L’Afrique, prochain pilier de l’innovation technologique : mythe ou réalité imminente ?
Quand on pense à l’innovation technologique mondiale, les regards se tournent instinctivement vers la Silicon Valley, Shenzhen ou Tel Aviv. L’Afrique, quant à elle, est souvent cantonnée dans l’imaginaire collectif à un continent de défis, de besoins humanitaires et de ressources naturelles à exploiter. Pourtant, sous cette surface réductrice, une révolution silencieuse mais puissante est en marche. Une révolution portée par une jeunesse ultra-connectée, des entrepreneurs audacieux et un écosystème qui, loin d’être un simple suiveur, commence à dicter ses propres règles et à créer des solutions uniques au monde. C’est cette Afrique, celle de l’innovation et du talent, que nous allons explorer. Je suis Damien Doumerkaké, cofondateur de The Guild, et chaque jour, je suis le témoin privilégié de cette transformation. Notre mission est de connecter le top 3 % des développeurs africains avec des start-ups européennes, et cette position unique nous offre une vue imprenable sur la montée en puissance d’un continent prêt à réclamer sa place sur la scène technologique mondiale.
La question n’est plus de savoir si l’Afrique participera à la prochaine vague d’innovation, mais comment elle va la façonner. Quels sont les secteurs où elle excelle déjà ? Comment ses talents uniques, souvent formés en dehors des sentiers battus, peuvent-ils être une solution à la pénurie mondiale de compétences ? Et surtout, comment les entreprises et les investisseurs peuvent-ils saisir les opportunités immenses d’un marché en pleine effervescence ? L’introduction du podcast posait une question cruciale : ‘L’Afrique peut-elle devenir demain un leader mondial en développement de logiciels et en solutions technologiques ?’. À travers mon expérience, je suis convaincu que la réponse est non seulement positive, mais que le processus est déjà bien engagé. Cet article n’est pas une simple retranscription de notre discussion ; c’est une plongée en profondeur dans les dynamiques qui font de l’Afrique le prochain pilier de l’innovation technologique. Nous décortiquerons ensemble les succès de la fintech, la richesse du vivier de talents, les clés pour investir judicieusement et les contours de l’avenir qui se dessine.
L’Afrique, berceau d’innovations de rupture : la révolution Fintech comme rampe de lancement
Pour comprendre le potentiel d’innovation de l’Afrique, il faut cesser de la voir comme un simple marché d’adaptation des technologies occidentales. Le continent est un laboratoire à ciel ouvert où des contraintes uniques donnent naissance à des solutions radicalement nouvelles. L’exemple le plus emblématique est sans conteste celui de la finance. Alors que l’Europe et l’Amérique du Nord optimisaient un système bancaire déjà bien établi, une grande partie de l’Afrique faisait face à un défi fondamental : l’exclusion financière. C’est de cette contrainte qu’est née l’une des plus grandes innovations de ces vingt dernières années.
Comme je le mentionnais,
‘le mobile money qui a été qui est né en Afrique au Kenya, précisément euh grâce à M.Pesa, une société kenyane, où tu envoies de l’argent avec ton téléphone, tu gardes de l’argent, il y a pas beaucoup de gens qui étaient bancarisés en Afrique à cette à cette époque.’
Ce n’était pas une simple application ; c’était une réinvention complète du concept de banque. En transformant chaque téléphone mobile en un portefeuille numérique, M-Pesa a permis à des dizaines de millions de personnes d’accéder pour la première fois à des services financiers sécurisés. Cette technologie a ‘sauté’ par-dessus l’étape des agences bancaires physiques, un phénomène de ‘leapfrogging’ caractéristique de l’innovation africaine. Le succès a été fulgurant, et aujourd’hui, plus d’un milliard de personnes utilisent le mobile money, une technologie née sur le sol africain et qui s’exporte désormais. Ce succès a pavé la voie à une vague d’innovations dans la fintech, du micro-crédit accessible via smartphone aux plateformes de paiement panafricaines comme Flutterwave ou Sendwave, qui sont aujourd’hui des licornes valorisées à plusieurs milliards de dollars.
Un terrain de jeu fertile pour les entrepreneurs
Ce qui est fascinant, c’est que cette première vague d’innovations a créé un écosystème où les opportunités sont encore immenses. En Europe, le marché de la fintech est extrêmement compétitif, pour ne pas dire saturé. Tenter de lancer un concurrent à Revolut, Wise ou Qonto aujourd’hui relève presque de la folie. En Afrique, la situation est radicalement différente. Comme je l’expliquais,
‘en Afrique, tu peux. Ouais. Parce qu’il y en a pas. Et ceux qui sont là, ils n’arrivent même pas à capturer euh le pourcentage de marché qu’ils capturent est très c’est un film.’
