Le développement international : mirage ou prochaine étape logique de votre croissance ?
Le développement à l’international. Ces trois mots résonnent comme un Graal pour de nombreux entrepreneurs. C’est le signe que l’on a réussi, que le marché domestique est maîtrisé et que le monde nous tend les bras. Pour beaucoup, c’est un rêve, l’étape ultime qui transforme une start-up prometteuse en une véritable puissance mondiale. Mais derrière l’image glamour des bureaux à Tokyo, New York ou São Paulo se cache une réalité bien plus complexe, semée d’embûches culturelles, de casse-têtes réglementaires et de défis stratégiques de taille. Est-ce vraiment une étape obligatoire ? Comment transformer ce rêve en une réalité durable sans y laisser son âme et sa trésorerie ? C’est une question fondamentale qui peut faire ou défaire une entreprise.
L’aventure internationale n’est pas un long fleuve tranquille. C’est une expédition en terre inconnue qui exige une préparation minutieuse, une stratégie affûtée et une bonne dose d’humilité. J’ai eu la chance de vivre cette aventure de l’intérieur, notamment chez Criteo, où j’ai participé activement à l’expansion de l’entreprise sur tous les continents. Mon rôle était précisément de construire ces ponts entre le siège et les nouveaux marchés, d’harmoniser les pratiques tout en écoutant les spécificités locales. C’est une expérience qui m’a profondément marquée et m’a appris qu’il n’existe pas de formule magique. Comme je le dis souvent,
‘Je pense qu’il y a pas de recette magique, il y a pas de comment dire, de schéma réplicable et applicable à toutes les boîtes. Je pense que chaque boîte est différente.’
Dans cet article, nous allons plonger au cœur de cette problématique. Nous n’allons pas nous contenter de survoler le sujet. Nous allons décortiquer, étape par étape, les questions cruciales que vous devez vous poser. Faut-il y aller ? Si oui, quand et comment ? Quels sont les pièges à éviter, les fondations à bâtir et les leviers à actionner pour maximiser vos chances de succès ? En nous appuyant sur des exemples concrets et des leçons tirées du terrain, nous allons vous fournir une feuille de route pragmatique pour aborder votre développement international, non pas comme un pari risqué, mais comme une décision stratégique, réfléchie et maîtrisée.
L’internationalisation : une opportunité stratégique avant d’être une obligation
La première question, et la plus fondamentale, est de savoir pourquoi. Pourquoi vouloir conquérir le monde ? Pour une entreprise de la tech, dont le produit est souvent dématérialisé, la tentation est grande. Si votre solution fonctionne à Paris, pourquoi ne fonctionnerait-elle pas à Madrid, Séoul ou San Francisco ? C’est une logique séduisante, mais qui mérite d’être nuancée. La véritable raison ne doit pas être la simple vanité d’être présent partout, mais une décision stratégique mûrement réfléchie. Pour une entreprise comme Criteo, le modèle était facilement exportable. Le produit était en ligne, simple à implémenter et le business model avait déjà fait ses preuves. Dans ce contexte précis, ne pas y aller aurait été une erreur stratégique majeure.
Pourquoi ? Pour une raison simple et parfois brutale : la course à la vitesse.
‘Pourquoi le faire ? Pour occuper le terrain, pour mettre le pied dans la porte, pour être sûr qu’il n’y ait pas des concurrents parce que finalement qui dit facilité d’implémentation dit peut-être aussi facilité de copie.’
Cette idée est centrale. Sur des marchés où la barrière à l’entrée technologique est relativement faible, le premier arrivé rafle souvent la mise. Planter son drapeau rapidement sur de nouveaux territoires permet de construire une base de clients, de créer de la notoriété et de rendre l’entrée de concurrents potentiels beaucoup plus difficile et coûteuse. C’est une démarche offensive qui vise à sécuriser des parts de marché avant même que la compétition ne s’organise. C’est donc une opportunité de croissance exponentielle, à condition d’avoir les moyens de ses ambitions et un modèle qui s’y prête.
