Dans la tête d’un Growth Hacker : bien plus que des ‘hacks’
Le terme ‘Growth Hacker’ évoque souvent l’image d’un génie de l’informatique, un personnage un peu mystérieux capable de générer une croissance explosive avec trois lignes de code. On l’imagine comme un magicien du marketing digital, un ‘bidouilleur’ qui trouve des failles pour faire décoller une startup du jour au lendemain. Si cette vision romancée contient une part de vérité sur l’ingéniosité requise, elle occulte l’essentiel : le Growth Hacking est avant tout une discipline rigoureuse, un état d’esprit analytique et un processus structuré. Ce n’est pas une collection de recettes miracles, mais une approche scientifique de la croissance. Je m’appelle Médi Naceri Dali, et au quotidien, j’accompagne des entreprises, des startups aux TPE/PME, en tant que Growth Hacker. Mon objectif est de déconstruire les mythes et de vous montrer la véritable valeur ajoutée de ce métier.
Dans cet entretien, nous allons plonger au cœur de la machine. Loin des clichés, je souhaite vous partager ce qu’est réellement le Growth Hacking. Nous allons définir ce concept souvent mal compris, le distinguer de son cousin le Growth Marketing, et surtout, nous allons décortiquer son moteur principal : le fameux framework AARRR. C’est ce processus qui différencie fondamentalement notre approche de celle d’un web marketeur classique. Nous verrons comment, en se concentrant sur chaque étape du parcours client, de la notoriété à la monétisation, le Growth Hacker bâtit une croissance durable et exponentielle. Comme je l’ai expliqué dans le podcast, ‘le gros hacker se concentre sur toutes les étapes du funnel mais il se concentre plus particulièrement sur la rétention et c’est ce qui fait sa spécificité’. Préparez-vous à entrer dans la tête d’un Growth Hacker, à comprendre sa logique, ses outils et les stratégies qui ont permis à des entreprises comme Hotmail, Airbnb ou Twitter de devenir les géants que nous connaissons aujourd’hui. Ce n’est pas de la magie, c’est une méthode.
Démystifier le Growth Hacking : au-delà du buzzword
Pour bien comprendre une discipline, il faut commencer par ses fondations. Le Growth Hacking, avant d’être un ensemble d’outils ou de techniques, est une philosophie. C’est une quête obsessionnelle de croissance, qui utilise la créativité, la pensée analytique et les métriques pour vendre des produits et gagner en visibilité. Le terme lui-même peut prêter à confusion. Le mot ‘hacking’ n’a rien à voir avec le piratage informatique illégal. Il fait référence à l’ingéniosité, à la capacité de trouver des solutions rapides et astucieuses à des problèmes complexes. C’est le ‘hack’ au sens de ‘bidouille’ ou d’astuce intelligente.
Une définition claire pour un concept protéiforme
Alors, comment définir le Growth Hacking ? Si l’on prend la définition la plus simple et consensuelle, comme celle de Wikipédia, c’est ‘un ensemble de techniques de marketing qui va vous permettre en fin de compte de développer la croissance de votre entreprise exponentiellement’. Mais cette définition, bien que juste, ne capture pas toute la nuance. L’origine du terme nous en dit beaucoup plus. Il a été inventé en 2010 par Sean Ellis, qui était alors le premier marketeur de Dropbox. Il cherchait son remplaçant et s’est rendu compte qu’aucun profil de marketeur traditionnel ne correspondait. Les candidats parlaient de budget, de branding, de communication… mais Sean Ellis cherchait quelqu’un dont le ‘Nord’ unique était la croissance (‘True North is Growth’). Il ne trouvait personne avec les compétences multiples qu’il possédait : analyse de données, un peu de développement, une compréhension profonde du produit et une obsession pour l’acquisition d’utilisateurs. Face à ce vide, il a tout simplement créé un nouveau poste : celui de ‘Growth Hacker’. Ce ‘bidouilleur de croissance’ était un profil hybride, capable de naviguer entre le marketing, le produit et la technique pour trouver les leviers de croissance les plus efficaces et les plus rapides.
Growth Hacking vs. Growth Marketing : ne pas confondre la partie et le tout
Une confusion très fréquente consiste à utiliser les termes ‘Growth Hacking’ et ‘Growth Marketing’ de manière interchangeable. C’est une erreur, car l’un est une partie de l’autre. Comme je le précise souvent, ‘le gros marketing est une partie du gros hacking’. Il faut imaginer le Growth Hacking comme un immense champ de compétences. C’est l’un des scopes les plus larges du digital. Il englobe non seulement le Growth Marketing (qui se concentre sur les stratégies marketing pour la croissance), mais aussi de nombreuses autres disciplines :
- Le Data-Driven Marketing : Toute décision est basée sur l’analyse de données, pas sur l’intuition.