C’est un véritable océan bleu. Les problèmes à résoudre sont nombreux et fondamentaux : faciliter les paiements transfrontaliers, offrir des solutions d’épargne et d’investissement, financer les PME… Chaque problème est une opportunité de marché colossale. Cette dynamique crée même une situation paradoxale où les pionniers de la fintech appellent à plus de concurrence. Je discutais avec le fondateur de Diammo, une fintech ivoirienne passée par le prestigieux accélérateur Y Combinator, et il me confiait une chose surprenante :
‘ils aimeraient avoir plus de gens qui se lancent dans la Fintech parce que eux, étant une Fintech eux-mêmes, ils ont des problèmes qu’ils aimeraient pas résoudre parce qu’ils se retrouvent en train de résoudre des problèmes de Fintech pour eux-mêmes.’
En clair, l’écosystème n’est pas encore assez mature pour offrir des services B2B spécialisés, forçant chaque start-up à réinventer la roue sur certains aspects. Cela illustre parfaitement la profondeur du marché : il y a de la place non seulement pour des géants B2C, mais aussi pour toute une myriade d’acteurs B2B qui viendront construire l’infrastructure technologique du continent. Et pour construire tout cela, il faut des bâtisseurs : les développeurs.
Le nouveau vivier de talents tech mondial : à la rencontre des développeurs africains
Si l’innovation financière a été la première vague, la lame de fond qui la soutient et qui prépare les suivantes est humaine. Pendant des années, lorsqu’on parlait de ‘vivier de talents’ pour la tech, on pensait à l’Inde ou à l’Europe de l’Est. L’Afrique était le grand absent de cette carte mentale. C’est une erreur profonde. Le continent abrite une population jeune, ambitieuse et de plus en plus connectée, qui voit dans la technologie un puissant outil d’émancipation. Ce n’est pas un talent en devenir, c’est une force déjà à l’œuvre, prête à être mobilisée.
Ce que nous observons sur le terrain est une véritable soif de réussir, une énergie brute qui est parfois difficile à retrouver dans des écosystèmes plus matures. Comme je le disais,
‘plusieurs nations développées, ils tapent un peu en Afrique pour avoir des talents jeunes qui ont la qui ont la dalle et tout, qui sont qui qui ont envie de se prouver, quoi, qui ont faim.’
Cette ‘faim’ n’est pas juste une métaphore. C’est le moteur qui pousse un jeune développeur à passer des nuits blanches à apprendre un nouveau framework, à contribuer à des projets open-source pour se faire remarquer, ou à résoudre des problèmes complexes avec des ressources limitées. Cette culture de la débrouillardise et de la persévérance forge des profils techniques d’une résilience et d’une créativité rares. Des grands groupes comme Accenture l’ont bien compris et ont mis en place des filières pour identifier et intégrer ces talents. Mais ce vivier est loin d’être homogène ; il est composé de profils variés, chacun apportant une valeur unique à l’écosystème mondial.
Le profil du développeur africain : un écosystème aux multiples facettes
Pour comprendre la richesse de ce vivier, il faut abandonner les clichés. On y trouve au moins trois grands archétypes de talents. Le premier, et peut-être le plus impressionnant, est celui du prodige autodidacte. Avec l’amélioration spectaculaire de l’accès à Internet, notamment grâce à des solutions comme Starlink, la connaissance est devenue accessible. Je me souviens d’une époque, il y a dix ans, où télécharger à 200 kbit/s était une victoire. Aujourd’hui, des jeunes dans des zones reculées ont accès aux mêmes tutoriels, aux mêmes documentations et aux mêmes communautés que leurs homologues à Paris ou San Francisco. Et ils s’en saisissent avec une détermination incroyable. Nous tombons régulièrement sur des pépites, comme cet exemple récent :
‘on est tombé sur un gars qui a contribué du code source à Mozi à Firefox. Hmm. Étant en Afrique, on dit, mais comment il a fait ça ?’