Cependant, il est crucial de comprendre que cette ‘facilité’ n’est pas universelle. Toutes les technologies ne sont pas aussi simples à déployer. Certaines nécessitent une infrastructure matérielle lourde, des équipes d’intégration sur place, ou une adaptation profonde au contexte local. L’exemple d’une entreprise comme Doctrine, spécialisée dans l’analyse de la jurisprudence française, est très parlant. Son expansion à l’étranger est intrinsèquement complexe car le droit est spécifique à chaque pays. Il ne s’agit pas de traduire une interface, mais de reconstruire une expertise et une base de données de zéro. Dans de tels cas, l’internationalisation n’est pas une évidence mais un projet d’une tout autre envergure, qui demande des investissements et un temps considérables. La décision de se lancer ou non dépend donc d’une analyse lucide de la nature de son propre produit et de son modèle économique.
En résumé, l’internationalisation doit être vue comme un levier stratégique. Si votre marché domestique arrive à saturation, si votre modèle est réplicable et si vous avez les ressources pour le faire, alors c’est une voie quasi obligatoire pour continuer à croître. Mais si votre produit est profondément ancré dans un contexte local, que ce soit légal, culturel ou logistique, il faut alors peser le pour et le contre avec beaucoup plus de prudence. L’important est de ne pas suivre un effet de mode, mais de prendre une décision éclairée, alignée avec la nature profonde de votre entreprise.
Les fondations du succès : préparer le terrain avant de conquérir le monde
Une fois la décision stratégique prise, l’enthousiasme peut vite prendre le dessus. On imagine déjà les équipes locales, les premiers contrats signés… Mais avant de planter le premier drapeau, il y a un travail de fond, moins glamour mais absolument essentiel : la préparation. Se lancer à l’international sans avoir solidement préparé le terrain sur les plans légal, fiscal et structurel, c’est comme construire un gratte-ciel sur des fondations en sable. Tôt ou tard, la structure s’effondrera. C’est une phase qui demande de la rigueur, de l’anticipation et l’aide d’experts.
Naviguer dans le labyrinthe légal et réglementaire
Chaque pays est un univers en soi, avec ses propres lois, ses propres règles et ses propres subtilités. Ce qui est parfaitement légal et commun en France peut être considéré différemment, voire interdit, ailleurs. L’erreur serait de penser que les règles du jeu sont les mêmes partout. J’ai un exemple très concret en tête :
‘On a un système de jeu, je vais pas rentrer dans le détail, mais rien que le fait qu’il y ait un incentive avec une chance sur plusieurs de gagner et ben ça, ça n’a pas la même définition légale d’un pays à un autre.’
Au Portugal, par exemple, ce mécanisme était considéré comme un jeu de hasard et donc plus lourdement taxé et réglementé. C’est un détail qui peut sembler mineur, mais qui a des implications financières et opérationnelles directes. Ignorer ce genre de spécificité, c’est s’exposer à des amendes, des blocages, voire une interdiction d’opérer. Il est donc impératif de faire ses ‘devoirs’ et de s’entourer de conseils juridiques locaux pour valider chaque aspect de son offre et de son fonctionnement.
Anticiper les complexités fiscales et financières
Parallèlement au volet légal, l’aspect fiscal est un autre pilier fondamental. La manière dont vous structurez votre entreprise à l’étranger aura des conséquences majeures sur votre rentabilité et votre capacité à gérer votre trésorerie. Les taux d’imposition varient, mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Des règles de prix de transfert entre filiales, des régimes de TVA différents, et surtout des structures financières complexes peuvent transformer une aventure prometteuse en un cauchemar administratif. Le Brésil est un exemple célèbre et que nous avons bien connu chez Criteo.
‘Typiquement au Brésil il y a une structure fiscale qui rend très très très complexe la faculté de sortir des fonds du Brésil.’
Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas s’y développer, mais il faut le savoir à l’avance. Car si l’argent généré localement ne peut pas être rapatrié facilement, cela change toute la stratégie financière du groupe. Ces informations sont cruciales et doivent être intégrées dans le business plan dès le départ.
Le duo gagnant : équilibrer expertise interne et partenaires externes
Face à cette complexité, la question des ressources se pose : faut-il tout gérer en interne ou tout externaliser ? La réponse se trouve, comme souvent, dans un juste milieu. Tout externaliser est tentant pour aller vite, mais c’est un pari risqué.
‘Tout outsourcer, je pense que c’est un peu difficile parce qu’après on perd un peu le contrôle.’
