Piloter une fusée en plein décollage : mon retour d’expérience sur le marketing en hypercroissance
Vivre une phase d’hypercroissance, c’est une expérience à la fois exaltante et terrifiante. C’est le rêve de tout marketeur qui rejoint une startup : voir les chiffres s’envoler, les équipes grandir à vue d’œil, et sentir qu’on participe à la construction de quelque chose d’exceptionnel. Chez Partoo, nous avons vécu cette folle aventure, passant de 20 à 400 employés et de 2 à 20 millions d’euros d’ARR en seulement quatre ans. De l’extérieur, c’est une success-story incroyable. De l’intérieur, c’est un défi permanent, une course contre la montre où chaque décision a un impact démultiplié. La question qui m’a hanté pendant toutes ces années était simple en apparence, mais redoutablement complexe en pratique : comment construire et structurer un département marketing capable non seulement de suivre, mais aussi d’alimenter une croissance aussi explosive ?
Ce n’est pas une question de simples tactiques ou d’outils magiques. C’est une question de fondations, de personnes, de processus et de philosophie. C’est un exercice d’équilibre constant entre la vitesse et la solidité, entre l’expérimentation et la structuration. En arrivant chez Partoo, j’étais seul. Il n’y avait pas de marketing. J’ai donc dû tout bâtir de zéro, dans un environnement où tout ce que vous mettez en place aujourd’hui sera probablement obsolète dans six mois. C’est une fatigue intellectuelle immense, car vous n’êtes jamais dans votre zone de confort. Vous êtes constamment en train de détruire pour reconstruire, d’adapter pour survivre. J’ai fait des erreurs, parfois des erreurs fondamentales qui m’ont coûté cher. Mais j’ai aussi trouvé des leviers, des méthodes et des principes qui nous ont permis de construire une machine marketing performante. Dans cet article, je vais vous partager, sans filtre, les leçons que j’ai apprises dans les tranchées, des recrutements à la stratégie internationale, en passant par les outils et les process. Mon objectif n’est pas de vous donner une recette miracle, mais de vous offrir un retour d’expérience concret pour vous aider à naviguer dans les eaux tumultueuses du marketing en hypercroissance.
Le piège des débuts : comment j’ai créé une ‘dette marketing’ sans le savoir
La première brique de tout département, ce sont les personnes qui le composent. C’est une évidence, mais c’est aussi là que se niche la première, et peut-être la plus grande, erreur que l’on puisse commettre en phase de scaling. Quand je repense à mes débuts, je réalise que j’ai sous-estimé l’importance capitale de bâtir des fondations humaines expertes dès le départ. Poussé par des contraintes budgétaires et une certaine naïveté, j’ai privilégié des profils juniors et des stagiaires. Sur le papier, cela semblait une bonne idée : ils étaient motivés, peu coûteux et nous permettaient d’avoir de la force de frappe rapidement. Mais avec le recul, je vois clairement le coût caché de cette stratégie. J’ai, en réalité, commencé à accumuler ce que j’appelle une ‘dette marketing’. Comme une dette technique en développement, c’est un ensemble de raccourcis, de manques de vision stratégique et de faiblesses structurelles qui finissent par vous rattraper et freiner votre croissance future. Le jour de ma passation, après quatre ans, j’ai eu ce sentiment très clair : malgré nos excellents résultats, j’aurais dû laisser le département à un niveau de maturité bien plus élevé.
Le conseil que j’ai ignoré : recruter des experts avant tout
Avant de me lancer dans la construction de l’équipe, j’ai fait ce que tout bon manager devrait faire : j’ai parlé à mes pairs, d’autres CMO qui étaient passés par là. Leur conseil était unanime et sans ambiguïté. Patrice, le marketing est un département d’expertise. Tu dois identifier les leviers qui fonctionnent et recruter des experts pour les amener au niveau supérieur. Je les ai écoutés, j’ai hoché la tête, et puis… je ne l’ai pas vraiment fait. Je me suis caché derrière l’excuse du budget.
‘Finalement m’avait quand même donné des conseils que j’ai pas trop suivi et que j’ai regretté ensuite… tout le monde m’a dit il faut que tu recrutes des experts.’