Le deuxième profil est celui du ‘rapatrié’. Il s’agit de talents qui ont eu l’opportunité d’étudier ou de travailler dans de grandes entreprises technologiques à l’étranger et qui décident de rentrer au pays. Ils ne ramènent pas seulement des compétences techniques de pointe, mais aussi une connaissance des standards internationaux, des méthodologies de travail et un réseau précieux. Très souvent, ce sont eux qui fondent les start-up les plus prometteuses, créant un effet d’entraînement en formant et en inspirant les talents locaux. Enfin, le troisième profil est celui de l’expert forgé localement. Il a fait ses armes au sein des premières licornes et des grandes entreprises tech africaines. En travaillant sur des projets à grande échelle avec des défis techniques complexes, ces développeurs, initialement juniors, deviennent des experts aguerris, capables de rivaliser avec n’importe qui sur la scène mondiale.
Repenser le recrutement : la compétence avant le diplôme
Cette diversité de parcours a une conséquence majeure pour les entreprises qui souhaitent recruter : les méthodes traditionnelles basées sur le prestige du diplôme sont totalement obsolètes. Un talent exceptionnel peut ne pas avoir de diplôme d’une grande école d’ingénieur, ou même de diplôme du tout. Comment le repérer ? En changeant radicalement de paradigme. Il faut se concentrer sur une seule chose : la compétence prouvée. Le monde du développement logiciel a cette chance immense d’être une méritocratie. Le code ne ment pas.
L’anecdote la plus parlante que j’ai est celle de ce développeur que nous avons rencontré.
‘il n’a pas de profil LinkedIn. Hmm. GitHub non plus. (…) Et lui, il nous explique qu’il passait juste les tests techniques. Ouais. aussi simple que ça.’
Cet exemple est extrême mais illustre une vérité fondamentale. Pour une entreprise, l’objection ‘il n’a pas de diplôme’ doit être remplacée par la question ‘peut-il résoudre mon problème ?’. La seule façon de le savoir est de le tester. Mettez-le au défi avec des tests algorithmiques, des études de cas réels, des exercices de code en direct. C’est ce que nous faisons chez The Guild. Nous avons mis en place un processus de sélection rigoureux qui ne s’intéresse qu’à la capacité technique et à la résolution de problèmes. Le résultat est sans appel : seuls 3 % des candidats le réussissent. C’est cette approche qui permet de rassurer nos clients européens. Ils n’embauchent pas un CV, mais une compétence certifiée. Cela demande un changement de mentalité, un effort pour dépasser les biais inconscients, mais le retour sur investissement est colossal : l’accès à un pool de talents de classe mondiale, motivés et prêts à relever tous les défis.
Attirer les investissements : comment convaincre le monde de miser sur la tech africaine ?
Un écosystème florissant de start-up et un vivier de talents de qualité sont deux des trois piliers de la croissance. Le troisième, c’est le capital. Attirer les investisseurs, notamment internationaux, reste l’un des défis majeurs pour la tech africaine. Pourtant, les arguments en faveur d’un investissement massif sur le continent sont plus solides que jamais. Il ne s’agit pas de ‘parier’ sur l’Afrique par philanthropie, mais de prendre une décision stratégique basée sur un potentiel de croissance que l’on ne trouve plus nulle part ailleurs.
L’argument principal est simple et brutalement efficace : le marché est vierge. J’insiste souvent sur ce point car il est difficile à appréhender depuis un marché européen hyper-saturé. Ici, chaque niche est prise, chaque idée a dix concurrents. Là-bas, des pans entiers de l’économie numérique sont à construire.
‘Quand le marché est vierge, tu es le premier, tu capitalises et boom.’
C’est la quintessence de la stratégie ‘océan bleu’. Plutôt que de se battre pour quelques points de part de marché dans un océan rouge de concurrence, les investisseurs ont l’opportunité de créer de nouveaux marchés. Nous avons parlé de la fintech, mais cela s’applique à l’e-commerce, à la logistique, à l’agritech, à l’edtech, à la healthtech… Dans chacun de ces domaines, les premiers acteurs qui apporteront des solutions adaptées aux réalités locales pourront construire des monopoles naturels et générer des retours sur investissement exponentiels. Il ne s’agit pas de copier-coller des modèles existants, mais de les réinventer pour un contexte où le mobile est roi, où la logistique est un défi et où les besoins de la population sont immenses.
