Du code à la stratégie : le parcours de Romain Bourgois, data analyst chez Criteo
Comment passe-t-on d’une formation d’ingénieur en informatique à un poste d’Analytics Manager au cœur de la Silicon Valley ? Quel est le quotidien d’un expert de la donnée chez Criteo, l’une des pépites de la tech française ? Dans cet échange passionnant, Romain Bourgois nous ouvre les portes de son univers, un monde où la technique, le business et la stratégie se rencontrent pour façonner l’avenir du e-commerce. Il nous raconte son parcours, un cheminement « presque standard et assez classique » qui l’a mené de Nantes à Palo Alto.
Tout commence par une double compétence. « Je suis développeur d’origine, on va dire. Et à la fin de mes études, j’avais des envies d’entrepreneuriat et je me sentais pas forcément à l’aise avec l’aspect business », confie-t-il. Cette prise de conscience le pousse à compléter sa formation technique par un master en management à Audencia. Pourtant, l’idée lumineuse pour monter sa propre boîte ne se présente pas. Qu’à cela ne tienne, il décide de trouver un poste qui valorise son double diplôme. « C’est comme ça que je suis rentré il y a maintenant plus de 5 ans chez Criteo, […] dans une équipe commerciale en tant qu’analyste de données. » Pour lui, c’était l’opportunité parfaite de mettre ses compétences techniques et analytiques au service d’objectifs business. Une décision qui s’est avérée payante.
Quel est le rôle d’un pôle analytics chez Criteo ?
Loin de l’image du technicien isolé dans ses lignes de code, le métier de data analyst chez Criteo est profondément ancré dans la stratégie de l’entreprise. Romain a évolué vers un rôle d' »intrapreneur », montant des pôles analytiques au sein des entreprises rachetées par Criteo. Sa mission ? Apporter une expertise technique, des bonnes pratiques, mais aussi et surtout « une évangélisation, on va dire, parce que l’analytique c’est pas forcément quelque chose qui est un standard surtout dans des petites structures ». Mais concrètement, à quoi sert un pôle analytics ?
Optimiser la valeur des produits Criteo
Le cœur de la mission est clair : maximiser la performance pour les clients. Romain explique : « Un pôle analytique, ça va être une équipe qui va travailler à essayer d’optimiser la valeur qu’apporte les produits de Criteo à nos clients. Et on fait ça en crunchant de la donnée. » Le travail consiste à plonger dans les détails du produit pour débusquer les failles. « Notre travail, c’est d’arriver à comprendre dans le détail notre produit, d’arriver à identifier les zones où on perd de la valeur et arriver du coup à créer un momentum autour de ces découvertes. » L’objectif final est que ces analyses se transforment en améliorations concrètes, intégrées dans la roadmap produit et, à terme, en valeur ajoutée pour les clients.
Une « vigie » interne entre réactivité et proactivité
Le pôle analytics jongle constamment entre deux temporalités. D’un côté, il y a la nécessité de répondre aux demandes urgentes. « Il y a naturellement un aspect réactif parce que bah le business évolue vite, l’environnement évolue vite et donc il faut toujours essayer de répondre aux attentes court terme. » Mais la véritable valeur ajoutée de l’équipe réside dans sa capacité à prendre de la hauteur.
« Finalement, on est une des rares équipes en tout cas chez Criteo à avoir cette capacité de se dégager du temps proactivement pour arriver à identifier quels sont les projets sur lesquels on devrait investir. » Cette dimension proactive est cruciale. Comme le résume l’interviewer, ils sont « une sorte de vigie interne ». Romain acquiesce : « On peut voir ça comme ça. Mais du coup ça demande beaucoup de boulot également parce que il faut arriver à bien comprendre les enjeux business, la stratégie de la boîte, l’environnement marché. » Pour être prescriptif et pertinent, il faut une vision à 360 degrés. Sans cette compréhension globale, le rôle de vigie n’est plus tenable.
Au cœur de la stratégie : concurrencer Amazon avec la data
À Palo Alto, l’équipe de Romain travaille sur trois projets majeurs : la monétisation de trafic pour les sites marchands, les campagnes d’installation d’applications et l’enrichissement des catalogues produits. Le projet phare est sans conteste le premier, car il se place au centre d’une bataille de titans.