C’est ma plus grande erreur. J’aurais dû me battre, argumenter, convaincre mon CEO qu’investir dans un ou deux profils seniors n’était pas une dépense, mais l’investissement le plus rentable que nous puissions faire. Un expert ne se contente pas d’exécuter. Il apporte une vision stratégique, il met en place des fondations solides (comme en SEO, où nous avons pris un retard considérable), il forme les plus juniors, et il vous fait gagner un temps précieux en évitant des erreurs coûteuses. Un junior, même le meilleur, apprend sur le tas. Dans un contexte d’hypercroissance, vous n’avez pas le temps pour cela. Vous avez besoin de gens qui ont déjà fait, qui savent où ils vont et qui peuvent construire des piliers solides pendant que le reste de l’entreprise est en mouvement constant.
L’illusion des juniors et la surcharge du management direct
En recrutant majoritairement des profils juniors ou en stage de fin d’études, j’ai rapidement créé un autre problème : une charge de management immense. Un profil junior demande beaucoup plus de temps, de suivi, de formation et de cadrage. Quand vous en avez un ou deux, c’est gérable. Mais la structure a rapidement évolué et je me suis retrouvé avec sept ou huit personnes en management direct. C’était tout simplement intenable. Mon rôle n’était plus d’être stratégique, mais de passer mes journées à micro-manager, à corriger, à valider. Je devenais un goulot d’étranglement pour ma propre équipe.
‘C’est vers la fin mais beaucoup trop tard que je suis allé chercher ce qu’on appelle du mid management parce que je commençais à avoir peut-être je crois sept ou huit personnes en direct… je me suis un peu épuisé là-dessus.’
L’arrivée tardive de middle managers a été un soulagement, mais le mal était fait. J’avais perdu un temps précieux que j’aurais dû consacrer à la stratégie, à l’anticipation des prochains virages de la croissance. La leçon est donc double : non seulement il faut des experts sur les leviers clés, mais il faut aussi très vite penser à la structure managériale. Déléguer n’est pas une option, c’est une nécessité absolue pour ne pas s’épuiser et pour permettre à l’équipe de continuer à grandir sainement.
Comment structurer le chaos : la puissance des process et des objectifs clairs
Avoir les bonnes personnes est la première étape, mais dans une entreprise qui double de taille chaque année, le talent seul ne suffit pas. Sans une structure claire, même la meilleure des équipes finit par s’épuiser dans le chaos. Le risque principal, c’est la dispersion. Plus il y a de monde, plus il y a d’idées, plus il y a de demandes qui arrivent de toutes parts : les sales qui veulent un support pour un salon, le CEO qui a une nouvelle idée de campagne, un pays qui réclame des contenus spécifiques… Si vous n’avez pas une colonne vertébrale solide, vous passez votre temps à réagir et à vous éparpiller. Pour nous, cette colonne vertébrale reposait sur deux piliers fondamentaux : des objectifs clairs et partagés (les OKR) et une documentation systématique de nos actions (les playbooks). C’est peut-être la partie la moins ‘glamour’ du marketing, mais c’est sans doute la plus cruciale pour scaler efficacement.
Les OKR, notre bouclier contre la dispersion
La dispersion, pour moi, c’est le diable. C’est ce qui tue la productivité et l’impact. Pour la combattre, nous avons adopté la méthode des OKR (Objectives and Key Results). Le principe est simple : pour chaque trimestre, nous définissions au niveau de la direction un maximum de trois objectifs stratégiques pour toute l’entreprise. À partir de là, chaque département, y compris le marketing, déclinait ces objectifs en ses propres OKR. Nous avions donc nos trois objectifs marketing, avec pour chacun un maximum de quatre actions clés mesurables pour les atteindre.
‘La dispersion pour moi c’est un peu le un peu le diable dans ce genre de moment… donc cadrage, objectifs et process playbook et comme ça tu es tu es très bien.’
