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#61 : Entreprise > Le développement à l’international

Épisode diffusé le 28 septembre 2021 par Bannouze : Le podcast du marketing digital !

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L’internationalisation : le rêve accessible ou le mirage coûteux pour votre entreprise ?

Le développement international. Ces deux mots résonnent dans l’esprit de chaque entrepreneur comme une consécration, le signe ultime de la réussite. Passer les frontières, voir son produit adopté par d’autres cultures, conquérir des marchés lointains… Le rêve est puissant, nourri par les success stories de la tech qui semblent avoir conquis le monde en un claquement de doigts. Mais derrière le vernis des levées de fonds et des ouvertures de bureaux à Tokyo ou à New York se cache une réalité bien plus complexe, un chemin semé d’embûches où la moindre erreur de jugement peut coûter très cher. La question fondamentale n’est donc pas seulement ‘comment ?’ mais d’abord ‘pourquoi ?’ et ‘est-ce vraiment le bon moment ?’.

Aujourd’hui, je souhaite partager avec vous non pas une recette magique, car il n’en existe pas, mais une boussole. Une boussole forgée au fil de mes expériences, notamment chez Criteo où j’ai eu la chance de piloter l’expansion sur tous les continents, de l’Asie à l’Amérique du Sud. Mon parcours chez Yahoo, Criteo, puis dans des structures plus agiles, m’a appris une chose : chaque entreprise est unique, mais les principes d’une internationalisation réussie reposent sur des piliers universels de préparation, d’humilité et de stratégie. Nous allons explorer ensemble ce qui transforme une ambition légitime en un succès durable. Faut-il nécessairement se développer à l’international ? C’est plus facile à dire qu’à faire. Alors, plongeons dans les coulisses de cette aventure pour comprendre comment transformer ce rêve en une réalité tangible et rentable, en évitant les pièges qui ont fait chuter tant d’autres.

Pourquoi s’internationaliser ? Une question de survie ou d’opportunité ?

La première question à se poser, avant même de regarder une carte du monde, est d’une simplicité désarmante : pourquoi ? Pourquoi vouloir aller ailleurs ? La réponse est loin d’être une évidence. Pour certaines entreprises, l’internationalisation est une suite logique, presque une nécessité. Pour d’autres, c’est une distraction périlleuse. La clé pour trancher se trouve dans la nature même de votre business model. Dans la tech, où j’ai toujours évolué, les modèles sont souvent conçus pour être ‘scalables’, c’est-à-dire réplicables à grande échelle avec un coût marginal faible. C’est ce que j’ai vécu chez Criteo. Notre technologie était très ‘en ligne’, facile à implémenter techniquement. Dans ce contexte, ne pas y aller aurait été une erreur stratégique majeure.

‘Ça aurait été dommage de pas le faire parce que c’était simple à répliquer que le business model marchait et marchait très bien et était facilement réplicable.’

L’objectif premier, dans ce cas de figure, est d’occuper le terrain. Il s’agit de planter son drapeau le plus vite possible pour mettre le pied dans la porte et rendre l’entrée plus difficile aux concurrents. Qui dit facilité d’implémentation dit aussi facilité de copie. La vitesse devient alors votre meilleur allié. Vous devez prendre une part de marché, faire vos preuves et créer une barrière à l’entrée non pas technologique, mais commerciale. C’est une course contre la montre pour devenir l’acteur de référence avant que d’autres ne s’engouffrent dans la brèche. Cela suppose bien sûr d’avoir les moyens de ses ambitions, comme c’était notre cas à l’époque, mais le principe reste le même : si votre modèle est exportable, le statu quo sur votre marché domestique est un risque en soi.

