De l’écriture d’un best-seller à la gestion d’une entreprise libérée : les leçons de Jérôme Dumont
Jérôme Dumont, créateur du studio de développement mobile One More Thing Studio, est un entrepreneur aux multiples facettes. Il a non seulement bâti une entreprise fonctionnant sur le modèle innovant de l’entreprise libérée, mais il est aussi l’auteur du best-seller sur la productivité « La 25e Heure », co-écrit et auto-publié avec un succès retentissant. Enfin, il est à l’origine d’Opal, un festival musical entièrement organisé par ses participants bénévoles.
Dans cet entretien, il partage son approche unique du management, les stratégies qui ont fait de son livre un succès, et la philosophie qui le guide pour transformer ses idées en projets concrets. De l’écriture d’un livre en un week-end à la gestion d’une équipe sans hiérarchie, découvrez les coulisses d’un parcours entrepreneurial inspirant.
Les secrets de « La 25e heure » : comment écrire un livre rapidement et en faire un succès
Le parcours de Jérôme avec l’écriture n’était pas un rêve d’enfant, mais plutôt une aventure née spontanément. Comme il le raconte, l’idée a germé de manière inattendue : « C’est vraiment parti d’un délire entre potes dans un bar, comme pas mal des projets que j’ai montés finalement. »
D’une discussion de bar à un projet de livre concret
Avec ses amis Guillaume De Clerc et « Baudin », des passionnés de productivité, l’idée de condenser leurs astuces dans un livre a pris forme. Ils partageaient constamment des « petits tips à la con », comme préchauffer son four avant même d’enlever son manteau. Plutôt que de laisser cette idée s’évaporer, ils ont décidé de la concrétiser immédiatement.
Jérôme insiste sur ce passage à l’action : « En général, dans les bars, quand tu as ce genre d’idée, c’est cool, tu as bu un verre ou deux, bah, tu payes ton addition et tu rentres chez toi. Et là, on ne voulait pas faire ça. » Ils ont pris leurs agendas et bloqué un week-end deux semaines plus tard pour écrire le livre d’une traite.
Le défi de la rédaction intensive : 70% du livre en 48 heures
Le mythe veut que le livre ait été écrit en un seul week-end. La réalité est nuancée, mais tout aussi impressionnante. « L’histoire dit qu’on l’a fait en un week-end, ce qui est à peu près vrai. En gros, on a fait, on va dire, 70% du bouquin dans le week-end. »
Le trio s’est organisé de manière méthodique. Les chapitres ont été préparés pendant le trajet, chacun se chargeant d’une partie : l’organisation pour Jérôme, la concentration pour Guillaume, et l’accélération pour « Ba ». Sur place, ils ont adopté une méthode de travail intensive, s’inspirant de la technique Pomodoro. « Toutes les heures et demie, on rédigeait, on se faisait une pause, on se relisait les uns des autres, on fumait une clope, on se donnait des conseils, et boum, on repartait. » En un week-end, l’ébauche principale d’un livre de 230 pages était posée, représentant environ 60 heures de travail combiné.
La force du collectif : intégrer les conseils de 300 start-uppers
Conscients de leur manque de légitimité en tant qu’auteurs inconnus, ils ont eu l’idée d’intégrer les conseils d’autres entrepreneurs. « On s’est dit, si on le sort, qui on est pour écrire ça, quoi. On est personne, personne nous connaît. »
Ils ont alors lancé une « tâche passive » en contactant leur réseau de start-uppers français pour recueillir leurs meilleures astuces de productivité. Cette démarche a non seulement enrichi le contenu mais a aussi conféré une crédibilité immense à l’ouvrage. Ils ont ensuite étendu cette approche au marché américain en contactant 100 entrepreneurs supplémentaires, faisant passer le livre de « 200 start-uppers qui cartonnent » à 300, et créant ainsi une version internationale.
Stratégies d’auto-édition pour vendre plus de 30 000 exemplaires
Le succès du livre, qui a dépassé les 31 000 ventes, n’est pas le fruit du hasard. Il repose sur une stratégie d’auto-édition bien pensée et une compréhension fine des mécanismes de distribution et de promotion.
Le choix de l’auto-édition et la puissance d’Amazon KDP
Au départ, l’équipe a opté pour l’auto-édition, pensant qu’aucun éditeur ne s’intéresserait à eux. Ils ont utilisé le service d’impression à la demande d’Amazon, anciennement CreateSpace et maintenant KDP. « Quand quelqu’un va acheter ton livre sur Amazon, ils vont l’imprimer et ils vont lui envoyer. C’est du Amazon Print On Demand. » Cette approche a éliminé les frais de logistique et de stock, rendant le projet accessible.
Ce n’est qu’après avoir vendu des milliers d’exemplaires que les éditeurs traditionnels (Hachette, Pearson, etc.) les ont contactés. Mais à ce stade, ils avaient déjà tout fait eux-mêmes : la rédaction, la mise en page, la couverture. Ils ont donc décidé de rester indépendants pour mieux comprendre le métier et garder le contrôle.
