L’Afrique, prochain pilier de l’innovation technologique ?
L’Afrique est à un tournant décisif, prête à s’imposer comme un pilier de l’innovation technologique mondiale. Loin des clichés, le continent est un terreau fertile d’innovations et de talents qui redéfinissent déjà les règles du jeu. Pour explorer ce sujet passionnant, nous avons reçu Damien Doumer Kaké, cofondateur de The Guild, une plateforme qui connecte les meilleurs développeurs africains avec des start-up européennes. Il nous livre une analyse pointue sur la place, le rôle et le potentiel immense de la tech en Afrique.
Quelles sont les opportunités et les défis que rencontrent les start-up africaines ? Quels secteurs connaissent la croissance la plus rapide et pourquoi ? Comment l’Afrique peut-elle attirer davantage d’investissements pour soutenir cette dynamique ? Cet article, retranscription fidèle de notre échange, répond à la question cruciale : l’Afrique peut-elle devenir demain un leader mondial en développement logiciel et en solutions technologiques ?
Le rôle et la place de l’Afrique dans l’écosystème tech mondial
Lorsqu’on interroge Damien sur le rôle actuel de l’Afrique dans la tech, sa réponse est immédiate et met en lumière des innovations qui ont déjà un impact global. Le continent n’est pas seulement un consommateur de technologie, il en est un créateur. L’écosystème tech africain est bien plus mature qu’on ne l’imagine souvent.
Le Mobile Money : une innovation née en Afrique
L’un des exemples les plus frappants est celui du Mobile Money. Damien nous rappelle que cette technologie est une pure création africaine. « Le mobile money qui a été qui est né en Afrique au Kenya précisément euh grâce à M-Pesa, une société kenyane où tu envoies de l’argent avec ton téléphone, tu gardes de l’argent. » Cette innovation a répondu à un problème majeur : le faible taux de bancarisation. À l’époque, très peu de gens avaient accès à un compte bancaire, mais presque tout le monde avait un téléphone.
Le succès est colossal : « on compte genre plus d’un milliard de personnes qui ont un mobile money. » D’autres innovations, comme le microcrédit, suivent cette même logique : proposer des solutions financières adaptées aux réalités locales, en prêtant de petits montants à des personnes exclues du système bancaire traditionnel. Cette capacité à innover par la contrainte est l’une des grandes forces de la tech en Afrique.
Un vivier de talents qui a faim de réussir
Au-delà des produits, l’Afrique joue un rôle crucial de « vivier de talent« . Damien observe que « plusieurs nations développées, ils tapent un peu en Afrique pour avoir des talents jeunes qui ont la dalle et tout, qui ont envie de se prouver quoi, qui ont faim. » Des entreprises, y compris de grandes ESN françaises comme Accenture, viennent chercher des profils brillants pour les intégrer à leurs équipes en France.
Cette reconnaissance de la qualité des compétences est un signe fort que le continent n’est plus seulement perçu comme un marché, mais comme une source de capital humain de premier ordre pour le secteur de la tech en Afrique et au-delà.
La Fintech : moteur de la croissance des start-up africaines
Si un secteur devait symboliser le dynamisme de la tech africaine, ce serait sans conteste la Fintech. C’est le domaine qui connaît la plus forte traction et attire le plus d’investissements. La raison est simple : il répond à un besoin fondamental et massif.
Des licornes qui répondent à un besoin fondamental
Le problème de la bancarisation et de l’accès aux ressources financières reste central sur le continent. C’est pourquoi, comme le souligne Damien, « quand on prend les 10 premières licornes, cinq licornes en Afrique, on verra que je pense quatre ou trois sont des Fintech. » Des noms comme Flutterwave ou SendWave sont devenus des géants en construisant des solutions pour ce marché.
Les chiffres de la Banque mondiale confirment cette tendance spectaculaire. En Afrique subsaharienne, le taux de bancarisation est passé de 21% en 2012 à 55% en 2021. Une croissance fulgurante portée par ces start-up africaines de la Fintech. Des acteurs comme Diammo, Julaya ou Peca, bien que n’étant pas encore des licornes, contribuent activement à cette transformation.
