L’Afrique, prochain pilier de l’innovation technologique : mythe ou réalité imminente ?
Oubliez tout ce que vous pensiez savoir sur l’Afrique. Loin des images d’Épinal et des récits réducteurs, un géant silencieux s’éveille, animé par le code, la fibre optique et une ambition dévorante. Ce géant, c’est l’écosystème technologique africain, un continent en pleine ébullition qui ne se contente plus de suivre les tendances mondiales, mais qui commence à les dicter. La question n’est plus de savoir si l’Afrique participera à la révolution numérique, mais bien quand elle en deviendra un leader incontesté. C’est ce que je vis au quotidien en tant que co-fondateur de The Guild, une plateforme qui connecte les meilleurs développeurs africains à des startups européennes. Chaque jour, je suis le témoin privilégié de cette transformation profonde.
Dans cette discussion, nous allons plonger au cœur de ce réacteur d’innovations. Nous explorerons comment des solutions nées de contraintes locales, comme le Mobile Money, ont fini par impacter plus d’un milliard de personnes. Nous verrons pourquoi le secteur de la Fintech est devenu le fer de lance de cette révolution, créant des licornes et répondant à un besoin fondamental : l’inclusion financière. Au-delà des entreprises, nous dresserons le portrait de ceux qui bâtissent ce futur : les talents. Qu’ils soient des autodidactes surdoués contribuant à des projets mondiaux comme Mozilla Firefox depuis leur chambre, des diplômés d’écoles prestigieuses qui rentrent au pays pour entreprendre, ou des juniors talentueux formés au sein des pépites locales.
Ce voyage nous amènera à questionner nos propres biais. Comment recruter quand le diplôme ne fait plus foi ? Comment collaborer efficacement à des milliers de kilomètres de distance ? Et surtout, pour les investisseurs et les entrepreneurs, quelle est cette opportunité massive que représente un marché de plus d’un milliard de personnes, encore largement inexploité ? Comme je l’expliquais lors de mon passage sur le podcast Banouz, ‘il y a beaucoup de choses qui ne sont pas faites en Afrique. Ici en Europe, beaucoup de secteurs sont saturés’. C’est précisément dans cet espace, ce ‘marché vierge’, que se niche la plus grande opportunité de croissance technologique de la prochaine décennie. Préparez-vous à découvrir un continent qui ne demande plus la permission pour innover, mais qui prend simplement sa place sur la scène mondiale.
L’Afrique, bien plus qu’un vivier de talents : un berceau d’innovations de rupture
Lorsqu’on évoque la technologie en Afrique, l’image qui vient souvent à l’esprit est celle d’un ‘vivier de talents’, un réservoir de main-d’œuvre qualifiée pour les nations développées. Si cette réalité existe, elle est profondément réductrice. L’Afrique n’est pas un simple fournisseur de compétences, c’est un créateur, un innovateur dont les solutions, nées de contextes uniques, ont une portée mondiale. Le continent a démontré à plusieurs reprises sa capacité à ‘leapfrog’, c’est-à-dire à sauter des étapes technologiques pour adopter directement des solutions plus avancées et mieux adaptées à ses réalités. Cette capacité à transformer une contrainte en opportunité est la véritable signature de l’innovation africaine.
Ce pragmatisme a donné naissance à des concepts qui ont redéfini des industries entières, bien au-delà des frontières africaines. Il ne s’agit pas de copier des modèles existants, mais de créer des paradigmes entièrement nouveaux parce que les anciens n’étaient tout simplement pas applicables. C’est une leçon d’agilité et d’ingéniosité qui force le respect et qui devrait inspirer de nombreux entrepreneurs occidentaux. L’innovation africaine est inclusive par nature, car elle cherche à résoudre des problèmes qui touchent une large partie de la population souvent exclue des systèmes traditionnels. C’est là que réside sa puissance : elle est utile, accessible et scalable.