Quand l’expansion n’est pas une évidence

À l’inverse, toutes les technologies ne sont pas aussi simples à déployer. Certaines nécessitent du hardware, une présence physique massive, des ressources humaines considérables sur le terrain. L’équation économique et logistique change radicalement. J’ai connu des entreprises où l’internationalisation était un projet beaucoup plus lourd, nécessitant des investissements et un temps de déploiement bien plus conséquents. L’exemple d’une société comme Doctrine, spécialisée dans la jurisprudence française, est parlant. Son cœur de métier est intrinsèquement lié à un système légal national. Répliquer ce modèle en Allemagne ou en Espagne ne consiste pas à traduire une interface, mais à reconstruire une expertise de zéro. C’est un défi immense qui rend l’expansion internationale beaucoup plus complexe.

Le véritable enjeu est donc de réaliser une auto-analyse honnête. Votre produit ou service répond-il à un besoin universel ou local ? Sa mise en œuvre dans un nouveau pays est-elle une simple adaptation ou une refonte complète ? Ignorer cette distinction, c’est foncer droit dans le mur. L’internationalisation ne doit pas être une case à cocher sur la feuille de route d’un start-upper. C’est une décision stratégique qui doit être alignée avec la nature profonde de votre entreprise et les ressources dont vous disposez. Une entreprise qui peut se développer à l’international doit le faire pour survivre et croître. Mais une entreprise qui n’est pas structurellement prête s’épuisera à vouloir le faire à tout prix.

Les fondations invisibles : Naviguer dans le labyrinthe légal et fiscal

Une fois la décision stratégique prise, on entre dans le dur. Et le ‘dur’ commence souvent par des aspects peu glamour mais absolument critiques : le légal et le fiscal. C’est une étape que beaucoup sous-estiment, pensant que tout se règlera en cours de route. C’est une erreur fondamentale. Avant même de signer votre premier client, vous devez faire vos devoirs. Chaque pays est un écosystème unique avec ses propres règles, et les ignorer peut transformer une belle opportunité en un cauchemar administratif et financier. Il est impératif d’être épaulé par des experts pour s’assurer qu’on ne lance pas des bouteilles à la mer.

L’écosystème réglementaire, votre premier partenaire (ou adversaire)

Le cadre légal peut affecter votre produit de manière surprenante. Dans ma société actuelle, nous avons un système de jeu promotionnel. Ce qui est une simple mécanique marketing en France prend une tout autre dimension dans d’autres pays. Je me souviens très bien du cas du Portugal :

‘Le Portugal ne l’empêche pas de le faire mais le taxe plus fortement parce que c’est considéré comme une forme de jeu de hasard et c’est fortement réglementé.’

Un détail ? Pas du tout. Cela impacte directement la rentabilité et la faisabilité de nos campagnes. De la même manière, l’environnement légal peut être un obstacle majeur, comme pour l’exemple de Doctrine. Le droit est protéiforme et ne tolère pas l’amateurisme. Il faut des spécialistes locaux, et cela prend du temps et coûte de l’argent. Ce travail d’analyse préalable est un investissement, pas une dépense. Il permet de cartographier les risques et d’adapter sa stratégie en conséquence, voire de renoncer à un marché si les contraintes sont trop fortes. C’est un filtre de réalité essentiel.

La fiscalité, le nerf de la guerre silencieuse

L’autre pilier invisible est la structure fiscale. On peut avoir un succès commercial retentissant dans un pays et se retrouver dans l’incapacité d’en récolter les fruits. L’exemple du Brésil est à ce titre une leçon que je n’ai jamais oubliée. C’est un marché immense et plein d’opportunités, mais sa complexité fiscale est redoutable. Chez Criteo, nous avons découvert à quel point il était difficile de rapatrier les fonds générés localement.

‘Au Brésil, il y a une structure fiscale qui rend très très très complexe la faculté de sortir des fonds du Brésil et du coup bah ça empêche pas du tout de se développer au Brésil, mais il faut le savoir parce que ça a des conséquences derrière.’