Cela change tout. D’un coup, vous avez un cadre. Quand un commercial venait me voir avec une ‘super idée de salon’, la réponse n’était plus ‘non’, mais ‘est-ce que cela sert l’un de nos trois objectifs prioritaires ce trimestre ?’. Cela permet de recentrer les discussions sur l’impact et la stratégie, et non sur les préférences individuelles. Les OKR ne sont pas une to-do list exhaustive, il y a toujours des tâches quotidiennes à gérer. Mais ils sont notre boussole, la ligne directrice qui assure que 80% de nos efforts sont concentrés sur ce qui compte vraiment pour faire avancer l’entreprise.
Des playbooks pour cloner l’excellence et accélérer l’onboarding
Le deuxième pilier de notre structure était la documentation. J’avoue qu’au début, je n’étais pas un grand fan. Ça me paraissait lourd et bureaucratique. Mais j’ai vite compris que c’était un investissement au retour sur investissement phénoménal. Pour chaque action récurrente – organiser un webinar, lancer une campagne d’emailing, rédiger une newsletter – nous avons créé un ‘playbook’. Ce n’était pas juste une checklist, mais un véritable guide pas-à-pas. Il contenait un tutoriel détaillé, les best practices, un rétroplanning type, les templates à utiliser, etc. Nous centralisions tout cela dans notre outil de gestion de projet, Monday.
‘Quand tu recrutais une personne, tu as pas besoin de passer 1 heure ou deux à la former, c’était tiens, prends ce tuto, prends ce playbook et vas-y, fais ton premier webinar.’
Les bénéfices étaient multiples. Premièrement, l’onboarding. Un nouvel arrivant était autonome en quelques jours, pas en quelques semaines. Deuxièmement, la qualité. Le playbook garantissait un niveau d’exigence et d’exécution constant, peu importe qui réalisait la tâche. Cela évitait que des petites erreurs se propagent et que des mauvaises habitudes s’installent. Enfin, cela libérait mon temps de manager. Je n’avais plus besoin de tout réexpliquer, je pouvais me concentrer sur le coaching et la stratégie. C’est la seule façon de maintenir un haut niveau de qualité quand l’équipe grandit vite.
Le choix des outils : Monday, HubSpot et le piège du ‘sur-outillage’
Pour soutenir ces processus, les outils sont évidemment essentiels. Nous utilisions principalement Monday pour toute la gestion de projet, le suivi des OKR et de nos playbooks. C’est un outil que j’ai trouvé très simple, direct et efficace pour notre usage. Pour la partie marketing automation, après une phase manuelle, nous avons investi dans HubSpot. L’approche a été progressive : d’abord, nous avons simplement répliqué nos actions existantes, puis, tous les six à huit mois, nous ajoutions une couche de complexité, de personnalisation, de scoring, pour exploiter de plus en plus la puissance de l’outil. Mais cette course à l’équipement a aussi ses pièges. Comme beaucoup de startups, nous sommes tombés dans le panneau du ‘sur-outillage’. On achète un outil parce qu’il a l’air génial, parce qu’on nous l’a vendu comme indispensable.
‘On a fait une enfin des erreurs que font beaucoup de boîtes, c’est qu’on on s’est un peu suroutillé… Et puis au bout de 6 mois, tu te rends compte et alors quelqu’un a une analyse, elle me sortir qui l’utilise ? Ouais. OK, allez hop, on coupe.’
La leçon ici est qu’il faut être impitoyable. Un outil n’est utile que s’il est utilisé et qu’il génère de la valeur. Il faut régulièrement auditer sa stack technologique et ne pas avoir peur de couper ce qui ne sert pas. Parfois, ce n’est pas la faute de l’outil, mais simplement que l’équipe n’est pas encore assez mature pour l’exploiter pleinement. Mieux vaut maîtriser parfaitement trois outils essentiels que d’en avoir dix qui prennent la poussière et coûtent de l’argent.
