L’explosion d’une chaîne YouTube : entre satisfaction et perte de contrôle
Passer de 38 000 à près de 300 000 abonnés en seulement un an. C’est l’ascension fulgurante qu’a connue Charles Robin, plus connu sous le nom du Précepteur. Mais qu’est-ce que ça fait, vu de l’intérieur, d’exploser sur YouTube ? Comment vit-on cette transition de ‘petit youtubeur’ à poids lourd de sa thématique ? Charles Robin partage un ressenti complexe, loin des clichés.
« C’est un sentiment multiple en réalité », confie-t-il. « On entend les youtubeurs qui rencontrent le succès nous dire qu’ils sont totalement dépassés par les évènements, qu’ils comprennent pas ce qui se passe. Et en fait c’est vrai. J’ai eu le sentiment que la situation m’échappait. »
Ce sentiment est paradoxal, car le succès est la preuve que le travail porte ses fruits. Charles ne doute pas que la qualité de son contenu philosophique y est pour beaucoup. Il reconnaît aussi avoir bénéficié de « l’effet confinement », une période où beaucoup de gens se sont tournés vers l’introspection et la philosophie pour donner du sens à une situation inédite. Mais cette croissance rapide reste une expérience déstabilisante.
Malgré tout, la satisfaction domine. « Je l’ai vécu quand même avec beaucoup de satisfaction et beaucoup de plaisir. C’est toujours agréable de sentir que son travail est reconnu », admet-il. Il souligne l’importance de cette reconnaissance pour maintenir la motivation, tout en affirmant ne pas se laisser griser par le succès : « J’ai pas la sensation que ça me monte au cigare. »
Trouver son format vidéo YouTube unique : le succès à contre-courant
La chaîne Le Précepteur est surtout connue pour un format qui brise tous les codes de YouTube : de longs monologues audio, parfois jusqu’à 45 minutes, sur une simple image fixe. Pas de facecam, pas de montage dynamique, pas d’effets visuels. Juste la voix de Charles qui disserte sur Spinoza ou Platon. Et pourtant, ce sont ces vidéos qui cartonnent le plus, certaines dépassant le million de vues.
Comment expliquer un tel succès ? Stan, l’animateur du podcast, y voit un « contresignalement » : « Ce que je vous raconte, c’est tellement intéressant que même s’il ne se passe rien à l’écran, vous m’écoutez quand même. »
Charles Robin a sa propre analyse, fruit d’une longue interrogation. Il a d’abord essayé d’appliquer les codes classiques de YouTube (facecam, cuts, illustrations), mais ces vidéos ont fait beaucoup moins de vues. La raison est simple :
« Je suis meilleur dans ce que je fais qui me plaît. Et ça me plaît davantage de faire des audios que de faire des vidéos. Je me sens plus à l’aise. Et du coup, je me permets aussi une liberté d’improviser, une liberté de tonalité dans ma manière de parler, dans mes audios que je ne me permettrais pas d’avoir en vidéo. »
Ses audios, bien que préparés, ne sont pas scriptés. Cette spontanéité crée une connexion unique avec l’auditeur. « Les gens le perçoivent, ils le sentent quand ils m’écoutent, ils sentent que je suis en train de vivre ce dont je parle, que c’est pas calculé, que c’est pas prémédité. » Il s’agit d’une philosophie vivante, transmise avec une immédiateté que le format vidéo, plus rigide, ne lui permettait pas d’atteindre.
Ce format minimaliste est aussi un choix délibéré pour préserver la concentration de l’auditeur. « Ajouter du dynamisme à des vidéos qui n’ont pas vocation à être dynamique, ce serait un contresens », explique Charles. Il refuse de « parasiter le message vocal par des messages visuels », considérant que l’attention est une ressource fragile qu’il vaut mieux capter par un seul canal.
Le dilemme de la monétisation : comment vivre de YouTube ?
Avec une audience de plusieurs centaines de milliers d’abonnés, la question de vivre de YouTube devient centrale. Pour un créateur de contenu, plusieurs voies sont possibles, chacune avec ses avantages et ses inconvénients. Charles Robin a exploré différentes options et son parcours illustre parfaitement le dilemme de la monétisation.
Les sources de revenus : de la pub AdSense aux dons
À quel moment peut-on commencer à envisager de vivre de sa chaîne ? Selon Charles, le seuil se situe « peut-être à 100 ou 150 000 abonnés », tout en précisant que le véritable indicateur est le nombre de vues. Aujourd’hui, son modèle économique repose sur trois piliers :
- La publicité AdSense : les publicités diffusées avant et pendant ses vidéos.
- Les dons de la communauté : via des plateformes comme Tipeee ou la fonction « Join » de YouTube, qu’il considère comme essentiels pour pouvoir se consacrer à plein temps à sa chaîne.