Créer un effet boule de neige : l’impact des médias et de l’algorithme Amazon
Le succès initial a été propulsé par des coups de projecteur médiatiques, comme un article dans Les Échos. L’impact a été immédiat et mesurable. « Quand on a eu l’article de Mercier Alfred, on a dû faire entre 500 et 1000 ventes sur la journée. »
Jérôme explique la mécanique derrière ce phénomène : « Ça te fait rentrer dans l’algo Amazon de top vente. Donc, tu apparais sur la front page. Donc, tu as plus de vues, donc tu as plus de ventes, et tu restes dessus, tu as un truc organique. » Cette stratégie de concentration des efforts sur une courte période pour créer un pic de ventes est cruciale pour déclencher un effet boule de neige et générer une croissance durable.
De l’auto-édition à la librairie : gérer la logistique avec la Fnac
Pénétrer le réseau des librairies physiques comme la Fnac en étant auto-édité est un défi logistique. Au début, ils recevaient des commandes de quelques exemplaires, ce qui était un « enfer » à gérer. Ils ont finalement négocié avec le distributeur de la Fnac (la SFL) pour passer à des commandes plus importantes, en passant en « commande ouverte », un système où les libraires peuvent retourner les invendus. Cette prise de risque a payé et a simplifié la logistique, leur permettant de livrer par centaines d’exemplaires directement depuis leur imprimeur.
La transition vers un éditeur traditionnel : le cas de Livre de Poche
Après avoir prouvé le potentiel du livre et atteint un public de start-uppers, l’équipe a décidé de s’associer avec Livre de Poche. L’objectif ? Toucher un public plus large, disponible dans les points relais et les centres commerciaux. Ce choix stratégique illustre une nouvelle étape où le ratio effort/retour devient plus intéressant en confiant la distribution à un expert pour conquérir un nouveau marché.
L’entreprise libérée en pratique : un management sans hiérarchie
Parallèlement à son aventure d’auteur, Jérôme Dumont a expérimenté un modèle d’organisation radicalement différent au sein de son agence, One More Thing Studio. Il a mis en place les principes de l’entreprise libérée, un système de management sans hiérarchie.
Le concept de l’entreprise libérée : pourquoi abandonner la pyramide ?
Cette transformation est partie d’une conviction profonde : « Au fond de moi, je ne crois pas trop en la hiérarchie. Je pense que tu peux faire des choses vraiment bien avec plein de gens sans créer une hiérarchie. » S’inspirant de penseurs comme Frédéric Laloux (« Reinventing Organizations »), il a décidé de ne plus être le « boss » et de redistribuer le pouvoir de décision.
Le modèle repose sur deux croyances fondamentales : « l’humain est bon au fond » et « il est intelligent ». En partant de ce postulat, il devient possible de faire confiance aux employés pour prendre les bonnes décisions, que ce soit pour leurs congés ou pour des questions plus stratégiques.
Le processus de décision sans patron : solliciter plutôt que d’imposer
Contrairement à une idée reçue, l’entreprise libérée n’est pas un système basé sur le consensus, qui peut mener à des décisions molles. Le modèle mis en place par Jérôme est différent. « L’idée, c’était de dire, il y a une seule personne qui prend la décision, mais avant de la prendre, elle est obligée d’aller solliciter l’avis des experts (…) et de tous les gens que ça va impacter. »
Ainsi, l’intelligence collective est sollicitée, mais la décision finale reste rapide et assumée par une seule personne. Cela permet de combiner le meilleur des deux mondes : l’agilité d’une décision individuelle et la richesse d’une consultation collective.
L’autonomie au service de la motivation et de la performance
Ce système a transformé la manière de travailler. Au lieu d’assigner des projets, Jérôme présentait les opportunités à l’équipe, et les membres se positionnaient en fonction de leur intérêt. « Qui est chaud, qui ça peut intéresser ? » Cette approche garantissait que les personnes les plus motivées travaillaient sur chaque projet, ce qui était un argument de vente puissant pour les clients, même s’ils devaient parfois attendre.
Si personne ne voulait d’un projet, l’équipe pouvait le refuser. Cette liberté impliquait une responsabilité : les employés devaient être conscients de la santé financière de l’entreprise. Le fait qu’ils soient « bons » et « intelligents » les poussait à accepter des projets moins sexy quand c’était nécessaire pour le bien de la boîte.
La philosophie de l’action : oser se lancer pour ne rien regretter
Derrière ces projets se cache une philosophie de vie simple mais puissante : celle de passer à l’action pour ne pas avoir de regrets.
Le déclic : du voyage qui change une vie à la création d’entreprise
Pour Jérôme, un tour du monde en solo après ses études a été un moment fondateur. Ce voyage, entrepris avec une certaine appréhension, lui a prouvé que « rien n’est si compliqué que ça » et que « ça va bien se passer ». Cette expérience a brisé des barrières mentales et lui a donné la confiance nécessaire pour se lancer dans l’entrepreneuriat, l’écriture ou l’organisation d’un festival.