Moins mais mieux : doubler la mise sur les leviers qui fonctionnent vraiment
Dans une startup en hypercroissance, l’une des plus grandes tentations est de vouloir tout faire. On lit un article sur un nouveau canal marketing, on entend parler d’une nouvelle tactique, et on se dit ‘il faut qu’on essaie ça !’. C’est une erreur. Le temps et les ressources, même en croissance, ne sont pas infinis. La clé de notre succès a été d’adopter une approche radicalement inverse : identifier très tôt les 2 ou 3 leviers qui fonctionnaient réellement pour notre cible (Mid-market et Enterprise) et notre cycle de vente long, puis de concentrer 80% de nos efforts pour les amener à leur plein potentiel. Plutôt que de lancer sans cesse de nouveaux projets, je posais systématiquement la question : ‘avons-nous atteint le maximum de ce que l’on peut tirer de ce qui marche déjà ?’. La réponse était presque toujours non. Pour nous, ces deux piliers ont été les campagnes de nurturing et les webinars.
Le nurturing : notre machine à convertir sur le long terme
Avec un cycle de vente pouvant aller de 3 mois à un an, la majorité de nos prospects n’étaient pas prêts à acheter immédiatement. Notre plus grand atout était notre base de données de plusieurs dizaines de milliers de contacts, acquise au fil du temps par la prospection des commerciaux et du scrapping. Laisser ces contacts dormir était un crime. Nous avons donc mis en place des campagnes de nurturing très structurées. L’objectif était de maintenir le lien, d’éduquer nos prospects, et de rester ‘top of mind’ jusqu’à ce qu’ils soient prêts.
‘Quand c’est sur des cycles de vente de 3 mois à 1 an, forcément la partie nurturing est très puissante.’
Nous avons commencé de manière assez artisanale, puis nous avons utilisé la puissance d’HubSpot pour automatiser et personnaliser ces campagnes. En segmentant notre base par secteur d’activité, par taille d’entreprise ou par problématique, nous pouvions envoyer des contenus pertinents qui aidaient vraiment nos prospects. C’était un travail de longue haleine, mais c’est ce qui nous a permis d’alimenter les commerciaux avec un flux constant de leads qualifiés et matures.
L’art du recyclage : comment un webinar devenait dix pièces de contenu
Notre deuxième levier majeur a été le webinar. Lancés pendant le Covid, ils ont immédiatement très bien fonctionné, et ont continué bien après. Mais notre vraie force n’a pas été de faire des webinars, mais de les considérer comme la matière première pour une multitude d’autres contenus. Un webinar chez nous n’était pas juste une présentation. Il était entièrement scripté en amont, ce qui générait un document Word de 8 à 10 pages. C’était une mine d’or.
‘Un webinar chez nous c’était scripté. Ça faisait généralement 8 à 10 pages de Word… Et bah ça derrière, on en faisait un ebook, peut-être je sais pas 15 pages bien designées. On en faisait 5 six articles, des postes LinkedIn, tu mettais ça dans tes campagnes.’
Cette approche du recyclage est, à mon sens, l’un des secrets les mieux gardés d’un marketing de contenu efficace. Au lieu de courir constamment après la prochaine idée, nous rentabilisions au maximum chaque effort de production. Les gens consomment l’information de manières différentes : certains préfèrent un format vidéo long, d’autres un article de blog, d’autres encore un post synthétique sur LinkedIn. En déclinant un même contenu sous différents formats, nous maximisions sa portée et nous nous assurions de toucher notre cible à différents moments de son parcours. Trop de boîtes font l’erreur de communiquer massivement une fois sur un contenu, puis de passer au suivant. C’est un gaspillage énorme. Pensez comme les médias : ils ressassent les mêmes sujets chaque année, simplement parce que c’est ce qui intéresse leur audience. Il ne faut pas avoir peur de se répéter.
Scaler au-delà des frontières : notre playbook pour l’internationalisation
L’hypercroissance de Partoo était intrinsèquement liée à notre expansion internationale. Ouvrir de nouveaux pays est un défi majeur, et le marketing doit s’adapter rapidement. On pourrait penser qu’il faut immédiatement des budgets colossaux et des équipes locales complètes. Notre approche a été bien plus pragmatique et progressive, basée sur une validation par le marché et, surtout, sur une botte secrète qui s’est avérée d’une efficacité redoutable : le recrutement de stagiaires locaux basés à Paris. Cette stratégie nous a permis de nous implanter avec une pertinence culturelle forte, tout en maîtrisant nos coûts et nos risques.