Ces ‘conséquences’ sont loin d’être anodines. Elles influencent votre trésorerie globale, votre capacité à réinvestir, et in fine, la valorisation de votre activité dans ce pays. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas aller au Brésil, mais qu’il faut y aller en connaissance de cause, avec une structure financière adaptée. Chaque pays a ses subtilités : règles de facturation, TVA, impôts sur les sociétés, conventions fiscales internationales… Il faut absolument s’appuyer sur des experts pour construire le bon schéma financier avant de commencer. C’est ce travail de l’ombre qui garantit que votre succès commercial se traduira par un succès financier pour l’ensemble du groupe.

Bâtir son commando : Partenaires internes et experts locaux

Le développement international n’est pas une aventure solitaire. Tenter de tout faire depuis son siège avec ses équipes historiques est une illusion. Mais à l’inverse, tout déléguer à des prestataires externes est tout aussi dangereux. La réussite réside dans un savant mélange, un équilibre subtil entre le contrôle interne et l’expertise locale. Il faut des chefs d’orchestre en interne et des solistes virtuoses sur le terrain. C’est la constitution de cette équipe hybride qui va déterminer votre capacité à vous adapter et à exécuter votre stratégie efficacement.

L’expertise interne : le gouvernail de votre expansion

Au fur et à mesure que votre entreprise grandit, il est crucial de développer une certaine expertise en interne sur les aspects financiers et légaux de l’international. Ces personnes ne sont pas censées connaître les lois de chaque pays par cœur, mais elles doivent être capables de piloter les experts externes, de poser les bonnes questions et de synthétiser les informations pour la direction. Elles sont les garantes de la cohérence de votre stratégie globale. Tout externaliser reviendrait à naviguer à l’aveugle, en espérant que vos partenaires externes soient non seulement compétents, mais aussi parfaitement alignés avec vos intérêts.

‘Tout outsourcer, je pense que c’est un peu difficile parce qu’après on perd un peu le contrôle. […] Tout parier sur le fait qu’on a des gens forcément experts en externe et forcément de bonne foi et de bonne volonté, c’est aussi illusoire.’

Avoir des coordinateurs en interne, comme c’était mon rôle, permet de centraliser les connaissances, de partager les bonnes pratiques entre les pays et de s’assurer que l’on ne réinvente pas la roue à chaque nouvelle ouverture. C’est un rôle de pivot, essentiel pour maintenir le cap et garantir que les décisions prises localement servent la vision globale de l’entreprise.

Les alliés locaux : vos yeux et vos oreilles sur le terrain

Cependant, l’expertise interne ne remplacera jamais la connaissance intime du terrain. Pour des marchés complexes et culturellement éloignés, s’appuyer sur des ressources locales n’est pas une option, c’est une obligation. Je me souviens de l’ouverture de la Chine. C’était un autre monde, avec des défis que nous n’aurions jamais pu anticiper depuis Paris. Il fallait déposer le nom de la marque en idéogrammes, imprimer les factures sur un papier officiel spécifique, naviguer dans des relations complexes avec le gouvernement… Tenter de faire cela seul aurait été suicidaire.

‘Ces trucs on peut pas enfin ça s’improvise pas. Donc on est obligé d’avoir des des ressources locales.’

Ces ressources locales ne sont pas de simples exécutants. Ce sont de véritables partenaires stratégiques. Un bon ‘country manager’ ou un cabinet d’avocats local vous apportera bien plus qu’une simple conformité administrative. Ils vous décrypteront les codes culturels, vous ouvriront leur réseau et vous aideront à adapter votre approche commerciale. Ils seront votre ‘traducteur culturel’, capable de vous dire : ‘Non mais ça, ça marche pas chez nous, ça tu peux pas le faire comme ça’. Sans ces alliés, vous risquez de commettre des impairs culturels qui peuvent ruiner votre réputation avant même d’avoir commencé.

Le test ultime : Votre produit est-il vraiment universel ?

Une fois le cadre légal et humain posé, vient la question à un million d’euros : est-ce que les gens vont acheter ? Comment savoir si votre produit, qui cartonne sur votre marché domestique, va rencontrer le même succès au Japon, en Espagne ou au Brésil ? Le ‘feeling’ ne suffit pas. Il faut une approche structurée pour sonder le marché, mêlant analyse de données et immersion culturelle. Il s’agit de confronter l’universalité supposée de votre produit à la réalité des comportements locaux. Et les surprises sont souvent au rendez-vous.

