L’incroyable histoire du dentifrice : comment un publicitaire a changé nos habitudes
Bienvenue sur le podcast Marketing Mania. Je suis Stanislas Leloup, alias Le Maniaque des Conversions, et aujourd’hui, on attaque notre 5e et dernier épisode de la série sur les biais cognitifs. Pour commencer, je vais vous raconter l’histoire du dentifrice. Dans les années 1900, très peu de gens en utilisaient, tout simplement parce qu’ils n’en voyaient pas la valeur. La situation était si critique que pendant la Première Guerre Mondiale, l’armée américaine a découvert que l’hygiène dentaire était devenue un risque de sécurité nationale. Beaucoup de recrues devaient être réformées parce que leurs dents étaient complètement pourries.
Si aujourd’hui, vous utilisez du dentifrice deux fois par jour, c’est en grande partie grâce à un homme qui a changé la donne. Et comme tous les héros modernes, c’est bien sûr un publicitaire. Cet homme s’appelle Claude Hopkins. Il a fait connaître la marque de dentifrice Pepsodent et a convaincu les Américains de se brosser les dents. Comment ? En inventant une campagne de pub basée sur l’idée du « film dentaire ».
Sa publicité disait aux gens : « Passez votre langue sur vos dents, vous allez ressentir l’existence d’une petite plaque. Cette plaque, c’est le film dentaire, et il va jaunir et pourrir vos dents. » En liant ce film dentaire à un bénéfice concret, la beauté, il a profondément investi les gens dans l’idée de l’hygiène dentaire. En seulement 3 semaines, les ventes de Pepsodent ont explosé. Dix ans plus tard, la moitié des Américains utilisaient du dentifrice au quotidien.
Qu’est-ce que la valeur perçue et comment la façonner ?
Cet épisode est donc le dernier de notre série sur les biais cognitifs, ces particularités de l’esprit humain qui nous rendent irrationnels. Le but est de comprendre votre cerveau et celui de vos clients pour mieux communiquer et persuader. Le sujet du jour est de comprendre comment les gens perçoivent la valeur et sur quels critères ils l’attribuent.
La première chose à mettre en place est l’idée de valeur perçue. C’est l’estimation de la valeur de votre produit ou service par votre prospect. Elle prend en compte la valeur intrinsèque (coût de fabrication, ROI), mais aussi tous les facteurs émotionnels et irrationnels. Plus votre produit aura de valeur perçue, plus vous pourrez le vendre facilement et à un prix élevé. Aujourd’hui, nous allons survoler quelques biais cognitifs qui ont un impact majeur sur cette mesure de la valeur perçue.
Le biais de satisfaction immédiate : la quête de la récompense instantanée
Un des éléments les plus importants dans l’évaluation irrationnelle de la valeur est le biais de satisfaction immédiate. C’est l’idée que nous sommes biaisés envers une satisfaction qui peut arriver instantanément, et nous plaçons inversement moins de valeur sur les bénéfices à long terme.
Le coup de génie de Claude Hopkins avec le dentifrice Pepsodent
Reprenons notre exemple du dentifrice. Il avait toujours été vendu sur une valeur de long terme : « utilisez-le et vous n’aurez pas de caries ». Le problème, c’est que ce pitch demande un effort immédiat pour un bénéfice futur et incertain. Avec Pepsodent, Claude Hopkins a changé la donne. D’abord, il a déplacé le bénéfice de la santé dentaire à long terme vers un bénéfice à plus court terme : la beauté, un sourire plus rayonnant.
Mais même là, obtenir des dents blanches prend du temps. Comment donner une satisfaction dans la seconde même ? L’innovation de Pepsodent a été d’ajouter des substances qui donnaient en bouche un goût de fraîcheur. Ces ingrédients, sans valeur pour l’hygiène, étaient de légers irritants créant cette impression de picotement que l’on connaît aujourd’hui. Cet effet est une récompense immédiate. Quand vous utilisez le dentifrice, vous ne pensez pas à vos dents dans 2 ans, vous pensez à obtenir cette sensation de fraîcheur. On a donc augmenté la valeur perçue du produit sans toucher à sa valeur intrinsèque.
Comment appliquer ce principe à vos produits et services
Cette idée se retrouve partout. Pour les lessives, il est souvent plus important qu’elle sente bon en sortant de la machine que son efficacité à détacher. La satisfaction immédiate, c’est l’odeur.