Le Mobile Money : la révolution financière née au Kenya
L’exemple le plus emblématique de cette capacité d’innovation est sans conteste le Mobile Money. Pour comprendre sa puissance, il faut se replonger dans le contexte des années 2000. Comme je le rappelais, ‘il n’y a pas beaucoup de gens qui étaient bancarisés avant en Afrique’. Dans un continent où l’accès à une agence bancaire physique était un luxe et où une grande partie de la population n’avait pas de compte en banque, la nécessité d’échanger de l’argent de manière simple et sécurisée était criante. C’est de ce besoin qu’est né M-Pesa au Kenya, une solution qui permettait d’envoyer et de recevoir de l’argent via un simple téléphone portable, sans même avoir besoin d’un smartphone ou d’une connexion internet. C’était révolutionnaire.
Le Mobile Money a permis à des millions de personnes d’accéder pour la première fois à des services financiers de base. Payer ses factures, recevoir son salaire, envoyer de l’argent à sa famille dans un village reculé… tout devenait possible avec un simple SMS. Aujourd’hui, cette technologie africaine est utilisée par plus d’un milliard de personnes dans le monde. C’est la preuve tangible que l’Afrique peut concevoir, développer et exporter des solutions technologiques de classe mondiale. Cette innovation a non seulement créé un écosystème entier (agents de transfert, services additionnels, etc.), mais elle a surtout pavé la voie à la vague suivante : la Fintech.
Au-delà de la finance : micro-crédit et solutions locales
L’esprit du Mobile Money a infusé d’autres secteurs. Le micro-crédit, par exemple, a été transformé par la technologie. Historiquement complexe à mettre en place, le prêt de petites sommes d’argent est devenu accessible grâce à des applications mobiles qui analysent des données alternatives pour évaluer la solvabilité d’une personne n’ayant aucun historique bancaire. On ‘fait des prêts de petits montants à des personnes qui n’ont pas forcément accès à un compte bancaire’. Cela permet à des petits commerçants, des artisans ou des agriculteurs de financer leur activité, de créer de la richesse et de sortir de la précarité. C’est un impact direct, mesurable, sur l’économie réelle.
Cette vague d’innovation ne se limite pas à la finance. On voit émerger des solutions dans l’agritech pour aider les agriculteurs à optimiser leurs récoltes, dans l’e-santé pour connecter les patients des zones rurales à des médecins, ou encore dans l’edtech pour pallier les manques du système éducatif. Le point commun de toutes ces initiatives est qu’elles répondent à un problème local avec une solution pensée pour le contexte africain, souvent basée sur le mobile, qui est l’outil numérique le plus répandu sur le continent. C’est cette pertinence qui assure leur succès et leur adoption massive.
Le boom de la Fintech : pourquoi l’Afrique réinvente les services financiers
Si l’innovation technologique africaine est un feu qui se propage, la Fintech en est sans aucun doute le principal foyer. Ce n’est pas un hasard. La finance est le système nerveux de toute économie, et pendant des décennies, celui de nombreux pays africains était sous-développé et exclusif. L’opportunité de construire un nouveau système, plus agile, plus inclusif et nativement numérique, était immense. Les entrepreneurs africains s’y sont engouffrés avec une énergie et une créativité spectaculaires, donnant naissance à un écosystème qui est aujourd’hui le plus dynamique et le mieux financé du continent.
Ce dynamisme s’explique par une équation simple : un problème massif (le manque d’accès aux services financiers) rencontre une solution technologique puissante (le mobile). Le résultat est une explosion de startups qui réinventent tout : le paiement, le crédit, l’assurance, l’épargne. Comme je le souligne, ‘quand on prend les 10 premières licornes, 5 licornes en Afrique, on verra que quatre ou trois sont des Fintech’. Ce chiffre est révélateur. Il montre que la création de valeur la plus importante se concentre aujourd’hui dans ce secteur, car c’est là que l’impact sur la vie quotidienne des gens est le plus fort.
