Logo de l'épisode #90 Marché > L'année 2023 les licenciements, les recrutements … le digital devient-il un secteur comme les autres ? du podcast Bannouze : Le podcast du marketing digital !

#90 Marché > L’année 2023 les licenciements, les recrutements … le digital devient-il un secteur comme les autres ?

Épisode diffusé le 8 novembre 2023 par Bannouze : Le podcast du marketing digital !

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2023, l’année du grand réajustement : le secteur digital est-il en train de devenir une industrie comme les autres ?

L’année 2023 restera dans les mémoires de l’écosystème digital comme une période de turbulences, de doutes et de profonds questionnements. Après une décennie d’hypercroissance, de levées de fonds record et d’une forme d’insouciance dorée, le réveil a été brutal. Des plans de licenciements massifs chez les géants de la tech, une frilosité des investisseurs, un marché du recrutement en pleine mutation… Un sentiment de fin de cycle s’est installé, laissant beaucoup de professionnels sur le carreau ou, au minimum, dans l’incertitude. Le coup de flip du début d’année, où chacun se demandait s’il ne serait pas le prochain sur la liste, a laissé place à une forme d’acceptation. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère. Mais laquelle ? Est-ce une simple crise passagère ou une transformation structurelle bien plus profonde ? La question que nous nous posons aujourd’hui est fondamentale : la tech est-elle en train de perdre son statut d’exception pour devenir une industrie ‘normale’, soumise aux mêmes règles et aux mêmes cycles que les autres ? Pour décortiquer ce sujet complexe, je m’appuie sur une conversation passionnante avec Guillaume Rostand, CMO de Liligo.fr et Président de la French Tech à Barcelone. Ensemble, nous allons tenter de comprendre les mécanismes de cette transition, du dégonflement de la bulle à l’impact de l’IA, pour dessiner les contours de ce que pourrait être l’avenir du travail dans notre secteur.

Le tournant du 14 avril 2022 : comment le rachat de Twitter a ouvert la boîte de Pandore

Pour comprendre la vague de licenciements qui a déferlé sur la tech en 2023, il faut parfois remonter à un événement singulier, un point de bascule qui, a posteriori, semble avoir tout changé. Pour moi, ce point de bascule a une date précise : le 14 avril 2022, jour du rachat de Twitter par Elon Musk. Cet événement a été bien plus qu’une simple transaction financière ; il a été un signal psychologique envoyé à l’ensemble du marché.

L’effet psychologique du ‘précédent Musk’

La brutalité avec laquelle Elon Musk a licencié près de 80 % des effectifs de Twitter a choqué, mais elle a surtout démontré quelque chose d’impensable jusqu’alors. Comme je l’expliquais, il a montré à tout le monde ‘que tu pouvais virer 50 % de ta boîte, ta boîte elle tournait’. Bien sûr, les conséquences sur la modération ou la fuite des annonceurs sont réelles et mériteraient une analyse à part entière. Mais d’un point de vue purement opérationnel, la plateforme fonctionne toujours. Ce précédent a créé une brèche. Il a décomplexé de nombreux dirigeants qui, face à la pression de leurs actionnaires et à la nécessité de réduire les coûts, hésitaient à prendre des mesures aussi drastiques. Musk a prouvé que c’était possible, et cela a agi comme un véritable catalyseur. Ce qui était tabou est devenu une option stratégique envisageable, presque banalisée par les annonces successives chez Meta, Google, Amazon et tant d’autres. L’onde de choc a été d’abord psychologique avant d’être économique.

Au-delà de Twitter : le symptôme d’une bulle qui se dégonfle

Cependant, il serait réducteur de tout imputer à Elon Musk. Son action a été l’étincelle, mais la poudrière était déjà bien en place. La réalité est que nous sortions d’années d’une inflation déraisonnable des valeurs de la tech. Il faut se souvenir du contexte : un afflux massif de capitaux, des taux d’intérêt proches de zéro, et une concurrence acharnée entre les fonds d’investissement (VCs) pour ne pas rater la prochaine licorne. Cela a conduit à une surenchère et à des valorisations déconnectées de toute réalité économique. J’ai personnellement vécu cela avec une entreprise dans laquelle j’ai investi. Fin 2021, elle a bouclé une levée de fonds spectaculaire. Le fondateur lui-même nous disait : ‘Je pensais pas arriver à lever autant aussi vite’. C’était le chant du cygne de cette époque folle.

