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#61 : Entreprise > Le développement à l’international

Épisode diffusé le 28 septembre 2021 par Bannouze : Le podcast du marketing digital !

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Le développement international : un rêve accessible ou une course semée d’embûches ?

Le développement à l’international… Pour de nombreuses entreprises, ces mots résonnent comme le Saint Graal, l’étape ultime de la consécration. L’idée de conquérir de nouveaux marchés, de voir son produit utilisé de Tokyo à San Francisco, est un moteur puissant. Mais derrière cette vision séduisante se cache une réalité infiniment plus complexe, un parcours d’obstacles où la moindre erreur de jugement peut coûter très cher. La question n’est plus seulement ‘pourquoi s’internationaliser ?’, mais ‘comment le faire sans y laisser son âme et sa trésorerie ?’. Est-ce une obligation pour survivre dans la tech, ou une opportunité à saisir avec une prudence extrême ?

Ayant passé plusieurs années au cœur du réacteur chez Criteo, où ma mission principale était précisément de piloter cette expansion sur tous les continents, j’ai vécu de l’intérieur les succès fulgurants et les défis insoupçonnés de cette aventure. J’ai appris sur le terrain qu’il n’existe pas de ‘recette magique et il y a pas de schéma réplicable et applicable à toutes les boîtes’. Chaque entreprise, chaque marché, chaque culture est un cas unique. Pourtant, des principes directeurs émergent de ces expériences. Ce ne sont pas des règles gravées dans le marbre, mais plutôt une boussole pour naviguer dans ces eaux souvent troubles.

Dans cet article, je souhaite partager avec vous une vision pragmatique et honnête de l’internationalisation. Nous allons décortiquer ensemble les étapes clés, des fondations légales et fiscales souvent négligées à la constitution d’équipes locales performantes. Nous verrons comment valider l’appétence d’un marché sans investir des millions, comment mesurer réellement le succès au-delà des chiffres bruts, et comment préserver l’ADN de votre entreprise quand elle s’étend sur plusieurs fuseaux horaires. L’objectif n’est pas de vous vendre un rêve, mais de vous donner les clés pour le transformer en une réalité durable et profitable. Oubliez les formules toutes faites ; préparez-vous à plonger dans les coulisses d’une stratégie d’internationalisation réussie.

Chapitre 1 : Faut-il y aller ? Décrypter les raisons et le timing d’une expansion internationale

La première question, et la plus fondamentale, est de savoir si l’internationalisation est la bonne stratégie pour votre entreprise, et si le moment est bien choisi. C’est une décision qui ne doit jamais être prise à la légère, ni pour suivre une mode, ni sous la pression des investisseurs. C’est un choix stratégique qui doit être ancré dans la nature même de votre business model et la maturité de votre marché domestique. Pour certaines entreprises, c’est une évidence presque naturelle ; pour d’autres, une diversification périlleuse.

Une opportunité à saisir, pas une obligation à subir

Est-ce que toutes les entreprises doivent se développer à l’international ? La réponse est non. Il faut analyser la nature intrinsèque de son produit et de son marché. Une entreprise comme Doctrine, spécialisée dans la jurisprudence française, fait face à des barrières légales et structurelles immenses. Chaque nouveau pays signifierait reconstruire une expertise fondamentale de zéro. En revanche, pour une entreprise technologique dont le produit est majoritairement en ligne, la situation est radicalement différente. Comme je l’ai vécu chez Criteo, quand le modèle est facilement transposable, ne pas y aller serait une erreur stratégique.

‘Ça aurait été dommage de pas le faire parce que c’était simple à répliquer, que le business modèle marchait et marchait très bien et était facilement réplicable.’

Dans ce cas, l’expansion n’est pas qu’une question de croissance ; c’est une manœuvre défensive. Il faut ‘occuper le terrain, pour mettre le pied dans la porte pour être sûr qu’il n’y ait pas des concurrents’. En effet, un modèle facile à répliquer par vous-même est aussi facile à copier par d’autres. La vitesse devient alors un avantage compétitif majeur. L’enjeu est de planter son drapeau sur les marchés clés avant que des clones locaux ou des concurrents internationaux ne le fassent. C’est une course pour la part de marché mondiale, et le premier arrivé a souvent un avantage décisif.

