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#35 : Travel : Stratégie Marketing face à Google

Épisode diffusé le 1 avril 2020 par Bannouze : Le podcast du marketing digital !

Écouter l'épisode :

Un panorama du marché du travel digital : un secteur pionnier arrivé à maturité

Comment définir une stratégie marketing travel efficace quand on est un pure player face à un géant comme Google ? C’est le défi quotidien de Guillaume Rostand, CMO de Liligo. Pour comprendre les enjeux actuels, il faut d’abord revenir aux origines de ce secteur. Le voyage, aux côtés d’une autre industrie bien connue, a été l’un des tout premiers marchés à exploser avec l’arrivée d’internet. La raison est simple et fondamentale : l’absence de contraintes logistiques.

Guillaume Rostand explique : « Le travel, c’est l’un des premiers marchés du e-commerce qui a été créé. […] Parce que fondamentalement, il n’y a pas de problématique de logistique, c’est vendre des billets d’avion. C’était très, très évident, très, très adapté à internet. » Cette facilité a été renforcée par une structure sous-jacente déjà existante. « Depuis les années 80, la télématique sur l’émission des billets, il y avait déjà une structure de capacité à émettre des billets à distance. Donc en fait, internet a été une surcouche. »

Vingt-cinq ans plus tard, cette avance s’est transformée en une maturité quasi totale. Le marché, qui pèse 300 milliards de dollars par an rien que pour l’aérien, s’est concentré autour de quelques acteurs titanesques. « Aujourd’hui, le travel digital est quand même tenu par deux géants américains qui sont Booking et Expedia, » précise Guillaume. À leurs côtés, on retrouve des groupes mondiaux comme le chinois C-trip ou l’européen eDreams ODIGEO. Cette concentration a érigé de véritables barrières à l’entrée. Le dernier acteur majeur à avoir émergé, Airbnb, a atteint sa propre maturité il y a près de dix ans. Depuis, le paysage semble figé, consolidé par les acquisitions stratégiques des leaders.

Parallèlement, les acteurs historiques, comme les tours opérateurs (TUI), les hôteliers (Accor, Marriott) et les compagnies aériennes (Air France), ont opéré leur transformation digitale. Longtemps, ils ont laissé le champ libre aux intermédiaires, les fameuses OTA (Online Travel Agencies), qui ont bâti des fortunes en captant les clients en ligne. Mais cette époque est révolue. « Les producteurs sont de plus en plus capables et aujourd’hui très mûrs d’être aussi des commercialisateurs, » analyse Guillaume. Cette évolution rebat les cartes et prépare le terrain pour le plus grand acteur de tous : Google.

Google, l’allié devenu prédateur : la menace qui pèse sur les intermédiaires

Pendant des années, Google a été le moteur de la croissance pour des entreprises comme Booking, Expedia, et même Liligo. L’écosystème reposait sur un équilibre, certes précaire, entre le trafic organique (SEO) et le trafic payant (SEM). Mais la stratégie de Google a changé. Le moteur de recherche n’est plus un simple arbitre ; il est devenu un joueur, et un joueur qui veut rafler toute la mise.

Google Flights et « Book with Google » : la stratégie du « cut the middleman »

La menace a un nom : Google Flights et Book with Google. L’objectif de Google est limpide, comme le souligne Guillaume Rostand : « Ils sont en train d’appliquer ce qu’ils ont voulu faire dans beaucoup d’autres marchés, c’est-à-dire, si ce n’est faire disparaître, au moins vraiment affaiblir énormément les intermédiaires. » Un comparateur de prix comme Liligo est, par définition, un intermédiaire. Booking.com est un intermédiaire. Google poursuit une logique implacable de « cut the middleman », de suppression de l’intermédiaire.

Cette stratégie se matérialise directement sur les pages de résultats. Les widgets Google Flight Search s’insèrent entre les annonces payantes et les résultats naturels, captant l’attention et les clics. Les conséquences sont directes et mesurables. « Il y a des keywords sur lesquels on est à -30% quasiment year over year de CTR, » confie Guillaume. « Et ça, c’est directement imputable au fait que bah entre les résultats AdWords et les résultats naturels, il y a les widgets Google Flight Search. » Cette érosion du trafic SEO met en péril le modèle économique même de ces acteurs.

