Qu’est-ce que la transition phygitale ? Définition et enjeux pour les retailers
À l’heure du tout-numérique, un terme gagne en importance dans l’univers du commerce : la transition phygitale. Mais que se cache-t-il vraiment derrière ce mot-valise ? S’agit-il d’une simple évolution de la transformation digitale ou d’une révolution plus profonde pour les retailers ? Pour éclaircir ce sujet crucial, nous avons reçu Geoffroid Noël, consultant spécialisé chez Diamart Consulting et fin connaisseur des mutations du secteur. Fort de son expérience chez Sarenza et La Redoute, il nous livre sa vision de cet enjeu primordial.
La différence cruciale entre transformation digitale et phygitale
La première clarification à apporter concerne la distinction entre le digital et le phygital. Comme le souligne Geoffroid Noël, il ne faut surtout pas les confondre. « C’est là toute la difficulté, c’est que c’est à ne pas confondre avec la transition digitale. Parce que finalement la transition phygitale, c’est le monde du physique et du digital qui vont se réunir. »
Si la transition digitale a marqué le premier cycle de cette révolution, elle s’est souvent traduite par la création d’un nouveau canal de vente, l’e-commerce, fonctionnant en parallèle des magasins historiques. Geoffroid a pu le constater de près : « Les PNL par exemple e-commerce étaient complètement séparés des PNL magasins, les équipes avaient peu d’interaction et cetera. » La transition phygitale, quant à elle, représente une nouvelle ère. Elle vise à casser ces silos pour infuser le digital au cœur même du monde physique. Il s’agit de « comment apporter plus de digital dans le monde physique » et de transformer en profondeur le business model des retailers « Brick and Mortar » pour qu’ils intègrent des fonctionnalités digitales dans leurs magasins et leurs processus de vente.
Pourquoi le magasin physique doit intégrer plus de digital ?
Pour des enseignes comme Fnac, Carrefour ou Auchan, bien que déjà très avancées, les enjeux sont colossaux. La transition phygitale impacte toutes les dimensions de leur métier historique. Geoffroid Noël cite plusieurs exemples concrets :
- Les formats de magasins : On voit apparaître des formats plus petits, en centre-ville, qui s’appuient sur le digital pour étendre leur offre au-delà des murs.
- L’assortiment : L’analyse des données de vente e-commerce dans une zone de chalandise permet d’optimiser le merchandising en magasin.
- La politique de prix : Il devient vital d’avoir une stratégie de prix omnicanale pour rester compétitif face à des clients qui comparent en temps réel sur leur mobile.
- L’organisation des équipes : Le magasin se transforme en un mini-hub logistique avec le développement du « ship-from-store », où les équipes en magasin préparent et envoient les colis des commandes en ligne.
Comme le prédisait Jack Ma, le fondateur d’Alibaba, « les magasins sont vraiment des entrepôts qui permettent finalement d’aller expédier des commandes. » Le point de vente physique n’est plus seulement un lieu de transaction, mais un maillon essentiel d’une chaîne de valeur entièrement repensée.
Les retailers traditionnels ont-ils raté le train du phygital ?
Face à ces mutations, on peut se demander pourquoi de nombreuses enseignes semblent encore à la peine. Selon Geoffroid Noël, ce « retard » n’est pas une fatalité mais la conséquence logique de plusieurs facteurs historiques et économiques.
L’héritage des systèmes d’information et des P&L en silos
La plupart de ces enseignes existaient bien avant l’avènement d’Internet. « Ils avaient des magasins avant tout, ils avaient des systèmes d’information qui ont bien sûr évolué au fur et à mesure. » Cette ancienneté est un frein. Contrairement à un pure player comme Alibaba qui a construit son système d’information sur une base digitale avant d’ouvrir des magasins, les retailers traditionnels doivent composer avec un héritage technique complexe et vieillissant, peu adapté à une vision omnicanale. Transformer un parc de plus de 200 magasins avec des systèmes hétérogènes représente un coût et une complexité immenses.
