Qu’est-ce que l’intelligence artificielle, au-delà du buzzword ?
L’intelligence artificielle est sur toutes les lèvres, un sujet vaste qui suscite autant de fascination que d’inquiétude, notamment dans nos métiers. L’IA est-elle un ami ou un ennemi ? Va-t-elle nous rendre plus performants ou simplement nous remplacer ? Pour aborder l’impact de ces nouvelles technologies sur le métier du digital marketeur, nous recevons Arnaud Châtel, expert du sujet. Avant de plonger dans le vif du sujet du ia marketing digital, il est crucial de bien définir de quoi l’on parle.
Une définition simple pour tous
Face à la complexité du sujet, Arnaud Châtel propose une définition accessible à tous : « Je vais te donner la mienne qui est accessible à ma grand-mère de 80 ans et à mon fils de 7 ans. » La grande différence avec un programme informatique classique, c’est que l’IA, « ça se programme pas, ça s’éduque. Et pour s’éduquer, elle a besoin d’une quantité de données astronomique. » C’est cette matière première, la data, qui est aujourd’hui la clé de la domination des géants américains et chinois.
Ces programmes éduqués sont alors capables de réaliser des tâches bien mieux que nous. Ils peuvent « faire des calculs beaucoup mieux que nous, […] conduire une voiture beaucoup mieux que nous, […] diagnostiquer un cancer beaucoup mieux que nous. » L’IA déploie une puissance de calcul que notre cerveau humain, bien qu’extrêmement performant, ne peut égaler. Pour illustrer, Arnaud prend un exemple concret : « Si demain tu es chef de projet chez Uber et que ton boss te demande de sortir une analyse sur deux arrondissements parisiens, […] un véhicule Uber par jour, c’est 7000 milliards d’octets. Donc autant te dire que même si on est besogneux, c’est compliqué avec un petit cerveau humain. »
L’IA, un terme marketing avant tout
Ironiquement, le terme même d' »intelligence artificielle » est une construction marketing. Comme le souligne Arnaud, « l’IA déjà c’est une grosse connerie. C’est un terme marketing. » Ce n’est pas un concept sorti d’un chapeau de magicien, mais bien une appellation pensée par « des bons marketeux qui ont inventé un truc qui pourrait être communiqué et puis divulgué et propager par la suite. » Cela nous amène directement à son application dans notre domaine.
L’IA dans le marketing digital : une réalité déjà bien installée
Contrairement à une idée reçue, l’intelligence artificielle n’est pas une technologie futuriste en attente. Elle est déjà partout dans notre quotidien de marketeurs, souvent sans que nous en ayons pleinement conscience. « Aujourd’hui pour les marketeux l’IA est est partout et va l’être de plus en plus », affirme Arnaud.
Le marketeur sous stéroïde : une nouvelle ère de performance
L’apport principal de l’IA n’est pas de remplacer l’humain, mais de décupler ses capacités. C’est ce qu’Arnaud appelle le « marketeur sous stéroïde ». L’IA « nous permet de pousser les limites de ce que nous avec notre petit cerveau humain et avec toute notre expertise, on va être dans la capacité d’analyser et de proposer et de créer. » Elle agit comme un amplificateur de nos compétences, nous aidant à traiter des volumes d’information autrement ingérables.
Exemples concrets d’IA que vous utilisez sans le savoir
Où se cache donc cette IA ? Les exemples sont nombreux et font partie de nos outils quotidiens :
- La publicité en ligne : « Tu es un marketeux, tu dois faire la promotion de ta marque, il y a de fortes chances à ce que tu sois amené à faire du Google Ads. […] Aujourd’hui, quand tu es sur la plateforme de Google, c’est l’IA qui te mâche le travail. »
- L’emailing : « Quand tu es amené à faire une campagne d’emailing […], tu vas être amené à segmenter ta base de données, à faire du ciblage. Tout ça, ce sont des algorithmes qui te prémâchent le travail. »
- La relation client : « Aujourd’hui dans le cadre d’une stratégie de relation client poussée, vous allez mettre en place un chatbot et les chatbots, c’est une des composantes de l’intelligence artificielle. »
La règle d’or est simple : « Dès qu’on est amené à malaxer, à titiller, à caresser de la data et dans une grande quantité, il y a fort à imaginer qu’il y a de l’intelligence artificielle en dessous. »
Comprendre les rouages : machine learning et data au cœur du système
Le terme IA est un terme générique qui recouvre en réalité un ensemble de technologies. Il est important de comprendre les briques qui la composent pour saisir son fonctionnement.