La dépendance à Google : construire sa maison sur un terrain qui ne vous appartient pas

Le cœur du problème est la dépendance fondamentale à Google. Guillaume Rostand utilise une analogie frappante pour décrire cette situation :

« L’image que j’utilise, c’est que nous, on a monté notre maison sur un terrain qui appartient à Google. On est arrivé, on a dit à Google, ‘on peut s’installer ?’. Google nous dit ‘Ouais ouais, installe-toi, c’est gratuit, je te ferai jamais payer’. Puis il a commencé à nous faire payer un petit peu, puis un petit peu. Puis du jour au lendemain, il dit ‘maintenant le loyer c’est tant, ou tu dégages’. »

Cette dépendance est double. Le SEO, qui était la base de la rentabilité, est menacé. Sans un volume suffisant de trafic organique, il devient impossible d’investir de manière rentable en SEM. « Nous, on a quand même vécu grâce à Google parce que si on n’avait pas de SEO, on serait pas rentable. Et c’est parce qu’on est capable de capter un assez gros pourcentage de trafic en SEO qu’on est capable d’investir en SEM, » explique Guillaume. « Si Google nous laisse plus que le SEM et nous enlève le SEO, eh ben ça va être très compliqué. »

La stratégie marketing de Liligo : comment se différencier dans un écosystème hostile ?

Face à cette pression constante, comment une entreprise comme Liligo peut-elle survivre et prospérer ? La réponse se trouve dans une stratégie marketing travel diversifiée, qui ne mise pas tout sur Google et qui a su construire une valeur de marque unique au fil des ans.

L’ADN offline : le pari gagnant de la marque sympathique

La force de Liligo réside dans un choix stratégique fait très tôt par ses fondateurs. Dès 2005-2006, à une époque où le marketing digital était obsédé par le ROI et le tracking, ils ont massivement investi en offline. « Le fondateur […] dit ‘nous, on va faire du bus, du métro et de la télé parce que c’est quand même tellement plus puissant que Google que c’est comme ça qu’on va gagner le marché’, » raconte Guillaume. Ce pari audacieux a donné naissance à une campagne publicitaire iconique : « s’envoyer en l’air ».

Cette campagne a durablement ancré Liligo dans l’esprit des consommateurs. « Tout le monde continue à me parler de cette campagne qui n’est plus diffusée depuis 5 ans, » s’amuse Guillaume. Ce succès a forgé l’ADN de la marque : un positionnement décalé et une image sympathique. « Notre stratégie a toujours été d’avoir une image de marque sympathique. » Là où des concurrents comme Skyscanner adoptent un ton très serviciel et factuel, Liligo a toujours privilégié une communication avec un parti pris créatif, qui vise à créer un lien affectif avec le public.

La maîtrise des fondamentaux : SEO et SEM comme piliers de la rentabilité

Malgré l’importance du offline, la survie dans le marketing digital voyage impose une excellence sur les canaux de base. « Il faut continuer à être très bon en AdWords, excellent en SEO parce que c’est le nerf de la guerre, » insiste Guillaume. Cet effort constant est une question de survie. « Franchement, on sur des requêtes, on est en première position depuis des années et ça, c’est un gros boulot parce qu’on protège quand même notre business. » Pour Liligo, ces compétences sont si cruciales qu’elles sont gérées en interne. « Tout ce qui est métier de base, on internalise : SEO, SEM, affiliation. […] Notre taille et notre modèle […] nous interdisent un petit peu de pas maîtriser à fond les leviers sur lesquels on travaille. »

L’innovation par l’expérimentation : le succès du marketing d’influence

Au-delà des piliers offline et SEO/SEM, la stratégie de Liligo intègre une part importante d’expérimentation. L’un des plus grands succès récents est le marketing d’influence. Plutôt que de passer par des plateformes ou des agences, Liligo a adopté une approche plus directe. « Mon parti pris c’était, il faut qu’on soit très bon dans les influenceurs voyage, mais il faut qu’on crée notre propre network, » explique Guillaume. En agrégeant les influenceurs existants et en travaillant directement avec les plus connus du secteur, comme Bruno Maltor, Liligo a obtenu des résultats probants avec des CPM relatifs extrêmement faibles. L’approche est pragmatique : un nouveau levier est testé avec l’objectif qu’il représente à terme au moins 5% du trafic. Sinon, le temps et les ressources sont réalloués à l’amélioration des canaux existants.

