L’ordinateur quantique : une définition accessible pour tous
Le sujet de l’ordinateur quantique peut sembler être le plus technique jamais abordé, mais l’objectif est de rester pédagogue. Pour nous éclairer, nous recevons Blaise Villanon, chef de produit chez Alice & Bob, l’une des start-ups françaises pionnières dans la construction d’un ordinateur quantique. Fort de son expérience, il va nous aider à démystifier ce concept fascinant.
Alors, qu’est-ce qu’un ordinateur quantique ? La réponse de Blaise est d’une simplicité désarmante : « L’ordinateur quantique, quelque part, les deux mots sont simples. Ordinateur, c’est un objet qui permet de faire des calculs, et quantique, ça veut dire qu’il fait des calculs en utilisant les propriétés quantiques de la matière. »
Il nous rappelle que l’informatique a connu de nombreuses formes. Avant les ordinateurs binaires basés sur des transistors que nous utilisons depuis 50 ans, il existait des ordinateurs analogiques et bien d’autres méthodes de calcul. L’ordinateur quantique n’est donc qu’une nouvelle approche, une nouvelle façon d’exploiter les lois de la physique pour calculer.
Le qubit : la brique de base du calcul quantique
La différence fondamentale avec un ordinateur classique réside dans sa brique de base. Là où l’informatique traditionnelle utilise des bits, qui valent soit 0, soit 1, l’informatique quantique utilise des qubits.
Un qubit est un objet qui possède deux propriétés quantiques essentielles que l’on cherche à exploiter :
- La superposition : « Il ne va pas forcément valoir zéro ou un de façon exacte, mais il va valoir zéro avec une certaine probabilité et un avec une autre probabilité », explique Blaise. C’est comme si une pièce de monnaie tournait en l’air, étant à la fois pile et face jusqu’à ce qu’on la mesure.
- L’intrication : « Si on a deux qubits, leur valeur va être liée par un état mathématique commun », poursuit-il. Cela signifie que même s’ils sont physiquement séparés, la mesure de l’un influence instantanément l’état de l’autre. Ils sont connectés de manière invisible.
Grâce à ces propriétés, un ordinateur quantique peut effectuer des opérations inaccessibles à un ordinateur classique. En plus des opérations logiques de base (ET, OU, XOR), il dispose d’opérations purement quantiques, portant des noms étranges comme « Hadamard » ou « Toffoli », qui ouvrent la voie à des algorithmes d’une puissance radicalement nouvelle.
Une évolution naturelle mais une puissance de calcul inédite
En somme, Blaise confirme qu’il s’agit d’une « étape normale dans l’évolution des ordinateurs » et d’une « nouvelle façon de calculer les choses beaucoup plus puissante ». Ce qui est fascinant, c’est que, tout comme Ada Lovelace a inventé le concept d’algorithme près de 200 ans avant l’ordinateur, l’idée de l’ordinateur quantique est née bien avant sa réalisation concrète. « L’idée d’ordinateur quantique, elle est née en 85 puis en 95 avec les travaux de Feynman et de Shor, et depuis, ben on essaie de construire un ordinateur quantique », raconte Blaise. Nous vivons actuellement cette phase de construction.
À quoi s’attendre ? Les applications concrètes de l’ordinateur quantique
Maintenant que nous avons une idée de ce qu’est un ordinateur surpuissant, la question est : à quoi va-t-il servir concrètement ? Blaise nous invite d’abord à tempérer nos attentes. « Je pense qu’il faut éviter d’aller trop loin dans la hype. L’ordinateur quantique, il y a quelques problèmes qu’il peut faire que l’ordinateur classique ne sait pas faire. On en a identifié une demi-douzaine. »
Il est crucial de comprendre que l’ordinateur quantique ne remplacera pas votre ordinateur actuel. C’est un outil ultra-spécialisé, conçu pour un nombre très limité de problèmes, mais des problèmes d’une importance capitale.