Au-delà du capital : le besoin d’un écosystème de soutien
Cependant, l’argent seul ne suffit pas. Les start-up africaines ont besoin de ce que l’on appelle le ‘smart money’ : un capital accompagné d’expertise, de mentorat et d’un accès à des réseaux internationaux. Les investisseurs qui réussiront en Afrique seront ceux qui comprendront qu’ils ne sont pas de simples bailleurs de fonds, mais des partenaires de construction. Ils doivent aider les fondateurs à naviguer dans des environnements réglementaires parfois complexes, à structurer leurs équipes, à définir leur stratégie de mise sur le marché et à se connecter à des partenaires mondiaux. C’est un investissement plus exigeant, qui demande une présence et une compréhension fine du terrain, mais il est aussi bien plus créateur de valeur.
Les défis persistent, bien sûr. L’instabilité politique dans certaines régions, les lacunes en infrastructures ou la complexité administrative peuvent freiner les ardeurs. Mais la tendance de fond est indéniable : le risque perçu diminue tandis que l’opportunité réelle augmente. Les succès stories se multiplient, les gouvernements prennent de plus en plus conscience de l’importance du numérique et des hubs comme Lagos, Nairobi, Le Caire, Johannesburg ou Abidjan se structurent pour devenir des centres d’excellence reconnus mondialement. Pour un investisseur, ignorer l’Afrique aujourd’hui, c’est comme ignorer la Chine il y a vingt ans : c’est passer à côté de la plus grande vague de croissance de la prochaine décennie.
Structurer la connaissance : l’essor de la formation tech en Afrique
Le talent et le capital ne peuvent s’épanouir sans un troisième élément fondamental : la connaissance. La formation est le socle sur lequel tout l’écosystème repose. Si l’Afrique regorge de talents bruts et d’autodidactes brillants, la mise à l’échelle de son potentiel technologique passe inévitablement par la structuration de son appareil de formation. Et sur ce front aussi, les choses bougent très vite, avec une double dynamique fascinante : l’arrivée d’acteurs internationaux de renom et l’émergence d’initiatives locales de grande qualité.
Il est crucial de noter que le paysage éducatif est très hétérogène. Comme je l’ai évoqué, il y a malheureusement
‘beaucoup de mauvaises écoles. Il y en a qui viennent faire des formations. Tu vois, ceux qui enseignent, c’est pas des dévs. Ils ils capitalisent juste sur le sur sur la hype.’
Ce phénomène est un risque réel, car il peut dévaloriser le marché et créer de la frustration chez des jeunes qui investissent du temps et de l’argent dans des formations sans débouchés. C’est pourquoi le rôle des institutions sérieuses et des entreprises qui filtrent les compétences est si important. Il faut créer des standards de qualité et orienter les étudiants vers les filières qui fonctionnent vraiment.
L’implantation d’acteurs internationaux et la montée en gamme locale
Heureusement, les exemples positifs se multiplient. L’arrivée d’écoles reconnues comme Epitech est un signal fort. Leur implantation au Bénin a été un immense succès, attirant des jeunes de toute la sous-région. Ayant moi-même fait Epitech en France, j’ai été bluffé par le niveau des diplômés béninois.
‘J’étais surpris parce que ils étaient bons. Ils étaient super bons comparés à d’autres que j’ai vu ailleurs.’
Leur modèle pédagogique, basé sur des projets concrets et l’autonomie, correspond parfaitement aux besoins du marché et à l’état d’esprit des jeunes talents africains. Ces écoles apportent non seulement des programmes éprouvés, mais elles contribuent aussi à élever le niveau général de l’écosystème. Parallèlement, des initiatives locales remarquables voient le jour. J’ai fait mes études à l’université de Buea, au Cameroun, et j’y ai vu naître un véritable écosystème. Grâce à des professeurs visionnaires, souvent formés à l’étranger, et à une volonté de calquer les programmes sur les standards américains, cette région est devenue un pôle d’excellence. Ce n’est pas un hasard si elle a été surnommée la ‘Silicon Mountain’, en référence à la Silicon Valley. Cela prouve qu’il est possible de créer des centres de formation de classe mondiale avec des ressources locales, à condition qu’il y ait une vision et une exigence de qualité.
Conclusion : L’Afrique n’est pas l’avenir, elle est le présent de la tech
Au terme de cette exploration, le tableau qui se dessine est clair. L’Afrique a dépassé le stade de la simple promesse pour devenir un acteur incontournable de l’innovation technologique mondiale. Les innovations de rupture dans la fintech ont démontré sa capacité à créer des solutions uniques et à les déployer à grande échelle. Le vivier de talents, riche de profils diversifiés et animé par une soif de réussir inégalée, est prêt à relever les défis techniques les plus complexes. Les opportunités d’investissement, dans des marchés loin d’être saturés, offrent un potentiel de croissance sans équivalent.