Une approche progressive : tester avant d’investir
Nous ne lancions jamais le marketing en premier dans un nouveau pays. La première phase était toujours commerciale. Un commercial testait le marché pendant trois mois. Son objectif était de valider l’appétence, de générer un premier pipeline. Si au bout de ces trois mois, les signaux étaient positifs, on continuait pour trois mois supplémentaires, avec l’objectif de signer les premiers clients, ce qui correspondait à notre cycle de vente moyen. C’est seulement à ce moment-là, après six mois de validation terrain, que le marketing entrait en jeu. Nous commencions par ce que j’appelle le ‘strict minimum’ : traduire le site web et les quelques contenus les plus pertinents, identifiés grâce aux retours des commerciaux et de nos premiers partenaires locaux. Cette approche par étapes nous évitait d’investir des ressources marketing dans des marchés qui n’étaient finalement pas porteurs.
La botte secrète : des talents locaux pour une pertinence maximale
Une fois qu’un marché était validé, la question était : comment l’adresser efficacement ? Ma première idée a été de recruter des personnes bilingues basées à Paris. C’était une erreur. Ils étaient souvent ‘trop français’ dans leur approche, avec un manque de compréhension fine de la culture locale. J’ai donc radicalement changé de stratégie.
‘J’ai fini par dire OK, en fait on va prendre des locaux. qui sont à Paris qui parlent peut-être pas français mais en fait je m’en foutais. Mais voilà, j’avais ma personne indienne, espagnole, italienne et là tu sentais qu’en terme de compréhension du marché… c’était plus fluide, ça marchait mieux, les résultats étaient meilleurs.’
Nous avons commencé à recruter des stagiaires de fin d’études, natifs des pays cibles, qui faisaient leurs études à Paris. Le retour sur investissement a été fabuleux. Pour un coût modéré, nous avions des personnes qui apportaient une valeur inestimable. Elles adaptaient le ton de nos emails, changeaient les horaires de nos webinars pour qu’ils correspondent aux habitudes locales, nous suggéraient des actions marketing liées à des fêtes ou des événements culturels auxquels je n’aurais jamais pensé. Leur collaboration avec les commerciaux locaux était également beaucoup plus fluide et naturelle. Ces stagiaires géraient l’ensemble du marketing local : traduction, création de contenu, organisation d’événements… Beaucoup ont été embauchés en CDI par la suite, devenant nos piliers dans chaque pays. C’est la preuve qu’on peut faire une internationalisation intelligente et efficace sans forcément avoir des budgets illimités.
Survivre à l’hypercroissance : la face cachée de la fusée
On parle beaucoup de l’excitation de l’hypercroissance, de la fierté de voir la fusée décoller. Et c’est vrai, l’ambiance est souvent excellente, portée par les succès et l’atteinte des objectifs. Mais il y a un envers du décor dont on parle moins : l’impact personnel et la solitude du manager. C’est une expérience extrêmement exigeante, qui vous pousse constamment hors de votre zone de confort. Pour moi, le plus grand défi n’a pas été la charge de travail, mais la fatigue intellectuelle et le sentiment d’isolement dans la prise de décision. Pour y faire face, j’ai compris tardivement que la solution ne se trouvait pas dans des livres ou des podcasts, mais dans l’échange avec ceux qui vivaient la même chose que moi : mes pairs.
Une course sans fin : la fatigue de la reconstruction permanente
Le rythme de l’hypercroissance est implacable. Il n’y a jamais de phase de consolidation, de moment où l’on peut se poser et optimiser tranquillement ce qui existe. Tout est en perpétuelle construction.
‘Ce que tu mets en place, ça tient 4 à 6 mois et il faut déjà il faut il faut détruire pour reconstruire parce que tu as un nouveau département qui s’est créé, parce que tu as des nouvelles personnes dans l’équipe… Et ouais, j’ai trouvé ça fatiguant, ouais.’