Un taux de bancarisation qui explose, porté par la tech
Les chiffres parlent d’eux-mêmes et illustrent cette transformation radicale. J’ai cité une statistique de la Banque mondiale qui est absolument parlante : ‘en 2012, il y avait seulement 21% de la population en Afrique subsaharienne qui était bancarisée. Et en 2021, ils ont fait un update et les gens, fois deux, 55%’. Passer de 21% à 55% en moins de dix ans est une prouesse qui aurait été impossible avec un modèle bancaire traditionnel. C’est la Fintech, avec ses applications mobiles légères et ses processus d’inscription simplifiés, qui a permis cette inclusion financière à grande échelle.
Cette croissance n’est pas terminée, loin de là. 55% signifie qu’il y a encore près de la moitié de la population à connecter aux services financiers formels. C’est une marge de progression colossale qui continue d’attirer entrepreneurs et investisseurs. Chaque personne nouvellement ‘bancarisée’ via une application Fintech devient un client potentiel pour une myriade d’autres services : assurance, investissement, crédit à la consommation, etc. L’effet d’entraînement est énorme et c’est ce qui alimente la croissance continue du secteur.
Flutterwave, Wave : radiographie des licornes qui inspirent une génération
Le succès de la Fintech africaine n’est pas qu’une affaire de statistiques, il s’incarne dans des entreprises devenues des symboles de réussite. Je mentionne des noms comme ‘Flutterwave’ ou ‘Wave’, qui sont devenues des licornes, c’est-à-dire des entreprises valorisées à plus d’un milliard de dollars. Ces sociétés ne sont pas de simples copies de modèles occidentaux. Flutterwave, par exemple, a construit une infrastructure de paiement qui unifie le système fragmenté des paiements à travers tout le continent, permettant à une entreprise au Nigeria de recevoir facilement un paiement d’un client au Kenya, ce qui était un casse-tête auparavant.
Ces réussites ont un impact qui va bien au-delà de leur propre activité. Elles prouvent à toute une génération de jeunes Africains qu’il est possible de créer une entreprise technologique de classe mondiale depuis l’Afrique. Elles attirent les investissements internationaux, créent des emplois hautement qualifiés et, surtout, elles forment les talents. Un développeur qui a travaillé chez Flutterwave pendant ses premières années de croissance explosive acquiert une expérience inestimable. Comme je l’explique, ‘ces entreprises ont besoin de talent. Donc du coup, ils élèvent le niveau de la population locale face aux challenges techniques qu’ils ont’. Ces entreprises sont de véritables écoles qui façonnent l’élite tech de demain.
Portrait-robot du talent tech africain : qui sont ces développeurs qui changent la donne ?
Derrière chaque innovation, chaque licorne et chaque ligne de code, il y a des êtres humains. L’un des plus grands atouts de l’Afrique, et peut-être le plus sous-estimé, est son capital humain. Le continent possède la population la plus jeune du monde, une jeunesse avide d’opportunités, connectée et de plus en plus formée aux métiers de la tech. Cependant, le profil type du développeur africain est loin d’être monolithique. C’est une mosaïque de parcours, d’expériences et de compétences qui, ensemble, forment une force de frappe technologique redoutable. Comprendre cette diversité est essentiel pour quiconque souhaite travailler avec ou recruter ces talents.
L’accès à la connaissance a été bouleversé. Il y a dix ans, apprendre à coder en Afrique relevait du parcours du combattant, avec des connexions internet lentes et un accès limité aux ressources. Aujourd’hui, la situation a radicalement changé. ‘Là maintenant avec Starlink et tout, Elon Musk, il y a des connexions qui sont aussi bonnes que n’importe où dans le monde.’ Cette révolution de l’accès à l’information a ouvert les portes du savoir à des millions de jeunes, leur permettant de se former aux dernières technologies au même rythme que leurs homologues de la Silicon Valley ou de Paris.
Les autodidactes : la soif d’apprendre comme moteur
La première catégorie de talents, et peut-être la plus impressionnante, est celle des autodidactes. Ce sont des jeunes qui, souvent sans moyens et en dehors de tout cadre académique formel, ont appris à coder par pure passion et détermination. Ils incarnent la ‘dalle’, cette faim de réussir que j’évoque souvent. Nous tombons ‘sur des gens extraordinaires tous les jours qui sont autonomes’. C’est un état d’esprit. Ces développeurs ne se contentent pas d’apprendre, ils deviennent proactifs et cherchent à se mesurer aux meilleurs du monde.