‘On s’est rendu compte tout le long de l’année 2021 que la bulle commençait à exploser ou à dégonfler, ce que j’ai pas l’impression qu’elle a réellement explosé mais elle s’est dégonflée. Et 2022, c’était un peu la mise en pratique des effets de ce dégonflement.’

Ce dégonflement n’est finalement qu’un retour à une certaine forme de normalité. Les licenciements sont la conséquence directe et mécanique de cette correction.

La fin de l’ère de la croissance à tout prix

Le cœur du problème réside dans un paradigme qui a longtemps dominé notre secteur : la croissance primait sur la rentabilité. Pendant des années, le succès d’une startup se mesurait à sa capacité à lever des fonds et à grandir vite, très vite. La question de la rentabilité était souvent repoussée à plus tard. Dans ce contexte, on embauchait massivement, parfois sans une vision claire du retour sur investissement de chaque poste.

‘On a peut-être un peu trop utilisé l’argent des fonds de pension, des VCs, de ce que tu veux pour embaucher des gens qui n’avaient pas une utilité directe sur le business pour une raison simple, c’est que le business dans beaucoup de cas n’avait pas à être rentable.’

Lorsque vous ne reliez pas une ressource humaine à un indicateur de profitabilité, vous pouvez virtuellement recruter à l’infini tant que l’argent coule à flots. Aujourd’hui, le robinet du financement facile s’est tari. Les investisseurs exigent désormais un chemin clair vers la rentabilité. Les entreprises, notamment celles qui ont levé des fonds sur des valorisations stratosphériques, sont prises en étau. Elles doivent continuer à croître tout en devenant rentables, le tout sans dégrader leur valorisation. L’équation est quasi impossible à résoudre sans passer par une réduction drastique de la masse salariale. C’est mécanique, et c’est ce que nous observons sur le marché du travail tech en 2023.

La grande dichotomie du marché : qui licencie et qui recrute en 2023 ?

L’analyse du marché du travail tech en 2023 révèle une situation bien plus nuancée qu’il n’y paraît. Si les gros titres sont dominés par les licenciements massifs, la réalité sur le terrain est celle d’une fracture profonde. Il y a une véritable dichotomie entre les entreprises qui subissent la correction de plein fouet et celles qui, plus discrètement, continuent de se développer et de recruter. Cette situation crée un paysage complexe où coexistent crise et opportunités.

Les victimes de l’hypercroissance : quand la valorisation devient un piège

Les entreprises qui licencient le plus sont, sans surprise, celles qui ont été les plus emblématiques de l’ère de l’hypercroissance. Ce sont les ‘licornes’, ces startups qui ont levé des centaines de millions sur la base de multiples de revenus délirants, parfois 40 ou 50 fois leur ARR (Annual Recurring Revenue). Un exemple frappant est celui de Typeform à Barcelone, qui a dû se séparer de 30% de ses effectifs après une levée de fonds massive. Le mécanisme est implacable : ces sociétés ont construit leur ‘equity story’ sur une promesse de croissance explosive et continue. Mais comme je le souligne :

‘Plus tu mets du monde, plus la croissance par tête de pipe redescend’.

Maintenir un rythme de croissance suffisant pour justifier une valorisation encore plus élevée devient mission impossible. Face à l’assèchement du financement, la seule voie pour survivre et tendre vers la rentabilité est de réduire les coûts. Et le principal poste de coût, c’est la masse salariale. Ces entreprises ne sont pas nécessairement de ‘mauvaises’ entreprises, mais elles sont victimes de leur propre succès et des attentes démesurées qu’elles ont créées.