Du machine learning au deep learning : les moteurs de l’IA
Le machine learning (apprentissage automatique) et le deep learning (apprentissage profond) ne sont pas des concepts à part, mais bien des piliers de l’IA moderne. Arnaud confirme : « Évidemment que le machine learning est une de ces extensions, le deep learning, ça fait partie intégrante des composantes de l’IA. » C’est l’avènement de ces technologies vers 2012-2013 qui a permis le véritable essor de l’IA, en rendant possible l’analyse de ces fameuses « quantités astronomiques de données ».
Le smart bidding de Google Ads : un cas d’école
L’évolution des plateformes publicitaires comme Google Ads illustre parfaitement cette montée en puissance. On est passé d’une gestion manuelle à des systèmes comme le « smart bidding » qui nous incitent à « laisser faire la machine ». Mais comment ça fonctionne ? Tout repose sur la data. « Les IA, les algos, pour pouvoir être de plus en plus performants, ils vont être amenés à analyser, calculer, identifier des quantités astronomiques de données », explique Arnaud. En lui fournissant des données, nous permettons à l’algorithme de Google d’analyser des millions de scénarios pour diffuser la bonne publicité, à la bonne personne, au bon moment. C’est la clé pour passer du « mass market » au « one to one market », en visant une personnalisation extrême.
Quel avenir pour le métier de marketeur à l’ère de l’intelligence artificielle ?
Face à cette automatisation croissante, la question de l’avenir de notre métier est légitime. Si la machine fait mieux et plus vite, quelle est notre place ?
La véritable équation du futur : IA + Marketeur > IA seule
La vision d’Arnaud n’est pas apocalyptique, mais elle invite à une redéfinition de notre valeur ajoutée. L’avènement de l’IA « va nous permettre à nous de nous reconcentrer de plus en plus sur la valeur même du marketeur, à savoir la partie créative et la partie relation humaine. » Toutes les tâches répétitives et laborieuses, comme « aller pêcher les données, les tableaux, les machins », seront de plus en plus gérées par les machines, qui le feront « beaucoup beaucoup beaucoup mieux que nous. »
La bonne question à se poser est la suivante : « Est-ce que l’IA plus le marketeur est supérieur à l’IA toute seule ? Si la combinaison des deux produira des résultats meilleurs, il y a aucun problème pour la valeur du marketeur. » Si ce n’est pas le cas, la logique économique prévaudra.
L’évolution inévitable des métiers du marketing
Cette transformation n’est pas une rupture, mais la continuité de l’évolution de nos métiers. Arnaud partage son expérience : « Moi quand j’avais 22 ans, quand j’étais à l’école, si on m’avait dit un jour que je serai social media manager, data scientist, je te dirais what, de quoi tu parles ? » Des métiers disparaissent, d’autres se créent. La question est de savoir si l’on adopte une « vision très française apocalyptique » ou une « vision un peu plus anglo-saxonne où ça va créer des opportunités. »
Une révolution qui dépasse le marketing : l’impact global de l’IA
L’erreur serait de penser que seul le marketing est touché. L’IA est une vague de fond qui transforme l’ensemble de la société. « On a connu une première révolution qu’on appelle la fameuse révolution digitale […]. Et ben il va en être de même et peut-être même de manière beaucoup plus violente avec l’intelligence artificielle », prévient Arnaud. De la comptabilité à la santé, en passant par le monde juridique, l’art ou l’industrie, aucun secteur n’est épargné. La logique est implacable : « Vu que on est dans une ère où l’or noir du 21e siècle, c’est la data, la data est partout, il y a donc de l’IA partout. »
Géopolitique de l’IA : l’Europe en position de spectateur ?