- L’analyse de données pure : La capacité à collecter, nettoyer et interpréter des données pour identifier des opportunités de croissance.
- Le Design Thinking (UI/UX) : Comprendre le parcours utilisateur pour créer une expérience fluide et optimiser les conversions à chaque étape.
- Le développement de scripts et l’automatisation : La capacité à créer de petits outils pour automatiser des tâches répétitives, scraper des données ou créer des ponts entre différentes plateformes. C’est là que réside l’héritage ‘hacker’ du métier.
Un marketeur traditionnel se concentre souvent sur le haut du tunnel de vente (notoriété, acquisition). Le Growth Hacker, lui, a une vision à 360 degrés et intervient sur l’ensemble du cycle de vie du client, y compris l’expérience produit et la fidélisation. C’est cette vision holistique qui lui permet de construire une croissance saine et pérenne.
Après avoir posé les bases de ce qu’est le Growth Hacking, il est essentiel de comprendre que ce profil n’est pas monolithique. Il a évolué avec le temps, s’adaptant aux besoins changeants de l’écosystème tech. Cette évolution explique pourquoi, aujourd’hui, vous pouvez rencontrer cent Growth Hackers avec cent parcours et expertises différentes. Passons maintenant à la genèse de ce métier pour mieux saisir sa diversité.
L’évolution du Growth Hacker : du développeur-marketeur au profil hybride
Le Growth Hacker de 2010 n’est pas le même que celui d’aujourd’hui. La discipline a mûri et les profils se sont diversifiés. Comprendre cette évolution est crucial pour saisir pourquoi il n’existe pas de ‘moule’ unique pour devenir Growth Hacker. C’est une histoire d’adaptation et d’hybridation des compétences.
La première vague (2010-2012) : l’ère des développeurs à l’appétence marketing
À l’origine, le stéréotype du Growth Hacker était très proche de la réalité. ‘La première typologie du gros hacking, ça partait du développement de développeurs qui avaient une appétence en marketing.’ Pourquoi ? Parce que dans les débuts de la Silicon Valley, les startups avaient besoin de personnes capables de construire leurs propres outils de croissance. Ces profils pouvaient développer de petits scripts pour automatiser l’envoi d’e-mails, scraper des sites web pour trouver des prospects ou intégrer des API pour créer des fonctionnalités virales. Ils pensaient en termes de systèmes et de boucles, pas seulement en termes de campagnes. C’est cette capacité à ‘mettre les mains dans le code’ qui a forgé la réputation technique du métier et qui a mené à l’idée, encore répandue, qu’il faut absolument être développeur pour faire du Growth Hacking. Cette première vague a posé les fondations techniques et l’état d’esprit ‘problem-solver’ de la discipline.
La deuxième vague (2013-Présent) : l’ouverture aux marketeurs et designers
Très vite, le vivier de développeurs passionnés de marketing s’est tari dans la Silicon Valley. La demande était trop forte. Les startups ont donc dû changer leur fusil d’épaule. Elles se sont tournées vers d’autres profils : des jeunes diplômés en marketing, en design, en psychologie… des têtes bien faites, curieuses et analytiques. L’approche a été inversée : au lieu de chercher des développeurs à former au marketing, elles ont commencé à ‘leur apprendre justement à développer des petits bouts de script, à commencer à faire de l’automatisation marketing’. C’est ce qui a créé la diversité incroyable de profils que l’on voit aujourd’hui. On parle de profils en ‘T’ (une expertise profonde et des connaissances larges) ou même en ‘M’ (plusieurs expertises profondes). Un Growth Hacker peut donc avoir une spécialisation en SEO, en psychologie comportementale, en copywriting ou en design d’interface, tout en ayant des connaissances suffisantes en data et en automatisation pour être autonome. C’est pour cette raison que si vous mettez ‘100 gros sacœur devant vous, bah vous avez 100 gros sacœur différents’. La compétence clé n’est plus seulement le code, mais la capacité à apprendre vite, à expérimenter et à connecter des disciplines différentes pour trouver des leviers de croissance.