Les signaux qui indiquent que le moment est venu

Savoir ‘pourquoi’ y aller est une chose, savoir ‘quand’ en est une autre. Se lancer trop tôt peut épuiser vos ressources et mettre en péril votre marché principal. Se lancer trop tard peut signifier que la porte est déjà fermée. Plusieurs signaux peuvent indiquer que le timing est bon. Le premier est la maturité de votre marché d’origine. Avez-vous atteint un certain rythme de croisière, voire un début de saturation ? Si votre croissance ralentit parce que vous avez déjà capté une part significative de votre marché local, il est temps de chercher de nouveaux relais de croissance. Un autre signal fort est la ‘traction’ organique venant de l’étranger. Recevez-vous des demandes de clients internationaux ? Votre site web attire-t-il un trafic significatif de certains pays ? C’est le signe qu’il existe une demande latente. Enfin, les moyens financiers sont un prérequis. L’internationalisation est un investissement. Comme je le disais, c’est d’autant plus pertinent ‘quand on a les moyens de le faire’. Une levée de fonds significative peut être le catalyseur qui permet de passer à l’échelle supérieure. Mais attention, l’argent ne fait pas tout. Il faut une vision claire et une exécution sans faille pour que cet investissement porte ses fruits.

Chapitre 2 : Les fondations invisibles, la clé d’un développement international serein

On parle souvent de produit, de marketing, de ventes. Mais la partie la moins glamour, et pourtant la plus critique, d’un développement international réussi se situe dans les coulisses : le légal, le fiscal et le réglementaire. Ignorer ces aspects, c’est comme construire un gratte-ciel sur des fondations en sable. Tôt ou tard, tout s’effondre. Avant même de penser à recruter votre premier commercial local, vous devez avoir fait vos devoirs sur ces sujets complexes et propres à chaque pays.

Plonger dans l’écosystème réglementaire et fiscal de chaque pays

Chaque pays est un univers en soi, avec ses propres règles, ses propres lois et ses propres subtilités fiscales. Penser qu’on peut simplement copier-coller ce qui fonctionne en France est une illusion dangereuse. J’ai personnellement été confrontée à des cas très concrets qui illustrent cette complexité.

‘Typiquement au Brésil il y a une structure fiscale qui rend très très très complexe la faculté de sortir des fonds du Brésil et du coup bah ça empêche pas du tout de se développer au Brésil mais il faut le savoir parce que ça a des conséquences derrière.’

Ne pas anticiper ce genre de détail peut transformer une filiale profitable en un cauchemar logistique et financier. De même, un simple mécanisme promotionnel peut avoir des implications légales radicalement différentes. Au Portugal, un jeu avec une probabilité de gain est considéré comme un jeu de hasard et est lourdement taxé. Ce qui est une simple mécanique marketing en France devient une opération réglementée ailleurs. Il est donc impératif de ‘bien avoir fait ses devoirs avant’ et de s’appuyer sur des experts pour cartographier ces risques. Cela inclut le droit des sociétés, le droit du travail, la protection des données (pensez au RGPD en Europe), la propriété intellectuelle et bien sûr, la fiscalité locale et internationale (prix de transfert, TVA, etc.).

L’équilibre crucial entre expertise interne et partenaires externes

Face à cette complexité, comment s’organiser ? Faut-il tout internaliser ou tout externaliser ? La bonne approche se situe entre les deux. Avoir des compétences en interne, notamment sur les aspects financiers et légaux, est indispensable pour piloter la stratégie globale. Ces personnes ‘peuvent elles-mêmes avoir recours à des prestataires qui vont donner par exemple un dossier qui permet de donner un peu plus de détails sur le schéma fiscal ou le schéma légal du pays’. Tout externaliser est un risque majeur, car on ‘perd un peu le contrôle’. On devient dépendant de tiers dont on ne maîtrise pas toujours la qualité ou l’alignement des intérêts. À l’inverse, vouloir tout faire seul est tout aussi illusoire. Personne ne peut être expert du droit des sociétés chinois et du droit du travail brésilien en même temps. L’exemple de l’ouverture de la Chine est parlant : nous avons dû collaborer avec des représentants locaux pour des choses aussi spécifiques que le dépôt du nom en idéogrammes ou l’impression des factures sur du papier agréé par le gouvernement.

