Les raisons de la colère : pourquoi le lancement de Google Analytics 4 a-t-il été si chaotique ?
Depuis plus d’un an, un outil a été énormément décrié à son lancement : Google Analytics 4. La transition forcée à l’été 2023 a provoqué une vague de mécontentement sans précédent dans la communauté du marketing digital. Mais avant de plonger dans le vif du sujet, il est essentiel de comprendre ce qu’est cet outil. Comme l’explique Anne Devillers, experte en web analytics et invitée de ce podcast, GA4 est un « outil de web Analytics qui permet de collecter des informations sur ce que font les utilisateurs sur le site ». Il aide à comprendre d’où vient le trafic (Google Ads, SEO, réseaux sociaux…), si ces sources sont performantes, et ce que font les visiteurs une fois sur le site (pages vues, interactions, etc.).
Alors, pourquoi tant de « hurlements » lors du passage de l’ancienne version, Universal Analytics (UA ou GA3), à la nouvelle ? Anne Devillers identifie plusieurs raisons qui justifient pleinement cette frustration. « Finalement, les gens ont eu raison d’hurler à la mort au lancement », affirme-t-elle. La première douleur, et non des moindres, fut l’impossibilité de conserver son historique de données. « On pouvait pas importer son historique de données. Universal, ça faisait 10 ans quand même que c’était sur le marché », rappelle Anne. Pour toute entreprise s’appuyant sur l’analyse de données pour piloter sa stratégie, cette rupture a été un véritable séisme.
Au-delà de cette perte, le produit lui-même semblait inachevé. Anne énumère une liste de problèmes concrets :
- Des bugs à répétition : La nouvelle version était instable, rendant l’analyse de données peu fiable.
- Des rapports essentiels manquants : « Des rapports de base comme le rapport page de destination qui te donne tes pages d’entrée sur le site » n’étaient tout simplement pas disponibles au début.
- Des métriques mal nommées : Une confusion régnait, par exemple avec la métrique « utilisateur » qui comptabilisait en réalité les utilisateurs actifs et non le total. « Les utilisateurs étaient un peu perdus », confie Anne.
- La disparition du taux de rebond : Une métrique iconique, scrutée par tous les marketeurs, avait tout bonnement disparu, laissant un vide dans de nombreux tableaux de bord.
- Le manque de communication : Le silence de Google a exacerbé les tensions. « On avait l’impression que c’était pas du tout entendu par les équipes d’Analytics. Il y avait pas de communication, on avait aucune idée de la road map », déplore Anne. L’absence de porte-parole identifié a renforcé ce sentiment d’abandon.
En somme, la communauté s’est retrouvée face à un produit imparfait, obligatoire, sans historique, et sans canal de communication clair avec son éditeur. « La plupart des posts qu’on voyait à l’époque de la communauté, c’était des gens qui essayaient de se passer des tips pour contrer les bugs et les problèmes liés à la nouvelle version. »
Un an après : Google Analytics 4 a-t-il tenu ses promesses d’évolution ?
La question qui se pose aujourd’hui est simple : un an après le passage définitif, l’outil s’est-il amélioré ? La réponse d’Anne Devillers est nuancée mais globalement positive. « Le produit s’est vraiment amélioré », assure-t-elle. Google a travaillé d’arrache-pied pour corriger le tir. « Si tu vas sur le moteur de recherche et que tu cherches nouveauté GA4, tu as une sorte de journal où à chaque fois qu’ils font un release d’une nouvelle fonctionnalité c’est documenté et donc ils ont vraiment comblé la plupart des grosses problématiques qu’on avait au lancement. »
Cependant, tout n’est pas encore parfait. « Il reste quelques petits bugs, voilà, qui peuvent se produire de temps en temps », admet-elle, citant un exemple récent sur le tracking des campagnes Google Ads. Cette situation peut paraître surprenante venant d’un géant comme Google. « C’est fou en fait quand ils pensent parce que là on parle de Google, un pan de son activité hyper essentiel parce que ça agrège en fait tout l’écosystème », s’étonne Laurent, l’hôte du podcast. Anne tempère cette critique en rappelant une réalité souvent oubliée : « Il faut pas oublier que c’est pas parce que c’est un produit que tout le monde utilise, ça reste un produit gratuit. » Cette gratuité, si elle explique en partie sa domination sur le marché, implique aussi un niveau d’exigence parfois démesuré de la part de la communauté.