Maintenant que nous avons vu qui est le Growth Hacker et comment son profil a évolué, il est temps de s’attaquer au cœur de sa méthode. Car si les profils sont variés, le processus, lui, est remarquablement structuré. C’est là que se niche la véritable différence avec le marketing traditionnel, loin de l’image d’un simple ‘bidouilleur’. Découvrons ensemble le framework AARRR, la boussole de tout Growth Hacker.
Le processus au cœur du Growth Hacking : le framework AARRR, la vraie différence
Si je devais répondre à la question ‘Le Growth Hacking n’est-il pas un peu bullshit ?’, ma réponse tiendrait en cinq lettres : A-A-R-R-R. C’est l’utilisation d’un processus rigoureux qui distingue cette discipline d’un simple marketing digital ‘rebrandé’. Ce processus, c’est le ‘Pirate Funnel’, ou framework AARRR, popularisé par Dave McClure. Il décompose le cycle de vie du client en étapes mesurables, permettant au Growth Hacker d’identifier les goulets d’étranglement et de concentrer ses efforts là où l’impact sera maximal. Alors qu’un marketeur web se focalise souvent sur les deux premières étapes, le Growth Hacker, lui, joue sur tout le terrain.
Awareness & Acquisition : attirer l’attention, mais intelligemment
Tout commence par se faire connaître. L’Awareness (Notoriété) est la première étape : comment votre cible découvre-t-elle qu’elle a un problème que vous pouvez résoudre ? C’est l’étape de la visibilité. Ensuite vient l’Acquisition, qui consiste à transformer cette visibilité en trafic qualifié vers vos plateformes (site web, application…). Un web marketeur ou un traffic manager excelle souvent ici, en utilisant des canaux comme le SEO, le SEA (Google Ads), les réseaux sociaux, le marketing de contenu, etc. Le Growth Hacker utilise bien sûr tous ces canaux, mais avec une approche différente. Il ne cherche pas le trafic pour le trafic. Chaque action est mesurée et orientée vers l’étape suivante. Il va constamment se demander : ‘Ce canal amène-t-il des utilisateurs qui vont réellement s’activer ?’. Il va A/B tester ses pages de destination, ses publicités, ses messages pour optimiser non pas le volume, mais la qualité des visiteurs acquis. L’obsession n’est pas d’attirer, mais d’attirer les bonnes personnes.
Activation & Rétention : la spécificité du Growth Hacker
C’est ici que la magie opère et que la différence se creuse. L’Activation est le moment où un visiteur vit une première expérience positive et comprend la valeur de votre produit. C’est le fameux ‘Aha! moment’. Comment faire pour que l’utilisateur ne reparte pas aussitôt arrivé ? Le Growth Hacker va travailler main dans la main avec l’équipe produit pour optimiser l’onboarding, simplifier le parcours d’inscription, et guider l’utilisateur vers la fonctionnalité clé qui lui fera dire ‘Wow, c’est génial’.
Ensuite, vient la Rétention, qui est, à mon sens, l’étape la plus cruciale et la véritable spécialité du Growth Hacker. C’est bien de faire venir des gens, mais comment les faire revenir ? La croissance durable ne vient pas de l’acquisition effrénée, mais de la capacité à fidéliser ses utilisateurs. C’est ici qu’interviennent des stratégies comme ‘du community building, la création de communauté, du marketing de contenu’. Le Growth Hacker va analyser le comportement des utilisateurs qui restent et de ceux qui partent (le ‘churn’) pour comprendre ce qui crée de l’engagement. Il mettra en place des newsletters pertinentes, des notifications intelligentes, des programmes de fidélité ou du contenu exclusif pour maintenir le lien et faire de votre produit une habitude.
Recommandation & Revenu : transformer les clients en ambassadeurs et monétiser
La cinquième étape est la Recommandation (Referral). Un client satisfait est votre meilleur commercial. Le Growth Hacker cherche activement à transformer ses utilisateurs en ambassadeurs. Comment ? En créant des boucles virales. Il va se demander : ‘Comment puis-je inciter mes utilisateurs à inviter leurs amis ?’. Dropbox, par exemple, offrait de l’espace de stockage supplémentaire pour chaque ami parrainé. C’est l’ingénierie du bouche-à-oreille, le ‘meilleur marketing au monde’. C’est une stratégie extrêmement puissante car elle réduit le coût d’acquisition tout en apportant des utilisateurs déjà convaincus.