Vous devenez dépendant de prestataires externes dont vous ne maîtrisez pas toujours la qualité, la disponibilité ou même la bonne foi. À l’inverse, vouloir tout faire seul est illusoire. Personne ne peut être expert du droit fiscal chinois, du droit du travail brésilien et des réglementations sur la protection des données en Corée du Sud. L’approche la plus saine consiste à construire une équipe interne, même petite au début, qui pilote la stratégie et coordonne les opérations. Ces personnes, qui connaissent l’ADN de l’entreprise, s’appuient ensuite sur un réseau de partenaires locaux (cabinets d’avocats, experts-comptables, consultants) pour les expertises spécifiques à chaque pays. C’est ce savant mélange qui permet de garder le contrôle stratégique tout en bénéficiant de la meilleure expertise locale possible.
L’adéquation produit-marché : comment savoir si votre offre séduira à l’étranger ?
Avoir une structure légale et fiscale solide est une condition nécessaire, mais pas suffisante. Le cœur de la réussite réside dans la capacité de votre produit ou service à répondre à un besoin réel sur le nouveau marché. On peut avoir le meilleur produit du monde, s’il ne correspond pas aux attentes, aux usages ou à la culture des consommateurs locaux, l’échec est programmé. Cette validation de l’adéquation produit-marché (le fameux ‘product-market fit’) est une étape critique qui doit être menée avec méthode et humilité, en se gardant bien de toute forme d’arrogance.
De l’analyse macro à la compréhension micro
La première étape est souvent analytique. On commence par une vue d’ensemble, ce que j’appelle la ‘théorie de l’entonnoir’. On part de données macroéconomiques : la taille du marché, le taux de pénétration d’internet, la croissance du e-commerce, le PIB par habitant… Ces indicateurs permettent de faire un premier tri et d’identifier les zones à fort potentiel. Ensuite, on affine l’analyse en descendant dans l’entonnoir. On étudie le paysage concurrentiel : qui sont les acteurs locaux ? Y a-t-il des entreprises étrangères similaires qui ont réussi ? Si oui, comment ? Si non, pourquoi ont-elles échoué ? Cette analyse comparative est une mine d’or d’informations. Elle permet de comprendre les dynamiques du marché et d’anticiper les difficultés. C’est un travail de débroussaillage indispensable avant même de mettre un pied dans le pays.
L’expert local, votre boussole culturelle et commerciale
L’analyse de données, aussi poussée soit-elle, a ses limites. Elle ne remplacera jamais la connaissance intime du terrain. C’est là qu’intervient le rôle crucial de l’expert local. Quand on aborde des marchés culturellement très différents, comme l’Asie, il est impensable de vouloir tout diriger depuis Paris.
‘Je ne parle aucune langue asiatique, donc clairement c’est pas moi qui vais faire le truc toute seule et puis il y a des codes culturels que je ne maîtrisais absolument pas.’
L’humilité est ici la plus grande des qualités. Il faut s’appuyer sur une personne du pays, qui connaît l’industrie, qui a le réseau et qui peut servir de traducteur, non seulement linguistique, mais surtout culturel. Cette personne sera votre partenaire, votre boussole. C’est elle qui pourra vous dire avec franchise :
‘Non mais ça ça marche pas chez nous, ça tu peux pas le faire comme ça. Ça faut plutôt l’arranger différemment.’
Ignorer ces conseils, c’est aller droit dans le mur.
Le cas de la Corée du Sud : quand les apparences sont trompeuses
Pour illustrer ce point, l’exemple de la Corée du Sud est parfait. Sur le papier, c’est un marché de rêve : un PIB similaire à celui de la France, une population hyper-connectée, très consommatrice et à la pointe de la modernité. On pourrait penser que le déploiement y serait aisé. Mais la réalité est bien plus complexe. La Corée a un écosystème digital qui lui est propre et qui est extrêmement puissant.
‘Google c’est pas du tout gros là-bas, ils ont leurs acteurs locaux. Naver, c’est énorme. Ils ont pas WhatsApp, ils ont Line et ça cartonne.’
