Mon téléphone écoute mes conversations pour me proposer de la publicité : mythe ou réalité ?
Vous avez déjà eu cette étrange impression ? Celle d’avoir une conversation privée sur un sujet précis, et de voir apparaître quelques minutes plus tard une publicité ciblée sur ce même sujet sur vos réseaux sociaux. C’est une rumeur persistante, presque une légende urbaine de l’ère numérique : nos téléphones nous écouteraient à des fins marketing. Mais qu’en est-il vraiment ? Comme l’explique Romain, expert en marketing digital, cette idée, bien que tenace, est très peu plausible. Plongeons dans un raisonnement analytique, parfois par l’absurde, pour démêler le vrai du faux sur le fameux téléphone qui écoute les conversations.
Cette chronique de rentrée s’attaque à une « rumeur qui est un peu persistante, figure-toi, puisque bah on entend quand même assez souvent des personnes qui nous disent qu’ils se sentent espionnés par leur téléphone et par les réseaux sociaux qu’ils ont installés sur leur téléphone à des fins marketing ». Alors, comment peut-on démontrer que cette rumeur est, en réalité, peu fondée ?
L’espionnage par le micro : une mission techniquement quasi impossible ?
Le premier argument contre cette théorie est purement technique. Selon Romain, la première raison pour laquelle cet espionnage est peu plausible, « c’est que c’est très très très très complexe d’un point de vue technique de réaliser cet espionnage ». Cette complexité se manifeste sur plusieurs plans, notamment les ressources nécessaires pour une telle opération.
Le double obstacle de la batterie et de la consommation de données
Pour comprendre cet obstacle, il faut savoir comment fonctionnerait un tel système. « L’analyse audio, ça demande à transcrire cette donnée de voix en données texte qui va derrière être analysée par une machine. » Or, cette opération est extrêmement gourmande en ressources. Comme le souligne Romain, « ça, ça ne peut pas être fait sur votre petit téléphone. C’est quelque chose qui forcément doit être fait par un gros serveur. »
Cette nécessité de passer par un serveur externe implique deux conséquences directes et mesurables pour l’utilisateur. Premièrement, cela « nécessite que de la data soit utilisée pour envoyer ce flux de données ». Deuxièmement, cela « nécessite également à ce que de la batterie soit consommée ». En effet, les données ne seraient pas envoyées de façon brute ; elles devraient d’abord être compressées, par exemple dans un format MP3, ce qui consomme de l’énergie. En clair, si nos téléphones nous écoutaient en permanence, nous aurions des indicateurs factuels de ce transfert de données, que ce soit dans notre consommation de data ou dans l’autonomie de notre batterie. Ce serait facilement observable.
L’expérience de Wandera : la preuve par l’exemple
Cette théorie a été mise à l’épreuve. Romain cite une « super transition » vers une expérience menée par l’entreprise de sécurité Wandera. Ils ont réalisé un test simple mais révélateur. « Ils ont mis deux téléphones sur lesquels ils ont installé l’ensemble des réseaux sociaux. Il y a un téléphone qui a été mis dans une pièce pendant 3 jours dans le silence complet, c’est ce qu’on appelle un groupe de contrôle dans un AB test. Et l’autre téléphone lui était dans une pièce avec à côté d’un haut-parleur qui diffusait en permanence des publicités pour de la nourriture pour animaux. »
Les chercheurs ont ensuite comparé l’usage de la batterie et la consommation de data entre les deux appareils. Le résultat est sans appel : « figure-toi que c’était complètement ISO, parfois c’était en faveur du groupe témoin, parfois en faveur du groupe de test. Bref, c’est vraiment du bruit statistique. » Pour couronner le tout, sur le téléphone du groupe test, les chercheurs « n’ont pas observé de publicité sur les réseaux sociaux associée à des animaux ». Cette expérience, bien qu’à petite échelle, vient confirmer l’hypothèse de l’impact technique : un espionnage constant laisserait des traces.
Au-delà de la technique : la complexité de l’analyse audio à grande échelle
Admettons un instant que les géants de la tech aient trouvé un moyen de contourner les obstacles de la batterie et de la data. Un autre mur, tout aussi haut, se dresse devant eux : l’analyse même du contenu audio.
De la voix au texte : un défi pour l’intelligence artificielle
Même si les données vocales parvenaient aux serveurs, il faudrait encore les analyser. « Et ben figure-toi que l’analyse audio ce n’est pas quelque chose de simple à faire », explique Romain. « Malgré des avancées en intelligence artificielle, ça reste un problème assez complexe à résoudre. » Plusieurs facteurs rendent cette tâche ardue :
- La langue et les accents : Il faut pouvoir gérer toutes les langues du monde et leurs variations régionales.