De l’intuition aux données : comment sonder un nouveau marché ?

On ne part jamais de zéro. L’approche est celle d’un entonnoir : on commence par des indicateurs macro-économiques pour descendre progressivement vers des détails plus fins. Quelle est la taille du marché potentiel, par exemple celui de l’e-commerce dans le pays cible ? Qui sont les acteurs locaux et internationaux déjà présents ? Quels sont leurs points forts, leurs faiblesses ? Est-ce qu’un acteur similaire au vôtre, mais dans un secteur différent, a réussi à s’implanter ? Analyser leur parcours, leurs succès et leurs échecs, fournit des indices précieux sur la maturité du marché et les attentes des consommateurs. Cette première phase de ‘débroussaillage’ permet de qualifier l’opportunité et d’éviter de se lancer sur un marché saturé ou inadapté.

L’épreuve du feu : l’indispensable adaptation culturelle

Mais les données macro ne disent pas tout. Rien ne remplace l’expertise locale et l’expérience terrain. C’est là qu’un premier recrutement local devient absolument clé. Cette personne sera votre décodeur culturel. Je l’ai vécu de manière frappante en Asie. Prenez la Corée du Sud. Sur le papier, un pays avec un PIB proche de la France, hyper-connecté, très consommateur. On pourrait penser que le déploiement serait similaire. Grosse erreur. L’écosystème digital coréen est un monde à part.

‘Google c’est pas du tout gros là-bas, ils ont leurs acteurs locaux. Naver c’est énorme. Ils ont pas WhatsApp, ils ont Line et ça cartonne. […] C’est débile mais tant que tu es pas allé, tu le sais pas.’

Cette réalité change tout. Votre stratégie d’acquisition client, vos partenariats, vos outils de communication… tout doit être repensé. Si vous arrivez en Corée en basant votre stratégie sur Google Ads, vous allez droit à l’échec. C’est cette compréhension fine des usages locaux qui fait la différence entre une implantation réussie et un échec coûteux. Il faut donc être humble, écouter ses experts locaux et ne jamais présumer que ce qui fonctionne ailleurs fonctionnera à l’identique. Chaque marché est une nouvelle partie qui commence, et il faut réapprendre à jouer selon les règles locales.

Le jour J : Stratégies de lancement et mesure du succès

Le moment est venu de se lancer. Mais comment ? Faut-il ouvrir un bureau en grande pompe dès le premier jour ou commencer plus modestement ? Comment trouver la perle rare qui dirigera les opérations locales ? Et surtout, comment savoir si l’on est sur la bonne voie ? Le lancement et le suivi de la performance d’un nouveau marché sont des étapes cruciales qui demandent une stratégie claire et des indicateurs de succès pertinents. Il n’y a pas d’approche unique, mais des principes directeurs permettent de maximiser ses chances de réussite.

L’approche progressive vs. le grand saut

La stratégie de lancement dépend énormément de la distance, à la fois géographique et culturelle. Pour des marchés proches comme l’Espagne ou l’Italie, une approche progressive est souvent la plus sage. Chez Criteo, nous avons commencé par dédier des personnes basées à Paris à ces marchés. Cela permet de tester l’attraction commerciale sans engager les coûts et la complexité liés à la création d’une structure locale (dépôt de statuts, location de bureaux…). C’est une manière ‘safe’ de démarrer, qui fonctionne très bien lorsque les déplacements sont faciles et les cultures relativement proches. On n’ouvre un bureau physique que lorsque la traction commerciale est avérée et qu’une présence locale devient indispensable pour accélérer.