Même des outils aussi universels que Google Maps y sont peu performants. Imaginez les conséquences : toute votre stratégie d’acquisition basée sur le SEO Google, vos campagnes publicitaires, votre communication via WhatsApp… tout est à réinventer. C’est un marché très performant, mais unique. Ne pas prendre en compte ces spécificités, c’est se condamner à l’échec. L’expérience montre qu’il ne faut jamais présumer. Chaque marché est une nouvelle page à écrire, et c’est en écoutant et en s’adaptant qu’on trouve la clé du succès.
Stratégies de lancement : comment réussir ses premiers pas sur un nouveau marché ?
Le jour J est arrivé. La préparation est terminée, le marché cible est validé. Il est temps de se lancer. Mais comment ? Faut-il arriver en grande pompe avec un bureau flambant neuf et une équipe complète, ou adopter une approche plus progressive ? Là encore, il n’y a pas une seule bonne réponse, mais plusieurs stratégies qui dépendent de la nature du marché et de votre aversion au risque. Le but est de trouver le bon équilibre entre la nécessité de marquer sa présence et la prudence financière.
L’approche progressive : tester les marchés limitrophes
Pour des marchés proches géographiquement et culturellement, l’approche la plus sage est souvent la plus progressive. C’est ce que nous avions fait chez Criteo pour l’Espagne et l’Italie. Au lieu d’ouvrir immédiatement des bureaux à Madrid et Milan, nous avons commencé avec des équipes basées à Paris, composées de natifs de ces pays.
‘Ça sert à rien d’aller ouvrir une structure locale parce que bah faut quand même déposer des statuts et cetera, d’ouvrir un bureau qui va coûter cher tant que tu es pas sûr de commencer à avoir vraiment l’attraction commerciale.’
Cette méthode ‘safe’ présente de multiples avantages. Elle minimise les coûts fixes initiaux (loyers, salaires locaux, frais juridiques) et permet de tester le marché en conditions réelles. Si la traction est au rendez-vous, il est toujours temps d’ouvrir une structure locale. Si le marché ne répond pas comme prévu, les pertes sont limitées. C’est une stratégie de ‘test and learn’ à faible risque, idéale pour les premières étapes de l’expansion européenne.
Le grand saut : s’implanter sur un nouveau continent
Cette approche prudente n’est cependant pas viable lorsqu’on change de continent. Pour s’attaquer à l’Asie ou aux Amériques, une présence locale est indispensable dès le départ, ne serait-ce que pour des raisons techniques comme la latence des serveurs. La question clé devient alors : qui recruter en premier ? La réponse est quasi unanime : le ‘Managing Director’ (MD) ou ‘Country Manager’. Cette personne sera le pilier de votre développement. Elle doit non seulement avoir une connaissance parfaite du marché et du business, mais aussi être capable de construire une équipe, de naviguer dans l’administration locale et de porter la culture de votre entreprise. Pour trouver cette perle rare, il faut activer tous les réseaux : des recruteurs spécialisés, la chambre de commerce locale, et idéalement, chercher des profils qui ont déjà travaillé pour des entreprises étrangères. C’est cette personne qui sera le véritable entrepreneur de votre filiale.
Le levier le plus puissant : s’appuyer sur ses clients existants
Au-delà des stratégies de structure, il existe un levier d’une puissance phénoménale, souvent sous-estimé : vos clients actuels. Si vous avez la chance d’avoir dans votre portefeuille des clients qui sont eux-mêmes des groupes internationaux, vous détenez la clé pour un lancement réussi. C’était le secret de notre succès chez Criteo. Avant même de prospecter de nouveaux clients dans un pays, nous proposions à nos clients globaux de lancer des campagnes avec nous sur leurs filiales locales.
‘Dans l’idéal, tu le fais avec des clients que tu as déjà.’
Cette approche a un double, voire un triple bénéfice. Premièrement, vous générez du revenu dès le premier jour, ce qui finance en partie votre lancement. Deuxièmement, vous obtenez des données précieuses et concrètes sur la performance de votre produit sur ce marché spécifique. Vous pouvez comparer les taux de clics, les taux de conversion et les comportements d’achat. Vous n’avancez plus à l’aveugle. Enfin, et c’est peut-être le plus important, vous disposez instantanément de références locales.