Enfin, le Revenu. Comment monétiser tout ce travail ? Le Growth Hacker ne laisse pas cette question au hasard. Il va A/B tester les modèles de prix, optimiser les pages de paiement pour réduire les abandons de panier, et identifier les bons moments pour proposer des offres supérieures (upsell) ou complémentaires (cross-sell). Son objectif est d’augmenter la ‘Customer Lifetime Value’ (CLV), c’est-à-dire la valeur totale qu’un client rapportera à l’entreprise tout au long de sa vie. Il s’assure que le modèle économique est non seulement viable, mais aussi optimisé pour la croissance.
Le framework AARRR n’est pas juste un concept théorique, c’est une grille de lecture et d’action. Cependant, la manière de l’appliquer peut varier radicalement en fonction du contexte économique et de la maturité de l’entreprise. C’est ce qui nous amène à observer deux philosophies très différentes dans la pratique du Growth Hacking, l’une héritée de la Silicon Valley et l’autre, plus pragmatique, que l’on retrouve en Europe.
Le Growth Hacking en pratique : de la Silicon Valley à l’Europe, deux philosophies
Le contexte dans lequel un Growth Hacker opère change radicalement la nature de son travail. Bien que les principes fondamentaux restent les mêmes, les objectifs, les moyens et les attentes ne sont pas du tout les mêmes si l’on travaille pour une licorne californienne ou pour une jeune pousse parisienne. Comprendre cette distinction est essentiel pour ne pas avoir d’attentes irréalistes et pour adapter sa stratégie à son environnement.
L’approche américaine : le Growth Hacking comme accélérateur de scaling
Aux États-Unis, le Growth Hacking est souvent mis en œuvre à un stade de maturité avancé. Des entreprises comme ‘tous les Google, Uber et cetera, même Blablacar’ ne recrutent pas un Growth Hacker, mais des ‘Growth Teams’ entières. Ces équipes interviennent généralement après que l’entreprise a trouvé son ‘Product-Market Fit’, c’est-à-dire que le produit a déjà rencontré son marché et prouvé sa valeur. À ce stade, le but n’est plus de survivre, mais de ‘scaler’ : atteindre une croissance exponentielle. Ces équipes sont pluridisciplinaires, comme je l’ai évoqué : ‘vous avez un gross marketer, un gross designer, […] un gross ingénieur, […] un gros stratège et pour gérer tout ça, vous avez un head of Gross’. Elles disposent de budgets conséquents et d’une quantité massive de données pour mener des expérimentations à grande échelle. Leur mission est d’optimiser chaque micro-détail du framework AARRR pour démultiplier une croissance déjà existante. C’est une machine de guerre conçue pour la scalabilité, où chaque membre est un expert de son domaine au service d’un objectif de croissance commun.
L’approche européenne : le ‘couteau suisse’ des startups en early stage
En Europe, et particulièrement en France, la réalité est souvent bien différente. Le Growth Hacker est généralement recruté beaucoup plus tôt, quand la startup est en ‘early stage’ ou en Série A. À ce moment, les moyens sont limités et le Product-Market Fit est encore fragile, voire inexistant. Dans ce contexte, le Growth Hacker n’est pas un hyper-spécialiste au sein d’une grande équipe ; il est le ‘couteau suisse’. On attend de lui qu’il fasse le travail de plusieurs personnes. Comme le résume la caricature, c’est parfois vu comme ‘un web marketer qui a pas de budget’ qu’on engage pour ‘essayer de faire des miracles avec trois francs six sous’. La startup l’utilise comme une ressource polyvalente qui ‘réunit quatre jobs ou cinq jobs en un et qu’on paye pour un job’. Son rôle est alors moins d’optimiser une machine existante que de construire les premières fondations de la croissance : trouver les premiers utilisateurs, tester les canaux d’acquisition, et prouver la viabilité du modèle. C’est une approche plus orientée vers la survie et la découverte, où l’ingéniosité et la débrouillardise sont primordiales. C’est une philosophie de l’économie de moyens, alors qu’aux États-Unis, c’est une philosophie de l’investissement pour la domination du marché.
Pour illustrer concrètement la puissance de cette discipline, rien de tel que de se pencher sur quelques cas d’école. Ces exemples, devenus légendaires, montrent comment une idée simple mais brillante, appliquée au bon endroit dans le funnel, peut radicalement changer la trajectoire d’une entreprise. Analysons ensemble les hacks qui ont écrit l’histoire du Growth Hacking.