Le défi de la rentabilité : un frein majeur à l’investissement
L’autre frein majeur est économique. La migration du chiffre d’affaires vers le digital s’est souvent faite au détriment de la rentabilité. « Pour moi le digital, c’est vraiment la façon de transformer du chiffre d’affaires qui était auparavant finalement rentable en magasin sur un chiffre d’affaires moins rentable sur le digital », explique Geoffroid. Cette réalité a rendu les retailers frileux à l’idée d’investir massivement dans un canal moins profitable, avec un retour sur investissement (ROI) plus faible que celui du magasin physique. « Je comprends que les retailers aient eu du mal à prendre un virage très fort sur un modèle omnicanal… parce que il y avait quand même des freins d’investissement qui étaient très très élevés avec un ROI qui était pour le coup un peu moins fort. »
Comment réussir sa transition phygitale : une méthode pour prioriser
Face à l’ampleur des chantiers, la question de la priorisation devient centrale. On ne peut pas tout faire en même temps. En s’appuyant sur une étude menée par Diamart auprès de 150 retailers mondiaux, Geoffroid Noël propose une approche structurée.
Les 3 piliers de la transformation : marketing, expérience magasin et nouveaux business
L’étude a permis de regrouper les 13 grands enjeux du phygital en trois thématiques principales :
- Le marketing digital : Promouvoir la marque, générer du trafic en magasin et développer une connaissance client omnicanal pour une relation personnalisée.
- L’expérience en magasin : Assurer un parcours client fluide et sans irritant (paiement, information produit enrichie, avis clients accessibles en rayon…).
- Les nouveaux business : Élargir l’offre, utiliser le magasin comme showroom avec le ship-from-store, ou nouer des partenariats avec des pure players.
« 13 enjeux, ça va coûter cher », admet Geoffroid. « Il y a peu finalement de retailers actuellement qui ont réussi d’après moi à adresser toutes ces initiatives. » Il est donc vital de faire des choix.
Les critères pour choisir ses batailles : impact, faisabilité et positionnement
Le premier moteur de décision doit toujours être les attentes des clients, qui varient fortement d’un secteur à l’autre. Dans l’alimentaire, la priorité est la fluidité et la rapidité. Dans l’équipement de la maison, c’est l’aide à la projection et l’information produit enrichie qui priment. Pour guider ce choix, Geoffroid Noël propose trois critères de priorisation :
- L’impact business : Quel enjeu aura le plus de sens et de valeur pour mon client et mon entreprise ?
- La capacité de mise en œuvre : Est-ce réalisable à court ou moyen terme avec mes ressources actuelles ?
- Le renforcement du positionnement de marque : Cette initiative va-t-elle consolider ce qui me rend unique sur le marché ?
« Le résultat sera toujours frustrant », prévient-il. « Parce que choisir ses priorités, ça implique de décaler des projets importants et d’apprendre à dire non, mais c’est vital. »
Le marketing digital au cœur de la stratégie omnicanal retail
Parmi tous les enjeux, celui de la connaissance client se détache comme la priorité numéro un pour les retailers interrogés. C’est la pierre angulaire de toute stratégie omnicanal retail réussie.
Le RCU : la clé d’une connaissance client unifiée
« La première priorité… c’était d’avoir une meilleure connaissance client omnicanal et des relations clients personnalisées », rapporte Geoffroid. Pour y parvenir, la constitution du fameux RCU (Référentiel Client Unique) est une étape indispensable. L’objectif est de réconcilier les données clients provenant du site e-commerce et des 200 magasins pour avoir une vue exhaustive et unifiée. C’est un chantier technique complexe et souvent délaissé, mais sans lequel toute tentative de personnalisation reste superficielle.
L’IA et la data pour un retail de précision
Cette unification des données est ce qui permet de transformer le retail en un « métier de précision ». « Pour atteindre le bon niveau de finesse, maintenant les retailers doivent finalement prendre des milliers de décisions de façon instantanée. Et tout ça c’est impossible sans le soutien technologique de l’IA et des data. » Que ce soit pour ajuster les prix en temps réel ou pour optimiser l’assortiment d’un magasin, la technologie devient un allié indispensable. Heureusement, le foisonnement de startups innovantes rend ces technologies plus accessibles, même pour les acteurs moins matures, à condition de ne pas se disperser et de suivre une feuille de route claire.
Quel est l’avenir du retail face aux GAFAM et au « New Retail » ?
La transformation du paysage retail ne se fait pas en vase clos. Elle est profondément influencée par les géants de la technologie et les nouvelles tendances venues d’Asie.
