2023 : L’année où la tech a perdu ses illusions et a peut-être enfin grandi
L’année 2023 restera dans les mémoires du secteur digital comme une période de violente décélération. Après une décennie de croissance euphorique, de valorisations stratosphériques et de ‘guerre des talents’ où les avantages les plus fous étaient devenus la norme, le réveil a été brutal. Des vagues de licenciements massifs chez les géants comme Google, Meta, Amazon, aux difficultés des licornes qui semblaient hier encore invincibles, un sentiment d’incertitude a balayé l’écosystème. Était-ce la fin d’un âge d’or ? Un simple ajustement ou une transformation plus profonde ? Et si, finalement, le digital était tout simplement en train de devenir un secteur comme les autres ? C’est une question fondamentale que nous avons explorée avec Laurent dans le podcast Banous. L’idée n’est pas de sombrer dans le pessimisme, mais de prendre du recul, de comprendre les mécanismes à l’œuvre et d’esquisser les contours du monde du travail de demain. Car derrière la dureté des chiffres et des annonces se cache une réalité complexe : une correction de marché nécessaire, l’émergence de nouveaux modèles et la redéfinition de notre rapport au travail. Cette année de turbulence est peut-être, paradoxalement, l’opportunité de construire un écosystème plus sain, plus mature et plus résilient pour les années à venir.
Le tournant du 14 avril 2022 : Quand Elon Musk a sifflé la fin de la partie
Pour comprendre la cascade de licenciements qui a marqué 2023, il faut revenir un peu en arrière. Laurent a judicieusement pointé une date symbolique : le 14 avril 2022, jour du rachat de Twitter par Elon Musk. À première vue, un simple changement de propriétaire pour un réseau social. En réalité, ce fut un véritable électrochoc psychologique pour toute l’industrie. En licenciant près de 80% des effectifs, Musk a envoyé un message d’une violence inouïe, mais d’une clarté déconcertante au marché. Comme le soulignait Laurent, ‘il a montré à l’ensemble du marché du digital bah que tu pouvais virer 50 % de ta boîte, ta boîte elle tournait’. Certes, les conséquences sur la modération ou l’attrait pour les annonceurs sont désastreuses, mais le service, techniquement, fonctionne toujours. Cet acte a brisé un tabou. Il a servi de permission, d’alibi pour de nombreux dirigeants de la Silicon Valley et d’ailleurs, qui ont vu là une justification pour opérer les coupes qu’ils jugeaient nécessaires mais n’osaient pas encore assumer publiquement.
L’effet domino : Plus qu’un homme, la fin d’une ère d’abondance
Cependant, résumer cette crise à ‘l’effet Musk’ serait une erreur. Son action a été le catalyseur, mais pas la cause profonde. La véritable raison de ce retournement de marché est la fin brutale d’une décennie d’argent ‘gratuit’. Nous sortions d’une période exceptionnelle, caractérisée par un ‘afflux de capital taux zéro’, où les investisseurs, en quête de rendement, ont déversé des sommes colossales dans la tech. Cette abondance de liquidités a créé une concurrence féroce entre les fonds de capital-risque (VCs), conduisant à une inflation généralisée des valorisations. J’ai personnellement vécu cette euphorie à travers une des startups dans lesquelles j’ai investi. Fin 2021, elle a levé une somme considérable à une valorisation magnifique, et même le fondateur avouait : ‘Je pensais pas arriver à à lever autant aussi vite, ça s’est fait en 3 semaines’. C’était, avec le recul, ‘le champ du cygne’. Cette période a encouragé des comportements irrationnels. L’objectif n’était plus la rentabilité, mais la croissance à tout prix. On embauchait massivement, non pas pour répondre à un besoin direct du business, mais pour nourrir la machine de la croissance et justifier la prochaine levée de fonds. On a recruté, pour être un peu polémique, ‘des gens qui n’avaient pas une utilité directe sur le business pour une raison simple, c’est que le business dans beaucoup de cas n’avait pas à être rentable’. Avec la remontée des taux d’intérêt et le resserrement du crédit, le robinet s’est fermé. Les licenciements ne sont donc pas un signe de déclin, mais l’expression d’un retour à la normale, une correction inévitable. Nous revenons simplement à une certaine rationalité économique après avoir, collectivement, ‘fait n’importe quoi’.