Études de cas célèbres : les hacks qui ont changé la donnée
La théorie, c’est bien, mais ce sont les exemples concrets qui marquent les esprits. Le Growth Hacking a gagné ses lettres de noblesse grâce à des stratégies audacieuses qui ont permis à des entreprises, alors inconnues, de connaître une croissance fulgurante. Ces ‘hacks’ ne sont pas des coups de chance ; ils sont le fruit d’une observation fine du comportement utilisateur et d’une créativité sans borne. Analysons trois des plus célèbres.
Hotmail et le ‘P.S. I love you’ : la naissance du marketing viral
Le tout premier ‘hack’ répertorié de l’histoire est celui de Hotmail, à la fin des années 90. À l’époque, l’entreprise peinait à acquérir de nouveaux utilisateurs. Les fondateurs ont eu une idée d’une simplicité désarmante. Ils ont ajouté automatiquement une petite phrase à la fin de chaque e-mail envoyé depuis une adresse Hotmail : ‘PS : I love you. Get your free e-mail at Hotmail.’ avec un lien pour s’inscrire. Chaque e-mail envoyé par un utilisateur devenait une publicité virale. Du jour au lendemain, l’envoi d’un simple message se transformait en acte de recommandation. Le résultat fut spectaculaire : ‘ils se sont fait plus de 3000 utilisateurs en plus par jour’. En un an et demi, ils ont atteint plusieurs millions d’utilisateurs et ont fini par revendre leur entreprise à Microsoft pour une somme colossale. Ce hack est un cas d’école pour l’étape ‘Referral’ (Recommandation) du framework AARRR. Il a transformé le produit lui-même en moteur de sa propre croissance.
Airbnb et le hack de Craigslist : un cas d’école de ‘Black Hat’ Growth Hacking
L’un des hacks les plus connus, et qui a propulsé Airbnb au rang de licorne, est celui de Craigslist, le ‘Bon Coin’ américain. Au début, Airbnb faisait face au problème classique de la marketplace : pas d’annonces, donc pas de voyageurs, et pas de voyageurs, donc pas d’annonces. Pour briser ce cercle vicieux, ils ont eu une idée à la frontière de la légalité. Ils ont offert aux personnes qui déposaient une annonce sur Airbnb une option pour la publier automatiquement et en un clic sur Craigslist. C’est ce qu’on appelle un ‘black grosse hack’, car cela se faisait sans l’autorisation de Craigslist. Le coup de génie ? Quand un utilisateur de Craigslist cliquait sur l’annonce pour louer, il était redirigé vers le site d’Airbnb pour finaliser la transaction. ‘Le paiement ne se faisait pas sur Craigslist, le paiement se faisait sur Airbnb.’ Cette stratégie leur a permis de siphonner une partie de l’immense trafic de Craigslist et d’amorcer leur plateforme avec des milliers d’annonces et de clients. Craigslist a mis des mois à réagir, et pendant ce temps, Airbnb a engrangé des millions de clients, ce qui a largement contribué à en faire le géant que l’on connaît.
Twitter et l’inscription optimisée : la puissance de l’analyse de données
Ce dernier exemple vient contredire l’idée qu’un hack est un ‘one shot’ qu’on ne peut pas réutiliser. Il montre la puissance de l’analyse de données au service de la rétention. L’équipe de croissance de Twitter a analysé le comportement de ses utilisateurs et a fait une découverte capitale : ‘tous les utilisateurs actifs de Twitter follow à leur inscription au moins 20 comptes. Tous ceux qui suivaient moins de 20 comptes à leur inscription, en fin de compte devenaient utilisateurs inactifs.’ Forts de cette information, ils ont transformé une corrélation en action. Ils ont rendu obligatoire, lors de l’inscription dans un nouveau pays, de suivre un minimum de 20 comptes. Ce n’était plus une suggestion, mais une étape imposée du processus d’onboarding. En forçant cette action, ils s’assuraient que le fil d’actualité du nouvel utilisateur soit immédiatement rempli de contenu pertinent, ce qui augmentait drastiquement les chances qu’il comprenne la valeur du produit (Activation) et qu’il revienne (Rétention). C’est un hack ‘White Hat’, purement interne, basé sur la data, et qu’ils peuvent répliquer à chaque lancement dans un nouveau marché.
Ces histoires sont inspirantes, mais elles peuvent sembler lointaines. La question qui se pose souvent est : comment devient-on cette personne capable d’imaginer et de mettre en œuvre de telles stratégies ? Mon propre parcours est un exemple de la diversité des chemins qui peuvent mener au Growth Hacking. Il n’y a pas de voie royale, mais plutôt une accumulation d’expériences et une soif insatiable d’apprendre.