- Une boutique de produits dérivés : pour le côté « amusant », avec des t-shirts arborant des phrases philosophiques.
Pour lui, l’argent gagné n’est pas une fin en soi, mais un moyen. « Les revenus que va générer un vidéaste, dans la plupart des cas, ça va être directement réinjecté dans ses productions de vidéos. C’est tout simplement pour pouvoir vivre de son travail. Et je pense que c’est l’une des aspirations fondamentales de la plupart des êtres humains de pouvoir vivre de leur travail et de pouvoir bien le faire. »
Pourquoi arrêter de vendre des formations en ligne ?
Pourtant, Charles avait testé ce qui semble être la voie royale pour de nombreux créateurs : la vente de formations en ligne. Au début de sa chaîne Le Précepteur, qui était initialement axée sur la pédagogie, il proposait des « stages vidéo » pour préparer le bac de français. Et ça fonctionnait bien financièrement.
Alors, pourquoi avoir arrêté ? La réponse tient en un mot : c’est un autre métier.
« Je me suis très vite ravisé parce que je me suis tout simplement rendu compte que c’était un métier à part entière, c’est-à-dire de vendre des stages vidéo, ça nécessite des connaissances en marketing… Le commerce, la vente, le marketing, c’est un métier, on ne peut pas s’improviser vendeur. »
Au-delà de la compétence, il a fait face à un blocage psychologique, lié à une éducation où « l’argent c’est le mal ». Mais surtout, il a réalisé que ce n’était pas la direction qu’il voulait prendre. Il ne voulait pas que la gestion d’un business, avec le marketing, les lancements de produits et le support client, prenne le pas sur sa véritable passion : créer du contenu, lire, et parler de philosophie. Il a préféré optimiser son temps pour ce qui l’animait, plutôt que d’optimiser son business model.
Devenir créateur de contenu à plein temps : un grand saut
Fort de sa communauté grandissante et de son modèle de monétisation basé sur la pub et les dons, Charles a pris une décision majeure : arrêter son métier de professeur particulier pour se consacrer à 100% à sa chaîne YouTube à partir de la rentrée 2021. Un choix qui représente « le grand saut » dans l’aventure solitaire du créateur de contenu.
Le principal avantage ? Le temps. « Ça va me donner beaucoup plus de temps pour lire, pour me replonger dans les œuvres et ça, ça nourrit… pour moi la lecture, la littérature, la philosophie, c’est la nourriture de l’esprit. »
Mais ce choix implique aussi d’être prêt psychologiquement. Il faut avoir « la psychologie du solitaire », une discipline pour rester concentré quand on travaille seul. Même s’il se considère comme un solitaire, il reconnaît que cela demande un effort et ne correspond pas à tous les tempéraments. Pour ne pas perdre le contact humain qu’il appréciait tant dans son métier de professeur, il envisage de garder quelques élèves, trouvant ainsi un équilibre parfait.
Rendre la philosophie accessible : la clé pour captiver son audience
Le succès du Précepteur ne repose pas seulement sur son format, mais aussi sur sa capacité à rendre la philosophie, un sujet souvent perçu comme abstrait et intimidant, passionnante et concrète. Sa méthode est claire : il faut assumer la responsabilité de l’intérêt de l’audience.
« Je suis le premier à le reconnaître, la philosophie, c’est un peu parfois l’art de faire le malin, l’art de compliquer des situations simples », avoue-t-il. Pour contrer cela, il s’efforce de toujours se demander : « en quoi ça peut intéresser les gens ? » Il est convaincu que le désintérêt pour les idées vient souvent de la manière dont elles sont présentées.
Sa vision de la vulgarisation est puissante :
« Pour moi, la transmission, la vulgarisation, ce n’est pas faire descendre ce qu’on cherche à transmettre, c’est faire monter celui qui cherche à connaître. C’est mettre des marches, c’est poser des marches. »
Son travail consiste à construire cet escalier pour que chacun puisse accéder à la pensée des grands auteurs, sans se sentir écrasé par la complexité. Il ne cherche pas à être exhaustif, mais à être un catalyseur, à donner envie d’aller plus loin, de lire les œuvres originales. Son objectif n’est pas ce qui est dit, mais ce qui est reçu par l’auditeur. Une approche qui a manifestement trouvé un écho immense.
Questions fréquentes sur la vie de créateur de contenu
Combien d’abonnés faut-il pour vivre de YouTube ?
Réponse directe : Il n’y a pas de chiffre exact, car cela dépend plus du nombre de vues que d’abonnés. Charles Robin estime qu’il est possible de commencer à en vivre autour de 100 000 ou 150 000 abonnés, selon le rythme de publication et le nombre de vues par vidéo.
