Pourquoi une CDP est-elle devenue un outil clé du marketing digital ?
Le marketing digital fait face à une révolution silencieuse. Avec la disparition progressive des cookies tiers, les ad-bloqueurs et le RGPD, près de « 70 % des informations qu’on peut collecter ne sont pas collectées ». Dans ce contexte, un annonceur qui n’a pas compris qu’il devait travailler sa donnée first-party, c’est-à-dire les données qu’il collecte lui-même, a « presque rien compris ». C’est là qu’intervient un outil de plus en plus central : la CDP, ou Customer Data Platform. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Comment fonctionne-t-elle et quels problèmes concrets résout-elle pour les marketeurs ?
Pour démystifier ce sujet, nous recevons Oussama Ghanmi, fondateur de DinMo, une Customer Data Platform moderne. Fort de 10 ans d’expérience dans la data chez des acteurs comme Ornikar, il a décidé de lancer DinMo avec une promesse : « simplifier cette catégorie de data plateforme » et la rendre accessible à un plus grand nombre d’entreprises, en levant les barrières de la complexité et du prix. Il nous promet d’apporter « un peu de clarté sur ce secteur où il y a beaucoup de bruit ».
C’est quoi une CDP ? La définition en trois briques fonctionnelles
Le terme CDP peut sembler complexe, mais sa mission est claire. Oussama Ghanmi nous invite à décomposer l’acronyme : « Customer Data Platform. Donc c’est une plateforme qui va permettre de gérer les données clients ». Pour comprendre son fonctionnement, il la structure en trois grandes fonctionnalités, ou « briques ».
La première brique : la réconciliation des données et la vision 360
La première mission d’une CDP est de répondre à un problème fondamental : l’éclatement des données clients. « Aujourd’hui, un client d’une entreprise a en moyenne 12 points de contact avec l’entreprise entre le site web, le magasin, le support client ou encore l’emailing. Et tous ces points de contact sont gérés dans des outils séparés », explique Oussama. Le CRM, la caisse du magasin, la base de données du produit… chaque système possède une partie de l’information.
Le premier enjeu d’une Customer Data Platform est donc de « rassembler toutes ces touches clients dans une même base de données qui est réconciliée ». C’est ce qu’on appelle la création d’une vision client 360. Il ne s’agit pas seulement de centraliser, comme on pourrait le faire dans un Data Lake. La CDP va plus loin en « stitchant » les données, c’est-à-dire en les réconciliant pour affirmer que « ce client qui passait acheter ce produit est le même qui est repassé sur le site ou qui a ouvert ce mail ». Cette capacité à créer un profil unifié est le socle de toute stratégie data-driven.
La deuxième brique : la création d’audiences dynamiques
Une fois les données unifiées, il faut pouvoir les exploiter. « On ne centralise pas les données pour le plaisir de le faire, mais pour des fonctionnalités qui sont principalement la capacité de créer des audiences, des segments dynamiques basés sur l’ensemble de ces informations », souligne Oussama. C’est le véritable cœur opérationnel de la CDP.
Il prend l’exemple d’un CRM manager préparant une campagne anti-churn (contre l’attrition) : « La première chose à laquelle je vais réfléchir, c’est quelle est mon audience des clients qui sont à risque ? […] Est-ce que j’ai toutes ces données-là dans mon CRM ? Ben, je ne les ai pas ». C’est dans la CDP, qui dispose de 100% des informations, que ce manager va pouvoir définir ses règles de segmentation. Par exemple, un client à risque pourrait être quelqu’un qui n’a pas acheté depuis 6 mois, n’a pas ouvert d’email depuis 3 mois ET n’a pas visité le site récemment. Une telle règle est impossible à créer sans une vision unifiée des données.
La troisième brique : la synchronisation avec l’écosystème marketing
Avoir des segments bien définis ne sert à rien s’ils restent bloqués dans la plateforme. La troisième brique est donc celle des connecteurs. Une CDP doit être capable de « synchroniser cette audience de façon dynamique avec l’ensemble de l’écosystème », que ce soit « ton Facebook, ton Google, ton CRM ou encore ton outil de support ».