Mon parcours et mes conseils pour se lancer dans le Growth Hacking
On ne naît pas Growth Hacker, on le devient. Il n’existe pas de diplôme unique ou de parcours tout tracé. Mon histoire personnelle en est la preuve. Elle est faite de détours, de curiosité, d’échecs et d’une volonté constante d’acquérir de nouvelles compétences. C’est souvent la somme d’expériences variées qui forge les meilleurs profils, ceux que l’on qualifie de ‘M-shape’.
De la fac de lettres à l’École 42 : l’importance de la pluridisciplinarité
Rien ne me prédestinait à ce métier. J’ai commencé par une licence de ‘lettres modernes appliquées à la Sorbonne’, suivie d’un master de journalisme. Mon premier contact avec le monde du travail a été la ‘dictature des stages’, une période difficile mais formatrice. Après avoir fait face à des discriminations à l’embauche liées à mon nom et à mon lieu de résidence, j’ai décidé d’entreprendre avec mon père. Nous avons développé des logiciels de gestion de stock, une idée née de mon expérience de manutentionnaire. C’est là que tout a basculé. Je n’avais pas assez de compétences techniques, alors j’ai fait ‘la piscine à l’école 42, les 400 heures de code en 1 mois’. C’est cette immersion dans la culture ‘dev’ qui m’a ouvert l’esprit. Sans le savoir, en essayant de promouvoir nos logiciels avec les moyens du bord, je faisais déjà du Growth Hacking. C’est en 2013, en lisant un article de Sean Ellis, que j’ai mis un nom sur ma pratique. Ce parcours atypique m’a doté d’une triple compétence : la structuration de la pensée et le storytelling (lettres et journalisme), la compréhension des problématiques business (entrepreneuriat) et les bases techniques (code). C’est cette combinaison qui est ma plus grande force aujourd’hui.
Les formations et ressources incontournables pour monter en compétence
Le Growth Hacking est une discipline qui exige un apprentissage continu. Les outils et les techniques évoluent à une vitesse folle. Pour ceux qui veulent se lancer ou se perfectionner, voici quelques pistes et ressources que je recommande personnellement :
- Les formations structurantes : Mon parcours m’a mené à HEC pour la majeure entrepreneur, au CELSA (Sorbonne) pour une thèse professionnelle sur le Growth Hacking, et à The Family, un incubateur où j’ai suivi la formation ‘Lion’. Ces expériences m’ont apporté un cadre théorique et un réseau solide.
- Les chaînes YouTube : La chaîne ‘Startup Food’ de The Family est une mine d’or. ‘Coup d’État’ est également une excellente ressource en français.
- Les blogs et sites de référence : Des incontournables comme Webmarketing-com.com, E-marketing.fr, le blog de Seth Godin, ou encore celui de Neil Patel sont à suivre absolument.
- Les livres fondateurs : ‘Start with Why’ de Simon Sinek pour comprendre la vision, ‘Hacking Growth’ de Sean Ellis et Morgan Brown pour la méthode, et bien d’autres.
- Le réseau : Suivez des experts sur LinkedIn. C’est une source d’information et d’inspiration quotidienne. Vous pouvez me retrouver sous le nom de ‘Medy Naseri Dali’.
Le plus important n’est pas de tout savoir, mais d’être curieux, de tester par soi-même et de ne jamais cesser d’apprendre. Chaque projet est une nouvelle occasion d’expérimenter.
Conclusion : Adoptez l’état d’esprit du ‘bidouilleur de croissance’
Au terme de cette plongée dans l’univers du Growth Hacking, j’espère avoir réussi à déconstruire les mythes pour révéler l’essence de cette discipline. Non, le Growth Hacker n’est pas un magicien, mais un scientifique de la croissance. Il ne s’appuie pas sur des formules secrètes, mais sur un processus rigoureux, le framework AARRR, qui lui permet d’analyser, d’expérimenter et d’optimiser chaque étape du parcours client. Sa véritable force ne réside pas dans une liste de ‘hacks’ à appliquer bêtement, mais dans un état d’esprit unique : une curiosité insatiable, une obsession pour la donnée et une capacité à connecter des mondes – le marketing, le produit, la tech – qui trop souvent s’ignorent.