Un impact direct sur la formation des talents locaux
Cette effervescence a un effet d’entraînement sur tout l’écosystème. Pour se développer, ces entreprises ont besoin de compétences. « Ces entreprises ont besoin de talents. Donc du coup, ils élèvent le niveau de la population locale face au challenge technique qu’ils ont et on voit beaucoup beaucoup plus de technologie, de gars dans la tech quoi. » Que ce soit des développeurs, des customer success ou d’autres ressources humaines, la demande croissante tire la qualité et la quantité des profils vers le haut.
Qui sont les talents de la tech en Afrique ? Portrait-robot du développeur africain
L’un des points les plus fascinants abordés par Damien concerne la nature même des talents. L’accès à internet, qui s’est considérablement amélioré avec des technologies comme Starlink, a changé la donne. « Il y a 10 ans de cela, il y avait pas la 3G […] Mais là maintenant avec Starlink, il y a des connexions qui sont aussi bonnes que n’importe où dans le monde. » Cette connectivité a fait émerger une nouvelle génération de développeurs en Afrique.
Les talents autodidactes en Afrique : des pépites cachées et ultra-compétentes
Damien décrit avec passion une catégorie de talents souvent ignorée : les autodidactes. « On tombe sur des gens extraordinaires tous les jours qui qui sont autonomes. » Il cite l’exemple d’un développeur qui, depuis l’Afrique, a contribué au code source de Mozilla Firefox. « On dit mais comment il a fait ça ? » Ces profils, qu’il qualifie de « talents bruts, autodidactes super bons« , sont la preuve qu’un écosystème d’excellence peut se développer en dehors des sentiers battus.
À côté de ces pépites, on trouve d’autres profils : ceux qui sont partis se former à l’étranger et reviennent créer des entreprises, et ceux qui se sont formés au sein des entreprises locales, grimpant les échelons de junior à expert.
L’importance des tests techniques face aux diplômes
Face à ces profils atypiques, comment convaincre une entreprise de recruter ? Damien explique que cela demande un changement de mentalité. La clé réside dans la démonstration des compétences. Heureusement, dans la tech, « les entreprises se focusent sur les compétences. Ils ne sont pas trop en recherche de quel diplôme tu as.«
Le processus de recrutement repose donc sur des tests concrets. « C’est plus des tests techniques qu’ils font passer, algorithmiques, réels. Et du coup bah on dit : testez-le, voyez à quel point il est bon. » Il raconte l’anecdote d’un développeur recruté sans profil LinkedIn ni GitHub, simplement parce qu’il excellait aux tests techniques. La conclusion est simple : « focus test et voilà« . C’est la meilleure façon de recruter des développeurs en Afrique.
Comment attirer les investisseurs et convaincre les entreprises de miser sur la tech africaine ?
Convaincre les investisseurs étrangers reste un enjeu majeur. Damien partage son argumentaire, qui repose sur une logique économique implacable : l’opportunité.
L’argument massue : des marchés vierges à conquérir
Pour un investisseur, l’attrait principal de l’Afrique est que « beaucoup de choses ne sont pas faites« . En Europe, de nombreux secteurs sont saturés. « Ici en Europe, par exemple le domaine de la Fintech, tu peux plus créer un Revolut. C’est fini. Tu peux plus créer un Wise. […] Mais en Afrique, tu peux.«
Ce marché tech en Afrique est tellement vaste que même les acteurs existants n’arrivent pas à le couvrir. Damien cite le fondateur de Diammo, une Fintech de Y Combinator, qui lui disait souhaiter voir plus de concurrents se lancer. Pourquoi ? « Parce que eux étant une Fintech eux-mêmes, ils ont des problèmes qu’ils n’aimeraient pas résoudre. […] Ils se disent mais si on était en Europe, il y aurait une société qui ferait ça pour nous. » Pour un investisseur, cet appel d’air représente une opportunité unique : « Quand le marché est vierge, tu es le premier, tu capitalises et boom.«
Surmonter les défis de la collaboration à distance
Travailler avec des équipes basées en Afrique implique de surmonter la distance. Le plus grand défi, selon Damien, est la communication. « Les devs en général ce sont pas des animaux sociaux. » La solution passe par un « vrai travail d’éducation » des deux côtés. The Guild a développé un playbook pour fluidifier la collaboration, en établissant des processus clairs pour les développeurs et pour les entreprises clientes, afin d’assurer une collaboration efficace.