Cette synchronisation est cruciale. Elle permet au CRM manager de retrouver son segment « clients à risque » directement dans son outil de campagne, sans se soucier de la fraîcheur des données. C’est ce qui garantit que les équipes marketing, support ou sales disposent toujours de la bonne information au bon moment pour communiquer de la manière la plus pertinente possible avec les clients.
L’ère post-cookie : pourquoi la maîtrise de la donnée first-party n’est plus une option
La montée en puissance des CDPs n’est pas un hasard. Elle répond directement à une crise profonde du marketing digital : la fin des cookies tiers. Historiquement, les plateformes comme Google ou Facebook utilisaient leurs « fameux tags sur les sites web » pour collecter automatiquement des informations sur les utilisateurs, savoir qui a acheté, et optimiser les campagnes. Mais ce modèle est en train de s’effondrer.
« Depuis, il y avait le RGPD, les ad bloqueurs, la disparition progressive des cookies tiers qui fait que ces plateformes digitales disposent de très peu d’informations sur les clients des entreprises », constate Oussama. Le résultat est sans appel : les algorithmes publicitaires sont de moins en moins pertinents, car ils sont aveugles. Pour redevenir efficaces, ils ont besoin que les annonceurs leur fournissent de l’information. C’est là que la donnée first-party, centralisée dans une CDP, devient le carburant essentiel de la performance.
Les cas d’usage concrets d’une CDP en marketing digital
La théorie est une chose, mais comment une CDP se traduit-elle en résultats concrets ? Oussama partage les trois cas d’usage les plus courants observés chez ses clients, y compris ceux qui dépensent plusieurs millions d’euros en acquisition.
L’exclusion d’audience : ne plus payer pour acquérir ses propres clients
C’est le premier cas d’usage, et sans doute le plus simple à comprendre. « Dès qu’un client achète, si on sait que pendant une période, il y a quasi pas de chance qu’il rachète, eh ben on va les exclure ». L’exemple du secteur du voyage est parlant : un client qui a déjà réservé ses vacances d’été ne devrait plus voir de publicités pour d’autres séjours estivaux. Sans une bonne stratégie d’exclusion, « on va dépenser beaucoup de budget ». Cette perte peut atteindre « jusqu’à 30 %, 40 % dans certains cas ». La CDP permet d’envoyer en temps réel la liste des acheteurs récents aux plateformes publicitaires pour les exclure des campagnes d’acquisition pure.
Les audiences similaires (lookalike) : guider les algorithmes publicitaires
Le deuxième cas d’usage consiste à « orienter les algorithmes publicitaires vers les clients de l’entreprise pour chercher des clients similaires ». C’est la fameuse stratégie de lookalike. Plutôt que de laisser Facebook ou Google deviner qui sont vos bons clients, la CDP vous permet de leur fournir une liste précise de vos « top clients », ceux qui sont les plus fidèles ou qui ont la plus grande valeur. En créant des audiences similaires basées sur ce segment de haute qualité, les plateformes peuvent cibler des prospects bien plus qualifiés, améliorant ainsi drastiquement le retour sur investissement.
La réactivation et l’incitation à l’achat omnicanal
Historiquement, la réactivation client était l’apanage du CRM via l’emailing. Mais aujourd’hui, les clients se désengagent de ce canal. « Par contre, s’ils voient la publicité sur Facebook, sur TikTok, sur Snapchat, bah ils vont réengager », explique Oussama. Une CDP permet de créer des scénarios de réactivation omnicanaux. Par exemple, pour un parfumeur comme Sephora, on peut définir une audience de clients ayant acheté un parfum il y a 3 mois et qui ne réagissent plus aux emails, pour leur pousser une publicité ciblée sur les réseaux sociaux. C’est la clé pour orchestrer des parcours clients cohérents et efficaces sur tous les leviers.
Comment positionner la CDP dans l’écosystème data ?
L’écosystème des technologies data est un véritable jungle d’acronymes. Oussama nous aide à y voir plus clair en positionnant la CDP par rapport à ses voisins : DMP, CRM et Data Clean Rooms.