L’anecdote de ce développeur qui a ‘contribué du code source à Mozilla Firefox’ depuis l’Afrique est révélatrice. On se demande ‘mais comment il a fait ça ?’. Il l’a fait avec une bonne connexion internet, une discipline de fer et une volonté de prouver que le talent n’a pas de frontières. Ces profils sont souvent incroyablement résilients et d’excellents ‘problem solvers’, car ils ont dû surmonter de nombreux obstacles pour arriver là où ils sont. Ils sont la preuve vivante que dans la tech, la compétence prime sur tout le reste.
Des formations locales de plus en plus pointues : la Silicon Mountain comme exemple
Parallèlement à l’auto-formation, l’écosystème éducatif formel se structure et monte en gamme. Des écoles internationales prestigieuses ouvrent des campus, comme ‘Épitech au Bénin’. Ayant moi-même fait Épitech en France, j’ai été surpris par le niveau des étudiants béninois : ‘ils étaient bons, ils étaient super bons comparés à d’autres que j’ai vu ailleurs’. Ces initiatives tirent tout le système vers le haut en fixant de nouveaux standards d’excellence.
Mais l’innovation éducative vient aussi du terrain. Des universités locales et des initiatives privées créent des pôles de compétence remarquables. Je cite l’exemple de l’Université de Buea au Cameroun, ma région d’origine, qui a donné naissance à un véritable écosystème surnommé la ‘Silicon Mountain’, en référence à la Silicon Valley. ‘Il y avait une vraie volonté de former en se basant sur des programmes qu’on a aux États-Unis’. Cela montre qu’il y a une prise de conscience locale de la nécessité de proposer des cursus adaptés aux besoins du marché mondial. Cependant, il faut rester vigilant face aux ‘mauvaises écoles’ qui capitalisent sur la hype sans délivrer une formation de qualité.
Le retour des cerveaux : ces talents formés à l’étranger qui bâtissent l’écosystème
Enfin, une troisième catégorie de talents joue un rôle crucial : la diaspora. Ce sont ces Africains qui ‘vont à l’étranger bosser pour des boîtes et ils se forment là, ils sont super bons’. Après avoir acquis une expérience de plusieurs années dans les meilleures entreprises technologiques en Europe ou aux États-Unis, beaucoup ressentent l’appel du retour. Ils ne rentrent pas seulement avec des compétences techniques, mais aussi avec une connaissance des standards internationaux, un réseau et souvent des capitaux. ‘Très souvent, ils décident de rentrer en Afrique pour créer des entreprises, des start-ups’. Ces ‘repatriés’ sont de puissants accélérateurs pour l’écosystème. Ils deviennent des fondateurs, des mentors, des investisseurs et contribuent à connecter l’écosystème local au reste du monde.
Recruter en Afrique : comment dépasser les préjugés et miser sur la compétence pure
La reconnaissance du potentiel technologique de l’Afrique et de la qualité de ses développeurs est une chose. Traduire cette reconnaissance en actions concrètes de recrutement en est une autre. Pour une startup européenne, l’idée de collaborer avec un développeur basé à Lagos, Dakar ou Yaoundé peut sembler complexe, voire risquée. Les barrières culturelles, la distance, les doutes sur la fiabilité ou le niveau de compétence réel sont des freins psychologiques importants. Pourtant, surmonter ces appréhensions peut débloquer un avantage compétitif majeur : l’accès à un pool de talents exceptionnels, motivés et souvent plus fidèles que sur le marché surchauffé de Paris ou Berlin.
Le secret réside dans un changement radical de mentalité. Il faut abandonner les réflexes de recrutement traditionnels, basés sur le prestige du diplôme ou la linéarité du parcours, pour adopter une approche purement méritocratique. Dans le monde du développement logiciel, la seule vérité est celle du code. Une ligne de code élégante et fonctionnelle écrite au Cameroun a exactement la même valeur qu’une ligne de code écrite en Californie. C’est cette philosophie qui doit guider le processus de sélection et de collaboration.
