Logo de l'épisode Révolutionner un marché établi - avec Pauline Laigneau du podcast Marketing Mania - Conversations d'entrepreneurs

Révolutionner un marché établi – avec Pauline Laigneau

Épisode diffusé le 12 octobre 2018 par Marketing Mania

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De l’idée à la licorne : comment créer une marque de joaillerie et disrupter un marché de luxe

Pauline Laigneau a cofondé Gemmyo, une marque de joaillerie 100 % en ligne qui a su se faire une place impressionnante aux côtés des grands noms du domaine. Aujourd’hui, Gemmyo est devenue la troisième marque la plus recherchée sur Google en France dans son secteur. Dans cet article, nous allons décortiquer son parcours, de la genèse de l’idée à la mise en place de stratégies marketing audacieuses. Comment attaquer un marché bien établi ? Comment créer un produit de luxe à partir de zéro ? Et surtout, comment vendre sur internet des produits avec un panier moyen de 1000 € ?

L’origine inattendue d’un projet entrepreneurial : le podcast comme source de créativité

Avant de plonger dans l’aventure Gemmyo, il est intéressant de comprendre la démarche de Pauline derrière son autre projet, le podcast Le Gratin. Pourquoi une entrepreneure à la tête d’une marque de joaillerie en pleine croissance décide-t-elle de lancer un podcast ? La raison est plus profonde qu’une simple diversification.

« Ça fait quand même 7 ans que je travaillais à temps plein sur Gemmyo et donc je pense que j’avais aussi envie de trouver une nouvelle énergie qui vienne un petit peu d’ailleurs. »

Pauline explique que l’audace et l’innovation ont toujours fait partie de l’ADN de Gemmyo. Le podcast est né d’une volonté de formaliser cette quête d’inspiration. En interviewant des personnalités remarquables, elle cherchait à poser des questions concrètes qui l’intéressaient personnellement, tant sur le plan entrepreneurial que personnel. L’effet sur Gemmyo a été direct et puissant. « Ce que je trouve assez incroyable, c’est que cette énergie du podcast, tout ce que j’apprends dans le podcast, c’est des choses en fait qu’on va réussir à implémenter chez Gemmyo. Depuis que j’ai lancé le podcast, je sens vraiment qu’on a une très très bonne énergie dans la boîte, qu’on a beaucoup plus d’idées, qu’on est beaucoup plus créatif. »

L’étincelle de Gemmyo : comment un échec personnel peut révéler une opportunité de marché

Le parcours de Pauline est loin d’être linéaire. Avec un bagage littéraire (Normale Sup), elle se destinait initialement au service public, poussée par le désir de faire plaisir à son père. Un échec cuisant à l’oral de l’ENA, avec une note de 2 sur 20, a été le catalyseur d’un changement radical de vie.

« En gros, ils m’ont dit qu’ils m’avaient trouvé plutôt sympathique mais qu’en fait, il sentait que j’avais absolument pas de vocation pour le service public et je faisais ça pour les mauvaises raisons. C’était totalement vrai. »

Cet échec, bien que douloureux, lui a permis de réaliser qu’elle devait arrêter de suivre un chemin qui n’était pas le sien. Elle s’est alors tournée vers ce qui l’animait vraiment : l’aventure, le risque, la créativité. L’entrepreneuriat est apparu comme une évidence. C’est dans ce contexte qu’elle a intégré une école de commerce.

Faut-il faire une école de commerce pour devenir entrepreneur ?

La question de l’utilité d’une école de commerce pour entreprendre est souvent débattue. Pauline partage un avis nuancé : « Dans l’absolu, je pense que la meilleure école pour être entrepreneur, c’est de faire et d’apprendre. » Cependant, pour elle, l’école a eu un rôle psychologique important, lui donnant la légitimité et les bases pour se lancer. Les stages, notamment dans une startup, et le réseau ont été des atouts indéniables. L’enseignement, bien que souvent trop théorique, a semé des graines qui se sont révélées utiles des années plus tard, notamment sur des sujets comme la finance d’entreprise lors des levées de fonds.