Court terme : une phase de recherche pour prouver la faisabilité
À court terme, c’est-à-dire dans les deux prochaines années, l’industrie est encore dans une phase exploratoire. « En ce moment, on est vraiment dans une phase de recherche. On cherche à prouver que cette idée d’ordinateur quantique qui existe dans la tête des gens est réalisable », précise Blaise. Les entreprises comme la sienne s’efforcent de montrer qu’elles disposent des briques technologiques de base pour avancer sur leur feuille de route.
Moyen et long terme : l’avantage quantique pour des problèmes ciblés
L’objectif ultime de l’industrie est d’atteindre ce qu’on appelle l’avantage quantique utile. C’est le moment où une machine quantique parviendra à résoudre un de ces fameux problèmes de manière plus efficace qu’un supercalculateur classique. Cet horizon est plutôt à moyen ou long terme. « On parle quasiment en dizaines d’années », estime Blaise, avant de nuancer : « Les plus agressifs, et on fait partie des plus agressifs, voient ça à moins de 10 ans, plutôt 5-7 ans. »
Quels sont donc ces problèmes si importants ? La liste est courte mais son impact est colossal :
- La cryptographie : Casser les codes actuels ou en créer de nouveaux, inviolables.
- La chimie : Simuler des molécules pour concevoir de nouveaux médicaments ou matériaux.
- La simulation de matériaux : Créer des supraconducteurs à température ambiante, par exemple.
- Le machine learning : Optimiser des algorithmes complexes pour l’intelligence artificielle.
L’enjeu économique est gigantesque. « Si on fait la taille du marché qui est associé à ces problèmes, on tombe sur des dizaines ou des centaines de milliards de dollars », souligne Blaise.
L’écosystème français du quantique : une exception culturelle ?
Quand on évoque les concurrents d’Alice & Bob, on pense immédiatement aux géants comme Google, IBM ou Amazon. Il est donc surprenant de voir une « petite boîte française » rivaliser dans cette course technologique. Pour Blaise, cela s’explique par un phénomène particulier à la France.
Quand la recherche académique et l’industrie jouent le jeu ensemble
« Il se passe quelque chose dans le quantique qu’on n’a pas eu dans l’intelligence artificielle, c’est que tous les labos français ont joué le jeu », explique-t-il. En France, la recherche fondamentale en physique est d’un niveau exceptionnel, comme en témoigne le prix Nobel 2022 d’Alain Aspect, cofondateur d’une autre start-up quantique. Ce qui est nouveau, c’est que ce savoir académique a été transféré avec succès vers l’industrie.
Aujourd’hui, la France compte cinq start-ups majeures qui développent un ordinateur quantique, chacune explorant une technologie quantique différente (supraconducteurs, ions piégés, atomes neutres, photons…). « Toutes ces start-ups sont issues d’une filière académique, et la France avait ces cinq filières académiques », se réjouit Blaise. C’est un écosystème unique et incroyablement prometteur.
Plus de matière grise que d’argent ?
Cette situation soulève une question intéressante : le marché du quantique est-il un domaine où la matière grise prime sur les investissements colossaux ? Blaise confirme que l’objectif de ces start-ups, bien que peuplées de chercheurs, est clairement industriel : « Notre objectif, il est de sortir un ordinateur quantique, pas de produire de la recherche. Produire de la recherche, c’est un moyen pour l’obtenir. » Cette alliance entre l’excellence scientifique et l’ambition industrielle est peut-être la clé du succès français face aux géants américains.
Démêler le vrai du faux : comment débusquer le « bullshit » quantique
Comme toute technologie de rupture, le quantique est entouré d’un halo de mystère et, inévitablement, de beaucoup de « bullshit ». Comment aiguiser son esprit critique ? Blaise, qui avoue être lui-même de moins en moins « expert » à mesure qu’il approfondit le sujet, nous livre une astuce simple et redoutable.
Le test infaillible : remplacer « quantique » par « magique »
« Il y a un test simple que nous on utilise chez Alice et Bob », révèle-t-il. « Si tu peux remplacer dans ta phrase le mot ‘quantique’ par le mot ‘magique’ et qu’elle a le même sens pour toi, c’est qu’on est en train de te bullshiter. »
Les exemples sont frappants :
- Une « diététique quantique » devient une « diététique magique ». C’est du bullshit.
