L’IA en marketing : une évolution bien avant le buzzword
L’intelligence artificielle est sur toutes les lèvres, mais dans le monde du marketing digital, cette révolution ne date pas d’hier. On a souvent l’impression d’avoir toujours été entourés d’IA, sans forcément la nommer ainsi. Comme le souligne Laurent Duverney-Guichard, co-fondateur de Spyne et vétéran du secteur, le terme a souvent été galvaudé : « On est dans le marketing et on a des marketeurs, on met le label Buzz Word IA dès qu’on a pu le mettre sur quoi que ce soit, même si ça n’y ressemblait pas de près ou de loin. » Alors, pour y voir plus clair, il est essentiel de faire un retour en arrière et de comprendre comment cette technologie a progressivement redéfini les règles du jeu.
Les prémices : du retargeting aux algorithmes prédictifs
Les premières manifestations de l’intelligence artificielle en marketing remontent à l’ère du retargeting. Laurent se souvient : « Les prémices, j’ai envie de dire, c’est dans ce monde du début du retargeting avec les ancêtres de Criteo […] qui commençaient à faire du ciblage en allant chercher les visiteurs, les voisins des voisins. » Ces premiers algorithmes, bien que rudimentaires par rapport aux standards actuels, posaient déjà les bases d’une publicité plus personnalisée et automatisée.
Le véritable tournant a été l’arrivée du programmatique. Cette technologie a provoqué une « décorrélation entre les data et le contexte », permettant à une multitude d’acteurs de se lancer dans la création d’audiences et d’extensions de ciblage. Des entreprises comme Rocket Fuel, Quantcast ou Mediamath ont alors surfé sur cette vague, promettant des performances décuplées grâce à leurs algorithmes. Laurent nuance cependant : « C’était très très très boîte noire et […] des choses qui sont vraiment à la frontière de ce qu’on pourrait appeler l’intelligence artificielle et qui sont pas très loin de l’algorithmique plus classique, plus statistiques. »
De l’algorithmique au deep learning : la généalogie des IA modernes
La technologie sous-jacente a elle-même connu une profonde mutation. On est passé d’une algorithmique classique, où chaque instruction est explicitement définie, à des modèles beaucoup plus complexes. « Petit à petit, on a vu arriver le machine learning, début des années 2000, puis après le deep learning », explique Laurent. Cette évolution a permis de traiter les données de manière itérative, avec des allers-retours et des systèmes de pondération sophistiqués.
Les modèles que nous connaissons aujourd’hui, notamment les fameux LLM (Large Language Models) popularisés par ChatGPT, sont les héritiers directs de cette progression. « Ce qu’on en connaît aujourd’hui, les LLM avec ChatGPT en tête, c’est les petits-enfants de tous ces modèles-là qui ont évolué petit à petit », résume-t-il. La logique fondamentale reste celle d’un réseau de neurones numériques qui traite une immense quantité de paramètres à chaque étape.
L’état de l’art de l’IA marketing : entre boîtes noires et outils spécialisés
Le paysage de l’IA marketing en 2024 est dominé par deux grandes tendances qui coexistent. D’un côté, les écosystèmes fermés des géants de la tech, et de l’autre, une floraison d’outils plus spécifiques qui s’intègrent dans les différentes fonctions du marketing digital.
Le duopole des Gafa : PMax et Advantage+
Google et Meta mènent la danse avec leurs solutions respectives, Performance Max (PMax) et Advantage+. Leur force réside dans leur accès à une quantité inégalée de données utilisateur. « Ils ont un nombre de points data sur chacun de ses utilisateurs, chacune des campagnes passées […] qui est au-delà de n’importe quel autre acteur du marché », analyse Laurent. Ces plateformes utilisent ces données pour optimiser les campagnes de manière de plus en plus autonome.