‘C’est débile de penser qu’on est au-dessus de tout et qu’on sait tout mieux que tout le monde parce que c’est faux.’

La meilleure structure est donc hybride : des coordinateurs internes forts, qui comprennent la stratégie globale de l’entreprise, et qui s’appuient sur un réseau de cabinets d’avocats et d’experts-comptables locaux, soigneusement sélectionnés dans chaque pays cible. C’est ce savant mélange qui permet d’allier vision globale et exécution locale impeccable.

Chapitre 3 : Le facteur humain, au cœur de la conquête de nouveaux marchés

Une fois le cadre légal et fiscal sécurisé, le succès de votre expansion repose sur deux piliers humains : votre capacité à comprendre les clients du nouveau marché et votre aptitude à recruter et manager les bonnes personnes sur place. La technologie est un facilitateur, mais ce sont les gens qui font la différence. C’est là que les nuances culturelles entrent en jeu, transformant un lancement potentiel en succès éclatant ou en échec cuisant.

De la data à l’intuition : décoder l’ADN d’un marché

Comment savoir si votre produit va ‘prendre’ dans un pays que vous connaissez à peine ? Il n’y a pas de boule de cristal, mais une approche méthodique permet de limiter les risques. On commence par ce que j’appelle la ‘théorie de l’entonnoir’ : partir du plus large pour aller vers le plus fin. L’analyse macro est la première étape : quelle est la taille du marché de l’e-commerce ? Quels sont les acteurs locaux et internationaux déjà présents ? Quelle est la difficulté de pénétration ? Cette première analyse permet de dégrossir le potentiel. Ensuite, on affine. On regarde si des entreprises avec un modèle similaire (même si le produit est différent) ont réussi. Leurs succès et leurs échecs sont des mines d’informations.

Mais la data ne suffit pas. Rien ne remplace l’expertise locale.

‘Tu es obligé de t’appuyer au moins sur un expert local. […] tu es obligé de t’appuyer sur quelqu’un de local qui vient justement de cette industrie et qui peut te permettre d’être ton vrai interlocuteur, ton vrai partenaire.’

Cette personne sera vos yeux et vos oreilles sur le terrain, capable de traduire les codes culturels que vous ne maîtrisez pas. L’exemple de la Corée du Sud est frappant. Sur le papier, un PIB similaire à la France, un pays très connecté et consommateur. On pourrait penser que c’est un marché facile. La réalité est tout autre. ‘Google, c’est pas du tout gros là-bas, ils ont leurs acteurs locaux, Naver c’est énorme. Ils ont pas WhatsApp, ils ont Line’. Même Google Maps y est inefficace. Sans un partenaire local pour vous guider dans cet écosystème unique, vous foncez droit dans le mur en essayant de répliquer vos stratégies européennes. Il faut accepter d’être humble, d’écouter, et parfois de réajuster sa stratégie en fonction de ces retours.

Le Jour 1 : stratégies de lancement et recrutement du profil clé

Concrètement, comment démarre-t-on dans un nouveau pays ? Il n’y a pas une seule bonne approche, tout dépend du marché cible. Pour des pays culturellement et géographiquement proches, comme l’Espagne ou l’Italie, une approche ‘légère’ est souvent la meilleure. Chez Criteo, ‘on avait d’abord des personnes basées à Paris mais qui traitaient les marchés proches’. Cela permet de tester le marché, de générer les premiers revenus et de confirmer le potentiel avant d’engager des frais de structure importants comme l’ouverture d’un bureau. C’est la manière la plus ‘safe’ de commencer.