L’écosystème de la formation tech en Afrique : entre structuration et initiatives locales
La question de la formation des développeurs en Afrique est cruciale. L’écosystème est hétérogène. Il y a de nombreuses écoles qui naissent, certaines excellentes, d’autres moins. Damien met en garde contre celles qui « capitalisent juste sur la hype » avec des formateurs qui ne sont pas eux-mêmes des développeurs.
Heureusement, il y a aussi des initiatives de grande qualité. Il cite l’exemple d’Epitech, qui a ouvert un campus au Bénin avec un succès retentissant. En tant qu’ancien d’Epitech France, il a été « surpris parce qu’ils étaient bons, ils étaient super bons« .
Il existe aussi des pôles d’excellence locaux, comme l’université de Buéa au Cameroun, son pays d’origine. La qualité de la formation y était telle que la région a été surnommée la « Silicon Mountain« , en référence à la Silicon Valley, en raison du nombre de talents qui y réalisaient des projets extraordinaires. Cet environnement mixte, entre acteurs internationaux et universités locales performantes, contribue à structurer durablement le vivier de talents.
Trois start-up africaines à suivre absolument
À la fin de notre entretien, nous avons demandé à Damien de nous citer trois startups africaines à suivre. Sans hésitation, il a mentionné :
- Diammo : Une Fintech basée en Côte d’Ivoire, passée par le prestigieux accélérateur Y Combinator.
- Koué : Une autre Fintech, incubée à Station F à Paris.
- Julaya : Également une Fintech, qui illustre bien la domination de ce secteur.
Ces entreprises sont le reflet du dynamisme actuel et des secteurs porteurs de la tech en Afrique.
Pour conclure, Damien adresse un message puissant aux jeunes étudiants africains : « Essaie de faire d’aimer ce que tu fais. Et essaie d’être le meilleur. » Son propre parcours en est la preuve : c’est en découvrant le code qu’il est devenu un excellent élève, car il avait trouvé sa passion. La tech apparaît alors comme un formidable levier d’émancipation, offrant à ceux qui ont la « faim » de réussir, avec ou sans diplôme, les moyens de construire un avenir brillant pour eux-mêmes et pour leur continent.
FAQ sur la tech en Afrique
Pourquoi la Fintech est-elle si développée en Afrique ?
La Fintech est le secteur le plus dynamique en Afrique car elle répond à un besoin fondamental : le faible taux de bancarisation et le manque d’accès aux services financiers. Des innovations comme le Mobile Money ont permis à des centaines de millions de personnes d’accéder à des services bancaires via leur téléphone, créant un marché immense pour les start-ups.
« Le problème de bancarisation et accès aux ressources financières, c’est un très gros problème en Afrique. Et c’est le secteur qui évolue le plus. » – Damien Doumer Kaké
Comment évaluer les compétences d’un développeur africain sans diplôme ?
L’évaluation doit se concentrer sur les compétences pratiques plutôt que sur le parcours académique. La méthode la plus efficace consiste à faire passer des tests techniques concrets et des exercices d’algorithmique. Cela permet de mesurer objectivement le niveau réel du candidat, indépendamment de son diplôme ou de son expérience formelle.
« On a la chance que dans le domaine de la tech […] les entreprises se focusent sur les compétences. Ils ne sont pas trop en recherche de quel diplôme tu as. C’est plus des tests techniques qu’ils font passer. […] On dit : testez-le, voyez à quel point il est bon. » – Damien Doumer Kaké
Quels sont les principaux défis pour les startups de la tech en Afrique ?