La naissance de l’idée : une expérience client décevante

Alors, comment trouver une idée de business ? Pour Pauline, l’idée de Gemmyo est née d’une expérience personnelle très concrète et frustrante : la recherche de sa bague de fiançailles. Avec son futur mari, ils ont vécu une expérience d’achat « hyper intimidante », avec des prix exorbitants et un accueil peu chaleureux, notamment sur la prestigieuse place Vendôme.

« L’expérience a été tellement décevante par rapport à ce qu’on s’attendait. On s’est dit mais c’est pas possible, il y a quand même autre chose qui doit exister. Et en demandant autour de nous, on s’est rendu compte que nos amis avaient tous aussi un petit peu galéré. »

Ils ont réalisé que le secteur de la joaillerie était « vieillot et poussiéreux ». L’opportunité était là : créer une marque de joaillerie avec un état d’esprit plus jeune, plus frais, qui démocratise le secteur tout en conservant une fabrication française haut de gamme. L’idée était de créer l’expérience qu’ils auraient eux-mêmes voulu vivre.

Créer un produit à partir de zéro : les premières étapes pour lancer sa marque en ligne

Passer de l’idée à l’exécution est un défi majeur, surtout sans aucune expérience dans le domaine. La démarche de Gemmyo a été pragmatique et fidèle aux principes du Lean Startup.

Démarcher des fournisseurs en joaillerie : un parcours du combattant

Le premier objectif était simple et concret : « on se donne 3 mois pour créer ce site internet ». Cette deadline a forcé l’équipe à découper le projet en tâches réalisables : dessiner les produits, trouver les pierres, le métal, et surtout, les fournisseurs. La recherche d’ateliers a été une épreuve. Le secteur de la joaillerie est secret et fermé.

« Quand je les appelais, je connaissais même pas les mots qu’il fallait employer. Les types me disaient, mais attendez, vous voulez dire un serti. Je disais, ah oui, serti, c’est comme ça qu’on tient la pierre. C’était un peu ridicule. »

Après des centaines d’appels et beaucoup de persévérance, Pauline a finalement trouvé un atelier qui a accepté de parier sur leur projet. Ce processus a été difficile mais formateur, soulignant l’importance de la ténacité dans les premières phases de création d’une marque.

La première vente : le moment de vérité

La première vente à une inconnue est un moment fondateur. Pour Gemmyo, c’était une dame d’Angers qui a commandé une bague une semaine après le lancement du site. Cette première commande a été une source d’apprentissage immense. « On a appris tellement de choses avec cette cliente. Déjà, on a vu qu’on avait un problème sur notre RIB, ce n’était pas le bon numéro. » De la fabrication, qui n’avait jamais été testée en conditions réelles, à la livraison, en passant par les erreurs de pricing, chaque étape a été une leçon. Cela confirme un principe clé : il est vital de se confronter au marché et aux clients le plus tôt possible.

La stratégie marketing pour vendre un produit de luxe sur internet

Comment Gemmyo a-t-elle réussi à décoller ? La stratégie marketing s’est construite par étapes, en s’adaptant aux moyens disponibles.

Les débuts : créativité et budget limité

Sans argent, les premières actions marketing reposaient sur l’ingéniosité. Gemmyo s’est concentré sur deux leviers alors peu exploités par le secteur du luxe :

  • Les Relations Presse (RP) : En contactant des centaines de journalistes, Pauline a réussi à décrocher de beaux articles, notamment dans Les Echos, qui ont apporté une visibilité et une crédibilité cruciales.
  • Les blogs : À une époque où le marketing d’influence était naissant, Gemmyo a collaboré avec de grandes blogueuses en leur proposant de co-créer des bijoux. « On leur a offert le bijou, mais c’était tout. Donc c’était quand même une opération en terme de rentabilité qui était monstrueuse. »

La montée en puissance : investissement et acquisition

Avec les premières levées de fonds (4 millions d’euros au total), Gemmyo a pu investir dans des canaux plus structurants. La priorité a été de construire un site e-commerce robuste sur Magento. Ensuite, l’investissement s’est porté sur deux piliers de l’acquisition en ligne :

  • Le SEO : Conscient de l’importance d’être bien positionné sur des mots-clés concurrentiels comme « bague de fiançailles ».
  • Google AdWords : Pour capter un trafic qualifié et intentionniste.