En revanche, pour un continent comme l’Asie, cette approche est impossible. La distance, les fuseaux horaires, les barrières culturelles et même les contraintes techniques (comme la nécessité d’avoir des serveurs locaux) imposent une présence sur place dès le début. La question devient alors : qui recruter en premier ? La personne clé est le ‘MD’ local (Managing Director). C’est elle qui va porter le projet, construire l’équipe et adapter la stratégie. Pour la trouver, plusieurs canaux existent : les chasseurs de têtes spécialisés, les réseaux des fondateurs, ou même des candidatures spontanées si votre entreprise a déjà une certaine notoriété. L’idéal est de trouver quelqu’un ‘qui a même déjà bossé pour une boîte française, c’est pas mal parce qu’on sait qu’il arrive à s’adapter à la culture business’. C’est cette personne qui aura ensuite la responsabilité de ‘déposer les statuts, d’aller faire ce qu’il faut faire’. Votre rôle est de trouver ce premier maillon essentiel, de lui faire confiance et de lui donner les moyens de réussir.

Chapitre 4 : Mesurer le succès et construire une croissance durable

Lancer un nouveau pays est une chose, en faire un succès pérenne en est une autre. Une fois les premières ventes réalisées, l’excitation du début peut laisser place à des questions plus profondes. Comment savoir si nous sommes sur la bonne voie ? Quels indicateurs suivre pour piloter la performance ? Et surtout, comment construire une croissance qui ne soit pas un feu de paille mais une contribution solide au business global ?

Le taux de pénétration : votre véritable boussole de performance

Le premier réflexe est souvent de regarder la croissance du chiffre d’affaires. C’est un indicateur important, mais il peut être trompeur. Un marché qui part de zéro aura toujours une croissance impressionnante en pourcentage. Le véritable test, la mesure la plus juste du succès, est la rapidité avec laquelle vous atteignez la performance de votre marché d’origine.

‘La réussite se veut déjà par une croissance beaucoup plus rapide que ce que tu as connu en France et que tu arrives rapidement au même rythme de croisière.’

Pourquoi ? Parce que vous ne partez plus de zéro. Vous avez déjà ‘essuyé les plâtres’ sur votre marché domestique. Vous connaissez votre produit, vos arguments de vente, les objections des clients. Ce savoir accumulé doit vous permettre d’accélérer drastiquement la phase d’apprentissage. Si vous mettez autant de temps à décoller à l’étranger qu’en France, c’est qu’il y a un problème fondamental. L’indicateur ultime à suivre est donc le taux de pénétration du marché. ‘Est-ce que tu arrives au même [taux de pénétration] sur ces autres pays-là ?’. C’est cet indicateur qui vous dira si vous êtes en train de devenir un acteur majeur sur ce nouveau marché, ou si vous restez un acteur de niche. Si ce taux stagne, il faut alors creuser pour comprendre pourquoi : le produit est-il mal adapté ? L’équipe n’est-elle pas la bonne ? La concurrence est-elle plus forte que prévu ?

La stratégie du ‘cheval de Troie’ : s’appuyer sur ses clients existants

Comment accélérer cette pénétration et réduire les risques ? Il existe une stratégie incroyablement efficace que nous avons beaucoup utilisée : s’appuyer sur ses clients existants. Si vous avez déjà des clients qui sont eux-mêmes des groupes internationaux, ils sont votre meilleure porte d’entrée.

‘Dans l’idéal, tu le fais avec des clients que tu as déjà. […] Tu lui demandes s’il veut pas lancer une campagne avec toi en Corée, Japon, US où tu veux […] et là tu lances.’