Les applications mobiles : une fausse porte de sortie ?

Face à la dépendance à Google, beaucoup ont vu les applications mobiles comme une échappatoire. L’idée était simple : passer d’une dépendance à Google à une dépendance à Apple ou Android, mais avec un accès plus direct à l’utilisateur. Cependant, cette fenêtre d’opportunité semble s’être refermée.

Guillaume Rostand est lucide sur le sujet : « Le trajet de l’internaute reste, tant que le trajet de l’internaute c’est ‘je veux partir à Barcelone pour un week-end’ et qu’il ouvre Chrome […], il va sur Google. » Certains acteurs, comme Skyscanner, ont réussi leur stratégie d’acquisition d’apps, mais c’était « à une époque où la capacité à générer de l’install gratuit était beaucoup plus importante qu’aujourd’hui. » Le marché est maintenant sursaturé. Pire encore, les propriétaires des plateformes ont reproduit le modèle de Google, comme le souligne l’arrivée des Apple Ads. « Quand j’ai vu arriver les Apple Ads sur l’App Store, je me suis dit ‘oh la vache, ils ont osé quoi’. Tu tapes Liligo sur l’Apple Store, tu peux tomber sur l’appli Expedia en première position. » Pour Guillaume, il est aujourd’hui « correctement impossible » de faire d’une application un modèle économique viable à partir de zéro.

Perspectives d’avenir : peut-on rester optimiste face à Google ?

Malgré ce tableau complexe et les menaces bien réelles, Guillaume Rostand conserve un optimisme mesuré. Il parie sur le pragmatisme de Google. L’écosystème publicitaire de Google Ads, qui constitue l’écrasante majorité de ses revenus, a besoin de concurrence pour fonctionner. « Pour que Google fonctionne, il faut qu’il fasse jouer une concurrence entre des acteurs externes, » analyse-t-il. Si Google affaiblit trop ces acteurs, il réduit le nombre d’enchérisseurs et risque, à terme, de faire baisser ses propres revenus publicitaires.

De plus, le secteur du voyage est techniquement complexe. La capacité de Google à opérer aussi bien que les spécialistes reste à prouver. Surtout, la manne financière que représentent les grands acteurs du travel pour Google est colossale. « Le chiffre d’affaires généré par Booking tout seul, il y a des bruits qui courent mais c’est pas loin de 2 milliards [en dépenses publicitaires chez Google], » rappelle Guillaume. Google doit donc peser le pour et le contre : prendre tout le trafic pour lui, mais potentiellement perdre des revenus publicitaires massifs. « C’est un peu un moment où ils disent, on peut être un peu prédateur, récupérer tout le trafic, mais où est-ce qu’on trouve le modèle économique là-dedans ? » La partie n’est pas encore jouée, mais une chose est sûre : dans le secteur du travel, on n’est « à l’abri de rien ».

FAQ sur la stratégie marketing dans le secteur du travel

Quelle est la plus grande menace de Google pour les sites de voyage ?

La plus grande menace est la stratégie de Google visant à supprimer les intermédiaires (« cut the middleman ») en intégrant ses propres services comme Google Flights directement dans les résultats de recherche, ce qui affaiblit les comparateurs et les agences de voyage en ligne.

« Aujourd’hui clairement, ils sont en train d’appliquer ce qu’ils ont voulu faire dans beaucoup d’autres marchés, c’est-à-dire si ce n’est faire disparaître, au moins vraiment affaiblir énormément les intermédiaires. » – Guillaume Rostand

Pourquoi le marché du travel a-t-il été l’un des premiers sur internet ?

Le marché du travel a été un pionnier d’internet car il ne présentait aucune contrainte de logistique physique (la vente de billets est dématérialisée) et s’appuyait sur une infrastructure télématique préexistante pour l’émission des billets, facilitant sa digitalisation.