En marketing, si vous vendez des produits d’information ou des services, vous demandez un investissement immédiat pour un résultat futur. Pour contrer le biais de satisfaction immédiate, vous pouvez faire deux choses. Premièrement, faites tout votre possible pour obtenir des résultats immédiats pour vos clients, même symboliques ou émotionnels, dans l’heure, la journée ou la semaine suivant l’achat.
L’autre élément, plus subtil, est de faire visualiser le futur. Sur les pages de vente, on vous demande souvent : « Imaginez quand vous aurez acheté mon produit… » Pourquoi ? Parce que votre cerveau ne distingue pas bien entre l’imagination et la réalité. En imaginant le bénéfice, vous le rendez présent. Il devient moins abstrait, presque tangible, ce qui vous aide à mieux le comparer au coût actuel du produit.
Le biais de surréaction à la perte : pourquoi la peur de perdre est votre meilleur allié
Un autre biais fascinant est celui de la surréaction à la perte. L’idée est que vous ressentez plus d’émotions négatives en perdant 100 € que d’émotions positives en gagnant 100 €. La perte est plus douloureuse que le gain n’est agréable.
L’expérience du mug et du chocolat qui révèle notre irrationalité
Une expérience de Danny Kahneman illustre parfaitement ce biais. On sépare une population en trois groupes. Le premier reçoit une barre de chocolat, le deuxième un mug, et le troisième rien. Ensuite, on propose aux deux premiers groupes d’échanger leur objet contre l’autre, et au troisième groupe de choisir entre les deux. Rationnellement, les choix devraient être similaires.
Mais les résultats sont frappants : 86 % des gens qui ont reçu un mug choisissent de le garder. 90 % de ceux qui ont reçu une barre de chocolat la gardent. Le groupe contrôle, lui, choisit le mug à 56 %. Cela montre que notre préférence est largement influencée par ce que nous possédons déjà. La douleur de perdre cet acquis est si forte que l’on préfère le conserver.
La garantie et la ‘méthode du chiot’ : des applications marketing concrètes
Ce biais est très important en marketing, notamment pour les garanties. Les gens ont très peur d’acheter quelque chose de défectueux. Leur peur de perdre est souvent démesurée par rapport à la probabilité réelle d’un problème. Proposer une garantie est donc presque toujours bénéfique : vous gagnerez plus de ventes que vous n’en perdrez en remboursements, car vous rassurez sur cette peur de la perte.
Une autre application est la « méthode du chiot ». Pour vendre un chiot, la meilleure façon est de le confier à une famille pour une semaine en leur disant : « Si vous n’en voulez pas, ramenez-le. » Presque personne ne le ramène. Après une semaine, on s’y est attaché, il fait partie de la famille. La perte du chiot est devenue insupportable. C’est le principe des essais gratuits : une fois qu’un produit fait partie de votre quotidien, il est très difficile de s’en défaire. La perte de ce produit est plus douloureuse que le gain de l’acheter à l’origine ne l’aurait été.
La parabole du serrurier : l’importance de l’effort perçu
Voici une autre histoire intrigante sur la valeur perçue irrationnelle : la parabole du serrurier. Vous perdez votre clé et appelez un serrurier. Un débutant arrive, passe une heure à s’acharner sur votre serrure, sue, essaie plusieurs outils, endommage même la serrure et doit la remplacer. Finalement, il réussit et vous demande 200 €. Vous payez, content.
Trois jours plus tard, même problème. Cette fois, un expert arrive. Il regarde la serrure, se gratte le menton, prend un outil et, en 5 minutes, clac, la porte est ouverte. Il vous dit : « Ça fera 200 €. » Et là, ça fait mal. Le gars a bossé 5 minutes pour 200 € ! Pourtant, le résultat est le même, voire supérieur, car vous avez gagné du temps et évité des dégâts. C’est un biais bien connu : si les gens perçoivent l’effort passé à créer un produit, ils lui attribuent de façon irrationnelle une valeur supérieure.
Pourquoi nous valorisons davantage ce qui semble difficile à produire
C’est la raison pour laquelle on a tendance à valoriser les produits créés à la main par un artisan. On imagine l’effort individuel, les heures de sueur, ce qui ajoute une valeur perçue au produit, indépendamment de sa qualité objective qui pourrait être inférieure à celle d’un produit d’usine.