Les PME du digital et les ‘boîtes raisonnables’ : les grands gagnants ?

À l’opposé de ce spectre, il y a un tissu d’entreprises beaucoup plus résilientes. Celles qui ont levé des fonds de manière plus raisonnable, ou même celles qui se sont développées en bootstrapping, sans financement extérieur. Ces entreprises, qu’on pourrait qualifier de ‘PME du digital’, ont toujours dû opérer avec une discipline financière plus stricte. Pour elles, la rentabilité n’a jamais été une option, mais une nécessité. Paradoxalement, la crise actuelle est une aubaine pour elles. Les licenciements massifs chez les ‘grosses boîtes’ libèrent sur le marché un vivier de talents exceptionnels, auparavant inaccessibles car captés par des salaires et des avantages mirobolants.

‘Ça a plutôt permis aux boîtes qui elles continuent à être dans une situation plus raisonnable de recruter des bons profils.’

On assiste donc à une redistribution des cartes. Le talent, qui était concentré dans quelques entreprises surfinancées, se diffuse désormais dans un écosystème plus large et potentiellement plus sain sur le long terme. On a peut-être trop parlé des licornes et pas assez de ces entreprises solides qui construisent une croissance durable.

Le dilemme des fondateurs : entre vision et ‘cash out’

Un aspect souvent passé sous silence dans cette dynamique est la divergence d’intérêts qui peut apparaître entre les fondateurs et leur entreprise. Dans le cycle des levées de fonds hyper-valorisées, un phénomène s’est développé : le ‘secondaire’. Il s’agit de la possibilité pour les fondateurs de vendre une partie de leurs actions lors d’un tour de financement intermédiaire, avant même une sortie (vente ou introduction en bourse). Cela leur permet de ‘cash out’ une somme d’argent considérable, sécurisant ainsi leur avenir personnel.

‘Le patron, il poursuit, enfin il y a une divergence d’intérêt entre la boîte à long terme et son intérêt à cash out dans une levée intermédiaire. Et ça, c’est assez vicieux.’

Ce mécanisme, bien que compréhensible d’un point de vue humain, peut biaiser la prise de décision. L’objectif peut devenir d’atteindre la prochaine levée de fonds la plus valorisée possible pour maximiser son gain personnel, parfois au détriment de la construction d’un modèle économique viable à long terme. Cela explique en partie pourquoi certaines entreprises se sont retrouvées dans des situations intenables une fois que le vent a tourné. La correction actuelle force tout le monde, fondateurs comme investisseurs, à revenir aux fondamentaux : la création de valeur réelle et durable.

Vers une normalisation du secteur tech ? Les nouveaux paradigmes du travail

Au-delà de la conjoncture économique, ce que nous vivons est peut-être plus profond : une maturation de notre industrie. La tech a longtemps vécu dans une bulle, avec ses propres règles, sa propre culture, et une croissance qui semblait infinie. La crise actuelle agit comme un révélateur et nous force à nous poser une question fondamentale : la tech est-elle en train de devenir un secteur comme les autres ? Cette ‘normalisation’ se manifeste à travers plusieurs débats qui redéfinissent notre rapport au travail.

La tech, une industrie comme les autres : la fin de l’exception culturelle ?

J’ai la conviction que nous assistons à la fin d’une certaine exception culturelle. La tech a été ‘anormale’ pendant des années. Le mantra ‘move fast and break things’ a justifié bien des excès. Aujourd’hui, le marché nous force à devenir plus matures, plus ‘normaux’.

‘Pourquoi pas la tech dans laquelle on travaille depuis des années, n’est-elle pas en train de devenir un marché comme les autres ? […] Est-ce que c’est pas l’album de la maturité ?’

Cette normalisation signifie que nous allons probablement repartir sur une croissance plus organique, moins délirante, mais peut-être plus saine. Cela implique des réajustements, parfois douloureux comme les licenciements, mais c’est le prix à payer pour construire un secteur plus solide. C’est un peu comme l’image de la marée qui descend et qui révèle qui nageait sans maillot de bain. La période actuelle expose les modèles économiques fragiles et récompense les entreprises bâties sur des fondations solides.

