Google Ads, la fin de la transparence ? Comprendre la nouvelle stratégie de Google
Le search marketing (SEA) est un pilier historique de l’acquisition digitale pour les entreprises. Au cœur de cet écosystème, Google Ads règne en maître. Mais depuis quelques années, et plus particulièrement avec une annonce choc mi-septembre, la plateforme semble prendre un virage radical vers l’automatisation et l’opacité. Google est-il en train de reprendre la main au détriment des annonceurs ? La plateforme devient-elle une « black box » incontrôlable ? Pour décrypter ces évolutions et comprendre comment continuer à piloter ses campagnes efficacement, nous avons reçu Mathieu Ceccarelli, expert en acquisition indépendant et spécialiste reconnu de Google Ads.
Avec plus de 8 ans d’expérience auprès de start-ups et de grands groupes comme Conto, Sendinblue ou Bankin, et la gestion d’environ un million d’euros de budget mensuel, Mathieu nous livre son analyse pointue sur la transformation de l’outil et ses secrets pour optimiser les campagnes dans ce nouveau paradigme.
Les fondamentaux du SEA : qu’est-ce que Google Ads ?
Avant de plonger dans les récentes controverses, il est essentiel de rappeler ce qu’est Google Ads. Mathieu Ceccarelli le définit simplement : « Google Ads, c’est la plateforme publicitaire de Google. C’est la plateforme sur laquelle les annonceurs, donc les entreprises, ont un compte, font leur publicité, diffusent leur campagne et dépensent leur argent. »
Cette plateforme est le moteur financier de Google, représentant près des trois quarts de ses revenus colossaux. Elle se décompose en plusieurs produits majeurs :
- Le Search (SEA) : Le cœur historique, qui représente encore 60% des revenus de Google. Ce sont les annonces textuelles qui apparaissent en haut des résultats de recherche.
- Le Display : Les bannières publicitaires visuelles diffusées sur un réseau de sites partenaires.
- YouTube : Les annonces vidéo diffusées avant, pendant ou à côté des contenus sur la plateforme.
- Les campagnes d’installation d’applications mobiles.
C’est un outil incontournable pour les annonceurs qui cherchent à capter du trafic intentionniste et à générer des conversions. Mais les règles du jeu sont en train de changer.
Le tournant de Google Ads : vers une « black box » publicitaire ?
Mi-septembre, une annonce de Google a provoqué ce que Mathieu qualifie d' »onde de choc dans le secteur du SEA ». Cette décision n’est que la partie émergée de l’iceberg, la manifestation la plus visible d’une tendance de fond qui transforme radicalement la manière de travailler avec la plateforme.
L’onde de choc : la fin de la transparence sur les termes de recherche
Pour comprendre l’ampleur du changement, il faut revenir à un rapport fondamental pour tout expert SEA : le rapport sur les termes de recherche. Mathieu explique : « Historiquement, quand tu achètes des mots-clés, tu vas avoir des clics sur ton site et donc depuis toujours, Google fournissait ce qui s’appelle le rapport de terme de recherche, c’est-à-dire que pour chaque clic que tu payais, tu savais quel était le terme de recherche qui était derrière ce clic. »
Ce rapport est crucial, car il permet d’affiner sa stratégie et, surtout, de faire le ménage. C’est grâce à lui que les annonceurs peuvent identifier les requêtes non pertinentes et les ajouter en « mots-clés à exclure » pour ne plus payer pour ce trafic non qualifié. Par exemple, une entreprise vendant un logiciel payant exclura systématiquement les termes « gratuit » ou « open source ».
L’annonce de Google vient dynamiter cette pratique. « Google a décidé qu’ils allaient réduire, pour des raisons de confidentialité, les requêtes qui ont peu de volume. Elles n’apparaîtront plus dans le rapport », précise Mathieu. Résultat : là où les experts voyaient 90% à 100% des requêtes, ils pourraient n’en voir plus que 60%. Une partie significative du budget sera donc dépensée à l’aveugle, sans possibilité d’optimisation. Si l’argument de la confidentialité est « absolument pas faux » selon Mathieu, il questionne sa portée sélective : « Pourquoi il y aurait une confidentialité sur les termes de recherche et pas sur les mots-clés ou sur le device ? »
Une tendance de fond : les étapes de l’automatisation forcée
Cette décision n’est pas un acte isolé. Elle s’inscrit dans une stratégie plus globale de Google visant à rendre sa plateforme plus automatisée, et donc plus opaque, depuis plusieurs années.