- Un « trading quantique » devient un « trading magique ». C’est du bullshit.
Cette règle simple permet de filtrer 95% des fausses promesses. Le quantique n’est pas magique. C’est une science, avec des mathématiques complexes, certes, mais qui ne permet pas de promettre « monts et merveilles ».
L’humilité, marque de fabrique du véritable expert
Le deuxième marqueur d’un discours fiable est l’humilité de l’interlocuteur. « La marque de l’expert quantique qui n’est pas réellement en train de te bullshiter est probablement son humilité », affirme Blaise. La communauté scientifique, dont est issue la plupart des acteurs, est très soucieuse d’être honnête sur ses promesses pour éviter ce qu’on appelle un « hiver quantique » – une période de désillusion et de sous-financement après une phase de hype excessive.
« Le vrai expert quantique, ceux que j’ai rencontrés, ils ne sont pas dans la surpromesse », conclut-il. Le côté magique et la surpromesse sont donc les deux drapeaux rouges à surveiller.
Se former et faire carrière dans le monde du quantique
Pour un jeune en phase d’études, s’orienter vers le quantique est une « bonne idée ». Le secteur a reçu beaucoup d’investissements récemment, créant de nombreuses opportunités.
Quels profils pour construire les ordinateurs de demain ?
Il faut cependant être conscient de la nature du marché actuel. Comme il n’y a pas encore de création de valeur avérée (l’avantage quantique n’étant pas atteint), les métiers sont très techniques. « Les métiers qui existent aujourd’hui sont beaucoup des métiers qui vont viser à mettre sur le marché ces ordinateurs. Et donc, c’est des métiers qui sont extrêmement techniques, voire scientifiques », prévient Blaise. Avoir une thèse en physique quantique ou en informatique quantique est aujourd’hui un « vrai plus ».
Des métiers d’ingénierie, comme le « Quantum Engineering », commencent à émerger pour construire les puces, les systèmes de refroidissement et l’électronique, mais leur développement dépendra du succès de la filière. Quoi qu’il en soit, se lancer est un pari gagnant : « C’est le début de la vague, et si ça ne marche pas, ben c’est des compétences qui sont utilisables ailleurs. »
Les ressources pour débuter et se perfectionner
Pour ceux qui souhaitent s’initier, Blaise insiste : « Il ne faut vraiment pas se mettre de barrière mentale. » Le domaine est difficile, mais pas secret ni magique. Avec de la motivation, la compréhension est à la portée de tous. Voici ses trois recommandations principales :
- Le guide d’Olivier Ezratty : Un PDF monumental de près de 1000 pages, « Understanding Quantum Technologies », qui est une référence très complète et bien structurée pour aborder le sujet sous différents angles (scientifique, managérial…).
- La communauté Qiskit d’IBM : Pour ceux qui veulent mettre les mains dans le code, Qiskit est la plateforme quantique d’IBM. Elle offre des tutoriels, des exemples et un accès à de vraies machines quantiques. C’est le point d’entrée technique le plus naturel.
- Les cours du MIT OpenCourseWare : Pour une approche plus académique et approfondie, les cours du MIT sur le quantique sont une excellente base scientifique.
Ces ressources, ainsi que de nombreux livres sur des langages comme Q#, permettent à quiconque de commencer son voyage dans l’univers fascinant du calcul quantique.
FAQ sur l’ordinateur quantique
Quelle est la principale différence entre un ordinateur quantique et un ordinateur classique ?
La différence fondamentale réside dans l’unité de base de l’information. Un ordinateur classique utilise des ‘bits’ qui peuvent valoir soit 0, soit 1. Un ordinateur quantique utilise des ‘qubits’, qui peuvent valoir 0, 1, ou une combinaison des deux en même temps grâce au principe de superposition.
« La plupart des ordinateurs qu’on utilise aujourd’hui sont des ordinateurs binaires. On utilise des bits qui peuvent valoir 0 ou 1… En quantique, la brique de base s’appelle un cubit… il ne va pas forcément valoir zéro ou 1 de façon exacte mais il va valoir zéro avec une certaine probabilité et 1 avec une autre probabilité. » – Blaise Villanon
Qu’est-ce qu’un qubit ?