La psychologie d’un achat cher en ligne

Vendre un bijou à 1000 € sur internet n’est pas un achat d’impulsion. Le tunnel de conversion est long et complexe. « On a un panier moyen qui est à 1000 €. C’est très particulier comme segment. » Pauline souligne une dynamique unique : la femme est souvent prescriptrice, mais c’est l’homme qui finalise l’achat, souvent depuis un autre ordinateur, ce qui complexifie le suivi des conversions. La clé est de comprendre que la décision d’achat est le fruit de multiples points de contact : « elle a vu une pub dans le métro, elle a fait une recherche sur Google, elle t’a vu sur Facebook, et ensuite, elle a été retargetée. C’est vraiment ça qui va faire que quand elle a une envie d’un bijou, elle va penser à nous. »

Sortir du digital : la puissance de l’affichage métro et des showrooms

Pour devenir une marque de référence, Gemmyo a compris qu’il fallait sortir de la sphère purement digitale. Deux initiatives majeures ont marqué un tournant.

Faire de la publicité dans le métro : une stratégie de notoriété

Pourquoi une DNVB investirait-elle dans un média offline et difficilement mesurable comme le métro ? La réponse est stratégique : construire la notoriété et être « top of mind ». « L’idée de top of mind, d’être vraiment dans la conscience collective, elle est hyper importante. »

Le choix du métro était audacieux. C’est un média délaissé par les marques de luxe, offrant un rapport qualité-prix intéressant et une opportunité de se démarquer. La campagne du fameux « chat rose » a été un immense succès. L’idée était de faire un pied de nez à la panthère de Cartier en utilisant un animal mignon et attachant pour casser les codes intimidants de la joaillerie. L’objectif n’était pas la vente directe, mais de marquer les esprits. Et ça a fonctionné au-delà de toute espérance, générant de la presse et un engagement viral de la part du public.

Passer du online au physique avec des showrooms

Malgré le succès en ligne, de nombreux clients hésitaient à dépenser 1000 € sans voir le produit. Le passage au physique s’est imposé comme une évidence. « J’ai pas envie de mettre 1000 € pour me rendre compte que ça me va pas. Et franchement, je peux comprendre. »

Encore une fois, l’approche a été ‘lean’ : un pop-up store a été ouvert rapidement pour tester le concept. Le résultat a été une « explosion en terme de chiffre d’affaires ». Les showrooms ne sont pas des boutiques traditionnelles ; ils permettent aux clients d’essayer, de toucher, et d’être rassurés avant de commander en ligne. Cette complémentarité entre l’expérience en ligne et les points de contact physiques a été un levier de croissance majeur, permettant aussi de recueillir des retours clients qualitatifs inestimables.

Les principes d’une croissance durable

Pour finir, Pauline partage quelques principes clés qui guident sa vie et son entreprise. Inspirée par le livre *Principles* de Ray Dalio, elle insiste sur l’importance de définir des valeurs claires comme l’authenticité, le plaisir et le challenge. Une citation résume bien sa philosophie : « Either you run the day or the day runs you. » (Soit tu diriges ta journée, soit c’est elle qui te dirige). Cette approche proactive, qui consiste à définir ses objectifs et à être acteur de sa vie, est sans doute l’un des secrets de la réussite de Gemmyo.


Questions fréquentes sur la création d’une marque de joaillerie

Comment trouver une idée de business dans un marché saturé comme la joaillerie ?

L’idée vient souvent d’une expérience personnelle frustrante. Pour Gemmyo, c’est l’expérience d’achat d’une bague de fiançailles, jugée intimidante, vieillotte et hors de prix, qui a révélé une opportunité de créer une marque plus moderne, accessible et transparente.

« Et en fait, l’expérience a été tellement décevante par rapport à ce qu’on s’attendait […] on s’est rendu compte que nos amis avaient tous aussi un petit peu galéré, que c’était un secteur globalement qui était assez vieillot et poussiéreux. »

Est-il possible de créer une marque de joaillerie sans aucune expérience du secteur ?