Le bureau contre le télétravail : la bataille pour le futur du travail

Cette transition se cristallise autour du débat sur le lieu de travail. Le Covid a accéléré une tendance vers le télétravail, présenté comme ‘le monde d’après’. Pourtant, nous voyons aujourd’hui un mouvement de balancier, avec de nombreuses grandes entreprises qui sifflent la fin de la récréation et exigent un retour au bureau. Nous sommes dans un ‘entre-deux’ inconfortable. D’un côté, le besoin de contrôle d’un management traditionnel qui ‘a besoin de fliquer ses petits Padawan’. De l’autre, une aspiration des talents à plus de flexibilité. Personnellement, je vois une scission se créer. Les petites startups en phase de croissance intensive ont besoin de la cohésion et de la rapidité d’itération qu’offre le présentiel. Pour les plus grandes structures, c’est plus complexe.

‘Quand je retourne dans notre bureau […] il y a plus d’ambiance […] il y a plus de sentiment de vie.’

Forcer le retour peut détruire la culture d’entreprise qu’il prétend vouloir recréer. Le véritable enjeu n’est pas tant le lieu, mais la manière de créer du lien, de la collaboration et un sentiment d’appartenance, que les équipes soient sur site ou à distance.

L’essor du freelancing et des ‘side projects’ : une recomposition durable du salariat

En parallèle, le monde du travail lui-même est en train de s’éclater. Le modèle du salariat exclusif est de plus en plus concurrencé par des formes de travail plus fluides. Le freelancing, les collectifs d’experts, les ‘side projects’ ne sont plus des phénomènes marginaux. Ils deviennent des composantes structurelles du marché.

‘Le freelancing, les collectifs, l’utilisation de la super spécialisation d’un côté et l’éclatement, la décentralisation. […] Tout se décentralise vachement et cette expertise […] recompose un monde du travail.’

Cette tendance offre un intérêt stratégique pour les entreprises. Pourquoi recruter en CDI un expert ultra-spécialisé dont on n’a besoin que ponctuellement ? Faire appel à un freelance permet d’accéder à une expertise de pointe de manière flexible. Pour les individus, c’est aussi une aspiration forte. L’idée du ‘slashing’, d’avoir plusieurs activités, est profondément ancrée, notamment chez les nouvelles générations. Le défi pour les entreprises est de composer avec cette réalité : comment engager des collaborateurs qui ne se voient plus comme appartenant corps et âme à un seul projet ? La réponse se trouve peut-être dans une relation plus transactionnelle et mature, basée sur l’apport de valeur mutuel.

Anticiper l’avenir : l’IA et la redéfinition des compétences

Alors que le marché du travail tech se réajuste et se normalise, une nouvelle vague, bien plus puissante et disruptive, se prépare à déferler : l’intelligence artificielle. Si la crise actuelle est une tempête, l’IA est un changement climatique qui va redéfinir en profondeur le paysage des métiers et des compétences. Ignorer cette transformation serait une erreur fondamentale, même si son ampleur et sa temporalité restent incertaines.

L’intelligence artificielle : menace ou opportunité pour les métiers du digital ?

L’arrivée de l’IA générative a provoqué deux réactions extrêmes : le déni (‘ce n’est que du texte automatique, ça ne changera pas grand-chose’) et la panique (‘mon Dieu, c’est foutu, on a plus de boulot’). La vérité se situe probablement entre les deux. Oui, la transformation sera radicale. Mais ce qui la distingue des révolutions industrielles précédentes, c’est sa vitesse.

‘La seule chose qui change par rapport à l’apparition de l’automobile, de la radio ou même de la machine à vapeur, c’est la rapidité avec laquelle quand même ça va changer les trucs.’