CDP vs DMP : la fin d’une époque ?
Les DMP (Data Management Platform) ont une promesse historique : agréger des données first, second et third-party pour activer des campagnes sur l’écosystème digital. Cependant, leur modèle est fortement dépendant des cookies tiers. « On voit disparaître ou ça doit se réinventer pour répondre à cet enjeu-là à cause de la disparition des cookies tiers », analyse Oussama. Les DMP concernent principalement les grands éditeurs (publishers) qui ont un business de vente de données. La CDP, elle, est résolument tournée vers l’annonceur et sa donnée first-party.
CDP ou CRM : faut-il choisir ?
C’est une confusion fréquente. De nombreux CRM revendiquent aujourd’hui être une CDP. « On voit beaucoup de clients être très tentés par se dire : bah en fait mon CRM, il contient déjà tous mes clients […], donc pourquoi pas l’utiliser comme une CDP ». Pour des entreprises avec un setup technique simple (par exemple, un site Shopify connecté à Klaviyo), cela peut fonctionner. Mais dès que la complexité augmente, avec des données éclatées entre ERP, caisses de magasin et e-commerce, le CRM atteint ses limites. « Leur back-end n’est pas censé vraiment accueillir toutes ces données ». Pour Oussama, partisan du ‘Best of Breed’, le CRM devient alors une destination : « la CDP, elle va réconcilier les données, les préparer pour l’utilisation […] et ensuite synchroniser ça avec le CRM ».
Et les Data Clean Rooms ?
Le mot à la mode du moment. Pour Oussama, la Data Clean Room répond avant tout à un « enjeu de mesure », permettant à deux entreprises (par exemple, Galeries Lafayette et ManoMano) de croiser leurs bases de données de manière sécurisée pour mesurer l’audience commune. C’est une étape avancée, mais il conseille de commencer par les bases : « Est-ce que déjà je suis maître de mes données ? Est-ce que j’ai accès à 100 % de mes données réconciliées ? ». Maîtriser sa propre donnée est le prérequis avant de s’aventurer dans des analyses croisées complexes.
Le conseil clé avant d’investir : partez de vos cas d’usage
Face à la complexité de l’écosystème, comment un annonceur doit-il aborder le sujet ? La recommandation finale d’Oussama est limpide : « Partir du use case. Pourquoi ? Ne pas partir sur un investissement en CDP parce que mon père a acheté une CDP ». L’erreur est de se focaliser sur l’outil avant d’avoir défini le problème à résoudre. Il faut d’abord identifier un blocage métier : ‘Je n’arrive pas à exclure mes clients de mes campagnes’, ‘Je ne peux pas segmenter finement mes utilisateurs’, ‘Mes données sont éclatées et inutilisables’.
« Si on part du use case, on va se rendre compte que la première partie c’est d’être maître de ses données ». Une fois cette problématique clairement identifiée, on peut alors évaluer si une CDP est la bonne solution. Cette approche pragmatique est la meilleure garantie pour ne pas se lancer dans un projet technique coûteux et sans ROI, et pour faire de la gestion data client un véritable levier de croissance.
FAQ sur la Customer Data Platform (CDP)
Qu’est-ce qu’une CDP en marketing ?
Une CDP (Customer Data Platform) est un logiciel qui centralise les données clients provenant de multiples sources (site web, CRM, magasin, support client) pour créer un profil unifié et persistant pour chaque client. Elle permet ensuite aux marketeurs de segmenter ces profils et d’activer ces audiences sur tous leurs canaux de communication.
« C’est une plateforme qui va permettre de gérer les données clients. […] La première [brique] consiste à réconcilier l’ensemble des touches clients dans une vision unifiée par profil. » – Oussama Ghanmi
Quelle est la différence entre une CDP et un CRM ?
Un CRM est principalement un outil de gestion de la relation client, souvent centré sur les interactions directes (ventes, support). Une CDP a une portée plus large : elle collecte des données de toutes sources (y compris anonymes), les unifie, et les rend disponibles à d’autres systèmes, dont le CRM. Dans un écosystème mature, le CRM devient une destination pour les données enrichies par la CDP.