Pour l’annonceur, cela se traduit par une simplification de la gestion, mais aussi par une opacité croissante. « C’est la boîte noire qui s’agrandit pour prendre plus de part dans la chaîne de valeur », prévient Laurent. Google et Meta étendent leur emprise en amont (aide à la création) et en aval (optimisation des landing pages), incitant fortement les annonceurs à adopter ces solutions. « Petit à petit, on voit qu’il n’y a pas d’autres choix que de mettre une grande partie de ses campagnes là-dedans. »
L’automatisation des tâches : de la rédaction publicitaire à la déclinaison créative
Parallèlement à ces mastodontes, l’IA a trouvé des applications très concrètes pour automatiser des tâches chronophages. La première a été la génération de textes publicitaires (ad copy), notamment pour les annonces Google. Rapidement, la création et la déclinaison d’images ont suivi. Laurent met en lumière un gain d’efficacité majeur : « Un pan assez énorme du revenu des agences créa qui est toute la déclinaison créative. Là où avant tu les payais pour avoir un set dans chacun de tes formats et ça prenait du temps […], aujourd’hui en un clic, tu as l’ensemble de tes formats. »
Cette capacité de production massive permet également de tester beaucoup plus d’idées et de pistes créatives à une vitesse inégalée. « Je me rappelle d’une époque où pour programmer 250 créas sur cinq formats avec des couleurs différentes […], ça prenait une semaine à l’équipe Ad Ops », raconte-t-il. Aujourd’hui, l’IA permet non seulement de produire ces créations, mais aussi de les déployer et d’analyser plus finement leurs performances.
Le marketeur face à l’IA : quel est le futur du pilotage de campagnes ?
L’automatisation des campagnes marketing avec l’IA soulève une question cruciale : quelle est la place de l’humain dans ce nouveau paradigme ? Si l’IA remplace efficacement l’être humain sur de nombreuses tâches de pilotage, elle montre aussi ses limites.
L’IA, un copilote surpuissant mais sans contexte
L’IA excelle dans l’analyse de données historiques. Elle connaît vos campagnes des dix dernières années, la saisonnalité, les CPC de vos concurrents, etc. « Mais en revanche, elle ne sait que ça », tempère Laurent. Ce que l’IA ignore, c’est le contexte du monde réel. « Ce que l’account stratège savait et sait toujours, c’est est-ce qu’il y a un crash d’avion qui fait que c’est plus la peine de faire de la pub sur des vols ? Est-ce qu’il y a une élection américaine qui fait que tout le monde va regarder que ça ? Est-ce que mon concurrent fait une promotion ? »
Ces éléments de contexte, infinis et faciles à intégrer pour un humain, sont pour l’instant hors de portée de l’IA. Cette lacune peut conduire à des « choix complètement aberrants ». Le rôle de l’humain évolue donc vers celui d’un superviseur, d’un stratège qui injecte cette intelligence contextuelle que la machine n’a pas.
L’évolution du rôle d’account strategist : moins d’intendance, plus de stratégie
Le futur des métiers du marketing avec l’IA n’est pas une disparition, mais une transformation. L’account strategist historique, dont le rôle était très opérationnel, va voir ses tâches d’intendance déléguées à la machine. Le travail consistera de plus en plus à « prendre du recul et faire moins de travail d’intendance. »
Face à la complexité croissante (dix canaux, dix formats, vingt devices, huit pays, des KPI multiples comme l’impact carbone ou l’attention publicitaire), l’humain seul est dépassé. L’IA devient alors un outil indispensable pour « rassembler les informations, de les avoir toutes en top of mind et de faire émerger à un opérateur humain qui lui va prendre les décisions. » Laurent conclut sur une vision claire : « À ce stade, il y a quand même beaucoup une vision copilote. Une intelligence artificielle qui va cruncher et un humain qui va prendre le mémo et acter. »
Comment naviguer dans l’écosystème de l’IA marketing : les points d’attention
Face à des technologies de plus en plus opaques, comment un marketeur doit-il réagir ? Les fondamentaux restent les mêmes : regarder ce qu’on donne en entrée (input) et ce qu’on obtient en sortie (output). Cependant, la nature spécifique des IA actuelles impose de nouveaux réflexes de vigilance.
Le piège des modèles probabilistes : comprendre les « hallucinations »
Il est crucial de garder à l’esprit la nature des modèles comme ChatGPT. Ce sont des modèles probabilistes. « Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est que tous ces modèles vont écrire, définir le terme qui a le plus de probabilité d’être le terme juste suivant », explique Laurent. Par conséquent, les résultats ne sont pas déterministes. « Si je fais 100 fois la même requête, il est très probable que 97% du temps j’aurai quelque chose de pertinent, mais pas la même réponse, et deux ou trois fois je vais avoir des choses assez incongrues, créatives, qu’on appelle les hallucinations. »
Cette variabilité n’est pas un bug, mais une caractéristique intrinsèque du modèle. Le conseil de Laurent est donc simple : « Dès que je vois quelque chose qui me paraît vraiment anormal, je repose la même question, je refais la même requête […] pour m’assurer que les résultats que je trouve sont à peu près concordants. » Il faut prendre du recul et ne jamais prendre pour argent comptant ce que le modèle propose.