Des métiers vont disparaître, ou du moins être profondément transformés. Cependant, de nouveaux métiers vont apparaître. L’enjeu n’est pas de résister à la vague, mais d’apprendre à surfer dessus. L’IA n’est pas (encore) un remplaçant, mais un augmentateur de capacités. Les professionnels qui réussiront demain seront ceux qui sauront l’intégrer dans leur flux de travail pour devenir plus efficaces, plus créatifs, plus stratégiques. Nous allons tous devoir devenir des ‘humains augmentés’.

L’humain augmenté : pourquoi la formation continue devient non-négociable

Face à cette accélération, la notion de compétence statique devient obsolète. On ne peut plus se contenter d’un diplôme ou d’une expertise acquise il y a dix ans. La formation continue n’est plus un ‘plus’ mais une condition de survie professionnelle. C’est un domaine où, culturellement, nous avons beaucoup à apprendre, notamment des modèles anglo-saxons. Il faut cesser de voir la formation comme une dépense et la considérer comme un investissement essentiel dans le capital humain. Il s’agit de développer une culture de l’apprentissage permanent, de ne pas avoir peur de remettre en question ses propres compétences et de se former à de nouveaux outils, à de nouvelles méthodes.

‘On doit considérer que l’on prend un organisme vivant que tu vas essayer de faire évoluer.’

Cette responsabilité est partagée. Les entreprises doivent investir massivement dans la montée en compétence de leurs salariés. Et les individus doivent adopter une posture proactive, curieuse, et accepter que leur métier sera en constante évolution. Ceux qui refusent ce changement risquent une obsolescence rapide.

Recréer du lien et du sens : le défi du management post-crise

Dans ce contexte de normalisation économique et de révolution technologique, le facteur humain devient plus crucial que jamais. Comment recréer un sentiment d’appartenance dans un monde du travail éclaté ? Comment motiver des équipes face à l’incertitude ? La réponse ne se trouve pas dans les baby-foots ou les ‘Happy Fridays’. Elle se trouve dans la capacité à créer du lien authentique et à donner du sens. Comme le dit Laurent, l’animateur du podcast, ‘on est des animaux sociaux’. Nous avons besoin d’échanger, de partager, de nous sentir partie prenante d’un projet commun.

‘Pour recréer de la du sentiment d’appartenance, il faut mettre en place ces actions là.’

Cela passe par un management bienveillant mais exigeant, qui sait évaluer les compétences non pas pour juger, mais pour aider à progresser. Cela passe par le fait de redonner de l’autonomie et de la confiance. Et cela passe par la reconnaissance que les salariés ne sont pas des ressources, mais des partenaires dans une aventure collective. C’est en réinvestissant dans l’humain que les entreprises navigueront avec succès les transformations à venir.

Conclusion : naviguer dans la nouvelle normalité du digital

L’année 2023 aura été un électrochoc, la fin d’une parenthèse enchantée pour le secteur digital. Nous sommes passés du ‘chant du cygne’ de l’hypercroissance à ce qui pourrait être ‘l’album de la maturité’. Le constat est clair : la tech n’est plus une exception. Elle est une industrie puissante, mature, et désormais soumise aux lois de la gravité économique. Les licenciements, bien que douloureux, ne sont que le symptôme d’un réajustement nécessaire vers des modèles plus durables et rentables. Le marché se polarise, entre les victimes des excès passés et les acteurs plus raisonnables qui tirent leur épingle du jeu. En parallèle, notre rapport au travail se fragmente et se recompose, entre le retour au bureau, l’essor du freelancing et l’impact imminent de l’intelligence artificielle. Nous naviguons à vue dans une équation à multiples inconnues. Mais loin d’être un tableau apocalyptique, cette nouvelle ère est porteuse d’opportunités pour ceux qui sauront s’adapter. La clé réside dans notre capacité à embrasser le changement, à investir dans nos compétences pour devenir des ‘humains augmentés’, et surtout, à replacer l’humain et le lien social au cœur de nos organisations. L’avenir du travail dans la tech ne sera pas un long fleuve tranquille, mais il promet d’être passionnant pour ceux qui sont prêts à en écrire les nouvelles règles.