En revanche, pour un continent comme l’Asie, cette approche est impossible. Le décalage horaire, la complexité culturelle et les besoins techniques (comme avoir un serveur de données local) imposent une présence sur place dès le départ. Dans ce cas, le recrutement de la première personne, le ‘Managing Director’ (MD) local, est l’étape la plus critique. Ce n’est pas à vous de déposer les statuts ou de trouver les premiers clients depuis Paris. C’est le rôle de ce MD. Il ou elle apportera sa connaissance du marché, son réseau et son expertise pour bâtir l’activité de zéro. On le trouve via des cabinets de recrutement spécialisés, son réseau, ou parfois par des opportunités, comme des candidatures spontanées de profils de haut niveau qui ont entendu parler de votre entreprise.

Définir la victoire : au-delà du chiffre d’affaires

Comment mesurer le succès ? La croissance rapide est un bon signe, mais elle n’est pas suffisante. Un nouveau marché doit normalement croître plus vite que votre marché d’origine, car vous bénéficiez de l’expérience acquise et d’un modèle déjà éprouvé. Mais le véritable indicateur, pour moi, est le taux de pénétration du marché.

‘Je pense que c’est surtout ça, il faut mesurer le succès, c’est ton taux de pénétration par rapport à ton pays d’origine. […] Si tu pars du principe que la France marchait bien et que tu étais déjà plus ou moins arrivé à une certaine maturité, est-ce que tu arrives au même [taux de pénétration] sur ces autres pays là ?’

Cet indicateur est bien plus puissant que le simple chiffre d’affaires. Il vous dit si vous parvenez à capter une part de marché aussi significative que dans votre pays historique. Si, après plusieurs années, votre taux de pénétration sur un marché à fort potentiel reste faible, c’est qu’il y a un problème de fond. Est-ce un sujet de concurrence, de produit, d’équipe ? C’est ce benchmark qui doit guider vos décisions : faut-il investir davantage, pivoter, ou se concentrer sur des pays où la traction est plus forte ? Il vous aide à allouer vos ressources de manière rationnelle et à ne pas vous obstiner sur un marché qui ne décolle pas.

Grandir sans se perdre : Le défi de la culture d’entreprise

Ouvrir des bureaux aux quatre coins du monde est une chose. Le faire en conservant une identité, une vision et une culture communes en est une autre. C’est peut-être le défi le plus complexe de l’hyper-croissance internationale. Sans un effort conscient pour maintenir la cohésion, l’entreprise risque de se transformer en une fédération de PME locales, chacune avec ses propres pratiques, son propre discours, et finalement, sa propre version du produit. Le risque est la dilution, puis la fragmentation. Pour éviter cela, il faut mettre en place des structures et des rituels qui agissent comme le ciment de l’organisation.

L’équipe centrale, gardienne du temple et chef d’orchestre

Une des solutions, lorsque l’entreprise atteint une taille critique, est de créer une équipe centrale. C’est le rôle que j’occupais. Cette équipe a une particularité : elle n’appartient à aucune région (Amériques, APAC, EMEA). Sa mission est transversale : harmoniser. Harmoniser les bonnes pratiques, le déploiement des nouveaux produits, le discours commercial. Mais son rôle n’est pas de dicter sa loi depuis une tour d’ivoire. Au contraire, elle doit avoir des représentants dans chaque région pour être au contact du terrain, écouter les besoins locaux et les remonter de manière structurée aux équipes produit et R&D. Son but est de s’assurer que lorsqu’on développe une nouvelle fonctionnalité, elle ne répond pas seulement au besoin d’un seul pays, mais qu’elle a une portée globale.

‘Notre job nous en équipe centrale était d’un petit peu de s’assurer que quand on allait développer un truc, c’était pas juste pour les US par exemple, mais […] est-ce qu’elle répond pas à tous les besoins finalement ?’

Cette équipe agit comme un gardien du temple. Elle s’assure que tout le monde vend bien le même produit, avec le même niveau de connaissance. Elle est essentielle pour le partage de l’information et la formation continue dans une organisation qui grandit très vite. C’est un investissement nécessaire pour éviter que chaque pays ne réinvente sa propre stratégie, ce qui serait inefficace et chaotique.