Cette nécessité de réinventer constamment l’organisation, les processus et les stratégies est épuisante. Vous avez à peine fini de célébrer la mise en place d’un nouveau système que vous savez déjà qu’il faudra le remplacer dans quelques mois. J’aurais rêvé d’une année ‘tranquille’ pour consolider nos acquis, mais ce luxe n’existe pas dans une scale-up. C’est une réalité qu’il faut accepter, mais il est important de la reconnaître pour ne pas subir un épuisement professionnel.
La solitude du CMO et la puissance des communautés de pairs
L’autre aspect difficile est la solitude. Même entouré d’une super équipe et d’un comité de direction brillant, le CMO est souvent seul face à ses décisions stratégiques. Votre CEO est votre N+1, mais ce n’est pas votre manager. Il ne va pas vous coacher sur des problématiques marketing spécifiques, il a d’autres chats à fouetter. C’est dans ce contexte que j’ai trouvé ma plus grande source de formation et de soutien : une communauté Slack de CMO, ‘Tech Marketing Leaders’.
‘Tu te sens très seul en tant que CMO parce que ton CEO n’est pas ton manager… Et tu te sens sur des prises de décisions assez seul et y avoir ce slack pour dire écoutez voilà, j’ai ce sujet.’
Pouvoir échanger avec des personnes qui font face aux mêmes défis, qui ont peut-être six mois d’avance sur vous, c’est inestimable. C’est comme avoir une boule de cristal. Quand nous étions 50 et que nous visions les 100 employés, je pouvais parler à quelqu’un qui venait de passer ce cap. Leurs conseils, leurs retours d’expérience, leurs validations m’ont donné une confiance énorme pour défendre mes stratégies en interne. C’est beaucoup plus puissant que de lire un article de blog. C’est un apprentissage concret, contextualisé et humain. Mon conseil final serait donc celui-ci : ne restez jamais seul. Quel que soit votre poste, trouvez votre communauté de pairs. C’est le meilleur investissement que vous puissiez faire pour votre carrière et votre santé mentale.
Questions fréquentes sur le marketing en hypercroissance
Quelle est la plus grande erreur à éviter en structurant une équipe marketing en hypercroissance ?
La plus grande erreur, et celle que j’ai personnellement commise, est de retarder le recrutement de profils experts et seniors par souci budgétaire. On pense faire des économies en embauchant des juniors, mais on crée en réalité une ‘dette marketing’. Ces profils, bien que talentueux, manquent de vision stratégique et nécessitent un management intense, ce qui ralentit le leader et la structuration globale. Investir tôt dans des experts qui ont déjà l’expérience du scaling permet de construire des fondations solides, de gagner du temps et d’éviter des erreurs coûteuses qui freineront la croissance future.
‘J’aurais dû prendre des personnes expérimentées plus vite pour construire des vraies fondations… au bout de 4 ans, tu te rends compte que tu as quand même créé une dette marketing.’
Comment les OKR aident-ils concrètement à gérer le marketing d’une startup ?
Les OKR (Objectives and Key Results) sont un véritable bouclier contre la dispersion, qui est le principal ennemi en hypercroissance. Ils fournissent un cadre clair et partagé par tous. En limitant le nombre d’objectifs (trois au maximum) et d’actions clés par trimestre, ils obligent à se concentrer sur ce qui a le plus d’impact. Cela permet de dire ‘non’ de manière constructive aux nombreuses sollicitations internes et externes qui ne servent pas les priorités. Les OKR alignent l’équipe marketing sur les objectifs globaux de l’entreprise et assurent que tout le monde rame dans la même direction, ce qui est essentiel quand tout s’accélère.
‘Ça donne un cadre, tu évites la dispersion et à partir de là, tu peux dire à ton équipe Voilà, on doit aller… au moins tu sais que c’est cette ligne qu’il faut suivre, rien d’autre.’
Quelle est la meilleure façon de scaler des actions marketing qui fonctionnent déjà ?