L’importance cruciale du contexte : enrichir les modèles généralistes
La deuxième limite majeure est que ces modèles « n’ont connaissance que de ce qu’on leur a donné en input. » Bien qu’alimentés par des centaines de milliards de données, leur corpus reste très généraliste. Pour des cas d’usage spécifiques comme le marketing digital, ils manquent de pertinence. La solution est d’améliorer ces modèles en leur fournissant un contexte adapté.
Plusieurs techniques existent : créer des applications dédiées (comme les GPTs), utiliser le RAG (Retrieval-Augmented Generation) pour permettre à l’IA de consulter des documents de référence, ou encore le fine-tuning de modèles IA pour les plus techniciens. « Il faut vraiment énormément travailler à cette alimentation pour lui aider à comprendre notre univers », insiste Laurent. « Ça nous a pris 1 an pour arriver à donner suffisamment de contexte à chacune des requêtes pour que les réponses ne soient pas complètement farfelues. »
Se former et expérimenter : les ressources recommandées par un expert
Dans un domaine qui évolue chaque mois, comment rester à jour sans se noyer sous le flot d’informations et de « vendeurs de rêve » ? La clé est l’expérimentation et le choix de sources fiables et généralistes.
Tester par soi-même : des outils accessibles à tous
Laurent est un fervent partisan de la pratique : « Le meilleur moyen, c’est de se mettre devant son clavier et de le tester. » Il n’est pas nécessaire d’être développeur. On peut commencer par les outils grand public comme ChatGPT, Claude ou Perplexity. Mais pour aller plus loin et lever les freins liés à la confidentialité, il existe une solution puissante : utiliser un LLM en local. « Aujourd’hui sur une machine, sur un laptop, on peut installer des modèles. Les modèles open source de Meta ou ceux de Mistral. »
Avec un ordinateur suffisamment puissant (32 Go de RAM), il est possible de faire tourner ces modèles directement sur sa machine. L’avantage est majeur : « On peut envoyer n’importe quelle information puisque ça ne sort pas. On n’a pas de risque de ‘je ne sais pas ce qui se passe avec la Black box’. » C’est un moyen efficace et sécurisé de tester et d’apprendre.
Les sources fiables pour une veille de qualité
Pour sa veille, Laurent privilégie les ressources généralistes de haute qualité plutôt que les contenus hyper-spécialisés sur l’IA. Il recommande trois sources principales :
- Product Hunt : « L’IA représente aujourd’hui 30% ou 40% des produits qui présentent. […] Comme il y a un système de vote, on arrive à trier le bon grain de l’ivraie. »
- Hacker News (Y Combinator) : « C’est moche, ça ressemble à un site de 2010. Mais il y a une vraie richesse et une vraie curation par les gens qui font partie des plus grands experts. »
- La chaîne YouTube « 3blue1brown » : Pour comprendre les concepts mathématiques qui sous-tendent l’IA. « C’est là où on peut avoir la déconstruction qui démystifie autant que faire se peut ces sujets-là. »
Ces sources permettent d’avoir une vision plus large et de ne retenir que les innovations les plus significatives, filtrées par des communautés d’experts.
FAQ sur l’IA en marketing digital
Quelle est la véritable place de l’IA dans le marketing digital aujourd’hui ?
L’IA occupe aujourd’hui une double place : d’une part, des systèmes intégrés et opaques chez les géants comme Google (PMax) et Meta (Advantage+) qui automatisent une grande partie du pilotage des campagnes ; d’autre part, des outils spécialisés qui assistent les marketeurs sur des tâches précises comme la rédaction publicitaire ou la déclinaison de créations visuelles.
« Il y a deux univers, il y a l’univers des Gafa et des Wall Garden sur lequel on voit Google et Meta en tête avec P Max d’un côté et Advantage plus de l’autre […] Et puis il y a aussi pas mal de choses qu’on peut voir par ailleurs, c’est-à-dire que ça va être fonction par fonction dans le marketing digital. » – Laurent Duverney-Guichard
Comment l’IA a-t-elle évolué dans le secteur de la publicité en ligne ?
L’IA a évolué d’algorithmes statistiques simples, utilisés pour le retargeting et le ciblage prédictif au début des années 2010, vers des modèles de machine learning puis de deep learning. Cette évolution a abouti aux LLM actuels (comme ChatGPT) qui sont les ‘petits-enfants’ de ces premières technologies, capables de tâches beaucoup plus complexes.