Pour comprendre son importance, il faut analyser la stratégie d’Amazon. « Amazon est en train de devenir un acteur majeur sur l’adtech en devenant la troisième plateforme aux États-Unis cette année en terme de spend advertising derrière Google et Facebook. » Cette montée en puissance change la donne. Amazon monétise son propre inventaire en sponsorisant des produits, ce qui représente un business extrêmement lucratif. « C’est un coût qui est quasi zéro et c’est de la marge pure », précise Romain. Cet avantage compétitif colossal met une pression immense sur les autres retailers.
C’est là que Criteo intervient. La mission historique de l’entreprise a toujours été d’aider les sites marchands à performer. Aujourd’hui, cela passe par leur offrir une nouvelle source de revenus. « Cette plateforme de monétisation que Criteo construit va aider réellement ces sites marchands à augmenter leur profil et à mieux concurrencer Amazon. » Pourquoi Criteo est-il bien placé pour relever ce défi ? « Parce que optimiser ces revenus de monétisation, c’est très proche du core business d’optimisation du média sur des campagnes de retargeting. » L’entreprise capitalise sur son savoir-faire, ses technologies et la relation de confiance déjà établie avec les e-commerçants pour leur apporter une arme décisive dans la guerre contre Amazon.
Les outils du data analyst : de Hadoop à Excel
Pour mener à bien ces missions complexes, le data analyst s’appuie sur une panoplie d’outils techniques. La « stack » technologique peut varier d’une entreprise à l’autre, mais chez Criteo, elle est particulièrement impressionnante. Romain nous en donne un aperçu.
La base de tout, c’est la donnée brute, stockée dans l’un des plus gros « cluster Hadoop d’Europe ». Pour interroger ces volumes massifs de données, le langage de prédilection est le SQL. « Une fois qu’on a la donnée, il va falloir l’analyser. » C’est là que différents outils entrent en jeu, en fonction de la complexité de la tâche :
- Le code (Python ou R) : « Pour manipuler la donnée, ça va être du Python ou du R. » Ces langages de script sont privilégiés dès qu’une analyse doit être reproductible ou automatisée.
- Le tableur (Excel) : Loin d’être obsolète, Excel reste un allié de poids. « Excel reste un outil très très puissant pour faire des choses simples. Il n’y a pas de honte à utiliser Excel au contraire, surtout si c’est simple. »
- La visualisation (Tableau) : Pour créer des rapports et des dashboards dynamiques et réguliers, des outils comme Tableau (ou son concurrent QlikView) sont utilisés.
- Le Machine Learning : « Pour les plus avancés d’entre nous et pour des cas très très particuliers, on peut aussi utiliser quelques algorithmes de machine learning. »
Cette boîte à outils polyvalente permet de passer de la collecte de données brutes à la production d’analyses claires et actionnables pour le business.
Travailler dans la Silicon Valley : chocs culturels et opportunités
Déménager de Paris à Palo Alto, même en restant chez Criteo, est une expérience transformatrice. La plus grande différence, selon Romain, n’est pas tant dans la méthode de travail que dans les interactions humaines. « La grosse différence, elle est surtout sur la diversité de nationalité et de culture avec lesquelles on travaille. »
La diversité, une richesse au quotidien
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : « On a 12 nationalités différentes au bureau de Palo Alto et dans mon équipe j’ai trois nationalités différentes. » Cette richesse culturelle impose de constamment se mettre à la place de l’autre, de comprendre des backgrounds radicalement différents du nôtre. C’est un exercice permanent d’ouverture d’esprit et d’adaptation.
Adapter sa communication et son management
Cette diversité se traduit par des codes sociaux et professionnels très différents. Romain partage des exemples concrets : « Aux États-Unis, personne ne se coupe la parole alors qu’en Europe nos cultures latines font que on a envie de répondre en permanence du tac au tac. » De même, la perception de la hiérarchie varie énormément. « L’aspect hiérarchique est plus important sur des cultures asiatiques et indiennes que sur les cultures latines ou voir même américaines. Le manager est celui qui a raison. » Face à cela, son rôle de manager est de pousser ses équipes à développer leur propre opinion, à challenger ses idées, à ne pas être d’accord par principe. C’est un ajustement constant pour créer un environnement de travail où chacun peut s’exprimer pleinement.