Foire Aux Questions (FAQ)

Quel a été le véritable déclencheur des licenciements massifs dans la tech en 2023 ?

Le principal déclencheur a été un retournement de conjoncture économique après des années d’euphorie. L’ère de ‘l’argent facile’ avec des taux d’intérêt à zéro s’est terminée, forçant les investisseurs à exiger de la rentabilité plutôt que de la croissance à tout prix. Cependant, le rachat de Twitter par Elon Musk a agi comme un puissant catalyseur psychologique. En licenciant une part massive de ses effectifs sans que la plateforme ne s’effondre, il a montré au marché que des coupes drastiques étaient possibles, décomplexant ainsi de nombreux autres dirigeants à prendre des décisions similaires pour rassurer leurs actionnaires.

‘Pour moi, cette date [le rachat de Twitter], elle est c’est vraiment un tournant dans la tech parce que finalement après le rachat de Twitter, Elon Musk a viré 80 % des effectifs et en fait, pour moi, il a montré à l’ensemble du marché du digital bah que tu pouvais virer 50 % de ta boîte, ta boîte elle tournait.’

Pourquoi certaines startups tech continuent-elles de recruter alors que les géants licencient ?

Le marché est très divisé. Les entreprises qui licencient massivement sont souvent celles qui ont levé d’énormes sommes d’argent sur des valorisations très élevées et qui sont maintenant sous pression pour devenir rentables. À l’inverse, de nombreuses entreprises plus petites, des PME du digital ou des startups qui ont eu une croissance plus maîtrisée (voire qui sont ‘bootstrappées’), n’ont pas ces contraintes. Pour elles, cette période est une opportunité unique. Les licenciements libèrent de nombreux talents de haut niveau qui étaient auparavant inaccessibles, leur permettant de renforcer leurs équipes à des conditions plus raisonnables.

‘Il y a une dichotomie entre les boîtes qui en fait ont trop levé et les boîtes qui ont raisonnablement levé ou voir les boîtes qui ont bootstrapper. […] Ça a plutôt permis aux boîtes qui elles continuent à être dans une situation plus raisonnable de recruter des bons profils.’

Le télétravail est-il vraiment en train de disparaître dans le secteur digital ?

Le télétravail ne disparaît pas, mais nous sommes dans une phase de réajustement. Après l’adoption massive et forcée pendant la pandémie, de nombreuses grandes entreprises tentent d’imposer un retour au bureau, souvent par besoin de contrôle managérial. Cependant, la tendance de fond à plus de flexibilité est bien réelle. Le futur sera probablement hybride et segmenté : les jeunes startups en phase de création intensive privilégieront le présentiel pour l’émulation, tandis que les grandes structures devront composer avec les attentes des salariés. Parallèlement, le freelancing et le travail à distance pour des missions d’experts se développent, montrant que le modèle unique du ‘tout le monde au bureau’ est révolu.

‘J’ai l’impression que on est dans une phase un peu d’entre deux en fait. […] On a on a vu le monde d’après avec le Covid et cetera. Est-ce qu’on est prêt à l’accepter en fait ? Et ben, je suis pas sûr parce que les mentalités euh bah, elles sont ce qu’elles sont.’

En quoi le secteur de la tech est-il en train de devenir une ‘industrie normale’ ?

Pendant des années, la tech a été perçue comme un secteur d’exception, avec une croissance infinie, des règles propres et où la rentabilité était secondaire. La crise actuelle marque la fin de cette exception. Le secteur est en train de ‘maturer’ et de devenir une industrie comme les autres, avec des cycles économiques, des exigences de profitabilité et des phases de consolidation. On passe d’une logique de croissance à tout prix, financée par les VCs, à une logique de construction de modèles économiques pérennes. C’est un réajustement potentiellement douloureux à court terme, mais sain pour la durabilité du secteur à long terme.

‘Pourquoi pas la tech dans laquelle on on travaille depuis des années, n’est-elle pas en train de devenir un marché comme les autres ? […] Est-ce qu’en fait on on devient pas un marché […] un peu normal. Est-ce qu’on n’a pas été un peu anormaux ?’