Si l’IA est le nouveau champ de bataille économique mondial, quelle est la place de l’Europe dans cette compétition ? La vision d’Arnaud est sans concession.
Le terrain de tennis mondial : États-Unis contre Chine
Il utilise une métaphore puissante pour décrire la situation : « Faut imaginer la scène mondiale comme un terrain de tennis. Le joueur de gauche, c’est les États-Unis avec les Gafa. […] Le joueur de droite, ce sont les BATX, les Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi. Et dans les tribunes, ce sont les européens. » Nous sommes devenus ce qu’un de ses amis appelle des « crapaux numériques ». Le problème fondamental est l’accès à la matière première : la data. Nous n’avons pas d’acteurs technologiques de la taille des géants américains ou chinois. « Criteo c’est mignon. Criteo c’est 1 milliard de dollars côté en bourse. Google, Apple, Facebook, c’est 1000 milliards de dollars de capitalisation boursière. »
Le paradoxe européen : le RGPD, une bonne idée qui nous freine ?
L’Europe a fait le choix de la régulation, notamment avec le RGPD. Sur le principe, « c’est une bonne chose, […] réapproprier aux utilisateurs leurs données. » Le problème, c’est que cette régulation a été pensée en vase clos. « On l’a fait pour l’Europe, mais les chinois, ils en ont pas et les États-Unis ils en ont pas. Donc nous, on se contraint de règles assez importantes […] et pendant ce temps-là, les États-Unis ‘Ouais, on va y penser les gars’ et puis la Chine, bah la Chine quoi. » Moralité, « on se contraint nous pendant que les autres sont en mode freestyle. » Ce désavantage compétitif pourrait avoir des conséquences dramatiques sur nos industries phares, comme l’automobile, qui dépendra demain massivement de l’IA pour les véhicules autonomes.
Conclusion : quelle voie pour l’Europe et pour les marketeurs ?
Malgré ce tableau assez pessimiste, tout n’est pas perdu. Il existe une voie pour que l’Europe tire son épingle du jeu. Cette voie, c’est celle de la différenciation par la valeur. « Je pense qu’il y a une chose où on a une vraie valeur, un vrai atout à jouer. C’est sur ce qu’on appelle l’IA for good », suggère Arnaud. Il s’agit de « développer des algo bons pour l’humanité, mais plus sérieusement sans biais, respectueux de plein de choses. »
Cela passe par une prise de conscience des dangers, comme les biais algorithmiques. Le livre d’Aurélien, « De l’autre côté de la machine », est d’ailleurs recommandé pour comprendre ces enjeux. L’idée de devenir une sorte de « garant des droits de l’homme à l’intérieur des algorithmes » est une piste intéressante. Pour le marketeur, l’enjeu est similaire : ne pas subir la technologie, mais l’apprivoiser, la comprendre, et l’utiliser pour se concentrer sur ce qui fait notre humanité : la créativité, l’empathie et la relation à l’autre.
FAQ sur l’IA et le Marketing Digital
L’IA va-t-elle remplacer les marketeurs ?
Non, l’IA ne remplacera probablement pas les marketeurs, mais elle va profondément transformer leur métier. Elle automatisera les tâches analytiques et répétitives, obligeant les professionnels à se concentrer sur des compétences à plus forte valeur ajoutée comme la stratégie, la créativité et la relation humaine.
« La bonne équation, c’est est-ce que l’IA plus le marketeux est supérieur à l’IA toute seule. Si la combinaison des deux produira des résultats meilleurs, il y a aucun problème pour la valeur du marketeux. » – Arnaud Châtel
Qu’est-ce qu’un « marketeur sous stéroïde » ?
L’expression « marketeur sous stéroïde » désigne un professionnel du marketing dont les capacités sont décuplées par l’intelligence artificielle. L’IA lui permet d’analyser d’immenses quantités de données et d’automatiser des tâches complexes, ce qui lui donne une puissance d’action et une efficacité bien supérieures à ce qu’il pourrait atteindre seul.