Oui, mais cela demande une immense persévérance. L’approche a consisté à apprendre sur le tas, notamment en contactant des centaines de fournisseurs potentiels pour comprendre le jargon et les processus de fabrication, et en se confrontant très vite aux premiers clients pour apprendre de leurs retours.

« Pas du tout. […] Quand je les appelais, je connaissais même pas les mots qu’il fallait employer. […] Mais en fait, en s’accrochant et en en faisant des centaines, j’ai fini par trouver un atelier qui a accepté de travailler avec nous. »

Comment gérer les premières ventes quand on se lance dans l’e-commerce ?

Les premières ventes sont avant tout une source d’apprentissage. Il faut les voir comme une occasion de tester et d’améliorer tous les processus : paiement, fabrication, logistique, communication client. Chaque interaction est une mine d’or pour perfectionner son modèle.

« En fait, on a appris tellement de choses avec cette cliente. Déjà, on a vu qu’on avait un problème sur notre RIB, c’était pas le bon numéro […] On a fait tellement d’erreurs. Le bijou était censé être livré en 10 semaines, […] je crois qu’on a eu au moins 3 semaines de retard. »

Quelle est la psychologie d’un achat cher en ligne, comme un bijou à 1000€ ?

Un achat cher n’est jamais un achat d’impulsion. Le client a besoin de plusieurs points de contact avec la marque (publicité, recherche Google, réseaux sociaux, retargeting) sur une longue période avant de se décider. La décision implique souvent plusieurs personnes (par exemple, la femme choisit, l’homme achète).

« Une personne qui achète un bijou chez nous, bah, elle a vu une pub dans le métro, elle a fait une recherche sur Google, elle t’a vu sur Facebook, et ensuite, elle a été retargetée sur Criteo […] et c’est vraiment ça qui va faire que quand elle a une envie d’un bijou, elle va penser à nous. »

Pourquoi une marque en ligne devrait-elle investir dans la publicité dans le métro ?

L’objectif principal n’est pas la conversion directe, mais la construction de la notoriété. Pour un achat à forte implication, il est crucial d’être ‘top of mind’. Le métro permet de toucher une large audience et de marquer les esprits de manière massive et récurrente, ce qui assoit la crédibilité de la marque.

« Cette idée de top of mind, d’être vraiment dans la conscience collective, elle est hyper importante. Et donc c’est pour ça que je me suis dit il faut absolument qu’on arrive à être dans le top of mind des français. »

À quel moment une marque DNVB doit-elle passer du online au physique ?

Le passage au physique devient pertinent quand on sent que le manque de contact avec le produit est un frein majeur à l’achat pour une partie de la clientèle. Ouvrir un showroom ou un pop-up store permet de rassurer ces clients et de débloquer une nouvelle phase de croissance.

« On avait un peu en permanence des personnes qui nous disaient, quand même, il faut pas ça, on n’arrive pas à se projeter, c’est difficile […] Et donc on s’est dit au fond, c’est trop bête de pas juste le tester. […] ça a été une explosion en terme de chiffre d’affaires. »

Une école de commerce est-elle indispensable pour devenir entrepreneur ?

Non, ce n’est pas indispensable, la meilleure école étant l’expérience. Cependant, elle peut jouer un rôle psychologique en donnant de la confiance, fournir des bases théoriques utiles plus tard, et surtout, offrir un réseau précieux, notamment pour les levées de fonds.

« Dans l’absolu, je pense que en fait la la meilleure école pour être entrepreneur, c’est de faire et et d’apprendre […]. Après moi, je pense que j’en avais besoin déjà psychologiquement. »

Comment se faire connaître quand on lance sa marque avec un petit budget ?

Avec un budget limité, il faut miser sur la créativité et des canaux à fort effet de levier. Les relations presse (contacter directement les journalistes) et les collaborations avec des blogueurs (à l’époque naissantes) ont été des stratégies très rentables pour Gemmyo à ses débuts.

« On a aussi beaucoup travaillé très tôt deux supports qui sont intéressants quand on n’a pas d’argent […] Premièrement les RP et deuxièmement les blogs. »


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