« Parce que fondamentalement bah il y a pas de problématique de logistique, c’est vendre des billets d’avion donc c’est c’était très très évident, très très adapté à internet. » – Guillaume Rostand

Comment Liligo a-t-il réussi à construire sa notoriété ?

Liligo a bâti sa notoriété grâce à une stratégie audacieuse et précoce d’investissement dans les médias offline (métro, bus, TV), notamment avec sa célèbre campagne « s’envoyer en l’air », qui a créé une image de marque sympathique et mémorable.

« Le fondateur […] dit ‘nous on va faire du bus, du métro et de la télé parce que c’est quand même tellement plus puissant que que Google que c’est comme ça qu’on va gagner le marché’. Et de fait, grâce notamment à une campagne qui est resté très célèbre qui s’appelait s’envoyer en l’air, Liligo a été l’un des premiers pure player à mettre une telle part de son budget dans le offline. » – Guillaume Rostand

Le SEO est-il encore viable dans le secteur du voyage ?

Oui, le SEO reste un pilier fondamental de la rentabilité pour les acteurs du voyage. Cependant, sa viabilité est menacée par la baisse continue des taux de clics (CTR), causée par l’omniprésence des widgets de Google qui repoussent les résultats naturels vers le bas de la page.

« Il y a des keywords sur lesquels on est à -30% quasiment year over year de CTR. […] Et ça, c’est directement imputable au fait que bah entre les résultats AdWords et les résultats naturels, il y a les widgets Google Flight Search. » – Guillaume Rostand

Les applications mobiles sont-elles une bonne alternative à Google ?

Non, les applications mobiles ne sont plus considérées comme une alternative viable. Le marché est aujourd’hui sursaturé, et les coûts d’acquisition pour générer des installations sont devenus prohibitifs, notamment avec l’arrivée de la publicité sur les app stores, ce qui rend la rentabilité très difficile à atteindre.

« Aujourd’hui c’est à mon avis correctement impossible, le marché est saturé sur saturé. […] Et du coup très difficile d’en faire un modèle économique. » – Guillaume Rostand

Qu’est-ce que le phénomène du « zéro clic » dans le travel ?

Le phénomène du « zéro clic » se produit lorsque Google répond directement à la requête d’un utilisateur via des extraits enrichis (« rich snippets »). Dans le travel, cela peut concerner des questions comme « quelle est la taille des bagages autorisés ? », ce qui empêche l’utilisateur de cliquer sur un lien et prive les sites spécialisés d’un trafic précieux.

« Pour parler du du phénomène du du zéro clic, c’est quelque chose qui nous impacte relativement peu encore aujourd’hui, notamment pour tout ce qui est les les les snippes avec des informations. Bon certes, ça nous coupe du trafic. » – Guillaume Rostand

Faut-il internaliser sa stratégie marketing dans le travel ?

Oui, pour un modèle économique basé sur le volume comme celui des comparateurs de voyage, il est crucial d’internaliser les compétences de base comme le SEO, le SEM (Google Ads) et l’affiliation. Cela permet une maîtrise totale des leviers et de la rentabilité au clic près.

« Tout ce qui est métier de base, on internalise, SEO, SIM… la volonté sur ces métiers de base, donc l’affiliation, tous les leviers, c’est internaliser. […] Notre taille et notre modèle […] nous interdisent un petit peu de pas maîtriser à fond les leviers sur lesquels on travaille. » – Guillaume Rostand

Le marketing d’influence est-il efficace pour une marque de voyage ?

Oui, le marketing d’influence peut être un levier de croissance très efficace dans le voyage. Pour maximiser son succès, il est recommandé de créer son propre réseau d’influenceurs spécialisés plutôt que de passer par des plateformes généralistes, afin de construire des relations authentiques et d’obtenir de meilleures performances.

« Le dernier succès en tout cas la dernière chose qu’on a vraiment réussi à faire c’est la stratégie d’influence. […] Mon parti pris c’était il faut qu’on soit très bon dans les influenceurs voyage mais il faut qu’on crée notre propre network. » – Guillaume Rostand


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