Aujourd’hui, une experte comme Anne peut affirmer que le produit est bien plus complet. La plupart des frustrations initiales ont été adressées. Le taux de rebond a fait son retour, les métriques ont été renommées pour plus de clarté, et de nombreux rapports manquants ont été ajoutés. L’outil est devenu plus stable et fiable, même si la vigilance reste de mise.
Configuration et astuces : les points de vigilance essentiels sur GA4
Même si l’outil a évolué, son utilisation requiert une certaine expertise et une attention particulière à la configuration. Anne Devillers partage deux conseils cruciaux pour tout annonceur qui utilise Google Analytics 4.
Le piège de la rétention des données à 2 mois
C’est sans doute le point le plus critique à vérifier dès l’installation. Dans GA4, il existe une section de rapports avancés nommée « Explorer ». Par défaut, l’historique de données disponible dans cette section est limité à… deux mois. « Quand tu crées ton GA4, tu as une petite option dans l’administration qui fait que tu n’as que 2 mois d’historique de données », alerte Anne. « Ce qui est un petit peu embêtant parce que dès qu’on devient un petit peu plus à l’aise sur GA4, on souvent on va dans Explorer. »
Le pire dans cette histoire, c’est que le changement n’est pas rétroactif. La collecte de données sur une période plus longue (jusqu’à 14 mois maximum dans la version gratuite) ne commence qu’au moment où l’option est modifiée. Il est donc impératif de se rendre dans l’administration de GA4, de trouver la section « Conservation des données » et de passer ce paramètre de 2 à 14 mois. Pour aller au-delà de cette limite, il n’y a pas d’autre choix que d’exporter les données vers un outil comme BigQuery.
Les interactions automatiques : une mine d’or sous-exploitée
L’un des grands avantages de Google Analytics 4 est sa capacité à collecter automatiquement de nombreuses interactions qui nécessitaient auparavant l’ajout de tags spécifiques. « Dans GA4, tu as plein d’interactions comme ça qui sont collectées automatiquement mais que les gens savent pas forcément lire », explique Anne. Parmi ces événements mesurés par défaut, on retrouve :
- Les clics sur les liens sortants (ceux qui mènent vers un autre site).
- Les téléchargements de fichiers (PDF, documents, etc.).
- Les interactions avec les vidéos YouTube intégrées.
- Les recherches effectuées sur le moteur de recherche interne du site.
C’est une véritable mine d’informations pour comprendre le comportement des utilisateurs. Le problème ? « Cette information est pas toujours facilement disponible », précise Anne. Par exemple, il n’existe pas de rapport par défaut listant les termes de recherche internes ou les fichiers les plus téléchargés. « En fait ces rapports là, il faut savoir les construire. » Il faut donc prendre le temps de personnaliser ses rapports standards ou d’utiliser la section Explorer pour faire remonter ces données précieuses.
La « black box » de GA4 : comprendre la modélisation des données
Si GA4 est devenu plus transparent sur ses fonctionnalités, une partie de l’outil reste une véritable « boîte noire » : la modélisation des données. Ce mécanisme est la réponse de Google à une réalité inéluctable du web moderne : la perte de données. Cette perte provient de deux sources principales : le refus du consentement aux cookies (RGPD) et les protections anti-tracking intégrées aux navigateurs, comme celle d’Apple. « On peut tomber à 40, 50, 60 % de son du total de son trafic qu’on arrive à collecter », estime Anne.
Face à ce constat, la posture de Google est simple : « ce qu’on peut pas collecter, on va essayer de le reconstituer avec du machine learning. » C’est ce qu’on appelle la modélisation du comportement dans GA4. Sous certaines conditions (avoir suffisamment de trafic et avoir configuré le Consent Mode), l’outil va « deviner » le comportement des utilisateurs non consentants pour combler les trous. « D’un seul coup, on voit dans les rapports tout son trafic, donc ses sessions, ses utilisateurs, ses événements, qui augmentent d’un seul coup. C’est assez impressionnant à voir », décrit Anne.
