain. Pour ce premier épisode, le sujet s’est malheureusement imposé de lui-même : le coronavirus et ses conséquences multiples sur l’industrie. Comment la Silicon Valley, épicentre de l’innovation mondiale, a-t-elle vécu cette crise sans précédent ? Entre adaptation fulgurante, licenciements massifs et initiatives solidaires, Romain nous livre une analyse de l’intérieur, loin des clichés.
La tech californienne face au confinement : entre adaptation et incertitude
Au printemps 2020, comme le reste du monde, la Californie se met à l’arrêt. Mais la gestion de la crise sanitaire y prend une forme particulière, tout comme la réaction de son industrie phare, la tech. Romain, qui vit cette situation au quotidien près de San Francisco, nous décrit un environnement à la fois strict et différent de ce que nous avons connu en France.
Un quotidien confiné, mais des habitudes de travail préservées
Romain partage son expérience personnelle du confinement : « Je le vis confiné comme vous en France. Euh bah du coup pour sortir j’ai pas besoin d’attestation mais j’ai un port du masque obligatoire et on est confiné jusqu’à jusqu’à au moins fin mai. » Cette absence d’attestation de sortie, qui a tant marqué les esprits en France, illustre une approche différente de la gestion des libertés individuelles. Cependant, la contrainte majeure reste la même : rester chez soi pour endiguer la pandémie.
Face à cette situation, comment les entreprises de la tech ont-elles réagi ? La transition vers le travail à distance a été remarquablement fluide. Romain explique que cela n’a rien d’un hasard : « La première chose c’est que bah forcément c’est les États-Unis donc on on dit toujours que les distances sont plus sont plus grandes et et en fait ça met déjà une culture […] du télétravail qui est assez qui est assez ancrée quoi. » Cette culture, façonnée par la géographie et l’organisation du travail, a constitué un avantage considérable. « Globalement tous les employés de la tech qui sont sont tous bien équipés les visio conférences étaient déjà en place Slack devient encore plus incontournable et les outils internes sont déjà accessibles à distance. » Ainsi, si le choc du confinement a été bien réel, l’impact sur la capacité de production des entreprises technologiques a été, selon Romain, « relativement minime ».
L’onde de choc économique : licenciements massifs et précarité dans l’ad tech
Si la productivité a pu être maintenue, l’impact économique du covid-19 a été, lui, d’une violence inouïe. Le secteur de la publicité digitale, pourtant perçu comme résilient, a été frappé de plein fouet, entraînant une cascade de conséquences sociales dramatiques.
La vague de licenciements dans l’ad tech ne s’est pas fait attendre
L’un des impacts les plus négatifs et immédiats, comme le souligne Romain, a été la multiplication des annonces de licenciements. « Un des impacts vraiment négatifs sur mon réseau, ça a été le nombre d’annonce de de bah de de licenciement, » confie-t-il. Cette vague a touché l’ensemble de l’écosystème, des agences aux pure players du digital. « Moi j’avais commencé à voir que beaucoup d’agences commençaient à pratiquer des des politiques voilà de licenciement, de chômage partiel, de réduction de salaire et ce dès mars. »
Dès le mois d’avril, des acteurs majeurs de l’ad tech ont suivi le mouvement avec des chiffres qui donnent le vertige. Romain énumère : « Ruby Rubicon a réduit ses effectifs de 8 %, pour Media Math Openx prévoit de réduire les siens de 15 %. » Ces décisions, prises très rapidement, témoignent d’une réactivité brutale du marché américain, une rapidité que Romain juge « un peu inquiétante ».
Le chômage aux États-Unis : une précarité qui aggrave la crise
Pour bien comprendre le drame humain qui se joue derrière ces chiffres, Romain met en lumière un point crucial, souvent méconnu en Europe : la fragilité du système de protection sociale américain. « Petite note sur le chômage aux États-Unis, il est beaucoup beaucoup plus précaire qu’en France. »
Lorsqu’un employé perd son travail, l’aide qu’il reçoit est loin de lui garantir une sécurité financière. « Tous ces employés qui qui perdent qui perdent leur boulot, bah certes ils vont avoir une petite tête financière […] mais en tout cas enfin c’est une aide financière qui qui suffit généralement pas à couvrir les frais habituels. » Cette situation plonge des milliers de familles dans une grande incertitude et un risque de précarité élevé. « Je il faut croiser les doigts pour que pas trop de personnes entre n’entrent dans la précarité dans cette période dans cette période difficile, » conclut Romain sur ce point sombre.
Au cœur de la tempête : la crise publicitaire digitale et ses répercussions
Ces licenciements en cascade ne sont que la partie visible de l’iceberg. Ils sont la conséquence directe d’une crise profonde qui a secoué tout le marché publicitaire digital. Romain décortique ce phénomène en analysant à la fois le côté de la demande (les annonceurs) et celui de l’offre (les éditeurs).