Nous avons vu que la différence fondamentale avec le marketing digital traditionnel est ce focus sur l’ensemble du tunnel de conversion, et plus particulièrement sur la rétention, le véritable moteur d’une croissance saine et durable. Que ce soit à travers les exemples iconiques de Hotmail ou d’Airbnb, ou dans l’application plus pragmatique au quotidien pour une TPE, la logique reste la même : identifier le plus grand levier de croissance à un instant T et concentrer toute son énergie créative et analytique pour l’actionner. Que vous soyez entrepreneur, marketeur ou simplement curieux, je vous encourage à adopter cet état d’esprit de ‘bidouilleur de croissance’. Commencez petit, mesurez tout, apprenez de vos échecs et ne cessez jamais d’expérimenter. C’est là que se trouve la clé, non pas d’une croissance miraculeuse, mais d’un développement intelligent, maîtrisé et exponentiel.
Questions fréquentes sur le Growth Hacking
Quelle est la différence fondamentale entre un Growth Hacker et un Marketeur Digital ?
La différence majeure réside dans le périmètre d’action et la méthodologie. Un marketeur digital se concentre traditionnellement sur le haut du tunnel de conversion, c’est-à-dire la notoriété (Awareness) et l’acquisition de trafic. Le Growth Hacker, lui, intervient sur l’intégralité du tunnel AARRR, incluant l’activation des utilisateurs, leur rétention, la recommandation et la génération de revenus. Sa particularité est son obsession pour la rétention, car il sait qu’une croissance saine repose sur la fidélisation. Il utilise une approche basée sur l’expérimentation rapide (test and learn) et les données pour optimiser l’ensemble du parcours client, pas seulement les canaux d’acquisition.
‘Le web marketer se concentre souvent sur l’awareness et l’acquisition. […] Le gros hacker se concentre sur toutes les étapes du funnel mais il se concentre plus particulièrement sur la rétention et c’est ce qui fait sa spécificité.’
Faut-il savoir coder pour devenir un bon Growth Hacker ?
Ce n’est plus un prérequis absolu, mais c’est un avantage considérable. Historiquement, les premiers Growth Hackers étaient des développeurs avec une sensibilité marketing, car ils pouvaient créer leurs propres outils. Aujourd’hui, le profil s’est diversifié. Cependant, avoir des notions de code (HTML/CSS, Javascript, Python) ou savoir utiliser des outils d’automatisation (comme Zapier ou Make) et de scraping permet d’être beaucoup plus autonome et rapide dans l’exécution des tests. L’important est de comprendre la logique technique pour pouvoir imaginer des solutions créatives et dialoguer efficacement avec les développeurs.
‘Beaucoup pensent que pour devenir gross hacker, il faut être développeur parce que la première typologie du gros hacker, c’était un développeur qui avait une appétence en marketing.’
Le Growth Hacking est-il uniquement réservé aux startups ?
Absolument pas. Si le concept est né dans l’écosystème des startups, ses principes sont applicables à toute entreprise cherchant la croissance, y compris les grands groupes. D’ailleurs, les géants comme Google, Uber ou Blablacar ont des équipes de Growth dédiées qui travaillent à optimiser en permanence leur croissance. La différence réside dans l’application : dans une startup, le Growth Hacker est souvent un ‘couteau suisse’ qui construit la machine de croissance. Dans un grand groupe, les ‘Growth Teams’ sont des unités de spécialistes qui optimisent une machine déjà bien huilée pour atteindre une croissance exponentielle.
‘Toutes les licornes, donc tous les Google, Uber et cetera, même blablacar hein, ont tous des gross team, des équipes de gross. Il y a bien une raison. Pourtant eux, ils arrivent bien à utiliser le gros hacking pour faire de la croissance exponentielle.’
Qu’est-ce que le framework AARRR et pourquoi est-il si important ?
Le framework AARRR, aussi appelé ‘Pirate Funnel’, est la colonne vertébrale du Growth Hacking. C’est un modèle qui décompose le cycle de vie du client en 5 étapes clés et mesurables : Acquisition (Comment les utilisateurs vous trouvent ?), Activation (Ont-ils une première expérience positive ?), Rétention (Reviennent-ils ?), Recommandation (Parlent-ils de vous ?) et Revenu (Comment gagnez-vous de l’argent ?). Son importance est capitale car il fournit une feuille de route claire pour analyser et optimiser la croissance. Il permet d’identifier précisément à quelle étape les utilisateurs abandonnent et de concentrer les efforts là où l’impact sera le plus fort.
‘Dans le gros hacking, on utilise un process. […] le process principal, c’est la méthode art. Donc awareness, retenez bien, c’est le pirate funnel, d’accord, l’ennoir de conversion du pirate.’