‘Ça change tout quand tu vas voir un client que tu lui dis, regardez, ça tourne déjà chez vous dans votre langue sur vos sites.’
Cela rassure énormément et accélère de manière spectaculaire le cycle de vente. C’est la stratégie la plus efficace pour dérisquer et catalyser votre croissance internationale.
Piloter le succès et maintenir la cohésion : les défis du long terme
Le lancement est une chose, mais la pérennité en est une autre. Une fois les premiers succès engrangés, de nouveaux défis apparaissent. Comment mesurer objectivement la performance de chaque pays ? Comment s’assurer que l’entreprise, en grandissant et en se dispersant géographiquement, ne perde pas son âme et sa cohésion ? C’est le passage de la conquête à la gestion, une phase tout aussi cruciale qui nécessite des outils de pilotage fins et une organisation pensée pour l’échelle mondiale.
Définir et mesurer le succès : au-delà du chiffre d’affaires
Le premier réflexe pour mesurer le succès est de regarder la croissance du chiffre d’affaires. C’est un indicateur important, mais il peut être trompeur. Un nouveau marché, par définition, part de zéro et devrait connaître une croissance très forte au début. Mais est-ce suffisant ? Pas vraiment. Un indicateur bien plus pertinent est le taux de pénétration du marché.
‘Je pense que c’est surtout ça, il faut mesurer le succès, c’est ton taux de pénétration par rapport à ton pays d’origine.’
L’objectif n’est pas seulement de grandir, mais d’atteindre, à terme, le même niveau de domination ou de part de marché que celui que vous avez dans votre pays d’origine. Si, après plusieurs années, un pays à fort potentiel reste un acteur mineur sur son marché, alors il y a un problème à analyser. Est-ce un sujet de concurrence, de produit, de management local ? C’est ce benchmark qui permet de prendre des décisions stratégiques éclairées : faut-il réinvestir, pivoter, ou se concentrer sur des marchés plus prometteurs ?
La culture d’entreprise à l’épreuve des frontières : le rôle du gardien du temple
L’un des plus grands risques de l’hyper-croissance internationale est la dilution de la culture et de la vision de l’entreprise. Chaque pays peut être tenté de développer ses propres pratiques, de ‘vendre son truc’ à sa manière, créant ainsi une multitude de petites entreprises au sein de la même entité. À terme, cela devient ingérable, notamment pour les équipes produit et R&D qui ne peuvent pas développer dix versions différentes de la même solution. Pour contrer ce phénomène, la mise en place d’une ‘équipe centrale’ est une solution efficace. Son rôle n’est pas de commander, mais d’harmoniser. Elle s’assure que le discours commercial est cohérent, que les meilleures pratiques sont partagées et que le produit reste le même pour tous. J’aime utiliser l’analogie de l’iPhone pour expliquer cela :
‘Toi tu as un iPhone ? Bah regarde, moi j’ai le même. Et ben il marche pareil en France, aux US au Japon. Donc je vois pas pourquoi on n’arriverait pas à faire la même chose, c’est Criteo.’
Le produit est universel, même si la manière de le présenter peut s’adapter localement. Cette équipe centrale est le gardien du temple, garant de la cohérence globale.
Cette structure centrale ne doit pas être un organe de contrôle déconnecté des réalités du terrain. Sa force réside dans sa double fonction. D’une part, elle diffuse la vision et les standards du siège vers les régions. D’autre part, et c’est tout aussi important, elle recueille les besoins et les feedbacks des marchés locaux pour les remonter de manière structurée aux équipes produit. Elle agit comme une courroie de transmission dans les deux sens, s’assurant que le produit global continue d’évoluer pour répondre aux besoins de tous les clients, et pas seulement ceux d’une seule région. Pour que cela fonctionne, il est impératif que cette équipe ait une présence dans chaque grande région, pour être au contact quotidien des équipes et des clients. C’est cet équilibre délicat entre centralisation de la vision et décentralisation de l’écoute qui permet de scaler une culture d’entreprise forte à l’échelle mondiale.