Ce retour à la réalité, bien que douloureux pour des milliers de salariés, force l’écosystème à se purger de ses excès. Il ne s’agit plus de brûler des millions pour acquérir des parts de marché hypothétiques, mais de prouver la viabilité et la pérennité de son modèle économique. C’est la fin du ‘bluff’ et le retour des fondamentaux. Cette transition a créé une division profonde au sein même du marché, séparant ceux qui avaient bâti sur du sable de ceux qui avaient des fondations solides.
La grande fracture du marché : Le choc entre les licornes sous pression et les PME agiles
Cette correction de marché n’a pas touché tout le monde de la même manière. Au contraire, elle a révélé et accentué une fracture profonde au sein de l’écosystème digital. D’un côté, les entreprises qui ont été les plus médiatisées, les fameuses ‘licornes’ qui ont levé des centaines de millions, sont aujourd’hui les plus en difficulté. De l’autre, des entreprises plus discrètes, qui ont grandi de manière raisonnable, tirent leur épingle du jeu. Ce n’est pas un hasard, mais une conséquence mécanique du modèle de financement de ces dernières années. Nous sommes tous un peu coupables, médias comme acteurs du secteur, d’avoir glorifié les levées de fonds spectaculaires. ‘On a trop parlé des grosses levées, c’était 100, 200, 300, 500 millions, il y avait des semaines on levait 5 milliards’. Cette obsession pour les chiffres a mis l’accent sur une croissance décorrélée de la rentabilité, basée sur des multiples de valorisation complètement fous.
Les victimes des valorisations délirantes et du ‘cash out’ précoce
Aujourd’hui, ces entreprises sont prises au piège. Elles ont levé des fonds sur des valorisations qui exigeaient une croissance explosive et continue. Mais le financement s’est asséché, et leurs investisseurs leur demandent désormais un double exploit : maintenir la croissance tout en tendant vers la rentabilité. Pour ne pas dégrader leur valorisation lors d’un prochain tour de table – ce qui serait un très mauvais signal – leur seule option est de couper drastiquement dans les coûts. Et la masse salariale est le premier poste de dépense. C’est un calcul ‘ultra mécanique’. L’exemple de Typeform à Barcelone, que je connais bien, est parlant : une levée de fonds massive, une valorisation immense, et au final, une réduction de 30% des effectifs. Ce modèle est également perverti par le phénomène du ‘secondaire’, où les fondateurs vendent une partie de leurs actions lors des levées intermédiaires. Cela crée une ‘divergence d’intérêt entre la boîte à long terme et son intérêt à cash out dans une levée intermédiaire’. L’incitation n’est plus seulement de construire une entreprise durable, mais de maximiser la valorisation à court terme pour sécuriser son patrimoine personnel. Ce système a nourri la bulle et explique en partie pourquoi tant d’entreprises se retrouvent aujourd’hui en difficulté.
L’opportunité cachée : Quand les entreprises saines recrutent les talents
Paradoxalement, cette situation est une aubaine pour l’autre partie de l’écosystème : les entreprises qui ont ‘bootstrappé’ (autofinancé) ou qui ont levé des fonds de manière raisonnable. Ces entreprises, souvent plus matures dans leur gestion, n’ont pas les mêmes contraintes de rentabilité imposées par des VCs agressifs. Elles sont en position de force. Les licenciements massifs chez les grands noms de la tech ont remis sur le marché une quantité incroyable de profils de grande qualité, souvent avec une expérience précieuse. Pour les PME du digital ou les startups saines, c’est une occasion en or. Comme je l’observe dans mon écosystème à Barcelone, cette crise ‘a plutôt permis aux boîtes qui elles continuent à être dans une situation plus raisonnable de recruter des bons profils’. Le marché du travail s’est rééquilibré. La surenchère salariale s’est calmée, et les talents sont peut-être aujourd’hui plus attirés par la stabilité et un projet d’entreprise solide que par les promesses de stock-options d’une licorne vacillante. C’est un retour à une forme de pragmatisme qui pourrait, à terme, bénéficier à l’ensemble du secteur en favorisant un développement plus durable et moins spéculatif.