« L’IA, ça a une vertu pour nous marketeux, c’est que ça nous permet de devenir des marketeux sous stéroïde. Ça nous permet de pousser les limites de ce que nous […] on va être dans la capacité d’analyser et de proposer et de créer. » – Arnaud Châtel
Comment l’IA est-elle déjà utilisée dans le marketing digital ?
L’IA est déjà intégrée dans de nombreux outils du quotidien : les systèmes d’enchères intelligentes (Smart Bidding) sur Google Ads, la segmentation et la personnalisation des campagnes d’emailing, les chatbots pour la relation client ou encore les algorithmes de recommandation sur les sites e-commerce.
« Que ce soit dans l’email, que ce soit dans la publicité bien évidemment, que ce soit dans un des acteurs importants de l’achat de mots clés […], dans toutes les problématiques liées au mobile, au Instore, enfin bref, aujourd’hui pour les marketeux l’IA est partout. » – Arnaud Châtel
Quelle est la différence entre l’IA et le machine learning ?
Le machine learning (apprentissage automatique) est une sous-catégorie de l’intelligence artificielle. L’IA est le concept global de création de machines intelligentes, tandis que le machine learning est l’une des principales technologies qui le permettent, en donnant aux ordinateurs la capacité d’apprendre à partir de données sans être explicitement programmés.
« Évidemment que le machine learning est une de ces extensions, le deep learning, ça fait partie intégrante des composantes de l’IA. C’est d’ailleurs grâce à eux qu’il y a eu un réel boom dans les années 2012-2013. » – Arnaud Châtel
Pourquoi la data est-elle si importante pour l’intelligence artificielle ?
La data est le carburant de l’IA. Un système d’intelligence artificielle ne se programme pas, il s’éduque. Pour apprendre à reconnaître des schémas, faire des prédictions ou prendre des décisions, il doit analyser une quantité astronomique de données. Sans données, une IA est inutile.
« L’IA, ça se programme pas, ça s’éduque. Et pour s’éduquer, elle a besoin d’une quantité de données astronomique. C’est d’ailleurs pour ça que nos amis […] dominent le monde hein parce que c’est eux qui ont la matière première. » – Arnaud Châtel
Comment le smart bidding de Google Ads utilise-t-il l’IA ?
Le smart bidding utilise l’IA pour analyser en temps réel des millions de signaux (heure de la journée, appareil, localisation, comportement passé, etc.) afin de prédire la probabilité de conversion d’une enchère. Il ajuste ensuite automatiquement les enchères pour maximiser les résultats en fonction des objectifs de la campagne, ce qu’un humain ne pourrait jamais faire à cette échelle.
« Les IA, les algo […] vont être amenés à analyser, calculer, identifier des quantités astronomiques de données […] pour pouvoir par la suite […] nous desservir la publicité qui va être le plus parlant, le plus juste et le plus efficace. » – Arnaud Châtel
Quelle est la place de l’Europe dans la course à l’IA face aux USA et à la Chine ?
L’Europe est actuellement en position de spectateur, largement distancée par les États-Unis (GAFA) et la Chine (BATX) qui dominent le marché grâce à leur maîtrise de la donnée et à leurs géants technologiques. L’Europe manque d’acteurs de taille équivalente pour rivaliser.
« Faut imaginer la scène mondiale comme un terrain de tennis. Le joueur de gauche, c’est les États-Unis avec les Gafa […]. Le joueur de droite, ce sont les BATX […]. Et dans les tribunes, ce sont les européens. » – Arnaud Châtel
Le RGPD est-il un frein au développement de l’IA en Europe ?
Oui, bien que le RGPD soit une avancée pour la protection des données personnelles, il peut constituer un frein compétitif. En imposant des règles strictes sur la collecte et l’utilisation des données, il limite l’accès à la « matière première » de l’IA pour les entreprises européennes, alors que leurs concurrents américains et chinois opèrent avec moins de contraintes.
« Le problème c’est ‘Ouais, on a fait une bonne chose, mais on l’a fait tout seul.’ Donc moralité, on se contraint nous pendant que les autres sont en mode freestyle. » – Arnaud Châtel