Conclusion : l’international, une ambition qui se cultive avec raison
L’aventure internationale est sans aucun doute l’une des expériences les plus excitantes et les plus transformatrices pour une entreprise. C’est une formidable source de croissance, d’apprentissage et d’enrichissement. Cependant, comme nous l’avons vu, ce n’est pas une destination que l’on atteint par hasard. C’est le fruit d’une stratégie réfléchie, d’une préparation méticuleuse et d’une exécution rigoureuse. Les points clés à retenir sont clairs : analysez lucidement si votre modèle s’y prête, bâtissez des fondations légales et fiscales à toute épreuve, et ne sous-estimez jamais les spécificités culturelles et locales.
La stratégie la plus intelligente reste de commencer par ce que vous connaissez : vos clients internationaux existants sont votre porte d’entrée la plus sûre et la plus rapide. Une fois sur place, mesurez votre succès non pas à la vitesse de votre croissance, mais à votre capacité à pénétrer durablement le marché. Et surtout, gardez une vision et une culture unifiées grâce à des mécanismes de coordination comme une équipe centrale. Enfin, il faut savoir rester humble. La tentation du ‘rêve américain’ est forte, mais les marchés les plus grands sont aussi les plus compétitifs et les plus coûteux. Il faut se garder de toute présomption.
Mon conseil final serait celui-ci : soyez ambitieux, mais soyez raisonnable. Le développement international ne doit pas devenir une quête effrénée qui met en péril votre activité existante.
‘Faut le faire mais il faut le faire de manière raisonnée et raisonnable parce que c’est a vite fait de bouffer le business et après on a plus rien à vendre tout court.’
Approchez chaque nouveau pays comme une nouvelle entreprise à bâtir, avec ses propres défis et ses propres opportunités. C’est en alliant l’audace de la vision à la prudence de l’exécution que vous transformerez votre ambition mondiale en un succès durable et rentable.
Questions fréquentes sur le développement international
1. Est-ce que toutes les entreprises doivent se développer à l’international ?
Non, ce n’est absolument pas une obligation. L’internationalisation doit être une décision stratégique et non une simple case à cocher. Elle est particulièrement pertinente pour les entreprises dont le modèle économique est facilement réplicable, comme les logiciels en ligne, et qui commencent à saturer leur marché domestique. Pour d’autres, dont le produit est très dépendant d’un contexte légal ou culturel spécifique (comme une solution de jurisprudence française), l’effort peut être démesuré par rapport au gain potentiel. Il est essentiel d’évaluer la pertinence de cette démarche au cas par cas.
‘Je pense qu’il y a pas de recette magique, il y a pas de comment dire, de schéma réplicable et applicable à toutes les boîtes. Je pense que chaque boîte est différente.’
2. Quels sont les premiers partenaires à contacter pour une expansion internationale ?
La préparation est clé et elle nécessite une expertise que vous n’avez pas forcément en interne. Il faut s’entourer d’un trio d’experts externes pour chaque pays ciblé : un cabinet d’avocats spécialisé dans le droit des affaires local pour valider la conformité de votre offre et de vos contrats, un expert-comptable ou un conseiller fiscal pour définir la structure juridique et financière la plus adaptée, et potentiellement un consultant local pour vous aider à comprendre les codes culturels et commerciaux. En interne, il vous faut un chef de projet qui coordonne ces différents partenaires.
‘On est obligé de s’appuyer par exemple, je repense quand on avait ouvert la Chine chez Criteo, je me souviens on avait fait des meetings avec bah des représentants locaux parce que l’aspect légal en Chine avec le gouvernement est extrêmement compliqué.’
3. Comment savoir si mon produit est adapté à un marché étranger avant d’investir massivement ?
La meilleure stratégie pour tester un marché à moindre coût est de s’appuyer sur vos clients existants qui ont une présence internationale. Proposez-leur de lancer une campagne ou un projet pilote dans le pays que vous ciblez. Cela vous permet d’obtenir des données de performance réelles (taux de conversion, comportement utilisateur) sans avoir à monter une structure complète. C’est un test en conditions réelles qui vous donne une première idée très concrète de l’adéquation de votre produit avec le marché local et vous fournit des références précieuses.