L’équilibre fragile entre standardisation et adaptation locale

Le plus grand combat d’une équipe centrale est de lutter contre le fameux ‘oui, mais nous, c’est différent’. Chaque pays a tendance à penser que son marché est unique et que les solutions globales ne s’appliquent pas. Il y a une part de vérité, bien sûr, notamment dans l’approche commerciale et culturelle. Mais le produit, lui, doit rester le même pour tout le monde. C’est une question d’efficacité pour la R&D. On ne peut pas avoir dix versions différentes d’un même moteur. J’utilisais souvent une analogie pour faire passer ce message :

‘Je t’arrête tout de suite. Toi tu as un iPhone. Bah regarde, moi j’ai le même. Et ben il marche pareil en France aux US au Japon. Donc j’ai pas pourquoi nous on n’arrivait pas à faire la même chose. […] Que tu le vendes différemment en terme de pitch, OK, mais le produit est le même.’

La clé est là : distinguer l’adaptation nécessaire (le pitch, la relation client) de la standardisation indispensable (le produit). Une structure centrale bien conçue, avec une présence dans les marchés, aide à maintenir cet équilibre. Elle rationalise, harmonise, mais écoute aussi. C’est ce dialogue constant entre le global et le local qui permet à l’entreprise de grandir de manière cohérente, en capitalisant sur sa force collective tout en respectant les spécificités de chaque marché.

Conclusion : L’humilité comme meilleur atout à l’international

Au terme de ce parcours, s’il y a bien une leçon à retenir, c’est celle de l’humilité. Le développement international est une aventure exaltante, mais elle punit sévèrement l’arrogance. Il ne faut pas partir à l’étranger pour le prestige, pour pouvoir dire ‘je suis présent sur trois continents’. Il faut y aller avec une stratégie claire, des fondations solides et une conscience aiguë des défis qui nous attendent. Mon dernier conseil, et peut-être le plus important, est de se méfier des sirènes des marchés les plus médiatisés, en particulier les États-Unis.

Toutes les startups rêvent d’aller aux US, c’est le Graal. Mais c’est aussi un cimetière d’entreprises européennes qui y ont brûlé toutes leurs liquidités. C’est un marché incroyablement cher, compétitif, et où, en tant que Français, personne ne nous attend. Il faut être réaliste : nous sommes souvent perçus comme venant du ‘tiers-monde’ des affaires. Réussir là-bas demande un temps fou, des investissements colossaux et une résilience à toute épreuve. Il ne faut pas y aller à la légère en pensant que le ‘rêve américain’ s’offrira à vous.

‘C’est là qu’on risque de se brûler les ailes parce que ça coûte très cher que quand on est français, il faut être humble parce que quand on arrive aux US, vu des US, on est le tiers monde.’

Alors, avant de viser la lune, assurez-vous de maîtriser votre voisinage. Une expansion réussie en Europe, gérée intelligemment, peut vous donner le matelas financier et l’expérience nécessaires pour aborder des marchés plus complexes. L’internationalisation est un marathon, pas un sprint. Faites-le de manière raisonnée et raisonnable. Le but n’est pas de planter des drapeaux partout, mais de construire une croissance durable, rentable, et qui ne met pas en péril le cœur de votre réacteur. C’est en avançant pas à pas, avec préparation et humilité, que l’on finit par conquérir le monde.


Questions fréquentes sur le développement international

1. Le développement international est-il obligatoire pour une startup tech ?

Non, ce n’est absolument pas une obligation universelle. La pertinence de s’internationaliser dépend avant tout de la nature de votre business model. Si votre produit est facilement réplicable à l’international avec peu de friction, comme c’est souvent le cas pour les logiciels ou les plateformes en ligne, alors ne pas le faire serait une occasion manquée et un risque concurrentiel. Cela vous permet d’occuper le terrain rapidement. En revanche, si votre service nécessite une adaptation profonde aux spécificités locales (légales, culturelles) ou une forte présence physique, il est plus sage de consolider d’abord votre marché domestique avant d’envisager une expansion coûteuse et complexe.