« Le CRM devient une destination vers laquelle la CDP peut synchroniser de la donnée. Donc la CDP, elle va réconcilier les données, les préparer pour l’utilisation […] et ensuite synchroniser ça avec le CRM. » – Oussama Ghanmi
Pourquoi une CDP est-elle importante avec la fin des cookies ?
Avec la fin des cookies tiers, les plateformes publicitaires perdent leur capacité à suivre les utilisateurs. Une CDP devient cruciale car elle permet à une entreprise de s’appuyer sur ses propres données (first-party) pour comprendre ses clients et alimenter les algorithmes publicitaires avec des signaux de haute qualité, maintenant ainsi la performance des campagnes.
« La disparition progressive des cookies tiers fait que ces plateformes digitales, elles disposent de très peu d’informations sur les clients des entreprises […]. Et donc à partir de là, il leur faut de l’information pour être plus pertinent. » – Oussama Ghanmi
Comment une CDP peut-elle améliorer mes campagnes publicitaires ?
Une CDP améliore les campagnes de trois manières principales : en permettant d’exclure les clients existants des campagnes d’acquisition pour ne pas gaspiller de budget, en créant des audiences similaires (lookalike) très précises basées sur vos meilleurs clients, et en orchestrant des campagnes de réactivation sur les canaux les plus pertinents (et pas seulement l’email).
« Le premier cas d’usage qu’on observe vraiment chez quasiment tous nos clients, c’est les stratégies d’exclusion. Dès qu’un client achète […], on va les exclure. Et comme ça, on est capable de gérer des campagnes pure acquisition. » – Oussama Ghanmi
Qu’est-ce qu’une vision client 360 ?
Une vision client 360 est un profil unique et complet d’un client qui rassemble toutes ses interactions avec une entreprise, qu’elles soient en ligne (visites de site, ouverture d’emails) ou hors ligne (achats en magasin, appel au support). C’est le résultat du travail de réconciliation des données effectué par la CDP.
« La capacité de décrire en 360 tout ce qui se passe autour du client en lien avec l’entreprise et tous ses points de contact digitaux ou physiques. » – Oussama Ghanmi
Une CDP peut-elle se connecter à Facebook et Google Ads ?
Oui, l’une des fonctions essentielles d’une CDP est de disposer de connecteurs natifs avec les principales plateformes publicitaires comme Facebook Ads et Google Ads. Cela permet de synchroniser en temps réel et de manière dynamique les audiences créées dans la CDP vers ces plateformes pour le ciblage, l’exclusion ou la création d’audiences similaires.
« Il faut qu’elle soit connectée à l’ensemble des outils que ce soit le ton Facebook, ton Google, ton CRM ou encore ton outil de support. » – Oussama Ghanmi
Quelle est la différence entre une CDP et une DMP ?
La principale différence réside dans la nature des données. Une DMP (Data Management Platform) est historiquement conçue pour gérer des données anonymes et tierces (cookies), principalement pour les éditeurs de médias. Une CDP se concentre sur la collecte et l’unification de données first-party identifiées (email, ID client), appartenant à l’annonceur.
« On parle plus de technologie type DMP […] avec une promesse historique qui était de réconcilier donnée first, donnée de partenaires et le third party. […] C’est eux qui militent pour les créations de ces identifiants uniques cross plateforme. » – Oussama Ghanmi
Par où commencer avant de choisir une CDP ?
Avant même de regarder le marché des CDP, il faut partir de ses propres problématiques métier (use cases). Identifiez une douleur précise (ex: ‘je dépense trop pour réacquérir mes clients’) et analysez les données dont vous auriez besoin pour la résoudre. C’est seulement une fois le besoin clairement défini que vous pourrez évaluer les solutions du marché de manière pertinente.
« Un conseil pour tous ces clients qui se posent ces questions, c’est de partir du use case. Pourquoi ? Ne pas partir sur un investissement en CDP parce que mon père a acheté une CDP. Ça ne veut rien dire. » – Oussama Ghanmi