Le test technique : le seul juge de paix
Comment évaluer un talent qui ne correspond à aucun de nos schémas habituels ? La réponse est simple : le mettre à l’épreuve. ‘Dans le domaine de la tech, on a la chance d’avoir des entreprises qui se focusent sur les compétences. Ils ne sont pas trop en recherche de quel diplôme tu as. C’est plus des tests techniques qu’ils font passer’. Face à un candidat autodidacte sans diplôme ronflant, l’objection est naturelle. Notre approche est de dire au client : ‘Testez-le, testez-le, voyez à quel point il est bon’.
J’ai en tête le cas d’un développeur exceptionnel, sans profil LinkedIn ni compte GitHub visible. Sur le papier, sa candidature aurait été immédiatement rejetée par 99% des recruteurs. ‘Au début, on ne voulait pas lui parler, on était en mode mais il n’a pas l’air sérieux’. Pourtant, après discussion et tests, il s’est avéré qu’il avait travaillé pour de grandes entreprises aux États-Unis et en France. Son secret ? ‘Il passait juste les tests techniques. Aussi simple que ça’. C’est la démonstration ultime que les compétences doivent être le seul critère. Un test technique bien conçu – un cas réel, un défi algorithmique – est un juge de paix impartial qui révèle la véritable capacité d’un développeur, bien plus sûrement qu’un CV.
Le défi de la communication à distance : une éducation à double sens
Une fois le talent recruté, le plus grand défi n’est pas technique, mais humain. C’est la communication. ‘Le plus gros problème dans ça, c’est la communication. Les dev en général ne sont pas des animaux sociaux’. Ce stéréotype est souvent vrai, et la distance ne fait qu’amplifier le problème. Un malentendu qui se résoudrait en 30 secondes à la machine à café peut devenir une source de friction majeure lorsqu’il est géré par écrit à travers plusieurs fuseaux horaires.
La solution n’est pas de blâmer l’une ou l’autre partie, mais de mettre en place un cadre de travail structuré. C’est pourquoi nous faisons ‘un vrai travail d’éducation, du côté du dev mais aussi de l’entreprise’. Nous fournissons un ‘playbook’ avec des processus clairs : des points quotidiens (stand-ups) obligatoires, des comptes-rendus écrits, des outils de communication adaptés. Il faut éduquer le développeur à surcommuniquer, à ne jamais rester bloqué seul, à poser des questions. Mais il faut aussi éduquer l’entreprise cliente à faire confiance, à définir des tâches claires, à être disponible et à intégrer pleinement le développeur distant dans l’équipe, même s’il n’est pas dans le même bureau. C’est un effort partagé qui, lorsqu’il est bien mené, mène à une collaboration extraordinairement efficace.
L’appel aux investisseurs : pourquoi l’Afrique est le nouvel eldorado de la tech
Le carburant de toute révolution technologique, c’est le capital. Les talents et les idées, aussi brillants soient-ils, ont besoin de financements pour se transformer en entreprises viables et scalables. Pendant longtemps, l’Afrique a été le parent pauvre de l’investissement mondial en capital-risque. Mais la situation change à une vitesse fulgurante. Les succès des premières licornes ont attiré l’attention, et les investisseurs internationaux commencent à réaliser l’ampleur de l’opportunité qu’ils ont sous les yeux. Convaincre les plus sceptiques reste un défi, mais les arguments en faveur d’un investissement massif dans la tech africaine sont aujourd’hui irréfutables.
Il ne s’agit pas d’un investissement ‘charitable’ ou à ‘impact social’, bien que cet impact soit réel. Il s’agit d’une pure opportunité économique, basée sur des fondamentaux de marché extrêmement solides : une démographie explosive, une classe moyenne en pleine croissance, une pénétration rapide d’internet et du mobile, et surtout, une multitude de problèmes fondamentaux à résoudre grâce à la technologie. C’est la recette parfaite pour la création de valeur à très grande échelle.