‘Il y a pas de recette magique et il y a pas de schéma réplicable et applicable à toutes les boîtes, je pense que chaque boîte est différente. En revanche, dans les industries dans laquelle on est en l’occurrence qui est la tech […] ça aurait été dommage de pas le faire.’

2. Quels sont les premiers pièges légaux et fiscaux à éviter à l’étranger ?

Les deux pièges majeurs sont de sous-estimer la complexité locale et de croire que les règles sont les mêmes partout. D’un point de vue légal, la définition même de votre produit peut changer, comme un jeu promotionnel requalifié en jeu de hasard et donc lourdement taxé. D’un point de vue fiscal, le piège le plus critique est la structure mise en place pour la remontée des fonds. Certains pays, comme le Brésil, ont des règles très strictes qui peuvent rendre extrêmement complexe le rapatriement des bénéfices vers la maison mère. Il est donc impératif, avant de se lancer, de mandater des experts locaux pour réaliser un audit complet et s’assurer que la structure choisie est viable et optimisée.

‘Typiquement au Brésil, il y a une structure fiscale qui rend très très très complexe la faculté de sortir des fonds du Brésil et du coup bah ça empêche pas du tout de se développer au Brésil, mais il faut le savoir parce que ça a des conséquences derrière.’

3. Faut-il recruter une équipe locale ou gérer l’expansion à distance ?

La réponse dépend de la proximité du marché. Pour des pays limitrophes avec une culture proche (par exemple, la France lançant l’Espagne ou l’Italie), il est tout à fait possible et même recommandé de commencer avec une équipe basée au siège qui gère le marché à distance. C’est une approche moins coûteuse et plus flexible pour tester le marché. En revanche, pour des marchés lointains et culturellement différents (comme l’Asie ou l’Amérique), une présence locale est indispensable dès le départ. Vous avez besoin d’un expert local, un ‘country manager’, qui maîtrise les codes culturels, le réseau d’affaires et les spécificités de l’écosystème local.

‘Quand tu changes complètement de continent, c’est pas possible. […] Tu es obligé de t’appuyer au moins sur un expert local. Quand on a ouvert des pays, moi j’ai pas mal travaillé avec l’Asie notamment, je ne parle aucune langue asiatique, donc clairement, c’est pas moi qui vais faire le truc toute seule.’

4. Comment s’assurer que son produit correspond à la culture d’un nouveau pays ?

Il faut combiner analyse de données et expertise humaine. Commencez par une étude macro : taille du marché, concurrence, comportements d’achat. Mais cela ne suffit pas. L’étape cruciale est de s’appuyer sur un relais local, que ce soit votre premier employé ou un consultant. Cette personne sera votre décodeur culturel. Elle vous alertera sur des spécificités que vous ne pouvez pas deviner, comme le fait qu’en Corée du Sud, l’écosystème digital est dominé par des acteurs locaux comme Naver et Line, et non par Google ou WhatsApp. Ignorer ces réalités, c’est garantir l’échec. Il faut rester humble et prêt à adapter son approche, car même les marchés qui semblent similaires en surface peuvent être radicalement différents dans leurs usages.

‘La Corée c’est un pays qui a plus ou moins le PIB de la France. Donc on pourrait penser que c’est assez similaire. […] C’est un pays assez atypique dans notre business bah parce que Google c’est pas du tout gros là-bas, ils ont leurs acteurs locaux. […] Tant que tu es pas allé, tu le sais pas.’

5. Quelle est la meilleure stratégie pour obtenir ses premiers clients sur un nouveau marché ?

La stratégie la plus efficace et la plus sécurisante est de s’appuyer sur vos clients existants. Si vous avez des clients grands comptes qui sont déjà présents dans les pays que vous ciblez, proposez-leur de lancer une campagne ou un pilote avec vous sur ce nouveau territoire. Cette approche a un double avantage. Premièrement, vous générez des revenus dès le premier jour, ce qui réduit le risque financier. Deuxièmement, et c’est peut-être le plus important, vous obtenez immédiatement des références locales et des cas clients à présenter. Arriver chez un prospect en disant ‘Regardez, ça tourne déjà chez vous, dans votre langue, avec tel acteur connu’ change complètement la donne et rassure énormément.