Cette approche a un double, voire un triple avantage. Premièrement, elle vous fournit un revenu immédiat, ce qui réduit la pression financière du lancement. Vous ne partez pas ‘dans le rouge’. Deuxièmement, elle vous donne des données précieuses et un benchmark instantané. Vous pouvez comparer les taux de clics, les taux de conversion, les comportements d’achat entre la France et la Corée pour le même client. Vous apprenez en conditions réelles, avec un risque minimal. Troisièmement, cela vous donne des références locales dès le premier jour. ‘Ça change tout quand tu vas avoir un client que tu lui dis ‘Regardez, ça tourne déjà chez vous dans votre langue sur vos sites’.’. C’est un argument commercial extrêmement puissant qui rassure les prospects et accélère le cycle de vente. C’est sans doute la clé du succès la plus importante que j’ai pu observer : ne partez jamais à l’aveugle, utilisez vos partenaires existants comme rampe de lancement.

Chapitre 5 : L’âme de l’entreprise : comment préserver sa culture à l’échelle mondiale ?

À mesure que l’entreprise grandit et que les bureaux se multiplient à travers le monde, un nouveau défi, plus subtil mais tout aussi crucial, émerge : comment maintenir une culture d’entreprise cohérente ? Comment s’assurer que l’on reste ‘une’ seule entreprise, avec une vision et un produit unifiés, et non une collection de filiales qui évoluent chacune dans leur coin ? C’est le défi de la mise à l’échelle de la culture et de l’organisation.

Le rôle d’une équipe centrale : harmoniser sans centraliser

Quand on atteint une certaine taille, avec des régions comme l’APAC, les Amériques et l’Europe, le risque de fragmentation est immense. Chaque région développe ses propres habitudes, son propre discours commercial, ses propres demandes de développement produit. Pour contrer cette tendance, la mise en place d’une équipe centrale, non rattachée à une région spécifique, devient vitale. Le rôle de cette équipe est multiple. Elle doit ‘harmoniser les best practices, […] le déploiement produit, […] le pitch commercial’. Mais elle a aussi un rôle inverse : ‘recueillir les besoins locaux pour pouvoir les partager à tout ce qui était équipe produit et équipe R&D’. C’est un pont à double sens. Elle s’assure que le produit reste cohérent et que les messages sont alignés, tout en garantissant que la voix des marchés locaux est entendue au siège.

Cette harmonisation est essentielle pour l’efficacité de la R&D. Si chaque pays vend ‘son truc’, l’équipe produit ne peut pas suivre.

‘J’entendais souvent ça, ‘Ouais mais nous c’est différent’. Bah ouais, mais vous c’est différent mais c’est pareil.’ J’adore cette anecdote […] je leur disais ‘Toi tu as un iPhone. Bah regarde, moi j’ai le même. Et ben il marche pareil en France, aux US, au Japon. Donc je vois pas pourquoi nous on arriverait pas à faire la même chose’.

L’enjeu est de distinguer les vrais besoins d’adaptation locale des simples préférences personnelles. Le produit doit rester le même dans son cœur, même si la manière de le vendre peut être adaptée. Pour être efficace, cette équipe centrale doit avoir une présence dans toutes les régions, pour être au contact du terrain, participer à des rendez-vous clients et comprendre les réalités locales. Sinon, elle risque de devenir une tour d’ivoire déconnectée.

La mise en garde finale : l’humilité face aux géants

Pour conclure, je voudrais partager un dernier conseil, peut-être le plus important. Il faut se méfier de l’hubris, de l’illusion que parce qu’on a réussi en Europe, on peut conquérir le monde entier facilement. Il y a des marchés qui sont des ‘bêtes’ totalement différentes, notamment les États-Unis et la Chine. Trop d’entreprises françaises se sont ‘brûlé les ailes’ en se lançant tête baissée dans l’American Dream. C’est un marché extrêmement compétitif, incroyablement cher, et où notre statut d’entreprise européenne ne nous donne aucun avantage, bien au contraire. ‘Quand on est français, il faut être humble parce que quand on arrive aux US, vue des US, on est le tiers monde.’