Le problème, c’est le manque total de transparence sur le fonctionnement de cet algorithme. « Pour moi là, c’est la partie Black box, c’est qu’on a aucune information sur la façon dont la modélisation fonctionne. » Les marketeurs se retrouvent avec des chiffres gonflés, sans pouvoir vérifier la fiabilité du calcul, ce qui peut poser des questions sur la pertinence des décisions prises sur la base de ces données modélisées.
GA4 et le RGPD : où en est-on de la question de la légalité ?
La transition vers GA4 s’est déroulée dans un contexte juridique tendu. La CNIL avait en effet déclaré l’utilisation de Google Analytics illégale en France, non pas à cause des cookies, mais en raison du transfert des données des utilisateurs européens vers les États-Unis, où elles étaient potentiellement accessibles aux agences de renseignement américaines. L’accord qui encadrait ces transferts, le « Privacy Shield », avait été invalidé par la Cour de Justice de l’Union Européenne.
Anne Devillers fait le point sur ce dossier complexe. « En fait il y a une nouvelle version de ce texte qui est sorti à l’été 2023. Donc depuis que la nouvelle version de ce texte est sorti, il y a plus de sujet d’illégalité. » Ce nouvel accord de transfert de données a, pour le moment, levé la menace qui pesait sur GA4. La CNIL avait bien proposé une solution de contournement via un serveur proxy pour anonymiser les données, mais « le fait est que si on allait jusqu’au bout des recommandations de l’CNIL, bah ça servait plus à rien d’utiliser GA », conclut Anne. La situation est donc apaisée, mais la vigilance reste de mise, car ce nouveau texte pourrait lui aussi être attaqué en justice à l’avenir.
Se former et rester à jour : les meilleures ressources pour maîtriser GA4
Pour naviguer dans la complexité de Google Analytics 4, la formation continue est indispensable. Heureusement, la communauté est très active. Anne partage ses sources de référence pour rester à la pointe. « Une bonne partie de la littérature est en anglais », prévient-elle. Voici les ressources incontournables :
- En France : Les agences Unnest et Boril partagent régulièrement du contenu de qualité.
- En Anglais (les références mondiales) :
- Analytics Mania : Tenu par Julius Fedorovicius, son blog et sa chaîne YouTube sont des mines d’or.
- Measure School : Une autre excellente ressource avec du contenu gratuit et des formations payantes.
- Simo Ahava : Une véritable légende dans le milieu, pour des sujets plus techniques liés au tracking et à BigQuery.
- Sur LinkedIn : Suivre des experts comme Juliana Jackson, Dana Di Tomaso, ou encore Charles Farina permet d’avoir les dernières informations en temps réel.
Anne utilise personnellement un agrégateur de flux RSS comme Feedly pour centraliser toutes ces sources et ne manquer aucune nouveauté. Car avec GA4, l’apprentissage ne s’arrête jamais.
FAQ sur Google Analytics 4
Pourquoi le lancement de GA4 a-t-il été si critiqué ?
Le lancement de Google Analytics 4 a été vivement critiqué en raison de nombreux problèmes : l’impossibilité de conserver l’historique de données de la version précédente (Universal Analytics), la présence de nombreux bugs, l’absence de rapports de base comme les pages de destination, et la disparition de métriques clés comme le taux de rebond.
« Oui oui, je pense qu’elles étaient justifiées [les critiques] parce que le produit était pas tout à fait prêt au moment où le switch a dû se faire. Et je pense que ce qui a aussi généré la vague de mécontentement, c’est qu’on avait l’impression que c’était pas du tout entendu par les équipes d’Analytics. » – Anne Devillers
Quelle est la principale différence entre Universal Analytics (GA3) et GA4 ?
La différence fondamentale réside dans le modèle de données. Universal Analytics était basé sur les sessions et les pages vues, tandis que GA4 est basé sur les événements. Cela signifie que toute interaction (une page vue, un clic, un scroll) est considérée comme un événement, offrant une vision plus unifiée et flexible du parcours utilisateur, notamment entre le web et les applications mobiles.