‘Dans l’idéal, tu le fais avec des clients que tu as déjà. […] Ça te permet avant même de se lancer dans le développement beaucoup plus large de voir est-ce qu’on a les mêmes taux de clics, les mêmes taux de conversion. […] Ça change tout quand tu vas avoir un client et que tu lui dis ‘Regardez, ça tourne déjà chez vous’.

6. Comment mesure-t-on réellement le succès d’une implantation à l’international ?

Le chiffre d’affaires et la croissance sont des indicateurs importants, mais ils peuvent être trompeurs. Le véritable indicateur de succès à long terme est le taux de pénétration du marché, comparé à celui que vous avez atteint sur votre marché d’origine. Si votre marché domestique est mature avec un taux de pénétration élevé, l’objectif est de répliquer ce niveau de domination sur les nouveaux marchés. Si vous constatez qu’après un certain temps, malgré une croissance en valeur absolue, votre part de marché reste marginale, c’est un signal d’alarme. Cet indicateur vous force à analyser les freins structurels et à prendre des décisions stratégiques : réinvestir, changer d’approche ou se désengager.

‘Est-ce qu’on arrive au même taux de pénétration, je dirais. […] Si tu pars du principe que la France marchait bien et que tu étais déjà […] arrivé à une certaine maturité […], est-ce que tu arrives au même sur ces autres pays là ? […] Le bon benchmark à regarder, c’est le taux de pénétration du marché.’

7. Comment préserver une culture d’entreprise forte avec des bureaux partout dans le monde ?

C’est un défi majeur qui demande des efforts proactifs. Une solution efficace est de créer une équipe ‘centrale’ qui n’est rattachée à aucune région spécifique. Le rôle de cette équipe est d’être le gardien de la cohérence globale. Elle harmonise les discours commerciaux, les processus de déploiement produit et les meilleures pratiques. Surtout, elle assure un flux de communication à double sens : diffuser la vision globale vers les régions et faire remonter les besoins locaux vers le siège. Cela évite que chaque pays ne développe sa propre culture et sa propre version de l’entreprise. Il faut trouver un équilibre entre une standardisation du produit et l’adaptation du discours aux marchés locaux.

‘Je pense qu’il faut qu’il y ait quand même des personnes qui ne soient pas drivées uniquement par rentrer du chiffre mais qui a une vraie volonté d’harmonisation, sinon tu te retrouves vite avec chaque pays qui vend son truc. Et en fait le problème c’est que […] quand tu as qu’une équipe R&D, bah ça marche pas.’

8. Pourquoi le marché américain est-il si difficile à conquérir pour une entreprise européenne ?

Parce que c’est un marché qui combine plusieurs difficultés extrêmes. Premièrement, il est immensément cher, que ce soit en termes de salaires, de marketing ou de frais juridiques. Deuxièmement, la compétition y est féroce et les acteurs locaux sont très bien financés. Troisièmement, il y a un biais culturel : en tant qu’entreprise française, vous partez avec un déficit de crédibilité. Personne ne vous attend, et il faut faire ses preuves de manière encore plus éclatante. Enfin, c’est un pays-continent qui exige une présence dans plusieurs hubs (côte Est, côte Ouest, etc.), ce qui multiplie les coûts. Y aller sans des ressources financières très solides et une grande humilité est le meilleur moyen de ‘se brûler les ailes’ et de mettre en péril toute l’entreprise.

‘Ça coûte une fortune les US, faut le savoir. […] Il faut pas y aller à la légère en se disant je vais aller réussir aux US parce que c’est l’American Dream, parce que c’est là on risque de se casser […] les ailes. […] Quand on est français, il faut être humble parce que quand on arrive aux US, vu des US, on est le tiers monde.’


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