Des marchés vierges à conquérir
L’argument le plus puissant pour un investisseur est probablement celui que j’ai partagé lors de l’émission. ‘En Europe, beaucoup de secteurs sont saturés. Tu ne peux plus créer un Revolut. C’est fini. Tu ne peux plus créer un Wise. Mais en Afrique, tu peux’. C’est une idée fondamentale. En Occident, la plupart des grands problèmes numériques ont déjà été résolus, et les startups se battent à coups de millions en marketing pour grappiller des parts de marché sur des secteurs matures. En Afrique, dans de nombreux domaines, tout est à construire.
Que ce soit dans la logistique, l’assurance, l’éducation, la santé ou même des niches de la finance, le premier entrant sur le marché a le potentiel de devenir le leader incontesté et de capturer une valeur immense. Le terrain de jeu est ouvert. Il n’y a pas d’acteurs historiques bien installés et difficiles à déloger. Pour un investisseur, cela signifie un risque potentiellement plus faible (moins de concurrence) et un potentiel de rendement bien plus élevé. C’est une asymétrie incroyablement attractive.
Un écosystème qui s’entraide pour grandir plus vite
Loin de l’image d’une concurrence féroce, l’écosystème tech africain est encore dans une phase de collaboration et d’entraide. Les premiers succès comprennent qu’ils ne peuvent pas réussir seuls et qu’ils ont besoin que tout l’écosystème se développe. J’ai été frappé par une conversation avec le fondateur de Diamo, une Fintech issue du prestigieux accélérateur Y Combinator. Il m’expliquait ‘qu’ils aimeraient avoir plus de gens qui se lancent dans la Fintech’. Pourquoi ? ‘Parce que eux, étant une Fintech eux-mêmes, ils ont des problèmes qu’ils aimeraient ne pas résoudre’.
Concrètement, ils se retrouvent à devoir construire en interne des briques technologiques qui, en Europe, seraient fournies par des sociétés spécialisées. Ils rêvent de pouvoir s’appuyer sur un écosystème de partenaires pour se concentrer sur leur cœur de métier. Cet état d’esprit est une aubaine pour les nouveaux entrepreneurs et les investisseurs. Il signifie qu’il y a de la place pour créer des entreprises ‘B2B’ qui viendront servir les champions ‘B2C’ existants. C’est le signe d’un écosystème qui se structure, se complexifie et mûrit, créant des opportunités à tous les étages.
Conclusion : De l’émancipation par le code à un leadership mondial ?
Au terme de ce panorama, une certitude émerge : l’Afrique n’est pas le ‘prochain’ pilier de l’innovation technologique, elle l’est déjà. La question n’est plus de savoir si le continent va éclore, mais de mesurer l’ampleur et la vitesse de son expansion. Nous avons vu que cette révolution s’appuie sur des fondations solides : des innovations de rupture comme le Mobile Money, un secteur Fintech en pleine explosion, et surtout, un capital humain jeune, talentueux et déterminé. La tech est devenue un formidable vecteur d’émancipation individuelle et collective, permettant à des jeunes de s’extraire de situations difficiles et de participer à l’économie mondiale sur la seule base de leurs compétences.
Les défis restent nombreux. Il faut continuer à structurer l’éducation, attirer davantage de capitaux, construire des infrastructures solides et naviguer dans des environnements réglementaires parfois complexes. Mais la dynamique est enclenchée et semble irréversible. Pour les entreprises européennes, ignorer ce vivier de talents n’est plus une option, c’est une erreur stratégique. Pour les investisseurs, regarder ailleurs, c’est passer à côté de l’une des plus grandes histoires de croissance de notre époque. Le message que je souhaite faire passer aux jeunes développeurs africains qui nous lisent est simple : ‘Faites d’aimer ce que vous faites et essayez d’être le meilleur’. Le monde a besoin de vos compétences, de votre énergie et de votre vision. L’Afrique a toutes les cartes en main pour passer du statut de vivier de talents à celui de leader mondial en développement de solutions technologiques. Le code est en train de réécrire l’avenir du continent, et l’histoire ne fait que commencer.
FAQ – Vos questions sur l’innovation technologique en Afrique
Quels sont les secteurs technologiques les plus porteurs en Afrique actuellement ?