Cette restructuration du marché de l’emploi ne se limite pas à savoir qui embauche et qui licencie. Elle interroge plus profondément la nature même du travail, les attentes des salariés et le rôle de l’entreprise. La crise du Covid avait ouvert une boîte de Pandore, celle du travail à distance, et la crise économique de 2023 force maintenant à redéfinir tout le contrat social qui lie l’employé à son employeur.
Le bureau ou Bali ? Réinventer le contrat social de l’entreprise tech
La période post-Covid a été celle de tous les possibles. Le télétravail total, la semaine de quatre jours, le ‘work from anywhere’… Les entreprises, face à une pénurie de talents, semblaient prêtes à tout accepter. Mais la crise de 2023 et le retournement du marché du travail ont changé la donne. Les grandes entreprises, de Google à Meta, sifflent la fin de la récréation et exigent le retour de leurs employés au bureau. On assiste à une véritable lutte d’influence entre la vision traditionnelle du management et les nouvelles aspirations des travailleurs. Sommes-nous en train d’assister à un retour en arrière ou à l’émergence d’un modèle hybride encore à inventer ? La question n’est plus seulement de savoir où l’on travaille, mais comment on travaille ensemble et ce qui nous lie à une entreprise.
La tension entre contrôle managérial et flexibilité aspirée
Le débat sur le retour au bureau est révélateur d’un choc culturel. D’un côté, comme le disait Laurent, ‘un manager d’une boîte classique a besoin de fliquer ses petits padawan’. Cette culture du présentéisme, où la performance est associée à la présence physique, reste profondément ancrée. Pour ces managers, l’absence de contact visuel direct est source de stress et d’une perte de contrôle perçue. De l’autre côté, une génération de travailleurs a goûté à une autonomie et une flexibilité qu’elle n’est pas prête à abandonner. Forcer un retour en arrière total semble difficile. Je le vois dans le grand groupe pour lequel je travaille : ‘ils ne peuvent pas se permettre, encore aujourd’hui, de forcer tout le monde à revenir’. L’ambiance même des bureaux a changé. Ils sont devenus des espaces où les gens s’isolent pour des appels vidéo avec des collègues qui devraient être assis à côté d’eux. Il n’y a ‘plus de sentiment de vie’. Pour autant, je ne crois pas à la fin du bureau. Laurent a raison de rappeler que nous sommes des ‘animaux sociaux’. Nous avons besoin des discussions informelles à la machine à café, de l’énergie collective, du ‘small talk’ qui fait naître les idées. La solution se trouve probablement dans un équilibre qui reste à définir, peut-être différent selon la taille et la maturité de l’entreprise. Les petites startups en phase de création intense ont besoin de cette proximité physique, tandis que les grands groupes devront trouver d’autres leviers pour créer du lien.
Au-delà du lieu : La quête de sens, de formation et le phénomène du ‘side hustle’
Si la présence physique n’est plus le ciment de l’entreprise, comment recréer du lien et un sentiment d’appartenance ? C’est le défi majeur des directions des ressources humaines. Une des pistes, souvent mieux exploitée par les entreprises américaines, est la formation continue. Il s’agit de ne pas considérer un salarié comme une ressource statique, mais comme ‘un organisme vivant, tu veux essayer de faire évoluer’. Investir dans les compétences, c’est montrer à l’employé qu’on croit en son potentiel et qu’on lui offre un chemin de progression. C’est un levier d’engagement bien plus puissant qu’un baby-foot. Par ailleurs, il faut composer avec une nouvelle réalité : la montée en puissance du ‘slashing’ ou du ‘side hustle’. Pour les nouvelles générations, avoir un projet personnel à côté de son travail principal est devenu une norme, une quête d’épanouissement ou de sécurité financière. Les entreprises qui l’interdisent risquent de se couper d’une partie des talents. L’approche la plus intelligente serait d’encadrer cette pratique. ‘Comment est-ce que je crée un lien entre je te laisse faire des side project à partir du moment où tu qualifies qu’ils peuvent apporter aussi à la boîte ?’ C’est une nouvelle forme de contrat de confiance à inventer, où l’entreprise accepte que ses employés ne soient pas dédiés à 200% à son seul projet, mais où elle peut bénéficier en retour de la créativité et des compétences développées à l’extérieur. C’est une vision plus mature et plus réaliste de la relation de travail au 21ème siècle.