Comment l’intelligence artificielle va-t-elle concrètement impacter les recrutements dans le digital ?

L’intelligence artificielle va transformer radicalement le marché du travail et les recrutements, mais sur un temps un peu plus long que ce que certains prédisent. À court terme, elle va devenir un outil pour augmenter la productivité. Les entreprises ne recruteront plus seulement des experts dans un domaine, mais des ‘humains augmentés’ capables d’utiliser l’IA pour être plus performants. Les compétences recherchées vont évoluer vers la capacité à piloter ces outils, l’esprit critique et la créativité stratégique. À plus long terme, certains postes seront automatisés, mais de nouveaux métiers, aujourd’hui inimaginables, verront le jour. La formation continue deviendra la clé de l’employabilité.

‘L’expertise va devoir changer et on va devoir tous être des humains augmentés un petit peu grâce à l’IA et fondamentalement, je trouve ça pas mal.’

Quel est le plus grand défi pour les managers de la tech aujourd’hui ?

Le plus grand défi est de recréer du lien et un sentiment d’appartenance dans un monde du travail de plus en plus fragmenté et incertain. Avec le télétravail, l’essor du freelancing et la pression économique, la culture d’entreprise s’est érodée. Le manager ne peut plus être un simple superviseur de tâches ; il doit devenir un coach, un facilitateur de collaboration et un créateur de sens. Son rôle est de s’assurer que chaque membre de l’équipe, qu’il soit au bureau ou à distance, se sent connecté à la mission de l’entreprise et a les moyens de se développer professionnellement. Cela demande d’investir massivement dans la formation et le développement humain.

‘Comment tu crées du lien dans l’entreprise ? […] Comment tu fais en sorte que tes salariés bah tout au long de la de leur vie professionnelle en fait, arrivent au boulot avec de l’entrain et une volonté en fait de s’améliorer.’

Les ‘side projects’ sont-ils une mode ou une tendance de fond pour les carrières dans la tech ?

C’est une tendance de fond qui reflète une évolution profonde du rapport au travail, notamment chez les nouvelles générations. L’idée d’avoir une seule carrière linéaire dans une seule entreprise est de moins en moins la norme. Les ‘side projects’ ou le ‘slashing’ (avoir plusieurs activités) répondent à un besoin d’autonomie, d’apprentissage continu et de diversification des sources de revenus et d’épanouissement. Pour les entreprises, c’est un défi car cela peut entrer en contradiction avec le besoin d’un engagement à 200%. Le futur du management consistera peut-être à trouver un équilibre, en autorisant et même en valorisant ces projets parallèles s’ils peuvent aussi enrichir les compétences du salarié au profit de l’entreprise.

‘L’attrait du du du slashing ou on va ou du side seul est quand même hyper fort chez les nouvelles […] générations. […] Tout le monde veut avoir un side de seul, un truc. Ben de fait bah nous, c’est un side de seul pour toi.’

Est-ce que la course aux levées de fonds à tout prix est terminée pour les startups ?

La course aux méga-levées de fonds basées uniquement sur des promesses de croissance explosive est, pour l’instant, largement freinée. Le paradigme a changé : les investisseurs privilégient désormais les entreprises qui peuvent démontrer un chemin clair vers la rentabilité et un modèle économique solide. Lever des fonds reste bien sûr possible et nécessaire pour de nombreuses startups, mais les valorisations sont plus raisonnables et les due diligences plus poussées. On assiste à un retour aux fondamentaux où la création de valeur réelle prime sur la ‘paper value’ (valeur sur le papier). Les entrepreneurs doivent maintenant prouver qu’ils construisent une entreprise durable, pas seulement une machine à brûler du cash.

‘Elles ont levé sur des multiples qui étaient complètement dingues, c’était la course à la croissance. Le financement s’est asséché et on leur demande aujourd’hui d’être à la fois en croissance et à la fois de tendre à la rentabilité.’


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