Côté demande : une chute libre des investissements publicitaires
Pour quantifier l’ampleur de la crise, Romain s’appuie sur une étude de l’Interactive Advertising Bureau (IAB) menée fin avril auprès de 300 annonceurs. Les résultats sont, selon ses propres mots, « un peu sans appel ». Il détaille les chiffres : « il y a 37 % des des annonceurs qui ont coupé leurs investissements, 45 qui ont réajusté leur spend, j’ai mieux dire que c’est plutôt à la baisse. Et il y a seulement 15 % qui maintiennent leur plan initial. » Si l’on fait le calcul, plus de 80% des annonceurs ont donc réduit la voilure. Les 3% restants ? « Ils savent toujours pas ce qu’ils vont faire, » précise Romain avec une pointe d’ironie.
Un seul point positif émerge de cette étude : un très léger rebond. « On était à moins 33 % year over year […] à la fin mars qui est qui est passé à – 29 % fin avril. Donc de – 33 à – 29. Donc il y a un peu de mieux mais ça reste assez significatif comme chiffres. » Une amélioration infime qui ne masque pas la violence de la chute.
Côté supply : le paradoxe des publicheurs, entre audience record et revenus en berne
Du côté des éditeurs de contenu, la situation est tout aussi complexe, et profondément paradoxale. Alors que les mesures de confinement ont fait exploser la consommation de médias en ligne, les revenus, eux, se sont effondrés. Comme l’explique Romain, « la monétisation de trafic a pris du plomb dans l’aile. »
L’exemple du New York Times est particulièrement frappant : « le New York Times a a indiqué que son trafic avait plus que doublé en mars et que son revenu publicitaire dans la même période avait chuté de de de de 15 %. » Un trafic qui double et des revenus qui s’effondrent, voilà le cruel paradoxe. Et le pire était encore à venir. « Ils s’attendent à ce que la situation empire même au second trimestre. Donc ils s’attendent à moins 40 moins moins 45 % de revenus publicitaires digitaux […], c’est dingue. »
L’écosystème ad tech sous tension : la solvabilité devient le critère numéro un
Entre les annonceurs qui coupent les budgets et les éditeurs dont les revenus publicitaires fondent, tous les acteurs intermédiaires se retrouvent sous une pression extrême. « Tous les acteurs entre les deux bah ils sont ils sont forcément euh bah aussi sous tension donc DSP, SSP ad Exchange. Euh tout tous cela tout cela tout cela souffrent. »
Cette tension ravive de mauvais souvenirs et génère une peur palpable chez les éditeurs : celle de ne pas être payés. Romain rappelle le spectre de la faillite de Sizmek l’année précédente, qui « était dans l’incapacité de payer pour l’inventaire qu’ils avaient déjà acheté. Et et ça ça fait vraiment vraiment vraiment peur aux aux publicheurs. » Cette crainte change radicalement les stratégies de monétisation. La priorité n’est plus de chercher le meilleur revenu au CPM, mais de s’assurer de la solidité financière de ses partenaires. Romain observe que « la stratégie publicheur est un peu aujourd’hui de de pas forcément essayer d’aller sur le sur le CPM le plus élevé mais sur qui va pouvoir vraiment payer quoi. » La confiance et la solvabilité sont devenues les monnaies d’échange les plus précieuses. Face à cette anxiété, certains acteurs comme OpenX et TripleLift ont même souscrit des assurances pour garantir le paiement de l’inventaire aux éditeurs, un signe de la nervosité ambiante.
L’esprit de la baie : la culture du rebond comme moteur d’espoir
Ce tableau de l’impact du covid-19 sur la tech américaine pourrait paraître uniformément sombre. Pourtant, au milieu de la crise, une force caractéristique des États-Unis, et en particulier de la Silicon Valley, se manifeste : la culture du rebond.
Face à la crise, une mobilisation spontanée et solidaire
Face à l’adversité, l’écosystème ne reste pas passif. Romain est témoin de cette résilience. « C’est ce qui est chouette c’est que il y a il y a cette culture du rebond. […] la culture du du rebond existe existe aux US, elle est hyper ancrée. » Cette mentalité se traduit par une vague d’initiatives solidaires pour aider ceux qui ont été touchés par les licenciements. « On le voit par une multitude d’outils qui se créent de façon quasi spontanée de listing de d’employés qui ont perdu qui ont perdu un boulot, de listing d’entreprises qui qui continuent de recruter. »
Des outils concrets pour rebondir et retrouver un emploi
Cette culture n’est pas qu’un concept abstrait ; elle se matérialise par des actions très concrètes. Romain cite des exemples précis de plateformes qui ont vu le jour : « Il y a un site qui s’appelle kendor.co qui qui référence 7500 entreprises. il y en a un autre layoff.FYI qui propose des listings très similaires. » Ces outils permettent de fluidifier le marché du travail en mettant rapidement en relation l’offre et la demande, même en pleine crise.
Cette capacité à se réorganiser et à créer des solutions est une source d’optimisme. Romain conclut sur une note d’espoir, du moins pour sa région : « On peut espérer que en tout cas dans la baie on dit toujours qu’il y a plus de boulot que de que de que de personnes qui peuvent les qui qui peuvent les prendre. Bah on peut espérer que eux continue enfin trouve du boulot arriver à rebondir. » Cette première chronique brosse un portrait sans concession mais nuancé de l’impact du covid-19 sur la tech américaine. Entre la brutalité de la crise économique et la résilience d’un écosystème habitué à se réinventer, l’avenir reste à écrire.