Cette redéfinition du travail, déjà complexe, doit maintenant intégrer un nouveau paramètre qui arrive avec la force d’un tsunami : l’intelligence artificielle. Elle ne va pas seulement changer nos outils, mais potentiellement la nature même de nos métiers et des compétences que nous devrons maîtriser.
L’équation à plusieurs inconnues : L’IA comme prochain catalyseur de changement
Alors que le marché du travail digital se remet à peine de ses excès et tente de redéfinir ses règles, une nouvelle vague, bien plus puissante, se profile à l’horizon : l’intelligence artificielle générative. Depuis le lancement de ChatGPT, l’IA est passée du statut de concept de science-fiction à celui d’outil quotidien pour des millions de personnes. Cette révolution technologique soulève des questions existentielles pour de nombreuses professions, notamment dans le marketing et la communication. Faut-il en avoir peur ? Va-t-elle détruire nos emplois ? Ou est-ce, au contraire, une opportunité historique de réinventer notre manière de travailler ? Nous sommes, comme le disait Laurent, face à une ‘équation avec vraiment pas mal d’inconnues’, contrairement à la période pré-Covid qui semblait beaucoup plus linéaire.
Une transformation inévitable, mais à quel rythme ?
L’histoire des technologies est remplie d’annonces de révolutions imminentes qui ont finalement mis des années, voire des décennies, à se matérialiser. On peut penser à l’imprimante 3D, au Web3 ou aux NFTs, qui, après un pic de hype, ont eu un impact plus modéré ou plus lent que prévu. L’IA est probablement un ‘changement plus profond’, mais il est essentiel de garder la tête froide. Il y a deux réactions extrêmes et tout aussi paralysantes : ‘soit on se cache derrière son petit doigt en disant ça va pas changer grand-chose, […] et ceux qui disent mon Dieu, c’est foutu, on a plus de boulot’. La vérité se situe sans doute entre les deux. La transformation sera profonde, mais elle ne se fera pas en un jour. Laurent estime que nous avons une dizaine d’années devant nous pour que cette transition s’opère pleinement. Ce qui change par rapport aux révolutions industrielles passées, c’est la vitesse. ‘La seule chose qui change […] c’est la rapidité avec laquelle quand même ça va changer. Si ça change les trucs en 10 ans, c’est énorme’. Cette accélération nous oblige à une capacité d’adaptation permanente. Attendre de voir ce qui se passe n’est pas une option. Il faut dès maintenant expérimenter, se former et intégrer ces outils dans nos processus.
Vers l’humain augmenté : L’IA comme exosquelette de notre cerveau
La perspective la plus constructive n’est pas de voir l’IA comme un concurrent, mais comme un partenaire. Elle ne remplacera pas la stratégie, la créativité ou l’intelligence émotionnelle, mais elle peut automatiser les tâches répétitives et augmenter nos capacités. L’IA peut devenir une sorte d’‘exosquelette du cerveau’, nous permettant d’aller plus loin, plus vite et d’être plus pertinents. C’est l’émergence de ce que l’on pourrait appeler ‘l’humain augmenté’. Dans nos métiers, cela signifie passer moins de temps sur la production pure et plus de temps sur la réflexion, l’analyse, la prise de décision et la relation humaine. Fondamentalement, nous aurons toujours besoin de travailler avec des gens, de comprendre des besoins complexes et de construire des stratégies. L’IA sera une béquille formidable pour y parvenir plus efficacement. ‘On va devoir tous être des humains augmenté un petit peu grâce à l’IA et fondamentalement, je trouve ça pas mal’. Plutôt que de craindre d’être remplacé par une IA, la vraie crainte devrait être d’être remplacé par un humain qui, lui, maîtrise l’IA. C’est un changement de paradigme qui revalorise l’expertise humaine, à condition que celle-ci sache s’adapter et s’augmenter.