Le secteur qui domine très largement l’écosystème technologique africain est la Fintech. Cela s’explique par le faible taux de bancarisation historique qui a créé un besoin massif pour des solutions de paiement, de crédit et de services financiers mobiles. La majorité des licornes africaines, comme Flutterwave ou Wave, opèrent dans ce domaine. Cependant, d’autres secteurs sont en pleine émergence, notamment l’agritech (pour optimiser l’agriculture), l’e-santé (pour connecter les patients aux soins), la logistique et l’e-commerce, qui cherchent à résoudre des problèmes d’infrastructures et d’accès aux biens et services.
‘Ce qu’on voit en Afrique, c’est beaucoup plus encore sur les Fintech. Par exemple, quand on prend les 5 licornes en Afrique, on verra que quatre ou trois sont des Fintech. Parce que le problème de bancarisation et accès aux ressources financières, c’est un très gros problème en Afrique. Et c’est le secteur qui évolue le plus.’
Comment les entreprises peuvent-elles évaluer les compétences des développeurs africains sans diplôme ?
Pour évaluer un développeur africain, en particulier un autodidacte, il est crucial de se détacher des critères traditionnels comme le diplôme. La méthode la plus fiable est de se concentrer exclusivement sur les compétences pratiques. Les entreprises doivent mettre en place un processus de recrutement basé sur des tests techniques concrets : des défis de code (algorithmique), la résolution de cas réels ou un projet test simulant une tâche qu’ils auraient à accomplir. C’est le seul moyen objectif de mesurer la capacité d’un candidat à produire du code de qualité et à résoudre des problèmes complexes, indépendamment de son parcours académique.
‘On a la chance d’avoir des entreprises qui se focusent sur les compétences. Ils ne sont pas trop en recherche de quel diplôme tu as. C’est plus des tests techniques qu’ils font passer, algorithmiques, cas réels. Et du coup on dit : Testez-le, testez-le, voyez à quel point il est bon.’
Quelles sont les plus grandes innovations technologiques nées en Afrique ?
L’innovation la plus emblématique et ayant eu le plus grand impact mondial est sans conteste le Mobile Money. Né au Kenya avec M-Pesa, ce système permet d’envoyer, de recevoir et de stocker de l’argent via un simple téléphone portable, sans avoir besoin d’un compte bancaire. Cette technologie a permis d’inclure financièrement des centaines de millions de personnes. Dans son sillage, le micro-crédit mobile s’est également développé, offrant des prêts de petits montants à des populations auparavant exclues du système de crédit traditionnel. Ces innovations sont des exemples parfaits de ‘frugal innovation’, des solutions simples et robustes répondant à des besoins fondamentaux.
‘L’Afrique dans le monde de la tech actuellement a apporté plusieurs innovations. Quand je pense pour répondre à cette question, déjà il y a par exemple le mobile money qui est né en Afrique, au Kenya précisément grâce à M-Pesa. On compte plus d’un milliard de personnes qui ont un mobile money.’
Pourquoi l’Afrique est-elle une opportunité unique pour les investisseurs tech ?
L’Afrique représente une opportunité d’investissement exceptionnelle principalement parce que de nombreux marchés y sont encore ‘vierges’. Contrairement à l’Europe ou aux États-Unis où la plupart des secteurs technologiques sont saturés avec une concurrence intense, l’Afrique offre la possibilité de construire des entreprises leaders sur des marchés entiers qui n’ont pas encore été digitalisés. Le premier entrant peut capturer une part de marché immense. De plus, la démographie jeune, la croissance de la classe moyenne et l’adoption rapide du mobile créent un terrain extrêmement fertile pour des services numériques qui répondent à des besoins essentiels non satisfaits.
‘Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas faites en Afrique. Ici en Europe, beaucoup de secteurs sont saturés. Tu peux plus créer un Revolut, c’est fini. Tu peux plus créer un Wise. C’est fini mais en Afrique, tu peux. Parce qu’il n’y en a pas et ceux qui sont là, ils n’arrivent même pas à capturer le pourcentage de marché. Quand le marché est vierge, tu es le premier, tu capitalises et boum.’