Bien sûr, les défis demeurent. La structuration de la formation, la stabilité politique et la fluidité des capitaux sont des chantiers continus. Mais la trajectoire est indéniable. Pour les entreprises européennes, la question n’est plus ‘faut-il s’intéresser à l’Afrique ?’ mais ‘comment collaborer efficacement avec cet écosystème ?’. La réponse est un changement de paradigme : il faut abandonner les préjugés, oublier l’obsession du diplôme et se concentrer sur la seule chose qui compte, la compétence. Il faut mettre en place des processus de communication rigoureux et construire des partenariats basés sur la confiance et le respect mutuel.
Finalement, le message le plus puissant est celui de l’émancipation. Comme nous l’avons évoqué,
‘on va presque parler d’émancipation grâce à la tech finalement’.
Pour des millions de jeunes sur le continent, le code est plus qu’un métier ; c’est une voie vers l’autonomie, une fenêtre sur le monde et un outil pour construire leur propre avenir et celui de leur communauté. En tant qu’entrepreneurs, investisseurs ou recruteurs, nous avons le privilège non seulement de participer à une aventure économique passionnante, mais aussi de contribuer à ce formidable mouvement d’émancipation. L’Afrique n’est pas le prochain pilier de l’innovation technologique. Elle en est déjà un, en pleine construction, et il est temps que le monde entier le reconnaisse.
Foire Aux Questions (FAQ)
1. Quels sont les principaux secteurs technologiques en plein essor en Afrique ?
Le secteur le plus visible et le plus mature est sans conteste la Fintech. En raison du faible taux de bancarisation historique du continent, des innovations comme le Mobile Money ont explosé, créant un écosystème très dynamique autour des paiements, du micro-crédit et des services financiers numériques. Cependant, d’autres secteurs émergent rapidement. On observe une forte traction dans la logistique et l’e-commerce (résoudre le défi du ‘dernier kilomètre’), l’agritech (optimiser les rendements agricoles grâce à la technologie), l’edtech (répondre au besoin massif d’éducation) et la healthtech (améliorer l’accès aux soins). Essentiellement, tout secteur où la technologie peut résoudre un problème d’infrastructure ou d’accès fondamental présente un potentiel de croissance énorme.
‘Ce qu’on voit en Afrique, c’est beaucoup plus encore sur les Fintech. (…) le problème de bancarisation et accès à aux ressources financières et tout, c’est c’est c’est un très gros problème en Afrique. Et c’est le secteur qui évolue le plus, qui évolue le plus.’
2. Comment une entreprise européenne peut-elle s’assurer de la qualité d’un développeur africain sans diplôme reconnu ?
La clé est de déplacer le focus du CV vers la compétence réelle. Le diplôme est un indicateur de moins en moins fiable de la capacité technique, surtout face à l’émergence de talents autodidactes exceptionnels. L’approche la plus efficace consiste à mettre en place un processus de sélection rigoureux basé sur des tests techniques concrets : des défis d’algorithmique, des études de cas pratiques qui simulent des problèmes réels de l’entreprise, et des sessions de ‘live coding’. Il faut tester leur capacité à résoudre des problèmes, la qualité de leur code, et leur raisonnement. C’est en les voyant à l’œuvre qu’on peut véritablement évaluer leur niveau. Des plateformes comme la nôtre, The Guild, se spécialisent justement dans ce filtrage pour ne présenter aux entreprises que des profils dont les compétences ont été validées techniquement.
‘c’est plus des tests techniques qu’ils font passer, algorithmi euh cas réels. Et du coup bah on on on dit testez-le. Hmm. Testez-le, voyez à quel point il est bon.’
3. Pourquoi l’Afrique est-elle une terre d’opportunités pour les investisseurs dans la tech ?
L’argument principal est l’absence de saturation du marché. Contrairement à l’Europe ou à l’Amérique du Nord où la concurrence est féroce dans presque tous les secteurs, de nombreux marchés en Afrique sont encore à créer. C’est une opportunité ‘d’océan bleu’ : être le premier ou l’un des premiers à proposer une solution à un problème fondamental. Les besoins sont immenses et la population est jeune, en croissance et de plus en plus connectée. Investir en Afrique, ce n’est pas se battre pour des parts d’un gâteau existant, c’est créer le gâteau lui-même. Le potentiel de croissance et de retour sur investissement pour les premiers arrivants est donc exponentiel, car ils peuvent définir le marché et construire des positions dominantes.