- Les particularités de la voix : La prononciation, la nasalité, le volume, la vitesse de parole sont propres à chaque individu.
- Le nombre d’interlocuteurs : Une machine devrait pouvoir distinguer plusieurs personnes parlant en même temps.
- L’environnement sonore : Les fonds sonores, l’écho, les bruits parasites (comme un « bruit métallique ») compliquent énormément la transcription.
Romain résume : « Tout ça pour vous dire, c’est très complexe à faire et il faut vraiment investir beaucoup d’argent pour pouvoir avoir un système qui va marcher décemment. » Pour illustrer cette difficulté, il partage une anecdote personnelle : « J’ai une amie qui faisait du contrôle qualité pour Amazon Alexa et elle entendait souvent sa collègue italienne jurer ‘Alexo stupido’ parce que bah oui même Amazon en italien a du mal à vraiment être hyper optimisé apparemment. »
Comprendre l’intention : le Graal inatteignable du ciblage publicitaire vocal
Une fois la voix transcrite en texte, le travail n’est pas fini. Loin de là. « L’ordinateur, la machine doit finalement analyser un petit peu le sentiment qui était évoqué, le sujet qui était évoqué, parce qu’on se rappelle qu’on voulait essayer de voir si ça pouvait être utilisé comme signal pour un ciblage publicitaire. »
Il faudrait alors déterminer si le signal était positif, négatif ou neutre, et même identifier le stade dans le cycle d’achat de la personne (simple curiosité, prospection, post-achat). C’est « hyper complexe à faire et c’est de l’investissement additionnel croisé encore une fois avec ces problèmes d’échelle qu’on vont avoir ces plateformes ». Déployer une technologie aussi coûteuse et complexe pour des milliards d’utilisateurs représenterait un investissement colossal pour un retour sur investissement probablement bien inférieur à celui des méthodes de tracking actuelles.
Au-delà du smartphone : les objets connectés sont-ils des mouchards ?
Si les réseaux sociaux sur nos téléphones ne nous écoutent pas, qu’en est-il de la myriade d’autres appareils connectés qui peuplent nos foyers ? Un frigo ou un robot de cuisine pourraient-ils être les vrais espions ?
Le cas du frigo connecté : un risque réel mais une faible rentabilité
Romain n’exclut pas la possibilité technique. « On pourrait très bien imaginer que certains frigos puissent être hackés à des fins d’écoute. » Cependant, le hacker se heurterait aux mêmes problèmes que les géants du web, et à d’autres en plus. « Il n’aurait pas vraiment beaucoup d’échelle parce que on a tous des modèles un peu différents de frigo connectés. » De plus, un problème majeur de « cross device » se poserait : « c’est pas votre frigo qui navigue sur internet, c’est vous depuis votre téléphone ». Faire le lien entre l’écoute du frigo et le profil publicitaire du téléphone est un casse-tête. Au final, il serait « très très très compliqué d’avoir des échelles intéressantes pour des annonceurs », et encore plus de trouver des annonceurs prêts à acheter ce type d’audience.
L’affaire du robot de cuisine Lidl : quand un micro caché sème la panique
Le risque n’est pas nul pour autant. Romain rappelle un exemple qui avait fait grand bruit : « Lidl qui avait lancé un robot de cuisine connecté sur lequel il n’avait pas mentionné le fait qu’il y avait un micro ». Le constructeur l’avait laissé en prévision d’une future intégration d’assistant vocal, mais ne l’avait jamais activé. L’affaire avait été largement médiatisée, soulignant les risques potentiels de ces objets pour la vie privée et la criminalité en général.
Les enceintes connectées : à l’écoute, mais pas pour la publicité
Et les assistants vocaux comme Google Home ou Amazon Alexa ? Là-dessus, Romain se veut rassurant. « Les enceintes connectées effectivement vous écoutent en permanence, mais vont essayer de détecter réellement les fameux ‘OK Google’ seulement. » L’analyse pour détecter ce mot-clé se fait localement, sur l’appareil. « L’envoi de données n’est jamais réalisé sans ce petit mot clé. Donc rassurez-vous là-dessus, rassurez-vous sur vos enceintes connectées, elles ne vous espionnent pas à des fins marketing. »
Le vrai coupable : pourquoi avons-nous l’impression d’être sur écoute ?