Mathieu Ceccarelli liste plusieurs évolutions marquantes :
- L’élargissement des types de correspondance (2018) : Google a « fait sauter les définitions » des types de ciblage. Acheter un mot-clé en « exact » peut désormais déclencher des annonces sur des synonymes ou des variantes proches. « Quand tu achètes un mot comme logiciel emailing, maintenant tu peux trouver dans tes termes de recherche des clics de gens qui ont tapé logiciel email. Ce qui est complètement différent. »
- La montée des campagnes « Black Box » : Des formats comme les campagnes UAC (promotion d’applications) ou DSA (Dynamic Search Ads) sont apparus. L’annonceur fournit les créations, un budget, un objectif, et Google s’occupe de tout, sans donner de contrôle sur les mots-clés ou les emplacements.
- La dé-granularisation forcée : Google pousse les annonceurs à regrouper leurs mots-clés en marquant ceux qui ont un faible volume de recherche comme « low search volume », les empêchant d’être diffusés. Cela va à l’encontre des stratégies traditionnelles de création de groupes d’annonces très spécifiques pour maximiser la pertinence.
- Le push agressif pour le Smart Bidding : Via des notifications constantes et les recommandations des account managers, Google incite très fortement à abandonner les enchères manuelles au profit de ses stratégies d’enchères automatisées (CPA cible, ROAS cible, etc.).
« Avec cette annonce », conclut Mathieu, « la plupart des annonceurs et des spécialistes se sont surtout rendu compte que ce n’était pas un débat d’automatisation, c’est un débat de transparence ou non. »
La stratégie de Google : reprendre le contrôle de son écosystème
Quelle est la finalité de cette stratégie ? Pour Google, l’objectif est clair : reprendre la main et inviter les annonceurs à faire une confiance aveugle à ses algorithmes. Cela pourrait même aller plus loin, en forçant la diffusion sur l’ensemble de son inventaire. « Tu n’es plus que sur les annonces Google, mais tu vas être aussi sur du Gmail, sur du display, sur du YouTube », explique Mathieu, qui s’inquiète de la possibilité de ne plus pouvoir exclure ces réseaux, souvent moins performants.
Le paradoxe, c’est que « c’est le ciblage qui donne de la valeur à la publicité ». En poussant vers des ciblages larges, Google risque de diluer la qualité de son inventaire. Mathieu utilise une métaphore parlante : « C’est un peu comme le marchand de légumes qui va essayer de te vendre ses mauvais produits parce que tu es attiré avec les bons. » Il s’agit de « discrètement vous refiler nos mauvais placements et vous y verrez un peu que du feu. »
Mais alors, pourquoi Google est-il si confiant ? La réponse tient en deux mots : tracking et attribution. « Si jamais ils sont aussi confiants, c’est qu’ils savent qu’ils ne ratent jamais un passage avant une conversion. » Grâce à son écosystème omniprésent (Google Analytics, Chrome, Android), Google peut suivre les utilisateurs partout et s’assurer de se placer au bon moment dans le parcours d’achat pour s’attribuer la conversion, même si la décision a été influencée par d’autres canaux comme le bouche-à-oreille.
Le métier d’expert SEA est-il menacé par l’automatisation ?
Face à cette automatisation galopante, une question se pose : les experts SEA, les agences et les freelances vont-ils devenir obsolètes ? Google ne suggère-t-il pas qu’il suffit de « mettre son numéro de carte bleue et de lancer la campagne » ?