Un qubit est l’unité de base de l’informatique quantique. C’est un système quantique qui possède deux propriétés clés : la superposition (la capacité d’être dans plusieurs états à la fois) et l’intrication (la capacité d’être lié à l’état d’un autre qubit, peu importe la distance).
« La brique de base pour construire un ordinateur quantique s’appelle un cubit… les deux propriétés qu’on va chercher à trouver, c’est qu’on va être capable de le superposer… et on va être capable de l’intriquer. » – Blaise Villanon
L’ordinateur quantique va-t-il remplacer mon PC ?
Non, absolument pas. L’ordinateur quantique est un outil hautement spécialisé, conçu pour résoudre un nombre très restreint de problèmes extrêmement complexes, chose qu’un ordinateur classique ne pourra jamais faire. Il ne remplacera pas nos ordinateurs personnels ou nos smartphones.
« C’est pas un ordinateur qui va remplacer ton ordinateur actuel. C’est un ordinateur qui va être bon pour ces problèmes là, c’est vraiment une toute petite en terme de nombre de problèmes, c’est un tout petit nombre de problèmes. » – Blaise Villanon
Quelles sont les premières applications concrètes de l’ordinateur quantique ?
Les premières applications à fort impact concerneront des domaines très spécifiques comme la cryptographie (pour créer des codes inviolables), la chimie (pour simuler des molécules et concevoir de nouveaux médicaments), la science des matériaux et l’optimisation pour le machine learning.
« Il y a des problèmes dans la cryptographie, des problèmes dans la chimie, des problèmes dans la simulation des matériaux… dans le machine learning, la liste fait une demi-douzaine de problèmes. » – Blaise Villanon
Dans combien de temps aurons-nous des ordinateurs quantiques utiles ?
L’atteinte de l' »avantage quantique », c’est-à-dire le moment où un ordinateur quantique sera utile pour un problème réel, est estimée dans un horizon de moyen à long terme. Les estimations les plus optimistes parlent de 5 à 7 ans, mais un délai d’une dizaine d’années est plus couramment évoqué.
« On parle quasiment en dizaines d’années… les plus agressifs et on fait partie des plus agressifs en tout cas nous voient ça à moins de 10 ans plutôt 5-7 ans. » – Blaise Villanon
Comment reconnaître les fausses promesses sur le quantique ?
Utilisez le ‘test magique’ : si vous pouvez remplacer le mot ‘quantique’ par ‘magique’ dans une affirmation et que celle-ci garde son sens (ex: ‘guérison quantique’), il s’agit très probablement d’une fausse promesse. Les vrais experts du domaine sont généralement humbles et ne font pas de surpromesses.
« Si tu peux remplacer dans ta phrase le mot quantique par le mot magique et qu’elle a le même sens pour toi, c’est qu’on est en train de te bullshiter. » – Blaise Villanon
Quelles études faire pour travailler dans l’informatique quantique ?
Actuellement, le secteur est très axé sur la recherche et le développement. Un parcours académique avancé, comme une thèse en physique quantique ou en informatique quantique, est un atout majeur. Des rôles en ingénierie quantique commencent également à apparaître pour construire le matériel.
« Dans les entreprises qui recrutent, le côté d’avoir une thèse en physique quantique, en informatique quantique est un vrai plus. » – Blaise Villanon
Peut-on déjà utiliser un ordinateur quantique ?
Oui, il est tout à fait possible pour un particulier d’accéder à de vrais ordinateurs quantiques et de les programmer. Des plateformes cloud comme celles de Microsoft (Azure Quantum) ou d’Amazon (Braket), ainsi que la communauté Qiskit d’IBM, permettent de le faire pour quelques dizaines d’euros.
« Sur les plateformes de cloud de Microsoft ou d’Amazon, pour quelques dizaines d’euros, on peut jouer avec un ordinateur quantique déjà. » – Blaise Villanon