Il ne faut pas vouloir aller à l’étranger à tout prix, juste pour pouvoir dire ‘regardez, je suis partout’. Une expansion mal maîtrisée peut ‘bouffer le business’ existant et mettre toute l’entreprise en péril. Le développement international doit être une démarche raisonnée et raisonnable. Commencez par des marchés limitrophes, prouvez que vous pouvez répliquer votre succès, générez du cash, puis attaquez-vous à des marchés plus complexes. L’internationalisation n’est pas un sprint, c’est un marathon. Chaque étape doit être consolidée avant de passer à la suivante. Avec de la préparation, de l’humilité et une exécution rigoureuse, ce marathon peut vous mener très loin. Mais si vous partez trop vite et sans préparation, vous risquez de ne jamais franchir la ligne d’arrivée.

FAQ : Vos questions sur le développement international

1. Toutes les entreprises de la tech doivent-elles viser un développement international ?

Non, ce n’est absolument pas une obligation. La pertinence de l’internationalisation dépend fondamentalement de votre business model. Si votre produit est facilement réplicable à l’échelle mondiale, comme une solution SaaS ou une plateforme en ligne, alors ne pas y aller pourrait être une erreur stratégique, car vous laisseriez le champ libre à des concurrents. En revanche, si votre service est profondément ancré dans un écosystème légal, culturel ou physique local, comme une entreprise analysant la jurisprudence française, l’expansion est beaucoup plus complexe et n’est pas nécessairement la meilleure voie de croissance.

‘Je pense qu’il y a pas de recette magique et il y a pas de schéma réplicable et applicable à toutes les boîtes. Je pense que chaque boîte est différente. En revanche, dans les industries […] qui est la tech et surtout […] très en ligne et qui était facile finalement à implémenter, ça aurait été dommage de pas le faire.’

2. Quelles sont les premières étapes concrètes avant de se lancer à l’étranger ?

Avant même de penser au marketing ou aux ventes, les toutes premières étapes sont d’ordre structurel. La priorité absolue est de réaliser une due diligence approfondie sur les aspects légaux, fiscaux et réglementaires du pays cible. Cela implique de mandater des experts locaux pour comprendre la structure d’entreprise la plus adaptée, les règles fiscales sur les flux financiers, le droit du travail, ou encore les spécificités réglementaires liées à votre secteur. Parallèlement, il est crucial d’analyser l’environnement concurrentiel et de valider l’opportunité business pour s’assurer que le marché est viable.

‘On décide de regarder bah déjà l’environnement concurrentiel primo, de l’opportunité business et puis ensuite évidemment, on fait le travail légal, fiscal.’

3. Comment choisir entre une gestion à distance et l’ouverture d’un bureau local ?

Le choix dépend principalement de la distance géographique et culturelle du marché visé. Pour des pays voisins avec des cultures proches (par exemple, la France lançant l’Espagne ou l’Italie), il est plus prudent et plus économique de commencer avec une équipe basée au siège qui gère ces marchés à distance. Cela permet de tester le terrain sans engager de lourds frais de structure. En revanche, pour des marchés lointains sur d’autres continents (comme l’Asie ou l’Amérique), une présence locale est indispensable dès le départ pour des raisons de fuseaux horaires, de compréhension culturelle, et souvent de contraintes techniques.

‘Quand tu es par exemple en France […] et que tu veux ouvrir l’Espagne et l’Italie, c’est quand même vachement plus facile de le faire de manière simple […] En revanche, quand tu changes complètement de continent, c’est pas possible.’

4. Quel est le plus grand risque en externalisant toute sa stratégie d’expansion ?

Le risque principal est la perte de contrôle et de vision stratégique. Si vous confiez l’intégralité de votre développement à des partenaires externes, vous devenez dépendant de leur expertise, de leur bonne foi et de leur alignement avec vos propres objectifs. Vous risquez de vous retrouver avec une stratégie qui n’est pas la vôtre et de perdre le contact direct avec le marché. L’idéal est un modèle hybride : garder en interne les compétences de coordination et de pilotage stratégique, tout en s’appuyant sur des prestataires locaux pour leur expertise spécifique (légale, comptable, etc.), ce qui permet de garder le contrôle tout en bénéficiant des connaissances locales.