Pour Mathieu Ceccarelli, la réponse est un non catégorique. Le métier ne disparaît pas, il se transforme et devient même plus complexe. « Moi je crois que ça devient encore plus ésotérique, tu vois. Là, tu demandes à un annonceur qui demande de comprendre le Smart Bidding, je suis pas sûr qu’il capte tout. En plus, il faut que le tracking des conversions soit quand même assez bien en place. »
En se complexifiant et en devenant plus opaque, la plateforme nécessite plus que jamais une expertise pour être pilotée. Faisant le parallèle avec le référencement naturel, Mathieu rappelle : « Le SEO reste très Black Box et en fait, il y a toujours des experts. » Le rôle de l’expert évolue :
« Les métiers de demain, c’est de l’accompagnement de l’intelligence artificielle. Donc les métiers du SEA, ça sera encore plus de comprendre les rouages, de comprendre le fonctionnement parce que justement, il y a un risque fort que les annonceurs le délaissent encore plus et du coup ça rendra le truc peut-être encore plus technique. »
3 secrets d’expert pour optimiser ses campagnes Google Ads
Maintenant que le contexte est posé, comment agir concrètement ? Mathieu partage trois piliers de sa méthodologie pour continuer à piloter efficacement les campagnes Google Ads.
1. Appliquer la loi de Pareto : se concentrer sur les 20% qui génèrent 80% des résultats
La première clé est de ne pas se noyer dans les détails et de se focaliser sur ce qui a le plus d’impact. « Tu te focuses sur ce qu’il y a du volume. Je regardais par exemple sur certains comptes que tu as juste 200 mots qui vont faire quasiment plus de 50 % des conversions. » En se concentrant sur ce cœur de réacteur, la gestion, même en enchères manuelles, devient beaucoup plus simple et efficace. C’est là que se trouvent les plus grands leviers d’optimisation.
2. Adopter une approche « Test and Learn » pour maîtriser l’impact de chaque action
La deuxième règle d’or est de travailler de manière scientifique. « Quand tu fais un changement, tu essaies de tout de suite regarder les résultats dessus, c’est-à-dire que tu fais une modif, derrière tu vas voir l’impact. » Cette approche nécessite d’isoler les variables, ce que l’automatisation à outrance rend difficile. Mathieu critique l’opacité des algorithmes : « L’automatisation rend les choses complexes et tu sais pas pourquoi les choses se sont optimisées. » Un événement externe majeur, comme la crise du coronavirus, peut complètement dérégler des algorithmes qui ne sont pas préparés, rendant l’analyse de la performance impossible sans une approche maîtrisée.
3. Maîtriser les fondamentaux : la métaphore des robinets et les réglages de base
Enfin, il ne faut jamais négliger les bases. Mathieu utilise la « métaphore des robinets et des baignoires » pour expliquer le SEA. Le but est de remplir une baignoire (atteindre ses objectifs) avec un liquide de qualité (un trafic qualifié) en gérant finement les robinets (les campagnes), qui ont chacun un débit (volume) et un coût (prix) différents. « Souvent le volume n’est pas du tout pris en compte dans les optimisations. Si tu travailles sur ce qu’il y a le plus de volume, c’est là que tu peux faire le plus d’optimisation. »
De manière très concrète, cela passe par une vérification méticuleuse des paramètres de campagne, souvent sources d’erreurs. Il cite l’exemple des langues : « Très souvent on voit que des annonceurs vont cibler que le français, mais en fait, les termes de recherche étant en français et les mots clés achetés en français, on peut mettre l’anglais, le français, enfin toutes les langues, puisque il y a pas de raison de se priver de ce trafic supplémentaire. »
FAQ sur l’évolution de Google Ads
Pourquoi Google Ads limite-t-il le rapport sur les termes de recherche ?
Officiellement, Google invoque des raisons de confidentialité pour protéger l’identité des utilisateurs sur les requêtes à faible volume. Cependant, beaucoup d’experts y voient une stratégie pour rendre la plateforme plus opaque et pousser les annonceurs vers ses solutions automatisées.
« Google a décidé enfin a annoncé qu’en fait qu’ils allaient réduire pour des raisons de confidentialité euh les requêtes qui ont peu de volume n’apparaîtront plus dans le rapport de terme de recherche. » – Mathieu Ceccarelli
Qu’est-ce que le Smart Bidding sur Google Ads et est-ce obligatoire ?
Le Smart Bidding est un ensemble de stratégies d’enchères automatisées de Google qui utilisent l’IA pour optimiser les conversions. Bien que non obligatoire, Google pousse très fortement à son adoption, rendant de plus en plus difficile le maintien d’une gestion manuelle.