Citation de Charles Robin : « Oui, peut-être même un peu moins, peut-être 100 ou 150 000, selon, je pense le rythme de publication des vidéos. Suivant le nombre de vues par vidéo, parce que ce que beaucoup de spectateurs ignorent, c’est ça qui compte en réalité, c’est le nombre de vues. »
Pourquoi un format audio simple peut-il cartonner sur YouTube ?
Réponse directe : Un format audio minimaliste peut réussir sur YouTube car il crée une expérience d’écoute intime et concentrée. L’absence de distractions visuelles met en valeur la qualité du contenu et l’authenticité du créateur, qui se sent plus à l’aise et spontané.
Citation de Charles Robin : « Je me sens plus à l’aise. Et du coup, je me permets aussi une liberté d’improviser… que je ne me permettrais pas d’avoir en vidéo… mes audios ne sont pas scriptés. Et donc, finalement, je pense que la plupart des gens le perçoivent, ils le sentent quand ils m’écoutent, ils sentent que je suis en train de vivre ce dont je parle. »
Est-il obligatoire de vendre des formations pour monétiser sa chaîne YouTube ?
Réponse directe : Non, ce n’est pas obligatoire. Bien que la vente de formations soit une stratégie efficace, un créateur peut choisir de vivre de la publicité (AdSense) et des dons de sa communauté (Tipeee, YouTube Join), en fonction de son envie de gérer l’aspect commercial et marketing.
Citation de Charles Robin : « Je me suis très vite ravisé parce que je me suis tout simplement rendu compte que c’était un métier à part entière, c’est-à-dire de vendre des stages vidéo… le commerce, la vente, le marketing, c’est un métier, on ne peut pas s’improviser vendeur. »
Comment rendre un sujet complexe comme la philosophie accessible ?
Réponse directe : Pour rendre un sujet complexe accessible, il faut se concentrer sur la clarté et le concret, en évitant le jargon inutile. L’objectif n’est pas de tout dire, mais de construire des « marches » pour que l’audience puisse monter vers la connaissance, en rendant le sujet pertinent pour elle.
Citation de Charles Robin : « Pour moi, la transmission, la vulgarisation, ce n’est pas faire descendre ce qu’on cherche à transmettre, c’est faire monter celui qui cherche à connaître. C’est mettre des marches, c’est poser des marches. »
Quel est l’impact d’une croissance rapide sur un Youtubeur ?
Réponse directe : Une croissance rapide procure beaucoup de satisfaction, mais peut aussi donner le sentiment que la situation échappe à tout contrôle. C’est un sentiment paradoxal où le succès, preuve qu’on fait bien les choses, s’accompagne d’un sentiment d’être dépassé par les événements.
Citation de Charles Robin : « J’ai eu le sentiment que la situation m’échappait. Alors c’est très paradoxal parce que le succès c’est plutôt la preuve que qu’on fait bien les choses. »
Faut-il montrer son visage pour réussir sur YouTube ?
Réponse directe : Non, le succès de la chaîne Le Précepteur prouve qu’il n’est pas nécessaire de montrer son visage. Un format audio avec une image fixe peut fonctionner si le contenu est de très haute qualité et que la voix du créateur suffit à captiver l’attention de l’audience.
Citation de l’introduction du podcast : « C’est un format où il va vous parler en audio pendant parfois 30, pendant parfois 45 minutes, sans visuel, sans facecam, juste une image fixe… Pourquoi est-ce que ce format qui brise tous les codes évidents de YouTube cartonne ? »
Quels sont les avantages de se consacrer à 100% à sa chaîne YouTube ?
Réponse directe : Se consacrer à plein temps à sa chaîne YouTube permet de libérer un temps précieux pour la recherche, la lecture et la préparation. Ce temps réinvesti dans la qualité des productions permet d’approfondir son sujet et de nourrir son esprit, ce qui est essentiel pour un créateur de contenu intellectuel.
Citation de Charles Robin : « Le grand avantage de ce choix que j’ai fait de me consacrer 100 % aux vidéos, c’est que ça va me donner beaucoup plus de temps pour lire, pour me replonger dans les œuvres et ça, ça nourrit… la lecture, la littérature, la philosophie, c’est la nourriture de l’esprit. »
Pourquoi un créateur peut-il refuser des opportunités commerciales ?
Réponse directe : Un créateur peut refuser des opportunités commerciales, même lucratives, s’il sent que cela l’éloigne de sa passion principale : la création. Le marketing et la vente sont des métiers à part entière qui peuvent détourner du temps et de l’énergie, et certains créateurs préfèrent rester focalisés sur ce qui les anime vraiment.
Citation de Stan Leloup : « Si ce que tu veux faire, c’est absolument faire des vidéos, tu peux assez facilement te laisser emporter dans un truc de web marketing… Il faut être prêt à ne pas optimiser le web marketing. »