Minimiser le regret futur : la clé pour prendre des décisions importantes
Sa principale motivation est d’éviter le regret. Il se pose souvent la question : « Est-ce que quand j’aurai 50, 60, 70 ans, je me dirai (…) je regrette quoi ? » C’est cette projection qui le pousse à agir. « Tout ce que je me dis où plus tard, je pourrais me dire, ‘ah, si j’avais su’, ou ‘ah, j’aurais dû plus jeune’, bah, en fait, j’essaie de les faire maintenant. »
C’est un conseil qu’il donne à tous : ce que vous voulez faire, faites-le. Qu’il s’agisse de voyager, de monter une boîte ou d’écrire un livre, les barrières sont souvent plus psychologiques que réelles. « Plus le temps passe et plus je me rends compte qu’on a des plafonds de verre et des limites qu’on ne devrait pas avoir et qui nous empêchent de faire des trucs, et que tout est accessible et que tout est faisable. »
FAQ : Questions fréquentes sur l’entreprise libérée et l’auto-édition
Comment peut-on écrire un livre aussi rapidement qu’en un week-end ?
Il est possible d’écrire une grande partie d’un livre en un week-end en adoptant une approche très intensive, collaborative et préparée. Jérôme Dumont et ses co-auteurs ont divisé les chapitres en amont et ont utilisé des sessions de travail structurées et ininterrompues pour rédiger la majorité de leur ouvrage en 48 heures. Jérôme précise : « On a fait, on va dire, 70% du bouquin dans le week-end. On avait préparé les chapitres pendant le trajet à l’aller. »
Quels sont les avantages de l’auto-édition sur Amazon ?
L’auto-édition sur Amazon via KDP (Kindle Direct Publishing) offre plusieurs avantages majeurs : elle élimine les coûts de stock et de logistique grâce à l’impression à la demande, offre un contrôle total sur le contenu et le marketing, et permet de prouver la viabilité commerciale d’un livre. Un succès en auto-édition peut ensuite attirer l’attention des éditeurs traditionnels. Comme le dit Jérôme : « Tu n’as pas de frais de logistique, de stock, et cetera. Juste tu le mets dessus, et tu attends. »
Comment une entreprise libérée prend-elle des décisions stratégiques ?
Dans une entreprise libérée, une décision n’est pas prise par consensus mais par une seule personne, qui a l’obligation de consulter deux groupes avant de trancher : les experts du domaine et toutes les personnes qui seront impactées par la décision. Ce processus permet de s’appuyer sur l’intelligence collective tout en restant agile. Jérôme explique le modèle : « Il y a une seule personne qui prend la décision, mais avant de la prendre, elle est obligée d’aller solliciter l’avis des experts. »
Est-ce que les employés fixent leurs propres salaires dans une entreprise sans hiérarchie ?
C’est l’un des objectifs ultimes du modèle de l’entreprise libérée, bien que ce ne soit pas toujours la première étape. L’idée est que si les employés sont considérés comme intelligents et bien intentionnés, ils peuvent, avec les bonnes informations et un cadre défini, participer activement à la définition de leur rémunération. Jérôme mentionne que c’était son but : « Mon but, c’était que les gens décident d’eux-mêmes de leurs salaires. »
Comment passer de l’auto-édition à un contrat avec un éditeur traditionnel ?
Le succès commercial en auto-édition est le meilleur moyen d’attirer les éditeurs. Une fois qu’un livre a prouvé sa popularité et généré des milliers de ventes, les éditeurs viennent souvent contacter l’auteur directement. Jérôme témoigne : « Le bouquin a vite atteint 3000, 5000, 6000 ventes. Et là, on a été contacté par Erol et puis après, Hachette, Pearson. » La transition se fait alors pour atteindre un public plus large via un réseau de distribution différent.
Quel a été le déclencheur du succès du livre « La 25e heure » ?
Le succès a été un « combo de petits trucs ». Un facteur clé a été la couverture médiatique, comme un article dans Les Échos, qui a provoqué un pic de ventes massif. Ce pic a permis au livre d’entrer dans le top des ventes d’Amazon, ce qui a déclenché l’algorithme de la plateforme pour le recommander davantage, créant un effet boule de neige et une croissance organique durable.
Comment gérer la distribution en librairie quand on est en auto-édition ?
C’est un défi logistique. Pour de grandes enseignes comme la Fnac, il faut négocier avec leur distributeur central (la SFL). Jérôme Dumont a réussi à passer de petites commandes ingérables à des commandes de centaines d’exemplaires en acceptant le système de « commande ouverte » (où la librairie peut retourner les invendus) et en centralisant les livraisons.
Quelle est la philosophie derrière le management sans patron ?
La philosophie de l’entreprise libérée repose sur deux croyances fondamentales : la confiance en l’être humain, supposé être bon et intelligent, et le rejet de la hiérarchie pyramidale comme seul modèle d’organisation efficace. L’objectif est de donner de l’autonomie et du pouvoir de décision aux employés pour augmenter leur engagement, leur motivation et, in fine, la performance de l’entreprise.