Le dilemme des partenariats avec les géants de la tech
Face aux GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) et aux BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi), les retailers sont face à un choix : s’opposer ou s’allier ? On observe de plus en plus de partenariats, comme entre Walmart et Google sur le commerce vocal ou entre Auchan et Alibaba sur les formats de magasin. Pour Geoffroid, il y a des pour et des contres. L’opportunité est de « profiter de leurs gigantesques investissements en R&D » pour accélérer sur des sujets complexes comme la data. Le risque, cependant, est une « perte de contrôle sur l’expérience créée par la marque » et un brouillage de l’image. La bonne stratégie consiste à trouver un « bon mix » et à développer des partenariats « win-win » sur des enjeux bien ciblés, plutôt que de rester dans une opposition frontale.
Inspiration chinoise : quand l’expérience en magasin prime sur l’acte d’achat
Pour Geoffroid Noël, qui a eu la chance de visiter des concepts en Chine, l’avenir du retail se dessine en Asie. On y parle de plus en plus de « New Retail ». « Ce qui m’a vraiment marqué en Chine, c’est clairement les surfaces alimentaires », raconte-t-il, citant l’exemple des magasins Hema Fresh d’Alibaba. Là-bas, le magasin n’est plus une « vulgaire boîte en carton posée sur des étalages ». C’est un lieu de vie et d’interaction :
- Des services intégrés : On peut y faire ses courses et les faire cuisiner sur place dans les restaurants du supermarché.
- Une logistique visible : Des racks logistiques au plafond permettent le picking des commandes internet, qui représentent 50% du chiffre d’affaires du magasin.
- Des ateliers et de l’interaction : Le but est de redonner de l’attractivité au point de vente en allant au-delà du simple acte d’achat.
Cette vision transforme radicalement l’expérience client en magasin, la rendant plus riche et engageante.
L’humain : le facteur clé du succès pour une transformation digitale retail
Finalement, au-delà de la technologie et de la stratégie, le succès de la transition phygitale repose sur un facteur essentiel : l’humain. C’est même le « premier défi », selon Geoffroid Noël.
Casser les silos pour une vision client unifiée
La principale problématique est organisationnelle. Il faut « casser ces silos entre le e-commerce et le monde physique et d’essayer aussi de faire progresser l’ensemble des équipes dans un même objectif. » Cette transformation ne doit pas être l’affaire du seul comité de direction, mais doit irriguer toute l’entreprise. C’est un projet de conduite du changement qui vise à aligner tout le monde sur une vision commune.
Le nouveau rôle du vendeur : conseiller augmenté par la technologie
Cette transition est aussi un moyen de revaloriser les équipes en magasin. Leur rôle est amené à profondément changer. Le vendeur de demain ne se contentera plus de mettre des articles en rayon. Il deviendra un conseiller « augmenté » :
- Mieux connaître le client : Grâce à des outils (comme une tablette), il pourra accéder à l’historique d’achat omnicanal du client pour lui offrir un conseil ultra-personnalisé.
- Devenir logisticien : Il participera à la préparation des colis pour le ship-from-store.
- Devenir animateur : Il pourra organiser des ateliers en magasin pour créer de l’interaction et de l’engagement.
En somme, la transition phygitale n’est pas qu’un projet technologique. C’est avant tout un projet d’entreprise qui replace le client au centre et qui réinvente le rôle du magasin et de ceux qui l’animent, pour créer une expérience de commerce unifiée, fluide et plus humaine.
FAQ sur la transition phygitale
Quelle est la différence entre la transition digitale et la transition phygitale ?
La transition digitale a consisté à créer un nouveau canal de vente (l’e-commerce), souvent séparé des magasins. La transition phygitale, elle, vise à fusionner ces deux mondes en intégrant des fonctionnalités digitales au sein même de l’expérience et des opérations du magasin physique.
« C’est à ne pas confondre avec la transition digitale. Euh parce que finalement la transition figital, c’est euh le monde du physique et du digital euh qui vont se réunir… on va plutôt parler de la façon dont les retailers Brick and Mortar vont transformer leur business modèle pour… intégrer finalement dans leur magasin et dans leur process de vente des fonctionnalités digitales. » – Geoffroid Noël
Pourquoi les grands retailers ont-ils pris du retard sur le phygital ?