Les principaux défis incluent l’accès aux financements et aux investisseurs, la nécessité de résoudre des problèmes d’infrastructure de base que les startups européennes n’ont pas, et la gestion de la communication et des processus pour collaborer efficacement avec des partenaires ou des clients internationaux.
« Le plus gros problème dans ça, c’est la communication. […] C’est un problème auquel on fait face qui est réel où ce qu’on fait en fait, c’est on fait un vrai travail d’éducation. Du côté du dev mais aussi de l’entreprise. » – Damien Doumer Kaké
Est-ce une bonne idée d’investir dans la tech en Afrique ?
Oui, c’est une excellente opportunité. De nombreux secteurs de la tech en Afrique sont encore des marchés ‘vierges’ ou peu saturés, contrairement à l’Europe. Les investisseurs qui arrivent les premiers ont la possibilité de capitaliser sur des marchés en pleine croissance avec une concurrence limitée et de répondre à des besoins massifs et non satisfaits.
« Ici en Europe, beaucoup de secteurs sont saturés. […] Mais en Afrique, tu peux. Parce qu’il y en a pas et ceux qui sont là, ils n’arrivent même pas à capturer le pourcentage du marché. […] Quand le marché est vierge, tu es le premier, tu capitalises et boom. » – Damien Doumer Kaké
Qu’est-ce que le Mobile Money et quel est son impact ?
Le Mobile Money est un service financier qui permet d’envoyer, de recevoir et de stocker de l’argent directement depuis un téléphone mobile, sans avoir besoin d’un compte bancaire traditionnel. Né au Kenya, il a révolutionné l’inclusion financière en Afrique, permettant à plus d’un milliard de personnes d’accéder à des services financiers de base.
« Le mobile money qui a été qui est né en Afrique au Kenya précisément […] où tu envoies de l’argent avec ton téléphone, tu gardes de l’argent. Il y a pas beaucoup de gens qui étaient bancarisés en Afrique à cette à cette époque. » – Damien Doumer Kaké
Existe-t-il des formations de qualité pour les développeurs en Afrique ?
Oui, l’écosystème de formation se structure rapidement. Il existe à la fois des campus d’écoles internationales reconnues, comme Epitech au Bénin, et des universités locales qui ont créé de véritables pôles d’excellence technologique, à l’image de la ‘Silicon Mountain’ au Cameroun. De plus, de nombreux talents sont des autodidactes de très haut niveau.
« Il y a aussi de bonnes écoles, par exemple, épitech au Bénin. […] J’ai causé avec plusieurs devs du Bénin qui viennent d’épitech et j’étais surpris parce qu’ils étaient bons, ils étaient super bons. » – Damien Doumer Kaké
Comment faciliter le travail à distance avec des développeurs en Afrique ?
La clé est d’établir des processus de communication clairs et d’éduquer à la fois le développeur et l’entreprise sur les meilleures pratiques de collaboration à distance. Il faut mettre en place un ‘playbook’ avec des règles et des outils qui favorisent une bonne collaboration et permettent de surmonter les barrières culturelles ou géographiques.
« On a vraiment un playbook qu’on fait, on présente au dev, on fait un réel travail d’éducation et aussi au start-up, réel des deux côtés. » – Damien Doumer Kaké
Pourquoi l’Afrique est-elle considérée comme un ‘vivier de talents’ ?
L’Afrique est considérée comme un vivier de talents en raison de sa population jeune, dynamique et de plus en plus connectée. De nombreux jeunes talents sont très motivés (‘ils ont la dalle’), possèdent des compétences techniques solides et sont avides de prouver leur valeur sur la scène internationale, ce qui attire les entreprises des pays développés.
« Il y a aussi un rôle de vivier de talent que l’Afrique joue. Plusieurs nations développées, ils tapent un peu en Afrique pour avoir des talents jeunes qui ont la dalle et qui ont envie de se prouver quoi, qui ont faim. » – Damien Doumer Kaké