FAQ sur l’impact du Covid-19 sur la tech aux USA
Comment les entreprises de la tech en Californie ont-elles géré le confinement lié au Covid-19 ?
Elles se sont adaptées relativement facilement au télétravail, car cette culture était déjà bien ancrée. Les employés étaient équipés, et les outils collaboratifs comme Slack et les visioconférences étaient déjà massivement utilisés.
« Globalement tous les employés de la tech qui sont sont tous bien équipés les visio conférences étaient déjà en place Slack devient encore plus incontournable et les outils internes sont déjà accessibles à distance. » – Romain Bourgois
Quel a été l’impact du coronavirus sur l’emploi dans le secteur de l’ad tech aux USA ?
L’impact a été immédiat et sévère, avec des vagues de licenciements et de chômage partiel dès le mois de mars 2020. Des acteurs majeurs comme Rubicon, MediaMath ou OpenX ont réduit leurs effectifs de 8 à 15 %.
« Ruby Rubicon a réduit ses effectifs de 8 % par pour Media Math Openx prévoit de réduire les siens de 15 %. c’est vraiment enfin il y a vraiment eu des réactions très très rapide très rapide qui sont qui sont un peu qui sont un peu inquiétantes. » – Romain Bourgois
La baisse des investissements publicitaires a-t-elle été importante pendant la crise ?
Oui, une étude de l’IAB a montré une baisse drastique. Fin avril 2020, 37% des annonceurs avaient coupé leurs investissements et 45% les avaient réajustés à la baisse, avec une chute globale de 29% des dépenses par rapport à l’année précédente.
« Il y a 37 % des des annonceurs qui ont coupé leurs investissements, 45 qui ont réajusté leur spend, j’ai mieux dire que c’est plutôt à la baisse. Euh et il y a seulement 15 % qui maintiennent leur plan initial. » – Romain Bourgois
Comment les éditeurs de presse comme le New York Times ont-ils été affectés ?
Ils ont vécu un paradoxe : leur trafic a explosé (plus que doublé pour le NYT en mars), mais leurs revenus publicitaires ont chuté simultanément (baisse de 15 %). La situation devait même empirer au trimestre suivant.
« Le New York Times a a indiqué que son trafic avait plus que doublé en mars et que son revenu publicitaire dans la même période avait chuté de de de de 15 %. » – Romain Bourgois
Pourquoi les éditeurs (publicheurs) s’inquiétaient-ils de la solidité des SSP et DSP ?
La faillite passée de Sizmek, qui n’avait pas pu payer l’inventaire acheté, a laissé des traces. Les éditeurs craignent que d’autres acteurs de l’ad tech fassent faillite et ne puissent pas les régler, ce qui les pousse à prioriser la solvabilité des partenaires plutôt que les CPM les plus élevés.
« Si on se rappelle d’un peu de de Cismec l’année dernière qui avait qui avait faiillé pour bankrupcy, bah au moment où ils ont fait faillite, ils étaient dans l’incapacité de payer pour l’inventaire qu’ils avaient déjà acheté. Et euh et et ça ça fait vraiment vraiment vraiment peur aux aux publicheurs. » – Romain Bourgois
Quelle est la principale différence du système de chômage aux États-Unis par rapport à la France ?
Le système de chômage américain est beaucoup plus précaire. L’aide financière versée aux employés qui perdent leur emploi est souvent insuffisante pour couvrir leurs frais habituels, les exposant rapidement à un risque de précarité.
« Petite note sur le chômage aux États-Unis, il est beaucoup beaucoup plus précaire qu’en France. […] c’est une aide financière qui qui suffit généralement pas à couvrir les frais habituels. » – Romain Bourgois
Qu’est-ce que la « culture du rebond » dans la Silicon Valley ?
C’est une mentalité très ancrée aux États-Unis, et particulièrement dans la tech, qui pousse à la résilience et à la création rapide de solutions face à une crise. Cela se manifeste par des initiatives solidaires et une forte capacité à se réinventer et à retrouver un emploi.
« Il y a cette culture du rebond. voilà tu tu as évoqué le rebond, la culture du du rebond existe existe aux US, elle est hyper ancrée. » – Romain Bourgois
Quelles initiatives concrètes ont été mises en place pour aider les personnes licenciées dans la tech ?
De nombreux outils et sites web ont été créés spontanément pour aider les chômeurs. Des plateformes comme kendor.co ou layoff.FYI ont vu le jour pour lister les entreprises qui recrutent encore et les profils des personnes ayant perdu leur emploi.
« On le voit enfin moi je le vois par euh une par une multitude d’outils qui se créent de façon quasi spontanée de listing de d’employés qui ont perdu qui ont perdu des qui ont perdu un boulot, de listing d’entreprises qui qui continuent de recruter » – Romain Bourgois