Si la thèse de l’écoute est si peu plausible, pourquoi est-elle si répandue ? La réponse se trouve moins dans nos appareils que dans notre cerveau et notre méconnaissance des technologies de tracking.
Les biais cognitifs : quand notre cerveau cherche du sens
« Les personnes qui se sentent écoutées potentiellement par leur téléphone, c’est justement parce qu’ils ne comprennent pas comment fonctionne le tracking sur internet », analyse Romain. Ce sentiment est réel et doit être pris au sérieux. Il ne s’agit pas de folie, mais d’un mécanisme psychologique bien connu : « Le cerveau a besoin de donner du sens à ce qu’on observe. Ça s’appelle des biais cognitifs et on est tous impactés par ça. » Face à la coïncidence troublante entre une conversation et une publicité, l’explication la plus simple et la plus directe (l’écoute) s’impose à notre esprit.
La puissance méconnue du tracking web et applicatif
La véritable explication est plus complexe, mais bien plus puissante. « Les gens en général ne savent pas vraiment que Facebook récupère énormément de données en dehors de Facebook. » Les géants du web disposent de trackers (comme le pixel Facebook) installés sur des millions de sites marchands et de blogs. Grâce à ces outils, ils collectent une quantité phénoménale de données comportementales : les sites que vous visitez, les produits que vous consultez, le temps que vous passez sur une page, etc.
Ils croisent ensuite ces données avec les informations socio-démographiques qu’ils possèdent déjà sur leur plateforme (votre âge, votre localisation, vos amis, vos centres d’intérêt déclarés). « Et ça, ça leur permet de générer des segments qui sont hyper pertinents, bien plus que des segments qui pourraient être générés avec la voix. » Parfois, il y a des coïncidences, des « collusions entre le sujet que vous êtes en train de discuter avec un ami et le segment dans lequel Facebook vous a mis à cause de leur tracking ». C’est cette pertinence redoutable qui crée l’illusion de l’écoute.
Vers plus de transparence : comment l’industrie répond à nos craintes
Face à ce sentiment d’intrusion, qu’il soit fondé sur une réalité technique ou sur un malentendu, l’industrie technologique commence à réagir, poussée par la demande des utilisateurs pour plus de contrôle et de transparence.
L’éducation, première arme contre la désinformation
La première réponse est la pédagogie. Il est crucial de ne pas adopter « une attitude agressive ou prendre ces gens pour des fous ». Ce sont des sentiments légitimes basés sur une observation. « Il suffit juste de continuer à rassurer et à éduquer » sur le fonctionnement réel de la publicité en ligne. Comprendre les mécanismes du tracking est le meilleur moyen de démystifier la peur de l’écoute.
Apple en gendarme de la vie privée avec iOS 14
Certains acteurs du marché prennent le problème à bras le corps. Apple, notamment, a fait de la protection de la vie privée un argument marketing majeur. « La dernière version donc iOS 14 […] devrait proposer un voyant lumineux dès qu’une application utilisera le micro. » Cette simple notification visuelle permet à l’utilisateur de savoir en temps réel si son micro est actif et quelle application l’utilise. Romain évoque même la possibilité que le futur « iPhone 12 aura une petite loupiotte directement qui sera même pas dans l’écran ». Le matériel lui-même se met au service de la transparence pour nous indiquer quand une application nous « espionnerait », avec de gros guillemets bien sûr.
En conclusion, si la crainte d’être écouté par son téléphone est compréhensible, elle repose sur une mauvaise interprétation des faits. Les barrières techniques, logistiques et financières rendent un tel espionnage de masse à des fins publicitaires à la fois improbable et peu rentable. La véritable « magie noire » se trouve dans la puissance et la sophistication des algorithmes de tracking qui analysent nos comportements en ligne avec une précision effrayante. C’est en comprenant ces mécanismes que nous pouvons reprendre le contrôle et naviguer dans le monde numérique de manière plus éclairée.
FAQ sur l’écoute des téléphones et la publicité
Pourquoi ai-je l’impression que mon téléphone m’écoute pour la pub ?
Ce sentiment est souvent dû à un biais cognitif. Votre cerveau cherche une explication simple à la coïncidence entre une de vos conversations et une publicité. En réalité, la précision du ciblage publicitaire, basée sur votre activité en ligne et vos données, est si avancée qu’elle peut deviner vos intentions et centres d’intérêt, créant ainsi cette illusion d’écoute.