‘Ça te permet avant même de se lancer dans un développement beaucoup plus large, ça te permet de voir est-ce qu’on a les mêmes taux de clic, est-ce qu’on a les mêmes taux de conversion, est-ce qu’on a les mêmes comportements…’
4. Quelle est la plus grande erreur à éviter en se lançant aux États-Unis ?
La plus grande erreur est la présomption et le manque d’humilité. Beaucoup d’entreprises européennes pensent que parce que c’est un grand marché unifié par la langue, le succès sera facile. C’est tout l’inverse. La concurrence y est féroce, les coûts (salaires, marketing, frais juridiques) sont exorbitants et en tant qu’entreprise étrangère, personne ne vous attend. Il faut arriver avec des ressources financières très importantes, une proposition de valeur ultra-claire et accepter que le chemin sera long et difficile. Penser qu’on va réussir rapidement est le meilleur moyen de ‘cramer’ tous ses fonds.
‘Ça coûte très cher que quand on est français, il faut être humble parce que quand on arrive aux US, vu des US, on est le tiers monde. J’y ai vécu, je sais. Euh donc faut faut remettre l’église au milieu du village.’
5. Comment recruter la bonne personne pour lancer un nouveau pays ?
Le premier recrutement, souvent un Directeur Général (MD) local, est le plus critique. Cette personne doit être un véritable entrepreneur. Il faut chercher un profil avec une excellente connaissance du secteur et du marché local, un réseau solide et, idéalement, une expérience préalable au sein d’une entreprise étrangère. Cela garantit une certaine capacité d’adaptation à une culture d’entreprise différente. Pour le trouver, il faut utiliser des cabinets de recrutement spécialisés sur place, activer les réseaux des chambres de commerce et ne pas hésiter à prendre son temps pour trouver la perle rare.
‘Idéalement quelqu’un qui a même déjà bossé pour une boîte française, c’est pas mal parce qu’on sait qu’il arrive à s’adapter à la culture business par exemple. Et donc c’est plutôt ça.’
6. Quel est l’indicateur clé pour mesurer la réussite d’une implantation à l’étranger ?
Si la croissance du revenu est importante au début, l’indicateur le plus pertinent à moyen et long terme est le taux de pénétration du marché, comparé à celui de votre marché d’origine. L’objectif n’est pas seulement de faire du chiffre, mais de devenir un acteur significatif sur ce nouveau marché. Si votre part de marché stagne à un niveau très bas malgré la croissance, cela indique un problème de fond qu’il faut analyser (concurrence, produit, équipe). C’est ce KPI qui vous dira si votre succès est durable.
‘Si tu pars du principe que la France marchait bien et que tu étais déjà plus ou moins arrivé à une certaine maturité et du coup un taux de pénétration de marché assez haut, est-ce que tu arrives au même sur ces autres pays-là ?’
7. Comment garder une culture d’entreprise unifiée avec des équipes sur plusieurs continents ?
C’est un défi majeur. Une des solutions les plus efficaces est de mettre en place une ‘équipe centrale’, une structure transversale qui n’appartient à aucune région. Son rôle est d’harmoniser les pratiques, le discours commercial et le déploiement des produits. Elle agit comme un gardien de la vision globale de l’entreprise. Mais elle doit aussi avoir des membres présents dans chaque grande région pour être connectée au terrain, écouter les besoins locaux et les faire remonter de manière structurée à la R&D. C’est cet équilibre entre vision globale et écoute locale qui maintient la cohésion.
‘Une équipe centrale, ça n’appartient à aucune région mais ça a une présence dans toutes les régions justement, c’est ça la clé.’
8. Faut-il ouvrir un bureau physique dès le premier jour dans un nouveau pays ?
Pas nécessairement, cela dépend de la distance géographique et culturelle. Pour des pays limitrophes (par exemple, l’Espagne ou l’Italie depuis la France), il est plus prudent de commencer avec une équipe de natifs basée au siège. Cela permet de tester le marché et de générer une première traction commerciale sans engager les frais importants liés à la création d’une entité juridique et à la location de bureaux. En revanche, pour un lancement sur un autre continent comme l’Asie ou l’Amérique, une présence physique dès le départ est quasiment inévitable pour des raisons de fuseaux horaires, de proximité client et de crédibilité.
‘Quand tu arrives à le faire comme ça, vaut mieux commencer comme ça. C’est la manière la plus safe et qui permet quand même très bien de fonctionner. Le pays est suffisamment proche aussi en terme de distance pour pouvoir le gérer à distance.’