Comment devenir data analyst ? Les conseils d’un expert
Pour les étudiants qui rêveraient de suivre un parcours similaire, Romain a des conseils précieux. Il commence par déconstruire un mythe : « Aujourd’hui sur le marché, on cherche presque des licornes qui n’existent pas. […] C’est un métier qui est potentiellement accessible à tout le monde si on en a la volonté parce que personne ne va avoir un profil idéal. » Il identifie trois piliers fondamentaux pour réussir dans ce métier de data analyst.
- Les capacités analytiques : Il ne s’agit pas seulement de mathématiques complexes. C’est avant tout « être capable de comprendre et saisir la complexité dans le détail », mais aussi et surtout « être capable de communiquer simplement et avec clarté cette complexité ». Un bagage en statistiques est utile, mais il insiste sur le fait que beaucoup de concepts peuvent être compris avec du bon sens et des exemples du quotidien.
- Le sens business : C’est le complément indispensable de la technique. Pour être la « vigie » évoquée plus tôt, il faut être pertinent, proposer des solutions cohérentes. « Il faut être orienté vers l’extérieur. Il ne faut pas se dire ‘je fais mon analyse pour moi et je la garde pour moi’. Elle sert à rien si on la garde sur notre ordinateur, il faut la partager. »
- L’appétence technique : Sans surprise, il faut être à l’aise avec les outils. Si les grandes écoles d’ingénieurs préparent bien à cet aspect, Romain se veut rassurant pour les autres : « Il y a des cours sur Coursera et autres qui permettent de de de de catch up techniquement. »
La vie d’expatrié à Palo Alto : entre anecdotes et challenges profonds
Au-delà du travail, comment est la vie dans la mythique Silicon Valley ? Romain partage une vision nuancée, faite de petites anecdotes amusantes et de réflexions plus profondes sur l’expatriation. Le côté rigolo, c’est de vivre au milieu des géants de la tech. « J’ai un bureau de GitHub qui est en face de là où j’habite. Il y a Docker juste à côté, des bureaux de Venmo, LinkedIn à trois blocs. C’est assez étonnant et assez rigolo. »
Mais l’expérience d’expatriation est bien plus qu’une simple collection de logos célèbres. C’est un challenge personnel intense. « Quand on s’expatrie, on a finalement une… il faut être préparé à être changé dans son état d’esprit. […] Votre environnement vous fait vous remettre en question en permanence. » Un décalage se crée progressivement avec son pays d’origine, qui lui, ne change pas. Il évoque ce sentiment paradoxal que connaissent beaucoup d’expatriés au long cours : « On est chez soi nulle part. »
Néanmoins, l’expérience en vaut largement la chandelle, ne serait-ce que pour l’ouverture d’esprit qu’elle procure. Il conclut avec une anecdote culturelle révélatrice : « Les cultures asiatiques qui sont quand même pas mal représentées dans la Silicon Valley trouvent très impoli de se moucher. […] Et être capable du coup de d’être dans cette situation, on se dit bah tiens en fait, je vais plutôt me mettre à la place des autres pour essayer de vivre en communauté de façon sereine. Bah c’est ça change vraiment notre façon de voir le monde. » Une belle leçon de vie, bien au-delà des clusters Hadoop et des algorithmes.
Pour suivre les aventures et les réflexions de Romain Bourgois, vous pouvez le retrouver sur son compte Twitter (Romain Bourgois tout attaché) ou sur LinkedIn.
FAQ sur le métier de Data Analyst
Quel est le rôle d’un pôle analytics dans une entreprise comme Criteo ?
Un pôle analytics a pour mission principale d’analyser les données des produits pour identifier des zones de perte de valeur. Son but est de proposer des améliorations concrètes qui seront intégrées à la roadmap produit afin d’optimiser la performance et la valeur apportée aux clients.
« Un pôle analytique, ça va être une équipe qui va travailler à essayer d’optimiser la valeur qu’apporte les produits de Criteo à nos clients. On fait ça en en crunchant de la donnée. » – Romain Bourgois
Quelles sont les compétences essentielles pour devenir data analyst ?