Révéler les coulisses : une stratégie pour justifier vos prix
Si vous pouvez trouver un moyen de montrer l’effort derrière votre produit, cela peut modifier sa valeur perçue. C’est ce que font brillamment les campagnes Kickstarter. Les pitchs les plus efficaces montrent tout le travail déjà accompli : les prototypes, les tests, les dessins, les experts consultés. Tout cela n’apporte rien au consommateur final, si ce n’est l’impression que le produit a été très difficile à créer, ce qui augmente sa valeur perçue et justifie l’investissement.
L’effet ‘boom’ : comment le volume influence la valeur perçue
Le dernier élément que j’aborderai est l’effet « boom ». Autrefois, quand on vendait des produits d’information par la poste, les gens attribuaient de façon irrationnelle une valeur au poids et au volume du paquet reçu. Le « boom », c’est le bruit que fait le colis en tombant sur la table. Un gros paquet semblait avoir plus de valeur, indépendamment de l’information à l’intérieur.
De la cassette audio au pack de DVD immatériel
Aujourd’hui, même si on ne vend plus de produits physiques, ce biais persiste. C’est pourquoi sur les pages de vente, on vous montre souvent des visuels du produit comme s’il était physique : une jaquette de livre, un pack de 12 DVD. Pourquoi ? Pour stimuler votre « effet boom » interne. Vous achetez peut-être un truc immatériel, mais s’il était matériel, ce serait un gros paquet de 30 kg !
Le pouvoir des listes détaillées sur vos pages de vente
L’autre manifestation de ce biais est la liste exhaustive du contenu. Fondamentalement, vous n’avez pas besoin du sommaire exact pour décider d’acheter. Vous vous décidez sur les bénéfices promis. Mais on vous liste tout en détail pour générer un effet boom, pour vous montrer à quel point le produit est riche, complet, et à quel point son créateur a travaillé. Cela justifie le prix.
Le statut social : l’ultime levier de la valeur perçue
Enfin, le statut social est un levier puissant. On attribue souvent la valeur d’un produit selon le statut des personnes qui y sont associées. C’est pourquoi les marques utilisent des célébrités.
La brillante stratégie de Jay Abraham et son séminaire à 5000 dollars
Jay Abraham, un consultant marketing brillant, avait une stratégie redoutable pour vendre un séminaire à 5 000 dollars à des prospects froids. D’abord, il envoyait une lettre proposant une journée de consulting à 40 000 dollars. Peu importait s’il la vendait. Cette offre était là pour installer son statut de consultant légendaire.
Ensuite, il envoyait une deuxième lettre qui disait en substance : « Beaucoup voulaient apprendre de ce génie mais n’avaient pas 40 000 dollars. Alors, pour vous, on propose un truc au rabais : un séminaire de 3 jours avec lui pour seulement 5 000 dollars. » Tout d’un coup, après avoir ancré le prix de 40 000 $ pour une journée, 5 000 $ pour trois jours semblait une affaire. Il remplissait des salles entières avec cette stratégie.
Sur cette anecdote, nous terminons notre série. Si vous avez aimé, laissez-moi une évaluation iTunes, parlez-en autour de vous. Pour retrouver le PDF récapitulatif de tous les biais, rendez-vous sur marketingmania.fr/biais. Et si vous voulez aller plus loin, découvrez la série précédente sur l’influence sur marketingmania.fr/influence. On se retrouve très bientôt pour un nouvel épisode !
Questions fréquentes sur la valeur perçue
Qu’est-ce que la valeur perçue en marketing ?
Réponse directe : La valeur perçue est l’estimation subjective qu’un client se fait de la valeur d’un produit ou service. Elle va au-delà du prix ou des caractéristiques techniques, incluant des facteurs émotionnels et psychologiques qui influencent la décision d’achat et le prix que le client est prêt à payer.
Citation de l’épisode : « La valeur perçue c’est l’estimation de la valeur de votre produit ou service par votre prospect. Et cette valeur perçue prend en compte non seulement la valeur intrinsèque de votre produit, le coût de fabrication, le retour sur investissement, etc., ça prend aussi tous les facteurs émotionnels, tous les facteurs irrationnels. »
Comment le biais de satisfaction immédiate affecte-t-il les ventes ?
Réponse directe : Ce biais pousse les consommateurs à préférer des récompenses instantanées, même petites, à des bénéfices plus importants mais futurs. Un produit qui offre une gratification immédiate (comme une sensation de fraîcheur pour un dentifrice) aura plus de succès qu’un produit ne promettant que des avantages à long terme.