La meilleure approche est de se demander comment maximiser le potentiel de ce qui existe avant de se lancer dans de nouveaux projets. Pour un levier qui fonctionne, comme les webinars, le scaling passe par plusieurs étapes : d’abord, la systématisation (créer un playbook), puis la segmentation (adapter le webinar par secteur, par maturité), l’internationalisation (dupliquer dans d’autres pays), et enfin l’optimisation (investir dans de meilleurs outils, améliorer les fonctionnalités). L’étape cruciale est le recyclage : transformer un seul contenu performant en une dizaine de formats différents (ebook, articles, posts) pour en maximiser la portée et le retour sur investissement.
‘Plutôt que de lancer trop de nouveaux projets, déjà pose-toi la question de est-ce que ce que tu fais actuellement, est-ce que tu penses avoir atteint le maximum de son potentiel ?’
Comment réussir son expansion marketing à l’international à moindre coût ?
Une méthode très efficace est d’adopter une approche progressive et de s’appuyer sur des talents locaux, même juniors. Au lieu d’investir massivement d’emblée, on peut commencer par valider le marché avec une force de vente pendant 3 à 6 mois. Une fois l’appétence confirmée, le recrutement de stagiaires natifs du pays cible mais basés au siège offre un ROI exceptionnel. Ils apportent une compréhension culturelle fine (ton, habitudes, événements locaux) que même un expert non-natif n’aura pas, tout en assurant une meilleure collaboration avec les équipes commerciales locales, le tout pour un coût maîtrisé.
‘On prenait des stagiaires qui étaient donc locaux mais basés à Paris… le héro était fabuleux… ils te faisaient tout le marketing local.’
Pourquoi est-il si crucial de documenter les processus marketing (playbooks) ?
La documentation est la colonne vertébrale du scaling. Dans un environnement où l’équipe grandit vite, les playbooks permettent trois choses essentielles. Premièrement, ils accélèrent radicalement l’onboarding des nouveaux arrivants, qui deviennent autonomes bien plus rapidement. Deuxièmement, ils garantissent un niveau de qualité et de consistance élevé dans l’exécution, évitant la propagation de mauvaises pratiques. Troisièmement, ils libèrent un temps précieux pour les managers, qui peuvent se concentrer sur la stratégie plutôt que de répéter constamment les mêmes instructions. C’est un investissement en temps au départ qui se rembourse au centuple.
‘Ça vient cadrer en terme de qualité d’exécution toutes les personnes de l’équipe. Et euh et ça rend voilà, ça rend ça rend les choses voilà très puissantes.’
Quel est l’impact de l’hypercroissance sur le bien-être d’un manager marketing ?
L’hypercroissance est intellectuellement très fatigante. L’impact principal n’est pas tant la quantité de travail que la charge mentale liée à la reconstruction permanente. Rien n’est jamais stable : les processus, les équipes, les stratégies mis en place deviennent obsolètes en 4 à 6 mois. Ce cycle constant de ‘détruire pour reconstruire’ empêche de se poser dans une zone de confort et peut être épuisant à la longue. Il est crucial d’en avoir conscience pour préserver sa santé mentale et trouver des soupapes de décompression.
‘Personnellement, j’ai trouvé ça très fatiguant intellectuellement parce que ce que tu mets en place, ça tient 4 à 6 mois et il faut déjà… détruire pour reconstruire… tu es jamais dans ta zone de confort.’
Comment un CMO peut-il continuer à se former et prendre les bonnes décisions ?
La meilleure formation pour un CMO en hypercroissance ne se trouve pas dans les livres, mais dans l’échange avec ses pairs. Intégrer des communautés de managers marketing (comme des groupes Slack ou des meetups) est fondamental. Ces réseaux permettent de briser la solitude du décideur et de bénéficier de l’expérience de personnes qui font face aux mêmes défis ou qui ont quelques mois d’avance. C’est un moyen d’obtenir des conseils concrets, de valider ses intuitions et d’avoir une ‘boule de cristal’ pour anticiper les prochains obstacles, ce qui donne une assurance précieuse pour défendre ses stratégies en interne.
‘Ces gens-là, ils voient dans le futur pour toi. Et c’est même des conseils que tu peux donner pour d’autres départements… Moi je me suis beaucoup formé comme ça.’