Pour devenir data analyst, il faut combiner trois types de compétences : de solides capacités analytiques pour comprendre la complexité et la communiquer simplement, un sens business pour être pertinent et créer de la valeur, et une appétence technique pour maîtriser les outils d’analyse de données.
« Il va falloir avoir de bonnes capacités analytiques. […] Le deuxième aspect, c’est un sens business parce que bah on veut créer de la valeur. […] Le dernier aspect, c’est une une appétence un peu technique malgré tout parce que bah oui, les les outils qu’on utilise, ils sont techniques. » – Romain Bourgois
Quels outils un data analyst utilise-t-il au quotidien ?
La panoplie d’outils est large et va des technologies de Big Data comme Hadoop, aux langages de requêtes comme SQL, en passant par des langages de script pour l’analyse comme Python ou R. Des outils plus simples comme Excel pour des tâches rapides et des logiciels de visualisation comme Tableau sont également couramment utilisés.
« Chez Criteo, on a un des plus gros cluster Hadoop d’Europe. […] On a des langages qui nous permettent de de récupérer de la donnée […], ça va être du SQL. […] on va utiliser différents outils donc soit du code, on va dire pour manipuler la donnée donc ça va être du Python ou du R soit directement dans dans un tableur Excel. » – Romain Bourgois
Comment Criteo utilise-t-il la data pour aider les e-commerçants face à Amazon ?
Criteo développe une plateforme de monétisation qui permet aux sites marchands de générer des revenus publicitaires additionnels, un avantage compétitif qu’Amazon maîtrise déjà. En analysant les données, Criteo optimise ces revenus pour améliorer la rentabilité de ses clients et les aider à mieux concurrencer le géant américain.
« Cette plateforme de monétisation que Criteo construit va aider réellement pour ses sites marchands à augmenter leur profil et à mieux concurrencer Amazon. » – Romain Bourgois
Quelle est la différence entre un rôle réactif et proactif pour un data analyst ?
Un rôle réactif consiste à répondre aux demandes et aux problèmes business du quotidien. Un rôle proactif, plus stratégique, consiste à explorer les données de manière autonome pour identifier de nouvelles opportunités d’optimisation ou de création de valeur que personne n’avait encore décelées.
« Il y a naturellement un aspect réactif […]. Mais finalement, on est une des rares équipes à avoir cette capacité de se dégager du temps proactivement pour arriver à identifier quels sont les projets sur sur lesquels on devrait investir. » – Romain Bourgois
Faut-il être ingénieur pour travailler dans l’analyse de données ?
Non, ce n’est pas obligatoire, bien qu’une formation d’ingénieur ou technique soit un atout. Le plus important est d’avoir un profil équilibré avec une forte capacité d’analyse, un bon sens business et une curiosité technique. Des formations en ligne permettent de combler d’éventuelles lacunes techniques.
« C’est un métier qui est potentiellement accessible à tout le monde si on s’en a la volonté parce que personne ne va avoir un profil idéal. Naturellement, il va falloir avoir de bonnes capacités analytiques. » – Romain Bourgois
Quelles sont les principales différences culturelles entre travailler en France et aux États-Unis ?
La principale différence réside dans la diversité des nationalités et la communication. Par exemple, aux États-Unis, il est mal vu de couper la parole, contrairement aux cultures latines. De plus, la perception de la hiérarchie peut varier grandement, nécessitant une adaptation du style de management.
« Aux États-Unis, personne ne se coupe la parole alors que qu’en Europe nos cultures latines font que on a envie de répondre en permanence du tac au tac. » – Romain Bourgois
En quoi consiste l’expérience d’expatriation dans la Silicon Valley ?
Au-delà des anecdotes sur la proximité des grandes entreprises tech, l’expatriation est une expérience de remise en question permanente due à l’exposition à des cultures différentes. Elle mène à une transformation personnelle profonde, mais peut aussi créer un décalage avec son pays d’origine, menant à un sentiment de n’être « chez soi nulle part ».
« Quand on s’expatrie, on a on a finalement une faut être préparé à à être à être changé dans son dans son état d’esprit. À être modifié. Votre environnement vous fait vous faire remettre en question en permanence. » – Romain Bourgois