‘Tout outsourcer, je pense que c’est un peu difficile parce qu’après on perd un peu le contrôle. […] tout externaliser, c’est un peu dangereux aussi, on perd un peu le contrôle et surtout tout parier sur le fait qu’on a des gens forcément experts en externe et forcément de bonne foi et de bonne volonté, c’est aussi illusoire.’

5. Comment savoir si un produit est adapté à un marché culturellement très différent ?

La meilleure façon de le savoir, et la moins risquée, est d’utiliser la stratégie du ‘cheval de Troie’ : s’appuyer sur vos clients existants qui sont déjà présents sur ce marché. Proposez-leur de lancer une campagne ou un pilote dans le pays cible. Cela vous permet d’obtenir des données réelles sur le comportement des utilisateurs locaux (taux de clics, conversion, etc.) dans un cadre contrôlé. Vous pouvez ainsi évaluer la performance de votre produit et obtenir un feedback concret avant d’investir massivement. Cette première expérience vous donnera une bien meilleure notion de l’adaptation nécessaire que n’importe quelle étude de marché théorique.

‘Ça te permet de voir est-ce qu’on a les mêmes taux de clics, est-ce qu’on a les mêmes taux de conversion, est-ce qu’on a les mêmes comportements […] Tu as déjà une petite notion sur ton produit, comment ça se comporte. Ça c’est hyper clé.’

6. Pourquoi le marché américain est-il si difficile pour les entreprises françaises ?

Le marché américain est un défi majeur pour plusieurs raisons. Premièrement, son coût est exorbitant, que ce soit pour les salaires, le marketing ou les frais juridiques. Deuxièmement, la concurrence y est féroce et les acteurs locaux sont souvent mieux financés. Troisièmement, il y a une barrière culturelle et un certain scepticisme envers les entreprises étrangères. Il faut une grande humilité, car en arrivant de France, personne ne vous attend et votre notoriété européenne a peu de valeur. Réussir aux États-Unis demande un investissement colossal en temps et en argent, et beaucoup d’entreprises y ont épuisé leurs ressources sans parvenir à percer.

‘Ça coûte une fortune les US, faut le savoir […] ça coûte très cher, que quand on est français, il faut être humble parce que quand on arrive aux US, vue des US, on est le tiers monde. […] C’est très compliqué les US et ça coûte très très cher donc on a vite fait de tout cramer les fonds qu’on a levé.’

7. Quel est le meilleur indicateur pour mesurer le succès d’une implantation à l’étranger ?

Au-delà du chiffre d’affaires initial, le meilleur indicateur de succès est le taux de pénétration du marché, comparé à celui que vous avez atteint dans votre pays d’origine. L’objectif est de voir si vous parvenez à atteindre un niveau de maturité et une part de marché similaires. De plus, la vitesse à laquelle vous y parvenez est cruciale. Comme vous bénéficiez de l’expérience acquise sur votre marché domestique, votre croissance dans un nouveau pays devrait être significativement plus rapide. Si vous mettez autant de temps à décoller, c’est le signe d’un problème sous-jacent.

‘Il faut mesurer le succès, c’est ton taux de pénétration par rapport à ton pays d’origine et du coup c’est sur ça que tu dois te concentrer.’

8. Comment maintenir une culture d’entreprise cohérente avec des équipes sur plusieurs continents ?

C’est un défi majeur qui nécessite une structure dédiée. La mise en place d’une ‘équipe centrale’, qui n’appartient à aucune région spécifique, est une solution efficace. Son rôle est d’être le gardien de la vision globale : elle harmonise les bonnes pratiques, le discours commercial et le déploiement des produits. En parallèle, elle fait remonter les besoins spécifiques des marchés locaux aux équipes centrales (produit, R&D). Cette structure agit comme un pont, assurant que tout le monde vend le même produit et partage la même vision, tout en permettant les adaptations locales nécessaires. Cela évite que l’entreprise ne se transforme en une multitude de petites entités déconnectées.

‘Il faut qu’il y ait quand même des personnes qui ne soient pas drivées uniquement par rentrer du chiffre mais qui a une vraie volonté d’harmonisation. Sinon tu te retrouves vite avec chaque pays qui vend son truc.’


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