‘Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas faites en Afrique. Ici en Europe euh beaucoup de secteurs sont saturés. (…) mais en Afrique, tu peux. Ouais. Parce qu’il y en a pas.’
4. Quels sont les plus grands défis pour la collaboration à distance avec des talents en Afrique ?
Le défi le plus important n’est pas technique, mais humain : c’est la communication. Les développeurs, où qu’ils soient, ne sont pas toujours les plus grands communicateurs, et la distance peut amplifier ce trait. Il est donc crucial d’établir dès le départ des processus de collaboration très clairs et structurés : des réunions quotidiennes (daily stand-ups), des outils de suivi de projet transparents, et une culture d’entreprise qui encourage la communication proactive. Il faut un travail d’éducation des deux côtés. L’entreprise doit comprendre les réalités locales (fuseaux horaires, éventuelles coupures de courant) et le développeur doit comprendre l’importance de communiquer régulièrement sur ses avancées et ses blocages. Une fois ce cadre mis en place, la collaboration devient fluide et efficace.
‘Le plus gros problème dans ça, c’est la communication. C’est c’est le plus gros problème. (…) ce qu’on fait en fait, c’est on fait un vrai travail d’éducation. Hmm. Du côté du dev, mais aussi de l’entreprise.’
5. Comment se forment les développeurs en Afrique aujourd’hui ?
La formation des développeurs en Afrique est un écosystème hybride. Premièrement, il y a une forte culture de l’auto-formation, avec des talents qui acquièrent des compétences de niveau mondial grâce aux ressources en ligne. Deuxièmement, l’enseignement supérieur traditionnel se modernise, avec des universités locales comme celle de Buea au Cameroun qui créent des pôles d’excellence. Troisièmement, des écoles internationales prestigieuses comme Epitech s’implantent et apportent leurs méthodes pédagogiques éprouvées, ce qui tire tout l’écosystème vers le haut. Enfin, les start-up et licornes locales sont devenues de véritables centres de formation en elles-mêmes, où les juniors apprennent sur des projets complexes et deviennent des seniors aguerris. Cette diversité de parcours crée un vivier de talents très riche.
‘Il y a aussi de bonnes écoles. Par exemple, Epitech au Bénin. (…) Et aussi, il y a des locaux aussi qui font un très bon travail. Il y a des universités publiques par exemple, l’université de Boya que j’ai fait quand j’étais au Cameroun, où il y avait une vraie un vrai écosystème tech.’
6. Quelles sont quelques start-up africaines prometteuses à suivre ?
Le paysage des start-up est en constante ébullition, mais il y a quelques noms qui se démarquent particulièrement dans l’écosystème francophone. Je citerais en premier lieu Diammo, basée en Côte d’Ivoire. Passée par Y Combinator, c’est une fintech qui illustre parfaitement la dynamique actuelle du secteur. Il y a aussi Julaya, une autre fintech qui se concentre sur les paiements B2B et aide les entreprises à digitaliser leurs flux financiers. Enfin, il y a de nombreux autres acteurs comme Koué à Station F, qui travaille également dans la fintech, ou Pessica au Cameroun. Suivre ces entreprises donne un excellent aperçu des problèmes concrets que la tech africaine est en train de résoudre et de l’ambition des entrepreneurs locaux.
‘Je dirais euh Diammo. Valeur sûr en Côte d’Ivoire, euh Y Combinator 2022, si je me rappelle bien. (…) je dirais euh Hmm, qui d’autre ? Oua Julaya, toujours une Fintech.’
7. Quel est le message principal pour un jeune Africain qui souhaite se lancer dans la tech ?
Mon conseil le plus important serait double. Premièrement, trouvez un domaine qui vous passionne réellement, car c’est cet amour pour ce que vous faites qui vous donnera l’énergie de surmonter les difficultés et de persévérer pour devenir excellent. La technologie est un domaine exigeant qui demande un apprentissage constant. Sans passion, il est difficile de tenir sur la durée. Deuxièmement, visez l’excellence. Ne vous contentez pas d’être ‘bon’. Cherchez à être le meilleur dans votre domaine. Le monde est devenu un village global grâce à Internet ; si vous êtes excellent, les opportunités viendront à vous, peu importe où vous vous trouvez géographiquement. La compétence est une langue universelle.
‘Ce que je dirais, c’est essaie de faire d’aimer ce que tu fais. Hmm. Et euh essaie d’être le meilleur.’