Un ‘growth hack’ est-il utilisable une seule fois ?
C’est une idée reçue. Si certains hacks, notamment les ‘Black Hat’ comme celui d’Airbnb avec Craigslist, sont souvent éphémères car ils exploitent une faille qui sera corrigée, beaucoup de stratégies de Growth Hacking sont durables et réplicables. L’exemple de Twitter est parfait : ils ont découvert par l’analyse de données que les utilisateurs qui suivent au moins 20 comptes à l’inscription restent actifs. Ils ont donc intégré cette étape à leur processus d’onboarding. C’est un hack qu’ils peuvent réutiliser à chaque fois qu’ils se lancent dans un nouveau pays pour assurer un taux d’activation et de rétention élevé. Un bon ‘hack’ est souvent une optimisation de processus basée sur la data.
‘On dit souvent que les gros hacks […] on l’utilise après il sert plus à rien ou on peut pas le réutiliser. Donc ça c’est faux. […] le gros hack de Twitter. Twitter maintenant à chaque fois qu’ils ouvrent un pays […] ils mettent en place à l’inscription que c’est […] une étape obligatoire de follow au moins 20 comptes.’
Quels sont les outils indispensables pour un Growth Hacker débutant ?
Un Growth Hacker utilise une large palette d’outils, mais pour débuter, il est essentiel de maîtriser quelques catégories. Pour la génération de leads, notamment sur LinkedIn, des outils comme ProspectIn (maintenant Waalaxy), Skylead ou Lusha sont très efficaces. Pour l’emailing et l’automatisation, des plateformes comme Mailchimp, Sendinblue (Brevo) ou Lemlist sont incontournables. Il faut aussi un bon outil d’analyse de site web comme Google Analytics. Enfin, des outils d’automatisation ‘no-code’ comme Zapier ou Make sont fondamentaux pour connecter différentes applications entre elles et créer des workflows sans avoir à écrire une ligne de code.
‘Un gros hack pour Banouse ce serait par exemple, d’utiliser un outil de génération de lead type prospectine. […] ça c’est des outils qui sont spécifiques en plus à LinkedIn. Donc vous allez générer des leads via ces outils et ensuite vous allez soit directement les contacter via LinkedIn […] ou soit vous allez leur envoyer un mail via Mailchimp.’
Comment commencer à appliquer le Growth Hacking sans budget ?
Le manque de budget force la créativité, ce qui est l’essence même du Growth Hacking. Une stratégie très puissante et peu coûteuse est de construire une communauté avant même d’avoir un produit. C’est ce que j’ai fait pour un projet de plateforme de freelances. Nous avons commencé par créer un blog avec du contenu SEO à forte valeur ajoutée et animé des réseaux sociaux. Pendant des mois, nous avons rassemblé et engagé une audience qualifiée autour de notre thématique. Le jour où nous avons lancé la marketplace, nous n’avions pas zéro utilisateur, mais déjà des milliers de personnes prêtes à l’utiliser. Le marketing de contenu, le SEO et le community building sont les meilleures armes du Growth Hacker sans budget.
‘On a commencé par créer une communauté, donc c’est un peu ce que je vous disais tout à l’heure avec le community building, OK ? Donc on a commencé à créer à créer un blog. On l’a alimenté de contenu SEO […] Dès qu’on a créé le site internet […] on avait déjà des milliers d’utilisateurs.’
Le Growth Hacking est-il toujours légal ?
Non, pas toujours. Il est crucial de comprendre la distinction entre les différentes approches, un peu comme dans le monde du hacking informatique. Il y a le ‘White Hat’, qui est totalement légal et éthique (ex: A/B testing, optimisation SEO, marketing de contenu). Il y a le ‘Grey Hat’, qui opère dans des zones de flou juridique ou qui utilise les conditions d’utilisation d’une plateforme à la limite de ce qui est autorisé. Et enfin, il y a le ‘Black Hat’, qui est clairement illégal ou viole les conditions de service d’une autre plateforme, comme l’a fait Airbnb en utilisant Craigslist sans autorisation. Un bon Growth Hacker doit connaître ces limites et évaluer les risques associés à chaque tactique.
‘Comme dans le hacking hein, comme dans le hacking, il y a des black des black hack, des grey hack, d’accord et des white hack. Donc tout simplement les grey c’est dans des vides juridiques, les blagues c’est illégal et les White c’est totalement légal.’