Quels sont les principaux défis pour les startups africaines aujourd’hui ?
Les startups africaines font face à plusieurs défis majeurs. Le premier reste l’accès au financement, même si la situation s’améliore, notamment pour les tours de financement avancés (Série A, B, etc.). Un autre défi est la fragmentation du marché : opérer dans plusieurs pays africains signifie gérer différentes devises, réglementations et cultures. Elles doivent aussi parfois construire elles-mêmes des briques d’infrastructure (logistique, paiement) qui sont déjà disponibles sur d’autres continents. Enfin, la ‘guerre des talents’ commence à se faire sentir, avec une forte concurrence pour attirer et retenir les meilleurs développeurs et managers.
‘Je causais avec le fondateur de Diamo qui est une Fintech de Y Combinator… ils me disaient qu’ils aimeraient avoir plus de gens qui se lancent dans la Fintech parce qu’eux-mêmes, ils ont des problèmes qu’ils aimeraient pas résoudre. Ils se retrouvent en train de résoudre des problèmes de Fintech pour eux-mêmes.’
Comment la qualité de la connexion internet en Afrique a-t-elle évolué ?
La qualité de la connexion internet en Afrique a connu une amélioration spectaculaire ces dernières années, ce qui est un facteur clé de l’essor technologique. Il y a dix ans, une connexion lente et instable était la norme. Aujourd’hui, grâce au déploiement de la fibre optique et, plus récemment, à l’arrivée de services par satellite comme Starlink d’Elon Musk, de nombreux développeurs et entrepreneurs ont accès à des connexions à très haut débit, comparables à celles que l’on trouve en Europe ou en Amérique du Nord. Cette évolution est fondamentale car elle permet l’accès à la formation en ligne, la collaboration en temps réel et le travail à distance pour des entreprises du monde entier.
‘Je me souviens, il y a 10 ans de cela, on téléchargeait à 200 kbit/s, on était joyeux. Mais là maintenant avec Starlink et tout, Elon Musk, il y a des connexions qui sont aussi bonnes que n’importe où dans le monde.’
Quel est le rôle des structures comme The Guild dans cet écosystème ?
Des plateformes comme The Guild jouent un rôle de pont et de catalyseur. Notre mission est de connecter l’offre (le top 3% des talents de développeurs en Afrique) à la demande (les startups technologiques, principalement européennes, qui ont des besoins en compétences). Nous agissons comme un tiers de confiance en effectuant un rigoureux processus de sélection technique pour garantir la qualité des profils. De plus, nous jouons un rôle crucial dans l’éducation des deux parties pour assurer une collaboration à distance fluide et efficace, en fournissant des processus et des bonnes pratiques pour surmonter les défis de la communication et de la gestion de projet interculturelle.
‘The Guild est une plateforme où on match le top 3 % des dev en Afrique avec des start-ups tech européennes qui ont des ressources limitées. On fait un vrai travail d’éducation du côté du dev mais aussi de l’entreprise… on a vraiment un playbook qu’on présente au dev et aussi aux start-ups.’
Quel conseil donner à un jeune Africain qui veut se lancer dans la tech ?
Mon conseil principal à un jeune qui débute dans la tech en Afrique est de cultiver une passion profonde pour ce qu’il fait et de viser l’excellence. La technologie est un domaine où le mérite et la compétence priment. Il faut être curieux, ne jamais cesser d’apprendre et s’efforcer de devenir le meilleur dans son domaine. Le parcours peut être difficile, surtout en tant qu’autodidacte, mais l’émancipation et les opportunités offertes par la maîtrise d’une compétence technologique sont immenses. L’essentiel est de trouver du plaisir dans le processus d’apprentissage et de construction, car c’est cette passion qui sera le moteur de la réussite à long terme.
‘J’étais meilleur parce que je faisais ce que j’aimais ou plutôt j’aimais ce que je faisais. Et du coup ce que je dirais c’est : essaie de faire d’aimer ce que tu fais et essaie d’être le meilleur.’