Conclusion : L’album de la maturité pour le secteur digital
L’année 2023 aura été une année charnière, celle d’une prise de conscience collective. La fête est finie, et le secteur digital, après une adolescence turbulente et euphorique, entre dans l’âge adulte. C’est, pour reprendre une métaphore musicale, ‘l’album de la maturité’. Les licenciements, le retour à la rentabilité, la redéfinition du contrat de travail et l’arrivée de l’IA ne sont pas des crises isolées, mais les différentes facettes d’une même transformation. Nous passons d’un modèle basé sur la spéculation et la croissance infinie à un modèle qui devra être plus durable, plus rationnel et, espérons-le, plus humain. L’avenir n’est pas écrit. Il appartient aux entreprises et aux individus de naviguer dans cette nouvelle complexité avec agilité et intelligence. Les défis sont immenses, mais les opportunités le sont tout autant. Il s’agit de réinventer nos métiers, de construire des entreprises plus résilientes et de trouver un nouvel équilibre entre performance économique et épanouissement personnel. L’âge d’or n’est peut-être pas derrière nous, mais devant nous, à condition que nous acceptions de grandir avec notre secteur.
FAQ : Questions clés sur le marché du travail tech en 2023 et au-delà
Quel a été l’impact réel du rachat de Twitter par Elon Musk sur les licenciements dans la tech ?
L’impact a été avant tout psychologique et a servi de catalyseur. En licenciant massivement sans que la plateforme ne s’effondre techniquement, Elon Musk a brisé un tabou dans la Silicon Valley. Il a offert une sorte de ‘permission’ ou de justification aux autres PDG qui hésitaient à réduire leurs effectifs. Cela a montré qu’une entreprise technologique pouvait fonctionner avec beaucoup moins de personnel, ce qui a encouragé d’autres géants comme Meta ou Google à lancer leurs propres plans de restructuration, dans un contexte économique déjà tendu.
‘Pour moi cette date, elle est c’est vraiment un tournant dans la tech parce que finalement après le rachat de Twitter, Elon Musk a viré 80 % des effectifs et en fait, pour moi, il a montré à l’ensemble du marché du digital bah que tu pouvais virer 50 % de ta boîte, ta boîte elle tournait.’
Pourquoi autant de startups qui ont levé des millions sont-elles maintenant obligées de licencier ?
Ces startups sont victimes du modèle de financement qui a prévalu jusqu’en 2022. Elles ont levé des fonds énormes sur la base de multiples de valorisation très élevés, qui dépendaient d’une croissance explosive et continue. Avec le resserrement du crédit et la fin de l’argent facile, les investisseurs exigent désormais non seulement de la croissance, mais aussi un chemin clair vers la rentabilité. Pour éviter de voir leur valorisation chuter lors d’un prochain financement, ces entreprises sont contraintes de réduire drastiquement leurs coûts, et la masse salariale est le levier le plus rapide et le plus efficace.
‘Elles ont levé sur des sur des multiples qui étaient complètement dingue. C’était la course à la croissance, le financement s’est asséché et on leur demande aujourd’hui d’être à la fois en croissance et à la fois de tendre à la rentabilité.’
Le télétravail est-il vraiment terminé dans le secteur digital ?
Non, le télétravail n’est pas terminé, mais nous sommes dans une phase de négociation et de réajustement. De nombreuses grandes entreprises tentent d’imposer un retour au bureau partiel ou complet, invoquant la culture d’entreprise et la collaboration. Cependant, elles se heurtent aux nouvelles attentes des salariés qui ont goûté à la flexibilité. Le modèle qui semble émerger est un hybride, dont les modalités varient fortement selon la taille de l’entreprise : les jeunes startups en croissance privilégient souvent le présentiel, tandis que les grands groupes ont plus de mal à imposer un retour complet.
‘Les groupes comme celui pour lequel je travaille […] je pense qu’ils ne peuvent pas se permettre, encore aujourd’hui, de forcer tout le monde à revenir […] il y a plus d’ambiance et tu arrives, tu t’installes à un endroit, tu entends des gens hurler devant leur ordinateur.’