« La nouvelle version est complètement différente de la version d’avant. Il y a une histoire de nouveau modèle de données. Voilà et donc malheureusement on pouvait pas importer son historique. » – Anne Devillers
Comment corriger le problème de l’historique de données limité à 2 mois dans GA4 ?
Il faut se rendre dans la section « Administration » de votre propriété GA4, puis dans « Paramètres des données » et « Conservation des données ». Là, il faut changer la durée de conservation des données au niveau de l’utilisateur de « 2 mois » (la valeur par défaut) à « 14 mois ». Attention, ce changement n’est pas rétroactif.
« Dans Explorer, quand tu crées ton GA4, tu as une petite option dans l’administration qui fait que tu n’as que 2 mois d’historique de données. […] Ça s’appelle durée de conservation de la donnée dans l’administration. Si vous farfouillez, vous trouvez assez rapidement la petite option. Et donc ça par défaut c’est sur 2 mois. » – Anne Devillers
Qu’est-ce que la modélisation des données dans Google Analytics 4 ?
La modélisation des données est un processus basé sur le machine learning qui permet à GA4 d’estimer et de reconstituer le trafic et les conversions des utilisateurs qui n’ont pas donné leur consentement aux cookies. L’outil utilise les données des utilisateurs consentants pour combler les manques, mais le fonctionnement précis de l’algorithme reste opaque.
« Dans GA, comme dans pas mal d’outils sur le marché, il y a la posture de bah ce qu’on peut pas collecter, on va essayer de le reconstituer. Et donc on va essayer de le reconstituer avec du machine learning. […] Pour moi là, c’est la partie Black box, c’est qu’on a aucune information sur la façon dont la modélisation fonctionne. » – Anne Devillers
Le taux de rebond a-t-il vraiment disparu de GA4 ?
Non, le taux de rebond n’a pas définitivement disparu. Après avoir été absent au lancement, provoquant de nombreuses critiques, Google l’a réintroduit. Cependant, GA4 met davantage l’accent sur une métrique inverse et plus positive : le taux d’engagement, qui mesure le pourcentage de sessions ayant eu une interaction significative.
« Le taux de rebond avait disparu hein, c’est quand même un truc que tout le monde regardait sans forcément savoir exactement ce que c’était mais tout le monde regardait le taux de rebond. » – Anne Devillers
Google Analytics 4 est-il conforme au RGPD en France ?
Actuellement, oui. Après avoir été déclaré illégal par la CNIL à cause du transfert de données vers les États-Unis, un nouvel accord-cadre sur la protection des données entre l’Europe et les États-Unis a été adopté à l’été 2023. Cet accord rend de nouveau légale l’utilisation de GA4, mais il pourrait être contesté en justice à l’avenir.
« Il y a plus de question d’illégalité depuis que ce nouveau texte a été adopté en été 2023. Ça veut pas dire que ça va pas de nouveau se retrouver devant la Cour européenne de justice et que le texte ne pourra pas se faire retoquer une nouvelle fois. » – Anne Devillers
Quelles sont les meilleures alternatives à Google Analytics 4 ?
Il existe plusieurs alternatives à GA4, souvent européennes et axées sur la protection des données. Anne Devillers cite notamment Piano (qui a racheté AT Internet), Piwik PRO, et Matomo. Adobe Analytics est également un concurrent majeur sur le segment des grandes entreprises.
« Il y en a d’autres. Voilà, il y a si on doit en citer, il y a Piano, il y a Piwick, il y a Matomo, il y a Adobe Analytics et plein d’autres. » – Anne Devillers
Comment suivre les clics sortants ou les téléchargements de fichiers dans GA4 ?
Bonne nouvelle : vous n’avez rien à faire, c’est automatique ! GA4, via sa fonctionnalité de « mesure améliorée », collecte nativement ces événements. Il suffit ensuite de créer un rapport personnalisé dans la section « Explorer » ou de personnaliser l’interface standard pour afficher les données relatives à ces interactions spécifiques.
« Dans GA4, il y a plein d’interactions qui sont collectées automatiquement. […] Ça va traquer automatiquement les téléchargements de fichiers, les interactions avec les vidéos YouTube, les fameux clics sortant. » – Anne Devillers