« On part des vraiment de l’algorithmique […] petit à petit, on a vu arriver le machine learning, début des années 2000, puis après le deep learning […] ce qu’on en connait aujourd’hui, les LLM avec Chat GPT en tête, c’est les petits enfants de tous ces modèles-là. » – Laurent Duverney-Guichard
Les outils comme PMax de Google ou Advantage+ de Meta sont-ils vraiment de l’IA ?
Oui, ce sont des applications avancées de l’IA. Elles fonctionnent comme des ‘boîtes noires’ qui s’appuient sur l’immense quantité de données propriétaires de ces plateformes pour automatiser le ciblage, les enchères et la diffusion des publicités sur l’ensemble de leurs réseaux, rendant le processus opaque mais souvent plus performant.
« Ils prennent le meilleur avantage qu’ils ont à jouer sur l’intelligence artificielle, c’est-à-dire qu’ils ont un nombre de points data sur chacun de ses utilisateurs […] qu’il ne partagent pas, qu’il traitent en interne. » – Laurent Duverney-Guichard
L’IA va-t-elle remplacer les experts en marketing digital comme les account strategists ?
L’IA ne va pas les remplacer, mais transformer leur rôle. Les tâches opérationnelles et répétitives seront de plus en plus déléguées à la machine. L’expert humain se concentrera sur la stratégie, la supervision, la prise de recul et l’injection de contexte du monde réel que l’IA ne peut pas appréhender. Le rôle évolue vers celui d’un copilote stratégique.
« L’account stratège historique et cette partie très opérationnelle […] va moins se faire humainement, ça va beaucoup être plus délégué à la machine. […] prendre du recul et faire moins de travail d’intendance. » – Laurent Duverney-Guichard
Quelles sont les principales limites de l’IA en marketing ?
Les deux principales limites sont sa nature probabiliste, qui peut engendrer des erreurs ou ‘hallucinations’, et son manque de connaissance du contexte en temps réel (événements mondiaux, promotions concurrentes, etc.). Elle ne connaît que les données sur lesquelles elle a été entraînée, ce qui peut la conduire à prendre des décisions inappropriées.
« Ce qu’elle ne sait pas […] c’est est-ce que il y a un crash d’avion […], est-ce que il y a une élection américaine […], est-ce que mon concurrent fait une promotion ? Et tous ces éléments-là […] font parfois des choix complètement aberrants. » – Laurent Duverney-Guichard
Comment un marketeur peut-il se prémunir contre les erreurs de l’IA ?
Un marketeur doit adopter une posture critique. Il doit comprendre que les modèles sont probabilistes et ne pas hésiter à reformuler une requête ou relancer une analyse s’il obtient un résultat qui semble anormal. Il est essentiel de ne pas prendre les propositions de l’IA pour argent comptant et de toujours garder un regard humain.
« Il faut garder en tête que ça fait partie du modèle, c’est pas un bug, c’est une feature du modèle […] Dès que je vois quelque chose qui me paraît vraiment anormal je repose la même question, je refais la même requête. » – Laurent Duverney-Guichard
Comment peut-on améliorer la pertinence d’une IA pour son propre business ?
Pour rendre une IA plus pertinente, il faut l’alimenter avec des données et un contexte spécifiques à son secteur d’activité. Des techniques comme le RAG (qui permet à l’IA de consulter des documents privés) ou le fine-tuning (ré-entraînement sur un corpus de données spécifique) permettent de spécialiser le modèle généraliste pour qu’il comprenne les subtilités d’un métier.
« Ce qu’on voit se développer de plus en plus c’est ce qu’on appelle l’amélioration des modèles […] on peut faire du ce qu’on appelle du RAG où on va alimenter et permettre à l’outil d’aller chercher des documents de référence. » – Laurent Duverney-Guichard
Quelles sont les meilleures ressources pour se former à l’IA sans tomber dans le ‘hype’ ?
Il est conseillé de privilégier des ressources tech généralistes et reconnues pour leur curation de qualité, plutôt que des sources uniquement centrées sur l’IA qui peuvent être promotionnelles. Des plateformes comme Product Hunt, Hacker News ou des chaînes YouTube éducatives comme 3blue1brown permettent d’avoir une vision plus objective et de se concentrer sur les innovations réellement importantes.
« Moi je suis assez partisan des ressources généralistes, pas des ressources spécialisées IA. […] je dirais d’aller suivre sur une approche plus produits des choses comme Product Hunt […] le blog de Y combinator Hacker News a aussi plein d’éléments super intéressants. » – Laurent Duverney-Guichard