« Les personnes qui se sentent écoutées potentiellement par leur téléphone, c’est justement parce qu’ils ne comprennent pas comment fonctionne le tracking le tracking sur internet. […] c’est leur sentiment parce qu’ils ne comprennent pas et que le cerveau a besoin de donner du sens à ce qu’on observe. Ça s’appelle des billets cognitifs. »
Est-ce que Facebook et les réseaux sociaux écoutent nos conversations ?
Non, il est extrêmement improbable que les réseaux sociaux écoutent vos conversations. Mettre en place un tel système serait techniquement très complexe, coûteux, et surtout, cela aurait un impact très visible sur la batterie et la consommation de données de votre téléphone, ce qui n’a jamais été prouvé par des tests indépendants.
« La première raison pour laquelle pour moi c’est peu plausible, bah d’abord c’est que c’est que c’est très très très très complexe d’un point de vue technique de faire de réaliser cet espionnage. »
L’écoute permanente de mon téléphone viderait-elle ma batterie ?
Oui, absolument. L’enregistrement, la compression et l’envoi continus de données audio sont des processus très gourmands en énergie. Une telle activité consommerait votre batterie et votre forfait data de manière très visible, ce qui vous alerterait rapidement.
« Ça ça peut pas être fait sur votre petit téléphone. C’est quelque chose qui forcément doit être fait par un gros serveur. Et du coup ça nécessite que de la data soit utilisée pour envoyer ce flux de données et ça nécessite également à ce que bah il y ait de la batterie qui soit consommée. »
Les enceintes connectées comme Google Home ou Alexa nous espionnent-elles ?
Non, pas à des fins publicitaires. Ces enceintes vous écoutent en permanence mais uniquement pour détecter un mot-clé d’activation (‘OK Google’, ‘Alexa’). Cette détection se fait localement. L’enregistrement et l’envoi de votre requête vers les serveurs ne commencent qu’une fois ce mot-clé prononcé.
« Je voudrais rassurer là-dessus parce que les enceintes connectées effectivement vous écoutent en permanence, mais vont essayer de détecter réellement les fameux OK Google, seulement. […] l’envoi de données n’est jamais réalisé sans ce petit mot clé. »
Un hacker peut-il écouter mes conversations via mon frigo connecté ?
Techniquement, il est possible qu’un objet connecté mal sécurisé soit hacké pour activer un micro. Cependant, pour un hacker, il serait très difficile de déployer cela à grande échelle, de faire le lien entre votre frigo et votre profil publicitaire, et de trouver un modèle économique viable pour cette activité.
« On pourrait très bien imaginer que que certains frigo puissent être hackés à des à des fins d’écoute. Mais en fait le hacker […] aurait pas vraiment beaucoup d’échelle parce que bah on a tous des modèles un peu différents de de de frigo connectés. »
Comment les publicitaires savent-ils ce dont je viens de parler alors ?
Ils ne le savent pas par l’écoute, mais en analysant vos données. Ils utilisent des trackers sur les sites que vous visitez, analysent vos recherches, vos ‘likes’, votre réseau d’amis, votre localisation, et croisent toutes ces informations pour créer un profil publicitaire extrêmement précis, qui peut souvent coïncider avec vos discussions hors ligne.
« Les gens en général ne savent pas vraiment que Facebook récupère énormément de données en dehors de Facebook. Ils ont des trackers sur des sites marchands et grâce à ces trackers, ils peuvent utiliser cette data comportementale et les croiser avec leur data socio démo […] et ça ça leur permet de générer des segments qui sont hyper pertinents. »
Est-ce difficile pour une IA d’analyser une conversation vocale ?
Oui, c’est un problème très complexe. L’intelligence artificielle doit gérer les différentes langues, les accents, les bruits de fond, plusieurs interlocuteurs qui parlent en même temps, et ensuite interpréter le sens et le sentiment. C’est un défi technologique et financier énorme à l’échelle mondiale.
« L’analyse audio c’est pas quelque chose de simple à faire. malgré des des avancées en intelligence artificielle, ça reste un problème assez complexe à résoudre parce que bah forcément, il y a la langue à gérer, les accents, la prononciation, la nasalité, le volume, la vitesse, le nombre d’interlocuteurs… »
Comment savoir si une application utilise mon micro sur iPhone ?
Depuis iOS 14, Apple a introduit une fonctionnalité de transparence. Un petit point lumineux orange ou vert apparaît en haut de votre écran pour vous indiquer qu’une application est en train d’utiliser votre micro ou votre caméra, vous permettant de savoir en temps réel qui a accès à quoi.
« La dernière version donc iOS 14 qui va sortir ou qui est déjà sortie devrait proposer un voyant lumineux dès qu’une application utilisera le micro. »