Leur retard s’explique par des systèmes d’information vieillissants non conçus pour l’omnicanal, des structures en silos (e-commerce vs magasins), et des investissements jugés coûteux pour un retour sur investissement moins immédiat que celui des magasins physiques.
« Finalement des systèmes d’information un peu vieillissant, euh un chiffre d’affaires qui en effet est en croissance mais qui fait pas rêver en terme d’Eda. Euh et du coup bah des retailers qui peinent un peu à transformer leur modèle… » – Geoffroid Noël
Comment une entreprise peut-elle prioriser ses projets phygitaux ?
Il est essentiel de se concentrer sur 2 ou 3 enjeux majeurs. La priorisation doit se faire selon trois critères : l’impact business et client, la capacité de mise en œuvre technique et humaine, et le renforcement du positionnement de la marque.
« Pour moi il y a trois critères qui doivent être pris en compte pour faire une première priorisation… Le premier, c’est l’impact business… Ensuite, c’est la capacité de mise en œuvre… Et ensuite, le dernier élément important, c’est est-ce que finalement cette thématique là va renforcer le positionnement de ma marque. » – Geoffroid Noël
Qu’est-ce que le « ship-from-store » ?
Le « ship-from-store » est une stratégie logistique où le magasin physique est utilisé comme un mini-entrepôt pour préparer et expédier directement les commandes passées en ligne. Cela permet de rapprocher les stocks du client final et d’utiliser l’inventaire des magasins.
« …il y a de plus en plus de magasins maintenant qui vont proposer ce qu’on appelle du chiff from Store. donc c’est finalement l’envoi de colis directement par les équipes du magasin en magasin. Donc finalement le magasin se transforme un peu en entrepôt… » – Geoffroid Noël
En quoi la connaissance client omnicanal est-elle un enjeu majeur ?
Elle est déterminante car le retail devient un métier de précision. Avoir une vue unifiée du client (achats en ligne et en magasin) via un RCU (Référentiel Client Unique) permet d’offrir une expérience personnalisée, d’optimiser les offres et de prendre des décisions instantanées basées sur la data.
« La première priorité finalement… c’était d’avoir une meilleure connaissance client omnicanal et des relations clients personnalisé… le retail devient un métier de précision. Euh pour atteindre le bon niveau de finesse, maintenant les retailers doivent finalement prendre des milliers de des milliers de décisions pardon de façon instantanée. » – Geoffroid Noël
C’est quoi le « New Retail » chinois ?
Le « New Retail », popularisé par Alibaba, est un modèle où le magasin physique n’est plus seulement un lieu de vente, mais un hub d’expériences. Il intègre des services (restauration, ateliers), une logistique avancée (picking en magasin pour les commandes en ligne) et une forte interaction digitale pour redonner de l’attractivité au point de vente.
« …ce New retail euh va tout simplement redonner aussi de l’attractivité beaucoup plus forte en magasin euh parce que ça va plus être le simple acte d’achat qu’on peut maintenant réaliser beaucoup plus facilement depuis son canapé. ça va être aussi euh aller chercher beaucoup plus d’interaction… » – Geoffroid Noël
Quel est le rôle de l’humain dans la transition phygitale ?
L’humain est le principal moteur du succès. La transition implique de casser les silos entre les équipes e-commerce et magasin, mais surtout de faire évoluer le rôle des vendeurs. Ils deviennent des conseillers « augmentés » par la technologie, capables d’offrir une expérience client plus riche et personnalisée.
« …la vraie problématique c’est justement de casser ces silos entre le e-commerce et le monde physique et d’essayer aussi de faire progresser l’ensemble des équipes dans un même objectif… on voit bien que le rôle va changer. » – Geoffroid Noël
Est-il encore possible pour les retailers de rattraper Amazon ?
Rattraper Amazon en termes de part de marché e-commerce est difficile. Cependant, les retailers peuvent se différencier en capitalisant sur leur atout majeur : le réseau de magasins physiques. En les transformant en lieux d’expérience et de conseil, comme l’a fait Best Buy aux États-Unis, ils peuvent contrer le modèle pure-player d’Amazon.
« Amazon, je dirais pas qu’il est rattrapable même si enfin il y a des exemples quand même aux aux aux États-Unis qui nous ont montré que euh Amazon était pas une fatalité hein. » – Geoffroid Noël