Comment les entreprises peuvent-elles recréer un sentiment d’appartenance avec des équipes distantes ?
Si la présence physique n’est plus le seul liant, les entreprises doivent investir dans d’autres vecteurs d’engagement. Cela passe par une culture d’entreprise forte, une communication transparente et une mission claire. Un levier puissant est la formation continue, qui montre à l’employé que l’entreprise investit en lui. Il est aussi crucial de s’adapter aux nouvelles aspirations, comme la possibilité de développer des projets personnels (‘side hustles’), en créant un cadre de confiance plutôt qu’une interdiction stricte, afin de maintenir l’engagement et la loyauté des talents.
‘Comment est-ce que je crée un lien entre je te laisse faire des side project à partir du moment où tu qualifies qu’ils peuvent apporter aussi à la boîte ?’
L’intelligence artificielle va-t-elle détruire des emplois dans le marketing digital ?
L’IA va transformer les emplois plus qu’elle ne va les détruire, du moins à court et moyen terme. Les tâches répétitives et de production (rédaction de textes simples, création de visuels basiques) seront de plus en plus automatisées. Cependant, la stratégie, la créativité, l’analyse complexe et l’intelligence relationnelle resteront des compétences humaines cruciales. L’enjeu n’est pas de résister à l’IA, mais de l’adopter comme un outil pour devenir un ‘humain augmenté’, plus efficace et capable de se concentrer sur des tâches à plus haute valeur ajoutée.
‘On va devoir tous être des humains augmenté un petit peu grâce à l’IA et fondamentalement, je trouve ça pas mal.’
Le secteur de la tech est-il en train de devenir une industrie ‘normale’ ?
C’est une forte possibilité. Après des années d’hyper-croissance et d’une certaine ‘anormalité’ due à l’abondance de capital, la tech semble entrer dans une phase de maturité. Le retour aux fondamentaux économiques comme la rentabilité, des cycles de croissance plus organiques et des ajustements conjoncturels (comme les licenciements) sont les caractéristiques d’une industrie classique. C’est peut-être la fin de l’exceptionnalisme de la tech, qui devient un secteur majeur de l’économie, soumis aux mêmes règles que les autres.
‘Est-ce qu’en fait on on devient pas un marché […] un peu normal. Est-ce qu’on a pas été un peu anormaux […] Est-ce que c’est pas l’album de la maturité ?’
Quelle est la différence entre les entreprises qui licencient et celles qui continuent à recruter en 2023 ?
La principale différence réside dans leur modèle de croissance et leur dépendance au financement externe. Celles qui licencient massivement sont souvent des ‘licornes’ ou des entreprises qui ont levé d’énormes sommes sur des valorisations très élevées et qui sont maintenant sous la pression de leurs investisseurs pour devenir rentables. Celles qui continuent de recruter sont généralement des entreprises plus saines, rentables, autofinancées (‘bootstrapped’) ou ayant levé des fonds de manière raisonnable. Elles profitent de la situation pour attirer d’excellents profils devenus disponibles sur le marché.
‘Ça a plutôt permis aux boîtes qui elles continuent à être dans une situation plus raisonnable de recruter des bons profils.’
Comment la montée des ‘side projects’ ou ‘side hustles’ change-t-elle la relation entre l’employé et l’entreprise ?
Elle marque la fin du modèle où un employé se dédie corps et âme à une seule entreprise. Les nouvelles générations, en particulier, cherchent à diversifier leurs sources de revenus, de compétences et d’épanouissement. Pour une entreprise, l’ignorer ou l’interdire est une stratégie risquée. La nouvelle approche consiste à l’intégrer dans le contrat de travail, en faisant confiance à l’employé et en voyant comment ces projets externes peuvent aussi enrichir l’entreprise. Cela force un passage d’une relation de subordination à une relation plus partenariale et basée sur la confiance.
‘L’attrait du du du slashing ou on va ou du side de seul est quand même hyper fort chez les nouvelles enfin les nouvelles générations. […] Tout le monde doit avoir un side de seul.’