« Le Smartbidding, c’est pas un truc qui est nouveau, c’est un truc qui date de 2010… il y a une vraie vraie volonté de sortir du système d’enchère manuel. » – Mathieu Ceccarelli
L’automatisation de Google Ads rend-elle les experts SEA inutiles ?
Non, le métier d’expert SEA ne disparaît pas mais se transforme. Il évolue vers un rôle d’accompagnement de l’IA, de supervision stratégique, de configuration fine du tracking et d’analyse de données dans un environnement de plus en plus complexe.
« Les métiers de demain, c’est de l’accompagnement de l’intelligence artificielle. Donc les métiers du SEA, ça sera encore plus de comprendre les rouages, de comprendre le fonctionnement… ça rentrera le truc relativement peut-être encore plus technique quoi. » – Mathieu Ceccarelli
Comment optimiser ses campagnes Google Ads avec moins de données ?
Il faut se concentrer sur les fondamentaux et les données encore disponibles. Appliquer la loi de Pareto en se focalisant sur les mots-clés à plus fort volume, adopter une approche « Test and Learn » pour mesurer l’impact de chaque action et maîtriser parfaitement les paramètres de base des campagnes.
« Tu te focuses sur ce qu’il y a du volume, tu vois je regardais par exemple sur certains comptes que tu as juste 200 mots qui vont faire quasiment c’est plus de 50 % des conversions. Donc le fait de se concentrer sur ce qu’il y a le plus de volume, c’est ce qui fait qu’en fait le travail n’est pas si compliqué. » – Mathieu Ceccarelli
Quel est le principal risque de la « black box » Google Ads pour un annonceur ?
Le principal risque est la perte de contrôle sur la diffusion et la qualité du trafic. Sans une visibilité complète, un annonceur peut dépenser son budget sur des requêtes non pertinentes ou des placements publicitaires peu performants sans pouvoir les exclure efficacement.
« Sous couvert de dire j’élargis et donc je ne ciblage. Moi le truc que je trouve paradoxal, c’est que c’est le ciblage qui donne de la valeur en fait aussi à la publicité. Donc j’ai un peu de mal avec l’idée que ça se qu’on en sorte. » – Mathieu Ceccarelli
Les campagnes intelligentes (Smart Campaigns) sont-elles une bonne solution ?
Les campagnes intelligentes peuvent être une porte d’entrée pour les novices, mais elles sont très opaques. Elles fonctionnent comme une « black box » où l’annonceur fournit un budget et quelques créations, et Google gère tout, sans possibilité d’exclusion fine ou de contrôle.
« Il y a les campagnes UC pour la promotion des applications mobile dans lesquelles les annonceurs mettent un budget, mettent leur appli, quelques écrivent quelques annonces et un ciblage géographique et ensuite Google se charge de tout gérer. Donc il y a pas de ciblage de mots clés, il y a pas d’exclusion de mots clés négatifs. » – Mathieu Ceccarelli
Pourquoi le tracking des conversions est-il si crucial avec le Smart Bidding ?
Le Smart Bidding repose entièrement sur les données de conversion pour fonctionner. Si le tracking est mal configuré, l’algorithme prendra de mauvaises décisions, optimisant pour de mauvais signaux et gaspillant le budget. La qualité de la donnée est essentielle.
« Si jamais ils sont aussi confiant, c’est qu’ils savent qu’ils ne rate jamais un passage avant une conversion… il faut que le tracking des conversions soit quand même assez bien en place. » – Mathieu Ceccarelli
En quoi la stratégie de Google Ads diffère-t-elle de celle de Facebook Ads ?
Bien que les deux poussent à l’automatisation, Google Ads (Search) capte une intention de recherche active avec un nombre limité de concurrents par mot-clé. Facebook Ads interrompt l’utilisateur dans son flux avec une compétition ouverte sur une audience donnée, ce qui rend les réflexions stratégiques différentes.
« Sur Facebook c’est une réflexion quand même qui est très différente parce que tu es en compétition ouverte. Tu n’as pas… il y a un nombre illimité d’annonceurs sur une audience donnée. Alors que en SEA, tu vas te positionner, c’est que 4, 5, 6, 7 annonceurs qui vont se positionner sur un mot clé. » – Mathieu Ceccarelli