Citation de l’épisode : « Le biais de satisfaction immédiate, c’est l’idée que les gens vont être biaisés envers la satisfaction qui peut arriver de façon instantanée, et vont inversement placer moins de valeur sur les bénéfices de long terme. »
En quoi consiste le biais de surréaction à la perte ?
Réponse directe : Ce biais, aussi appelé aversion à la perte, signifie que la douleur psychologique de perdre quelque chose est environ deux fois plus forte que le plaisir de gagner une chose de valeur équivalente. En marketing, cela rend les garanties et les essais gratuits très efficaces, car les clients craignent de perdre ce qu’ils possèdent déjà ou pourraient posséder.
Citation de l’épisode : « L’idée ici, c’est que vous allez recevoir plus d’émotions négatives quand vous perdez 100 € que vous allez en recevoir d’émotions positives quand vous gagnez 100 €. En d’autres termes, la perte est plus douloureuse que le gain est agréable. »
Quelle est la « méthode du chiot » en marketing ?
Réponse directe : La « méthode du chiot » est une stratégie de vente basée sur l’essai gratuit. L’idée est de laisser un client potentiel utiliser un produit pendant une période. Une fois qu’il s’y est habitué et attaché, la peur de le perdre devient un puissant levier d’achat, rendant la restitution très difficile.
Citation de l’épisode : « La meilleure façon de le faire c’est d’aller voir la famille, de leur dire : ‘Tenez. Voici un chiot… gardez-le pendant une semaine et au bout d’une semaine, si vous n’avez pas envie de le garder, vous nous le ramenez.’ Et si vous faites ça, presque personne ne va… décider de vous le ramener. »
Pourquoi montrer l’effort derrière un produit peut augmenter son prix ?
Réponse directe : La « parabole du serrurier » illustre que les consommateurs attribuent une plus grande valeur à un service ou un produit s’ils perçoivent l’effort, le temps et la difficulté qui ont été nécessaires à sa réalisation. Montrer les coulisses de la création peut donc justifier un prix plus élevé, car cela ancre la valeur dans le travail fourni.
Citation de l’épisode : « Si les gens perçoivent l’effort passé à créer un produit, ils vont de façon irrationnelle, attribuer une valeur supérieure à ce produit. »
Qu’est-ce que l’effet « boom » dans la vente de produits d’information ?
Réponse directe : L’effet « boom » est un biais où les clients attribuent une plus grande valeur à un produit d’information en fonction de sa quantité perçue (volume, poids, nombre de modules). Même pour des produits numériques, le fait de les matérialiser visuellement ou de lister leur contenu en détail crée cette impression de volume et justifie le prix.
Citation de l’épisode : « L’effet boom était lié au fait que les gens allaient de façon irrationnelle, attribuer une valeur au poids, au volume de votre produit que vous leur envoyez… Et si ça fait boom… les gens vont attribuer une valeur au simple volume de ce que vous leur apportez. »
Comment Claude Hopkins a-t-il convaincu les Américains de se brosser les dents ?
Réponse directe : Le publicitaire Claude Hopkins a réussi en créant un besoin autour du « film dentaire », une fine plaque sur les dents. Il a ensuite positionné le dentifrice Pepsodent comme la solution, en y ajoutant un bénéfice immédiat : une sensation de picotement et de fraîcheur qui agissait comme une récompense instantanée après chaque brossage.
Citation de l’épisode : « La façon dont il a réussi à convaincre les Américains de se brosser les dents, c’est en inventant cette campagne de pub qui était basée sur l’idée du film dentaire… Et le fait d’avoir lié le fil dentaire avec la beauté… a permis aux gens de profondément s’investir dans cette idée. »
Comment le statut social peut-il justifier un prix élevé ?
Réponse directe : Le statut social associé à un créateur ou une marque peut considérablement augmenter la valeur perçue d’une offre. En établissant une image d’expert très demandé et très cher (comme Jay Abraham avec son consulting à 40 000$), un produit à un prix inférieur (un séminaire à 5 000$) peut paraître comme une opportunité exceptionnelle.
Citation de l’épisode : « On va très souvent attribuer la valeur d’un produit selon le statut social des personnes qui y sont associées… maintenant que vous avez installé Jay Abraham comme étant un génie absolu qui peut prendre 40 000 dollars la journée, 5 000 dollars pour passer 3 jours avec lui en séminaire, c’est plutôt raisonnable. »